Première : cours et corrigés

Synthèse

 

Déroulé du chapitre :

QUESTION 1. COMMENT INTERPRETER LA PARTICIPATION ELECTORALE À PARTIR D’INDICATEURS ?

QUESTION 2. COMMENT COMPRENDRE LA PARTICIPATION ÉLECTORALE?

QUESTION 3. POURQUOI LE VOTE EST-IL A LA FOIS UN ACTE INDIVIDUEL ET UN ACTE COLLECTIF ?

QUESTION 4. COMMENT COMPRENDRE LA VOLATILITE ÉLECTORALE?

 

Conforme au programme officiel (BO)

 

1. Le phénomène de la volatilité électorale

 

L’expression est empruntée au vocabulaire de la chimie, qui désigne l’aptitude d’une substance à passer d’un état à un autre, par exemple de l’état liquide à l’état gazeux. Appliquée au comportement électoral, elle désigne une variation de l’expression des préférences partisanes pendant ou entre des élections de même nature et successives ou bien concomitantes, et traduit un phénomène d’hésitation d’un grand nombre d’électeurs. Or, l’analyse de celle-ci se révèle complexe, car l’acte de voter, de plus en plus privatif, imbrique des ressorts à la fois affectifs (sensibilité aux personnalités et aux discours) et rationnels.

Volatilité électorale, l’une des formes du désengagement politique

Ce changement des préférences exprimées dans le comportement électoral peut être considéré comme l’une des deux formes de l’abstentionnisme en général, qui touche les démocraties occidentales depuis les années 1970. Alexis de Tocqueville observait dans De la démocratie en Amérique que les citoyens de sociétés ayant connue une révolution violente avaient plus tendance (la France plus les USA) à se décharger de leurs engagements politiques sur l’État. Mais la volatilité électorale aujourd’hui prend un autre sens que l’abstention électorale : établir une distance par rapport au vote et une faible loyauté à l’égard des partis politiques, c’est autre chose que décider de ne pas voter. 

Volatilité et abstentionnisme : deux profils différents

L’abstention électorale peut reposer sur trois motifs très différents : la passivité (désintérêt pour la politique et méfiance à l’égard de la classe politique), le combat politique (comportement de « gladiateur » selon la terminologie des politistes de l’École du Michigan) ou bien un haut degré de satisfaction vis-à-vis du régime politique tel qu’il est incarné. Les enquêtes menées depuis le début des années 1980 ont montré cependant que les profils majoritairement associés à l’abstentionnisme (passivité, méfiance et faible capital culturel) et à la volatilité électorale (compétence politique revendiquée, cohérence idéologique) étaient très contrastés.

 

2. Les formes variées de la volatilité électorale

Cette hésitation de l’électeur contemporain, individualiste et informé, prend des formes multiples.

L’indécision pendant une campagne électorale

Une enquête publiée par le CEVIPOF (14 août 2018) a montré que lors de l’élection présidentielle de 2012, 51% des électeurs avaient changé au moins une fois d’avis au cours des six derniers mois de la campagne. Cette tendance s’est amplifiée lors de l’élection présidentielle de 2017 (document 2).

L’intermittence du vote

Le vote intermittent consiste à passer d’un vote actif à l’abstention, soit une tendance à aller plus loin dans le désengagement politique. On retrouve ici, le temps d’une élection, les motifs potentiels de l’abstentionniste, qui selon la formule de Daniel Gaxie reste, après analyse de l’offre politique « dans le jeu » ou bien bascule à moyen terme « hors-jeu ». Au cours des quatre derniers scrutins nationaux, la part du vote intermittent est passée de 40% à 50% des inscrits (document 1).

Le changement des préférences électorales

L’érosion des préférences partisanes peut se traduire par un changement de comportement entre deux scrutins successifs de même nature, ou entre des scrutins concomitants mais de nature différente. Dès 1990, le politiste Georges Lavau observe que l’identification partisane se transmet moins fréquemment que naguère de génération en génération. Sur une période de quinze à vingt ans environ, les deux tiers des électeurs ont au moins une fois changé leur vote. Récemment en France, les électeurs ont successivement voté pour des candidats de centre droit aux élections municipales, exprimé un vote de conviction fragmenté au premier tour de la présidentielle et un « vote utile » au second tour, choisi l’abstention par rejet des institutions et voté largement « hors-système » et écologiste aux européennes.

 

3. La volatilité électorale, reflet de l’affaiblissement d’un vote de classe

La baisse du sentiment d’appartenance collective et de l’identification partisane

L’évolution du vote ouvrier aux élections présidentielles en France (document 3) illustre bien ce double processus. Traditionnellement orienté à gauche, avec une forte corrélation entre classe ouvrière et vote communiste, et classes moyennes salariées et vote socialiste, il bascule durablement à droite après les élections nationales de 1995. Le déclin de la mobilisation partisane s’explique par le fait que le vote devient plus individualisé et moins associé à des intérêts socialement identifiés, après l’effondrement de grandes institutions partisanes et religieuses comme les mouvements de jeunesse catholiques ou le Parti communiste.

La recomposition de certaines variables sociopolitiques

Le déclin de la loyauté partisane et l’augmentation de la volatilité électorale s’expliquent en partie par la baisse de pertinence, mais aussi la recomposition de certaines « variables lourdes » socioéconomiques dégagées par le modèle de l’université de Columbia dans les années 1940 (documents 4). Ainsi, le lieu d’habitation, le statut socioéconomique et la religion expliquaient dans ce contexte américain la stabilité du vote. Aujourd’hui, les travaux des démographes Hervé le Bras et Emmanuel Todd montrant que l’habitat groupé accentuant le sentiment de promiscuité et ceux du géographe Christophe Guilly sur l’habitation en zone péri-urbaine expliquent en partie le glissement vers un vote d’extrême-droite.

L’épuisement progressif du clivage idéologique Gauche/Droite

Progressivement depuis les années 1990, le clivage traditionnel gauche/droite, qui existe depuis la Révolution, est remis en cause. De nombreuses enquêtes depuis une quinzaine d’années montre qu’une majorité de Français rêvent d’une vie politique plus consensuelle, d’où l’hésitation face à une offre politique clivante car structurée par le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Une enquête sur la base d’un sondage réalisé par Viavoice publié par Libération un mois avant l’élection présidentielle de 2017 a dégagé un paradoxe apparent : 29 % des Français s’autopositionnent à gauche, 36% à droite, et 22% ni à gauche, ni à droite, ni au centre ; cependant 66% considèrent que le clivage gauche-droite n’est plus pertinent. Autrement dit, l’ancrage profond dans les valeurs de gauche ou de droite demeure, mais le positionnement partisan est considéré comme obsolète. Les travaux menés depuis 30 ans par Gérard Grunberg ont montré que l’instabilité concerne un électeur sur deux mais se traduit essentiellement par l’hésitation entre participation et l’abstention, alors que l’ensemble des transferts entre la gauche et la droite ne concerne qu’environ 5% des électeurs inscrits.

 

4. La volatilité électorale, reflet d’une montée en puissance de l’électeur stratège

L’adaptation des électeurs aux modes de scrutin

Le déclin des institutions partisanes et religieuses conjugué au développement de l’individualisme ont conduit la plupart des politistes à observer l’avènement d’un électeur éduqué, éclairé et capable d’une mise en cohérence idéologique de ses infidélités partisanes. Les modèles explicatifs successifs (ceux – holistiques – des Écoles de Columbia puis du Michigan analysant la stabilité du vote par des déterminismes socio-économiques et liés à la socialisation politique ; ceux – stratégiques – critiquant le déterminisme des « variables lourdes » qui orienteraient un électorat passif) se sont adaptés à ces mutations.

Le « vote sur enjeu » brouille les clivages partisans

Les variables contextuelles d’un vote tiennent à la perception des enjeux et au type d’élection. Le vote comme acte individuel a été analysé par des modèles « stratégiques » traduisant la capacité des électeurs à évaluer les avantages qu’ils pourraient tirer de la victoire d’un candidat plutôt qu’un autre, et à décrypter les enjeux du moment. Ainsi, lors d’une campagne électorale, ils sont présumés analyser correctement la mise sur agenda de grand thèmes (l’insécurité lors de l’élection présidentielle de 2007), les grilles de lecture du moment (lutter contre les inégalités sociales VS restaurer la compétitivité des entreprises) et le filtrage opéré par les médias de critères de performances (faire de la « politique autrement » en 2017, document 6).

Notions

Changement dans le choix partisan d’une élection à une autre, voire entre les deux tours d’un même scrutin.
Variables socioéconomiques qui sont statistiquement prédictives de l’orientation du vote. Il peut s’agir du genre, de l’âge, de la PCS ou encore de la pratique religieuse.

Synthèse

Déroulé du chapitre :

QUESTION 1. COMMENT INTERPRETER LA PARTICIPATION ELECTORALE À PARTIR D’INDICATEURS ?

QUESTION 2. COMMENT COMPRENDRE LA PARTICIPATION ÉLECTORALE?

QUESTION 3. POURQUOI LE VOTE EST-IL A LA FOIS UN ACTE INDIVIDUEL ET UN ACTE COLLECTIF ?

QUESTION 4. COMMENT COMPRENDRE LA VOLATILITE ÉLECTORALE?

 

Conforme au programme officiel (BO)

Avec la diffusion du modèle démocratique au XX° siècle, les élections se banalisent et se trouvent progressivement cantonnées à une légitimation périodique des gouvernements. Le résultat d’un vote, apparemment simple, traduit un acte de voter très complexe, mobilisant chez l’électeur des motifs et de la part des analystes des explications qui imbriquent l’individuel et le collectif.

 

1. La constitution socio-historique du citoyen électeur

L’élargissement du droit de suffrage

Celui-ci se traduit par l’accroissement des corps électoraux, qui a connu une progression différenciée selon les cadres nationaux et les types de coalition de classe ayant promu la démocratie. Elle a donc été précoce en Grande-Bretagne, brutale en France et discontinue dans le Reich wilhelmien, et s’est caractérisée par une série d’inclusions/exclusions dans la population et par un rôle rationalisateur joué par l’État. Cet élargissement du corps électoral a fonctionné au XIX° siècle comme une véritable technologie de sortie de crise : il fallait canaliser les pulsions insurrectionnelles – résultant à la fois d’une délégitimation des formes d’autorité liées à l’Ancien Régime et d’une recherche juridique d’autres fondements de la souveraineté - vers le vote.

La construction de l’électeur libre et éclairé

La mobilisation d’électeurs libres n’est pas spontanée, d’où le rôle joué par des tuteurs du suffrage : l’inscription sur les listes électorales activée périodiquement et le déploiement d’une pédagogie du devoir de voter, visant à délégitimer les autres moyens d’expression, orientent l’électeur vers le « bon vote ». Mais celui-ci résulte à la fois de la mobilisation d’idéaux démocratiques (libre discussion, information non contrainte) et de pratiques non-démocratiques (candidatures officielles, clientélisme politique).

La constitution d’électorats

L’addition abstraite de suffrages – formalisée dès la fin du XVIII° siècle par Condorcet – contribue à la nationalisation de la vie politique, laquelle est analysée comme le résultat d’une compétition pour chaque scrutin par les partis politiques, les agents administratifs locaux et les commentateurs spécialisés. Au final, voter combine trois dimensions : participer à une institution démocratique (dimension collective), exprimer des motifs subjectifs (dimension individuelle) et, selon Michel Offerlé « avoir voté pour des enjeux définis par des spécialistes, au vu des résultats agrégés » (reconstitution du sens donné à des additions abstraites de suffrages). La fabrique de ces électorats renvoie aux fonctions sociales du vote.

 

2. Les fonctions du vote et la traduction des préférences

Les fonctions sociales du vote

On peut d’abord mettre en avant deux fonctions sociales explicites. D’une part, les électeurs expriment des préférences politiques , comme par exemple un vote assumé à Gauche lors de l’élection présidentielle de 1981, une inquiétude à l’égard d’effets présumés négatifs d’une nette orientation économiquement libérale lors du référendum sur le projet de Constitution européenne en 2005, un rejet de la Présidence Sarkozy en 2012. D’autre part, il s’agit de choisir des représentants (ce qui pose le problème de la mauvaise traduction sociologique de la société civile) ou de trancher une question posée par référendum, et, dans les deux cas, le taux de participation est une donnée essentielle. Mais le vote a également quatre fonctions sociales implicites. Il peut traduire un sentiment d’appartenir à un groupe (une classe sociale…) ; Il peut aussi traduire le sentiment, à travers le rituel du bureau de vote, de partager des valeurs collectives nationales et consensuelles. Enfin, le vote renforce la légitimation des gouvernants constitue un test pour la représentativité des forces politiques.

Le résultat du vote. L’importance du mode d’expression des préférences

Nous avons vu (doc. 3) que Condorcet (1743-1794), partant de l’égalité des citoyens résultant du Contrat social de J.-J. Rousseau, explore les difficultés concrètes de mise en œuvre de ce principe en s’intéressant à l’organisation du vote en démocratie : si chaque humain a une voix, comment réaliser le Un (l’unité politique de la nation) à partir du multiple ? Suffit-il d’un calcul arithmétique des suffrages pour qu’on puisse affirmer que le vote est bien la source de la volonté générale ? Selon le paradoxe, sur un plan strictement logique, la préférence collective exprimée peut contredire les préférences individuelles agrégées ; tout dépend du mode d’expression des préférences structuré par un mode de scrutin. Ainsi, François Bayrou a été le « vainqueur de Condorcet » des élections présidentielles de 2007 et 2012 (il aurait vaincu deux à deux chacun des autres candidats) sans passer le cap du second tour, principalement à cause du mode de scrutin majoritaire à deux tours, et Emmanuel Macron a été le « vainqueur de Condorcet » en 2017, malgré ce mode de scrutin.

La communication autour des résultats du vote

Le nuançage politique est une opération de classement des résultats électoraux réalisée par le Ministère de l’Intérieur permettant d’éclairer les citoyens sur la structure de l’offre politique. En pratique, les préfets attribuent une « nuance politique » aux listes et candidats en lice lors d’un scrutin en opérant des regroupements par proximité idéologique Cf. Supra, Question 1 : Comment interpréter la participation électorale à partir d’indicateurs?, dossier sensibilisation, doc.5). Ces informations sont utilisées par les électeurs pour décrypter les enjeux d’un scrutin et par les chercheurs en sciences politiques. Cela explique que la « circulaire Castaner » du 10 décembre 2019 modifiant les règles d’attribution de ces nuances avant les élections municipales de mars 2020 ait été durement critiquée par de nombreux politistes et sanctionnée par le Conseil d’État (doc.4). Cette circulaire a été remplacée par celle du 3 février 2020, le Ministre de l’Intérieur prenant acte de l’enjeu : le principe de transparence en démocratie représentative ne peut être mis à mal.

 

3. Le vote, acte individuel et collectif. Les modèles explicatifs

Dans leurs comportements électoraux, les citoyens vont se saisir de l’offre politique à travers notamment une identification partisane. Ils vont de ce fait mobiliser une culture, qui a été transmise par le processus de socialisation politique et qui puise ses ressources dans un système d’idées et de valeurs sociétal (par ex., prégnance de l’égalité et de la laïcité en France). Max Weber distingue trois modèles principaux de comportements électoraux : le vote de transaction, le vote identitaire communautaire et le vote identitaire de conviction. Le premier et le troisième modèle correspondent au vote comme acte individuel, le second modèle au vote comme acte collectif. Voyons comment, depuis Weber, les modélisations ont pu se distribuer entre ces deux dimensions du vote.

Les modèles fondés sur la stratégie de l’acteur individuel

  1. Le vote comme expression de préférences en fonction d’une offre électorale

L’offre électorale est une configuration très complexe qui combine à l’intérieur d’un système politique et pour un scrutin donné un système de partis politiques (degré de fractionnement, niveau de polarisation idéologique, degré de stabilité), un mode scrutin (majoritaire à un ou deux tours, proportionnel), un système d’alliances (coalition minimale, hégémonie), et des programmes incarnés par des candidats. Le juriste et politiste Maurice Duverger (Les partis politiques, 1951) a ainsi synthétisé les enjeux macro et micro-politiques d’une telle offre.

Face à cette offre électorale, le modèle d’Anthony Downs (An Economic Theory of Democracy, 1957) est présenté comme un homo oeconomicus qui cherche à maximiser le profit économique et symbolique qu’il peut retirer du vote : parfaitement informé, il est capable d’évaluer et de hiérarchiser les bénéfices personnels qu’il pourra en tirer.

  1. Le vote comme préférence en fonction des enjeux contextuels

Dans le prolongement du modèle de Downs, les universitaires américains Norman Nie, Sydney Verba et John Petrocik (The Changing American Voter, 1976) ont produit le modèle du « vote sur enjeux », conçu comme une remise en question du modèle de Michigan, qui était centré sur l’identification partisane et la socialisation primaire. Au contraire, les électeurs effectueraient de plus en plus leurs choix en fonction des débats du moment, étant capables de décrypter l’offre politique et de formuler des préférences.

Les modèles fondés sur les appartenances sociales

  1. Le vote, expression d’appartenances sociales

L’accroissement des inégalités de niveau de vie et de patrimoine observé depuis la fin des années 1970, accentué par les politiques fiscales libérales menées depuis une quarantaine d’années, rend à nouveau pertinent l’analyse du vote en termes de classes sociales. Jusqu’aux années 1980, la classe ouvrière qui votait traditionnellement à gauche, s’est muée en classe populaire hétéroclite caractérisée par un apolitisme méfiant, un rejet de la classe politique et un vote « hors-système ». La classe moyenne reste orientée vers certaines valeurs de gauche (méritocratie, justice sociale) et témoigne d’une faible attirance pour les extrêmes et d’une sympathie pour les candidats se positionnant hors du clivage gauche-droite (F. Bayrou, puis E. Macron). La classe bourgeoise (noyau dur au sein des 17% formant les PCS supérieures) vote massivement à droite, sans pour autant adhérer aux principes du libéralisme économique, et vise à protéger un patrimoine important.

  1. L’identification idéologique et partisane

Les identités collectives de gauche (le socialisme a depuis 1848 une histoire trouble avec la gauche politique, et la troisième voie de Tony Blair a dans les années 2000 opéré un recentrage, dont la posture « hors partis » du Président Macron est le prolongement) et de droite (depuis les années 1970, on assiste à une tension permanente entre les avatars de l’orléanisme cherchant un équilibre des institutions, et ceux du bonapartisme orienté vers une concentration pouvoir), de manière plus marquée en France qu’ailleurs, sont mobilisées par les électeurs à travers un processus d’identification partisane, d’intensité variable.

  1. Les modèles holistes d’explication du vote

Envisagés de manière chronologique, ils s’intéressent soit à l’environnement du citoyen-électeur, soit à ses caractéristiques sociologiques. Le modèle écologique-géographique d’André Siegfried (Tableau de la France de l’Ouest, 1913) a dissocié des comportements électoraux orientés à droite (la Vendée du nord granitique) et à gauche (la Vendée du sud calcaire) en combinant trois données : la nature du sol, le mode d’habitation et le régime de propriété. Selon le modèle de Columbia (Paul Lazarsfeld et alii, The People’s Choice, 1944), le statut socio-économique associé au lieu de résidence (rural ou urbain) permet d’identifier des groupes sociaux dont les comportements électoraux sont prédictibles. Pour le modèle du Michigan (The American Voter, 1960), c’est l’identification à des valeurs - via la socialisation familiale- qui détermine une identification partisane durable. Enfin, en France, des enquêtes du CEVIPOF ont montré dans les années 1980 (Guy Michelat et Michel Simon) deux fortes corrélations, entre culture ouvrière et vote communiste, et entre catholicisme pratiquant et vote à droite.

Au final, les modèles holistes rendent mieux compte de phénomènes récurrents (« bastions géographiques », ainsi l’Ouest vote à gauche, l’Est à droite ; spécificité de comportements de certains groupes sociaux, par exemple le vote conservateur des travailleurs indépendants), et les modèles stratégiques expliquent plus facilement les phénomènes de volatilité électorale.

Notions

Mode d’élection réservant le droit de vote à ceux qui ont payé un impôt (le cens) et qui bénéficient donc d’un revenu relativement élevé.
Mode de suffrage ouvert à tout détenteur des critères de la citoyenneté (nationalité, âge et jouissance des droits civiques).
Le vote sur enjeu est un choix électoral fondé sur la préférence en faveur de telle ou telle politique publique, au-delà des préférences partisanes.

Synthèse

Déroulé du chapitre :

QUESTION 1. COMMENT INTERPRETER LA PARTICIPATION ELECTORALE À PARTIR D’INDICATEURS ?

QUESTION 2. COMMENT COMPRENDRE LA PARTICIPATION ÉLECTORALE?

QUESTION 3. POURQUOI LE VOTE EST-IL A LA FOIS UN ACTE INDIVIDUEL ET UN ACTE COLLECTIF ?

QUESTION 4. COMMENT COMPRENDRE LA VOLATILITE ÉLECTORALE?

 

Conforme au programme officiel (BO)

Le comportement électoral traduit ponctuellement une attitude politique lors d’un scrutin et peut être analysé à partir de deux types de variables explicatives : les facteurs socio-politiques inhérents aux électeurs, et les facteurs contextuels.

1. Les variables explicatives socio-politiques du comportement électoral

 

Le degré d’intégration sociale

Émile Durkheim désignait l’intégration sociale comme l’insertion d’un individu dans un groupe, génératrice de liens sociaux, économiques et politiques entre les personnes qui composent la société. Or, les travaux de Pierre Bréchon ont montré qu’une faible intégration constituait un facteur permanent de l’abstention et de la non-inscription sur les listes électorales.

Les vecteurs de l’intégration sociale. Les formes de sociabilité variant selon l’âge (plus forte prégnance des études jusqu’à 25 ans, du travail entre 30 et 65 ans, du voisinage au-delà), les ruptures du lien social liées à une crise des instances d’intégration pèsent sur le comportement électoral. Le lieu d’habitation (fort contrôle social dans les communes rurales, politisation et comportement abstentionniste « dans le jeu » dans les communes urbaines ; vote d’extrême droite dans les zones d’habitation groupé) et la territorialisation (abstention et vote « hors système » dans les zones péri-urbaines) jouent par ailleurs un rôle croissant depuis les années 1980.

 

L’impact de la socialisation politique

La socialisation politique primaire, c’est-à-dire la transmission d’une culture politique et l’apprentissage d’un rôle politique avant l’âge adulte, surtout lorsqu’elle résulte de la famille, joue un rôle majeur dans la construction d’un intérêt pour la politique. Parce que l’intériorisation de valeurs, normes, attitudes politiques forge un cadre de repères inséré dans celui – plus large et extrêmement structurant et durable – des références morales (par exemple valoriser le principe de laïcité), elle va conditionner un phénomène largement majoritaire : l’héritage politique. Selon des enquêtes récurrentes du CEVIPOF, les deux tiers des français votent comme leurs parents, et cette proximité est encore plus forte entre époux.

Les travaux d’Annick Percheron ont montré que quatre facteurs, classés par ordre décroissants, expliquaient la forte reproduction des préférences partisanes : l’intérêt des parents pour la politique, la force de leurs préférences partisanes, l’homogénéité des choix entre conjoints, et leur visibilité pour les enfants. Par ailleurs, les taux de reproduction sont plus élevés à gauche qu’à droite, et lorsque les parents votent pour les extrêmes. En dehors de ce phénomène de transmission, les résultats agrégés pour la France montrent que les français se disent majoritairement peu intéressés par la politique, mais intéressés par l’élection présidentielle, rituel républicain au cœur de la démocratie représentative.

 

La socialisation politique, primaire, puis secondaire (s’ajoute le rôle joué par les pairs au travail qui influence les comportements comme voter ou s’abstenir, et celui des médias qui influence les opinions), couplée avec la reproduction sociale, explique également largement le sentiment de compétence politique, significatif de rapports de domination.

Mais celui-ci s’appréhende également au niveau macro-sociologique d’une culture politique nationale. Les deux politistes américains Gabriel Almond et Sydney Verba ont tenté, dans un ouvrage « développementaliste» devenu classique (The Civic Culture, 1963), de suggérer la supériorité d’un modèle national – fonctionnant comme cadre cognitif de la compétence -, celui développant une « culture politique civique » orientée vers la participation. Cette thèse a été critiquée par Bertrand Badie aux motifs qu’il n’est pas rigoureux de hiérarchiser les cultures politiques nationales et que l’hypothèse d’un consensus de valeurs et de croyances dans une population – fut-elle orientée vers la participation - est contestable.

 

2. Les variables contextuelles du comportement électoral

 

La perception des enjeux de l’élection

Trois types de scrutins obtiennent des taux de participation relativement élevés, pour des raisons différentes. Les scrutins nationaux – élections présidentielle et législative – s’inscrivent dans le cadre de ce que Bernard Manin nomme « l’âge de la démocratie du public », c’est-à-dire une configuration dans laquelle les citoyens, de plus en plus informés, obligent les partis à s’adapter en traduisant les enjeux d’une élection à l’aulne de leurs préoccupations concrètes (Principes du gouvernement représentatif, 1995). L’explicitation des cadres de la perception des enjeux de la part de l’électeur éclaire la réception positive d’une majorité de l’électorat de thématiques au cœur de l’offre politique, qui semblaient répondre aux attentes concrètes des citoyens inquiets des effets négatifs d’une globalisation subie : l’immigration comme danger (élection présidentielle de 2007, referendum sur le Brexit en juin 2016), le chômage comme problème complexe (présidentielle de 2012), la recherche pragmatique de solutions inédites (présidentielle de 2017).

Les scrutins municipaux quant à eux bénéficient de ce que l’historien Maurice Agulhon a nommé la « coulée démocratique » : les enjeux nationaux se traduisent en termes lisibles dans les élections locales, par ailleurs fondées sur des relations de proximité (La République au village, 1970).

 

Les types d ‘élection

Le degré de participation varie selon trois types d’élection : il reste élevé à l’occasion des élections présidentielles et municipales, d’un niveau moyen pour les élections législatives, principal vecteur d’une « crise de la représentation », et d’un niveau faible pour les scrutins infra-nationaux et européens.

Les référendums, dont il faut distinguer la forme plébiscitaire pratiquée par le général De Gaulle, ont connu sous la V° République des taux de mobilisation électorale très contrastés selon les enjeux perçus par les électeurs : ainsi, le passage au quinquennat présidentiel en 2000 n’a mobilisé que 30% des inscrits alors qu’inversement la question de l’adoption du traité constitutionnel européen a mobilisé environ 70% de ceux-ci.

 

Notions

Ensemble des mécanismes par lesquels un individu intègre les normes et les codes culturels qui déterminent son action dans le champ politique.
Consultation par laquelle des électeurs sont appelés à se prononcer sur une mesure publique ou sur une disposition liée à un traité international.

Synthèse

 

Déroulé du chapitre :

QUESTION 1. COMMENT INTERPRETER LA PARTICIPATION ELECTORALE À PARTIR D’INDICATEURS ?

QUESTION 2. COMMENT COMPRENDRE LA PARTICIPATION ÉLECTORALE?

QUESTION 3. POURQUOI LE VOTE EST-IL A LA FOIS UN ACTE INDIVIDUEL ET UN ACTE COLLECTIF ?

QUESTION 4. COMMENT COMPRENDRE LA VOLATILITE ÉLECTORALE?

 

Conforme au programme officiel (BO)

L’interprétation de la participation électorale requiert une comparaison dans l’espace (entre pays démocratiques ou non, entre systèmes politiques) et dans le temps (évolution du droit de suffrage), qui appréhende le constat, deux siècles après les travaux de Tocqueville, d’une tendance générale à la montée de l’abstention dans les sociétés capitalistes et démocratiques.

 

1. Les règles de calcul et de décompte des taux lies a la participation électorale

En France, l’électorat est constitué de citoyens remplissant quatre conditions (doc.1) : disposer de la nationalité française, avoir la majorité politique, jouir des droits civils et politiques, être inscrits sur la liste électorale de sa commune de rattachement. Mais la proclamation du résultat des élections dépend d’un certain nombre de règles.

Les étapes du décompte électoral

La participation électorale correspondant – toujours en France – au taux d’électeurs inscrits qui ont choisi de voter plutôt que de s’abstenir. Ainsi, on peut distinguer six catégories de citoyens concernés par une élection : les votants potentiels (qui remplissent les conditions pour voter), les inscrits sur les listes électorales, les abstentionnistes (inscrits qui ne sont pas allés voter), et les votants, qui ont déposé dans l’urne trois types de bulletins (blanc, nul, valide). Seule la troisième catégorie de bulletins correspond aux suffrages exprimés, qui représentaient lors du second tour de l’élection présidentielle de 2017 65,97% des inscrits et 88,48% des votants (doc.2).

Trois types de comportements électoraux non comptabilisées

En France, en amont, les non-inscrits, et en aval les votes blancs et nuls ne sont pas comptabilisés pour rendre compte des préférences exprimées par la participation électorale.

L’inscription sur les listes électorales

Depuis 1997, les jeunes de 18 ans sont inscrits automatiquement, et depuis le 1er janvier 2019 un nouveau système de gestion des listes électorales, le Répertoire Électoral Unique (REU, Cf. doc.3), a pour mission de centraliser toutes les modifications réalisées sur les listes électorales. L’Objectif principal est de lutter contre l’abstention en réduisant le nombre des non-inscrits. Des enquêtes ont montré que le taux de non-inscrits était relativement constant, environ 10% des électeurs potentiels.

Comment comptabiliser l’abstention ?

Le taux d’abstention dépend d’abord du système électoral national. Ainsi, si en France ce taux est calculé par rapport au nombre d’inscrits sur les listes électorales, aux États-Unis il est rapporté au nombre de votants potentiels (remplissant les conditions légales du vote), ce qui a tendance à en augmenter le résultat (doc.7).

La discussion sur le statut des bulletins blancs et nuls

Les votes blancs et nuls sont préalablement retirés des suffrages exprimés, leur signification politique est donc ignorée, ce qui fait débat, une loi du 21 février 2014 se limitant à décompter séparément les bulletins blancs (doc.4).

 

2. L’interprétation des taux de participation selon les pays

La différenciation entre pays autoritaires et démocratiques

Des taux de participation très élevés peuvent s’observer aussi bien dans des pays autoritaires ou dictatoriaux lors de plébiscites, c’est-à-dire de référendums portant sur une question unique liée à un changement de régime (en 1802 et 1804, légitimation du Consulat à vie et de l’Empire) ou organisés comme présentant un enjeu personnel, que dans le fonctionnement normal de pays démocratiques. Dans le second cas, c’est la culture politique nationale, les modalités du vote et son enjeu qui expliquent les scores (Cf. doc.6).

Le vote comme « technique de gouvernement »

La manière de désigner les gouvernants influe sur les résultats de l’élection. Le vote peut être direct ou indirect (dans le second cas le citoyen choisit des grands électeurs qui désignent le titulaire du rôle politique comme à l’élection présidentielle américaine ou sénatoriale française) ; il peut être obligatoire ou non (doc. 6), modalité qui peut se révéler incitative (Belgique, Luxembourg, ou encore Australie) ou non (Chypre) ; il peut plus ou moins efficacement garantir le caractère secret du scrutin (présence d’isoloir, contrôle effectif de l’identité du votant).

 

3. L’impact de l'augmentation de la population votante

Le processus historique d’augmentation de la proportion d’électeurs dans une population

L’Extension progressive du droit de suffrage, notion plus précise et neutre que le droit de vote (souvent associé au suffrage universel masculin) a élargi le collège électoral à de nouvelles fractions de la population (femmes, majorité à 18 ans, vote des ressortissants de l’UE), rendant la représentation plus effective (doc.7).

Herbert Tingsten, politiste suédois, a montré, sur la base d’enquêtes dans les pays d’Europe du Nord, qu’après l’instauration du suffrage universel masculin, puis féminin, il s’en suivait une période initiale de croissance de l’abstention d’une dizaine d’années correspondant à la nécessité d’un apprentissage politique.

 

4. L’interprétation de l'abstentionnisme

La fréquence de l’abstentionnisme

L’abstentionnisme est permanent seulement pour une minorité d’électeurs, notamment ceux que Daniel Gaxie dans son ouvrage classique Le cens caché désigne comme étant « hors-jeu », c’est-à-dire qui s’auto-excluent de la participation politique par défaut de capital culturel et de politisation. Mais il est en général épisodique et concerne surtout les élections européennes (doc.8).

Les raisons de l’abstention

On peut distinguer l’abstention passive, sociologique, qui traduit un manque d’intérêt pour la politique associé à un sentiment d’incompétence, et une abstention active, idéologique, qui témoigne d’une hostilité à l’égard d’un gouvernement ou bien un scepticisme devant la valeur ou la légitimité de la procédure électorale.

Notions

Attitude des citoyens qui ne participent pas aux consultations électorales alors qu’ils sont inscrits sur les listes électorales.
Participation électorale : Attitude des citoyens qui relève de la participation conventionnelle, et qui reflète l’implication dans la vie politique institutionnalisée, se traduisant par une participation aux différents votes qui sont organisés par la nation.
Il s’agit à la fois de la décision de voter ou de ne pas voter, ainsi que de l’orientation politique des choix effectués.
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