Comment est structurée la société française actuelle ?

Synthèse

Melchior cours SES lycée bac grand oral

(BO)

Déroulé du chapitre :

Question 1. Quels sont les facteurs de structuration et de hiérarchisation de l'espace social ?

Question 2. Comment la structure socioprofessionnelle a-t-elle évolué depuis la seconde moitié du XXème siècle ?

Question 3. Quelles sont les analyses fondatrices de la structure sociale proposées par les sociologues ?

Question 4. Peut-on considérer que la société française actuelle est structurée en classes sociales ?

Les travaux fondateurs de Marx et Weber montrent que les sociétés qui émergent de la Révolution industrielle restent marquées par la persistance d’inégalités qui, certes, ne présentent plus les mêmes caractéristiques que celles des sociétés antérieures, mais continuent de “faire système” et dessinent des frontières marquées entre des groupes sociaux hiérarchisés. La profession y devient le critère privilégié de structuration de l’espace social.

Les transformations socio-économiques qui ont marqué les sociétés développées depuis la seconde moitié du XXème siècle ont-elles mis à bas cela ? Est-il juste de considérer que la société française actuelle n’est pas -plus ?- structurée en classes sociales ?

1) La perturbation des clivages socioprofessionnels traditionnels

Dans la veine de la tradition inaugurée par Robert Nisbet, de nombreux sociologues ont, à l’aune des Trente Glorieuses, envisagé la disparition des classes sociales. Le terme de “moyennisation”, utilisé déjà par Alexis de Tocqueville, connaît dès lors une nouvelle actualité. Dans son acception moderne, l’expression désigne à la fois le gonflement des classes moyennes, mais aussi le fait que le “centre de gravité” culturel de la société se déplace des classes supérieures vers les classes moyennes.

Pourquoi les classes moyennes, définies par l’OCDE comme les ménages dont les revenus se situent entre 0,75 et 1,25 fois le revenu médian, ont-elles grossi ? Plusieurs phénomènes se conjuguent. Pour commencer, l’enrichissement général de la population à la faveur des Trente Glorieuses ont permis un certain rapprochement des revenus. Les forts gains de productivité enregistrés à l’époque sont avant tout distribués aux salariés. Cela permet aux ouvriers notamment d’atteindre un niveau de vie inédit. Par ailleurs, l’Etat-providence se développe (la Sécurité sociale est mise en place en 1945), ce qui assure des revenus minimaux aux plus démunis. La pauvreté recule sensiblement. Dans le même temps, les deux guerres mondiales et le développement des impôts sur le revenu et les patrimoines ont rogné les revenus des plus riches. De nouveaux emplois se développent, qui font aussi augmenter les effectifs de la classe moyenne et la renouvellent (on passe d’une classe moyenne indépendante à une classe moyenne moderne, massivement salariée). Avec le développement des missions de l’Etat la fonction publique prend de l’ampleur. Le progrès technique permet le développement de nouveaux types de postes dans les entreprises (ingénieurs notamment). La demande des consommateurs évolue vers les services, ce qui TERTIARISE la société. La démocratisation de l’accès à la culture (par le biais de l’Ecole) et l’enrichissement de la population conduisent à une homogénéisation des modes de vie. Ces modes de vie ne sont plus obligatoirement « dictés » par les classes supérieures, ils ont plutôt pour origine les classes moyennes modernes. Ces phénomènes conjugués ont réduit le pouvoir économique et symbolique des classes supérieures, entraîné une DEPROLETARISATION ou un EMBOURGEOISEMENT des ouvriers. On désigne par ces termes le fait que les ouvriers se sont rapprochés des classes moyennes, en termes de niveau de vie mais aussi de modes de vie (loisirs, manières de penser, etc.).

Après les Trente Glorieuses, le mouvement de remise en question de l’existence de classes sociales ne s’éteint pas, mais prend un tour différent : les analyses se focalisent notamment sur l’ “éclatement” de la classe ouvrière, jusqu’alors considérée, dans une veine marxiste, comme la cheville ouvrière de la lutte des classes.

Par ailleurs, de nombreux auteurs mettent aussi l’accent sur la montée en puissance d’autres critères d’identification que le seul statut socioprofessionnel. Ainsi, les clivages en termes de classes sociales seraient “recouverts” ou rendus caduques par la montée d’autres logiques d’identification, telles que l’âge, le genre, l’origine ethnique.

2) Le “retour des classes sociales” ?

Au tournant des années 2000, la question d’une “réapparition” des classes sociales fait l’objet d’une nouvelle vague de travaux sociologiques, qui se proposent d’en renouveler l’analyse tout en mettant en évidence que la société reste fortement structurée et hiérarchisée entre des groupes sociaux dont les contours sont dessinés par leur statut d’emploi.

Tout d’abord, il est mis en évidence que se perpétuent de fortes disparités dans les modes de vie, corrélées au maintien, voire au creusement, des inégalités de revenus, alimenté notamment par des écarts de patrimoine grandissants.

Ensuite, les sociologues proposent de prendre congé de certaines catégorisations qui ont “vécu” pour proposer de nouvelles échelles d’analyse de la structuration sociale, à un niveau moins agrégé, mais qui révèlent la recomposition de frontières de classes persistantes.

De plus, ce renouveau sociologique s’accompagne d’une tentative de “tenir ensemble” structuration socioprofessionnelle et autres clivages sociaux, dont on a pu penser qu’ils “perturbaient” l’identification en termes de classes. Dans la lignée des travaux sur l’intersectionnalité des luttes, les sociologues montrent que certains groupes sociaux “cumulent” des désavantages qui en alimentent la position dominée dans la hiérarchie sociale. Les employés à domicile, les agents de ménage et de nettoyage voient leur situation socio-professionnelle dégradée “redoublée” en quelque sorte par le fait d’être composés avant tout de femmes, âgées, d’origine immigrée. Loin de “brouiller” les clivages socio-professionnels, les nouveaux critères d’identification sociale alimenteraient la recomposition des classes sociales.

Une dernière question continue toutefois de se poser. S’il semble toujours exister des groupes dont la position dans les rapports de production les placent dans des situations différenciées d’accès aux ressources socialement valorisées, bref, si les classes “en soi”, certes renouvelées, semblent toujours exister, qu’en est-il de la conscience de classe ? Celle-ci semble en effet ne pas s’être réellement réactivée, si on excepte le cas de la bourgeoisie.

Notions

Revenu disponible d’une personne, que l’on obtient en divisant le revenu du ménage par le nombre d’unités de consommation présentes dans ce ménage.
Groupe social de grande dimension qui se distingue des autres groupes sociaux par un niveau de vie, un mode de vie, et des pratiques culturelles spécifiques.
Diffusion d’un niveau de vie et d’un mode de vie moyens dans l’ensemble de la population, couplée avec le développement des classes moyennes regroupant une part croissante de cette population.

Synthèse

Melchior cours SES lycée bac grand oral

(BO)

Déroulé du chapitre :

Question 1. Quels sont les facteurs de structuration et de hiérarchisation de l'espace social ?

Question 2. Comment la structure socioprofessionnelle a-t-elle évolué depuis la seconde moitié du XXème siècle ?

Question 3. Quelles sont les analyses fondatrices de la structure sociale proposées par les sociologues ?

Question 4. Peut-on considérer que la société française actuelle est structurée en classes sociales ?

Malgré un mouvement généralisé vers l’égalisation des conditions (Tocqueville), les sociétés modernes n’ont pas abouti à la disparition des inégalités. Celles-ci se sont recomposées. La sociologie naissante s’est d’ailleurs largement nourrie de cet état de fait pour mettre en évidence que ces inégalités tendent à “faire système” et à dessiner une hiérarchisation de l’espace social. Deux auteurs sont particulièrement importants à ce titre : Karl Marx et Max Weber.

1) Karl Marx : une conception réaliste des classes sociales, caractérisées par leurs relations antagoniques

Les classes sociales ne sont pas dans la théorie marxiste des collections d’individus constituées à des fins d’analyse par le sociologue (comme des groupes de revenus par exemple) mais sont des groupes réels. Leur existence est avérée lorsque deux grands critères sont réunis.

En premier lieu, une classe sociale est définie par sa place dans les rapports de production. Les membres appartenant à une même classe sociale sont situés dans une position identique au sein des rapports de production (l’ensemble des relations sociales qui vont s’établir entre les hommes dans le cadre de l’activité de production). Tout d'abord, ils jouent un même type de rôle dans la production et la circulation des richesses (ils créent de la valeur ou n'en créent pas). Ensuite, ils disposent d'une part donnée dans la répartition des richesses (le salaire pour les travailleurs, la plus-value pour les capitalistes). C’est ce que les marxistes (car Karl Marx lui-même n’emploie pas l’expression) « classe en soi » : des individus partagent des caractéristiques matérielles « objectives » semblables.

En second lieu, la « classe en soi » doit être dotée d’une conscience de classe pour devenir une « classe pour soi », seule forme qui reçoive légitimement dans la théorie marxiste le nom de « classe sociale ». La conscience de classe possède une double-dimension : elle est à la fois un sentiment d’appartenance au groupe (les individus doivent avoir le sentiment d'appartenir à un groupe ayant des intérêts communs) et un sentiment de différence vis-à-vis des autres groupes. Cette conscience de classe leur permet de savoir de qui ils sont proches et contre qui ils doivent mener une lutte. L'absence de cet élément rend une classe incapable d'être dominante politiquement.

Pour Marx, chaque période historique est caractérisée par un mode de production spécifique, à savoir, une combinaison particulière entre des forces productives données (assimilables aujourd’hui aux « facteurs de production ») et des rapports de production (les relations sociales qui vont s’établir entre les hommes dans le cadre de l’activité de production). L’histoire est une succession de modes de production (l’esclavage, la féodalité, le capitalisme) caractérisés par l’opposition entre classes dominantes et classes dominées, jusqu’à ce que la lutte des classes amène à une transformation radicale de la société.

2) Max Weber : une analyse multidimensionnelle de la stratification sociale

Max Weber livre ses éléments d’analyse de la hiérarchisation sociale dans le premier tome d’Economie et société (1921).

A la différence de Karl Marx, qui adopte une conception réaliste des classes sociales, Weber opte pour un point de vue nominaliste. Ainsi, c’est au sociologue lui-même de bâtir ses propres outils d’analyse et de découpage du monde social, sans obligatoirement se soucier de la manière dont les individus eux-mêmes s’identifient.

De même, là où Karl Marx et les marxistes ne voient l’origine de la structure sociale que dans l’organisation des rapports de production, Weber identifie trois sphères d’activités sociales qui peuvent donner lieu à des hiérarchisations sociales qui ne se recoupent pas obligatoirement : l’ordre économique, l’ordre social et l’ordre politique. L’ordre économique est le mode selon lequel les ressources économiques sont distribuées dans une société donnée. Weber distingue, dans cet ordre, différentes “classes”, caractérisées par leur statut économique. L’ordre social est le mode selon lequel la “considération sociale” est distribuée. Weber distingue alors des “groupes de statut” qui rassemblent des individus caractérisés par un niveau de prestige social équivalent. Ce dernier dépend du “mode de vie”, du “type d’instruction” et du “prestige de la naissance ou du prestige de la profession”. Les « groupes de statut » interagissent avec les « classes sociales ». Ils peuvent se recouper (la position économique privilégiée pouvant aller de pair avec une forte considération sociale). Ils peuvent aussi diverger : une « classe sociale » peut être fractionnée en différents groupes de statut (idée qui va être reprise par Bourdieu par la suite). C’est l’exemple du nouveau riche et de l’aristocrate ruiné, dont les positions en termes de classes sociales et de groupes de statut ne sont pas congruentes.

Enfin, l’ordre politique est celui de la compétition pour le contrôle de l’Etat. Celle-ci est opérée par les « partis », qui sont des « associations qui ont pour but d’assurer le pouvoir à un groupe afin d’obtenir des avantages matériels et prestige pour ses membres ». Ils peuvent être constitués sur la base d’intérêts économiques ou de similitude des statuts sociaux, leur création peut également reposer sur d’autres fondements (religieux, ethniques…). Les « partis » peuvent prolonger les intérêts de classe (« partis de classe ») mais tous les « partis » n’en sont pas l’expression.

Pour Weber, les différents groupes sociaux dont il trace les frontières ne sont pas obligatoirement caractérisés par des relations antagoniques.

Notions

Egalité réelle, ou encore égalité des situations, qui se définit comme une répartition uniforme de ressources socialement valorisées entre les membres d’une société.
Théorie de la connaissance selon laquelle les concepts élaborés par les chercheurs existent dans la réalité.
Théorie de la connaissance selon laquelle les concepts élaborés par les chercheurs ne sont pas des reflets de la réalité, mais plutôt des outils servant à analyser les phénomènes sociaux.
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