Mobilité sociale et transformations des structures sociales - Dossier documentaire

Sommaire

Document 1 : Classes sociales

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Lorsque l'on parle de classes sociales, deux grandes traditions sont implicitement opposées, qui répondent à deux courants contraires qui traversent la sociologie. Pour forcer le trait et simplifier des oppositions que les auteurs ont généralement nuancées ou complexifiées, on peut dire que nous avons deux traditions divergentes, l'une issue de Karl Marx et l'autre de Max Weber, chacune posant une définition des classes sociales qui lui est spécifique et qui engage largement le débat théorique.

Du côté marxiste, les classes sociales sont des collectifs structurés par une position spécifique dans le système économique, définis notamment au travers de la propriété des moyens de production, marqués par un conflit central (l'exploitation) ; mais, au-delà de ces « conditions de classe », il existe une « conscience de classe », une conscience sociale de leur être collectif, de leur intérêt, de leur dynamique, qui permet de passer de la classe « en soi » à la classe « pour soi ». Cette tradition est parfois qualifiée de holiste (holon, « tout » en grec) parce qu'ici, la totalité est plus que la somme des individus, la classe existant indépendamment et au-dessus de ses membres, en leur dictant leur rôle, par-delà la créativité des individus. Prévaut donc l'idée qu'il existe des rapports sociaux, c'est-à-dire des conflits structurant le jeu des oppositions dans le monde social, l'inégalité n'étant pas le fait d'une société amorphe, mais de luttes sociales explicites ou implicites permanentes. « Même au moment où il n'y a pas de lutte de classes déclarée, il y a lutte de classes latente, par le fait que, dans une hiérarchie, il faut que les rangs les plus élevés maintiennent leur position, et que, d'autre part, ceux qui occupent les rangs les plus bas, se trouvant dans une situation où ils sont sous-estimés, voudraient bien s'élever dans l'échelle sociale » (Maurice Halbwachs, Les Classes sociales, CDU, Paris, 1937, p 15). Dès lors, la société « tient » du fait de champs de forces contraires que les groupes en conflit engendrent, mais peut à force se déchirer. Cette tradition est qualifiée aussi de réaliste, parce que les classes sont supposées former des entités véritables et tangibles, et non pas des constructions intellectuelles.

D'un autre côté, au contraire, la tradition wébérienne suppose que les différentes classes sociales sont des groupes d'individus similaires, partageant une dynamique probable semblable (Max Weber parle de Lebenschancen ou « chances de vie »), sans qu'ils en soient nécessairement conscients et sans nécessairement agir en commun. Ces groupes résultent moins, d'ailleurs, d'une répartition conflictuelle des moyens de production que de la division du travail où chaque groupe obéit à une fonction spécifique, dont on peut supposer qu'elle est mutuellement profitable. Ici, la classe sociale n'est pas autre chose, a priori, que la somme des individus (individualisme versus holisme) que le chercheur décide d'assembler selon ses critères propres ; ainsi, les classes sont des noms plus que des choses (nominalisme versus réalisme), même si, rappelle Weber, a posteriori, peuvent se constituer historiquement des conflits ouverts. Cette lecture est aussi la plus neutre théoriquement.

Par un curieux retournement de circonstances, on constate finalement que l'approche de Marx, très exigeante, pourrait amener à rejeter l'idée de classes sociales, faute de « conscience de classe » marquée par une conflictualité radicale. Au contraire, l'approche de Weber permet d'admettre sans difficulté la pérennité des classes sociales, la notion étant licite dès qu'existent des groupes inégaux dont les dynamiques sont différentes, comme le montre bien la statistique sociale contemporaine.

Source : Chauvel, Louis. « II. La dynamique de la stratification sociale », Robert Castel éd., Les mutations de la société française. Les grandes questions économiques et sociales II. La Découverte, 2013, pp. 33-55.

 

Remplissez le tableau suivant

Questions : des document 1 à 4

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Questions :

1) A l’aide de ces quatre documents recensez les principales évolutions de la structure des emplois en France entre 1962 et 2007

2) Montrez que certines tendances sont liées entre elles ?

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1) A l’aide de ces quatre documents recensez les principales évolutions de la structure des emplois en France entre 1962 et 2007

Ces documents montrent qu’entre 1962 et 2007, la structure des emplois a fortement changé :

La société est devenue plus salariale : en effet en 1962 un peu plus d’un actif occupé sur dix était salarié , en 2007 c’est près de neuf actifs occupés sur dix. Néanmoins cette tendance semble se tasser depuis 2007 avec l’apparition de nouveaux statuts comme celui d’auto entrepreneur, faisant apparaître un statut plus ambigu entre le statut de salarié et celui d’indépendant.

La population active s’est féminisée : en 1962 un peu moins de 35% des actifs occupés étaient des femmes, en 2007 les femmes représentent 47% des actifs occupés. Cette féminisation de la population active occupée résulte de l’accès aux moyens de contraception à partir de 1967 qui leur permettent de mieux contrôler leur fécondité, mais aussi de l’accès à l’éducation et de l’évolution du droit puisque les femmes acquièrent le droit de travailler sans l’accord de leur mari et d’ouvrir un compte en banque en leur nom propre en 1965. On peut également évoquer le rôle des mouvements féministes dans cette conquête de l’indépendance.

La population active occupée est de plus en plus qualifiée, en effet la part des actifs occupés ne détenant aucun diplôme ou uniquement le certificat d’étude primaire est passée de 78% en 1962 à 18% en 2007, alors que la proportion de personnes en emploi ayant un diplôme du supérieur est passée de 2,7% à 32,5% entre 1962 et 2007. Les deux explosions scolaires (la première explosion scolaire dans les années 1960 a permis la massification du collège, la seconde explosion scolaire qui se déroule entre 1985 et 1995 entraine la massification des lycées en particulier grâce aux lycées professionnels et l’augmentation de l’accès aux études supérieures) ont permis d’accroitre l’accès aux diplômes et d’élever le niveau moyen de qualification de la population active occupée.

Enfin, La population active française s’est tertiarisée : la part de l’agriculture est passée de 20% des actifs occupés à moins de 5% , la part du secteur secondaire regroupant industrie et construction qui avoisinait les 40%  de la population active occupée  en 1962 ne représentent plus que 19% des actifs occupées. Le poids du tertiaire est passé de 41% à 72% des actifs occupés. Cette tendance reflète la loi du déversement d’Alfred Sauvy.

2) Montrez que certaines tendances sont liées entre elles

La féminisation du marché du travail a accompagné le processus de salarisation car de nombreuses femmes ont opté pour ce statut en entrant sur le marché du travail. De même la féminisation a été rendue possible grâce à l’accès à l’éducation. L’accès des femmes aux diplômes les a incitées à entrer sur le marché du travail.

Le phénomène de salarisation a des liens également avec le phénomène de tertiarisation puisque le déclin de la part des agriculteurs, donc du secteur primaire et d’une partie des indépendants permet de comprendre la hausse de la part des salariés dans la population active occupée.

Document 6 : Destinées sociales des hommes selon la position d’origine

Facile

Questions :

1) Faites une phrase avec les données soulignées :

2) Comment expliquer ces écarts ?

3) A quelle situation correspondent les données situées sur la diagonale ?

4)Que signifient les données de la ligne ensemble ?

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1) Faites une phrase avec les données soulignées :

16,6% des fils d’employés âgés de 30 à 59 ans en 2014-2015 sont employés en moyenne

33,6% des fils d’employés âgés de 30 à 59 ans en 2014-2015 sont ouvriers en moyenne

12,3% des fils d’ouvriers âgés de 30 à 59 ans en 2014-2015 sont employés en moyenne

47,6% des fils d’ouvriers âgés de 30 à 59 ans en 2014-2015 sont eux-mêmes ouvriers en moyenne

2) Comment expliquer ces écarts ?

Le groupe socioprofessionnel des employés est un groupe très féminisé : 75% des employés sont des femmes. Ainsi, un homme issu des catégories populaires (ouvriers ou employés) a plus de chances de devenir ouvrier que employé.

3) A quelle situation correspondent les données situées sur la diagonale ?

Les données situées sur la diagonale correspondent à des situations d’immobilité sociale, on dit aussi de reproduction sociale, puisque cela correspond aux situations où les fils appartiennent au même groupe socioprofessionnel que leur père.

4) Que signifient les données de la ligne ensemble ?

Les données de la ligne ensemble indiquent la répartition des hommes âgés de 30 à 59 ans en 2014-2015 dans la structure socioprofessionnelle. Ainsi, en 2014-2015, en moyenne, 2,6% des hommes âgés de 30 à 59 ans sont agriculteurs, 9,2% sont artisans, commerçants et chefs d’entreprise, etc.

Document 7 : Recrutements sociaux des hommes selon la position occupée

Facile

Questions :

1) Faites une phrase avec les données soulignées.

2) A quelle situation correspondent les données situées sur la diagonale ?

3) Que signifient les données de la ligne ensemble 

4) Pourquoi est-il pertinent de comparer la ligne « ensemble » de la table des destinées à la colonne « ensemble » de la table des recrutements ?

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1) Faites une phrase avec les données soulignées.

13,9% des hommes employés âgés de 30 à 59 ans en 2014/2015 ont en moyenne un père qui était lui-même employé.

43,3% des hommes employés âgés de 30 à 59 ans en 2014/2015 ont en moyenne un père qui était ouvrier.

9,6% des hommes ouvriers âgés de 30 à 59 ans en 2014/2015 ont en moyenne un père qui était employé.

57,5% des hommes ouvriers âgés de 30 à 59 ans en 2014/2015 ont en moyenne un père qui était lui-même ouvrier.

2) A quelle situation correspondent les données situées sur la diagonale ?

Les données situées sur la diagonale sont des situations d’autorecrutement. Les fils se trouvent dans le même groupe socioprofessionnel que leurs pères.

3) Que signifient les données de la ligne ensemble 

La colonne ensemble de la table des recrutements nous indique la structure socioprofessionnelle à la génération des pères. Ainsi, on peut lire que en moyenne 8,5% des pères des hommes âgées de 30 à 59 ans en France en 2014/2015 étaient agriculteurs, 13,1% étaient en moyenne artisans commerçants ou chefs d’entreprise, etc.

4) Pourquoi est-il pertinent de comparer la ligne « ensemble » de la table des destinées à la colonne « ensemble » de la table des recrutements ?

Cette comparaison permet de saisir une partie de la mobilité structurelle, on évalue ici grossièrement les changements entre la structure socioprofessionnelle des pères et celle des fils et donc les mobilités imposées par l’évolution de la structure des emplois entre les deux générations.

Document 8 : Catégorie socioprofessionnelle

Facile

Questions :

1) Que signifie la donnée entourée ? Quelle difficulté soulève ce résultat ?

2) Quel est le pourcentage d’hommes et de femmes n’ayant jamais travaillé parmi les 30-59 ans en 2014-2015

3) Comparez la structure des emplois des hommes et des femmes à celle de la génération de leurs parents et mettez en évidence les conséquences que cela implique sur la mobilité des femmes

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1) Que signifie la donnée entourée ? Quelle difficulté soulève ce résultat ?

Cela signifie que 26,1% des mères des individus âgés de 30 à 59 ans en France en 2014-2015 n’ont jamais travaillé, dès lors la construction de table de mobilité mères/filles est compliquée puisqu’un quart des enquêtées ne peut être pris en compte.

Jusqu’à présent, compte tenu du faible taux d’activité des mères il était impossible d’établir des tables mères/filles. L’Insee en 2014-2015 propose des tables de mobilité mères/filles, mais les résultats doivent être analysés avec prudence compte tenu du fait que plus d’un quart des enquêtées ne peuvent « entrer » dans les cases.

Jusqu’à présent la mobilité sociale des femmes était appréhendée par le choix du conjoint, on pouvait ainsi comparer ensuite la catégorie socioprofessionnelle du conjoint avec celle du père de la mariée.

2) Quel est le pourcentage d’hommes et de femmes n’ayant jamais travaillé parmi les 30-59 ans en 2014-2015

Seules 2,5% de femmes âgées de 30 à 59 ans en moyenne n’ont jamais travaillé et cela concerne 0,9% des hommes âgés de 30 à 59 ans en moyenne.

La mise en œuvre de table de mobilité pour les générations à venir sera de plus en plus possible. On pourra donc voir des tables pères/fils ou mères/filles, l’établissement de tables pères/filles ou mères/fils pourra aussi être constitué, mais tant que les structures socioprofessionnelles des hommes et des femmes diffèrent, ces comparaisons s’avèrent peu pertinentes.

3) Comparez la structure des emplois des hommes et des femmes à celle de la génération de leurs parents et mettez en évidence les conséquences que cela implique sur la mobilité des femmes

La structure des emplois des femmes et celle des hommes était différente à la génération des parents. Les mères occupaient plus souvent des postes d’exécution que les pères : 65% des mères sont employées et ouvrières, contre 49% des pères qui sont employés et ouvriers. À l’inverse, les mères occupent moins souvent que les pères des emplois supérieurs : parmi elles, moins de 4% sont cadres et professions intellectuelles supérieures contre 14,4% chez les pères. La structure des emplois des mères traduit les conditions dans lesquelles s’est opérée l’augmentation du taux d’activité des femmes depuis les années 1960 : les femmes ont massivement occupé des postes d’exécution ou faiblement qualifiés, notamment créés par la tertiarisation de l’économie. Il en résulte que les filles sont plus souvent en promotion sociale par rapport à leur mère que par rapport à leur père, et qu’elles sont plus souvent en démotion sociale par rapport à leur père que par rapport à leur mère.

Néanmoins, les inégalités entre hommes et femmes sur le marché du travail ne concernent pas que les anciennes générations, même si elles se sont en partie résorbées depuis la génération des mères. On lit dans le document que 13,5% des femmes de 30 à 59 ans sont cadres et professions intellectuelles supérieures contre 19,7% des hommes du même âge. 54,7% des femmes de 30 à 59 ans sont employées ou ouvrières alors que 44,9% des hommes du même âge ont le même profil. La structure de l’emploi des filles et des fils se voit dans la ligne « ensemble » des tables de destinée des hommes et des femmes.

Document 9 : Décomposition de la mobilité sociale

Facile

Questions :

1) Comment évolue la reproduction sociale ?

2) Peut on parler d’une panne de l’ascenseur social ?

3) Comparez la mobilité observée des femmes et des hommes par rapport à leur père pour l’année 2015.

4) Comment expliquer ces écarts de mobilité entre hommes et femmes par rapport à leur père ?

5) Calculez le ratio mobiles ascendants/ mobiles descendants (MA/MD) pour les hommes. On pourra présenter les résultats sous forme de tableau :

6) Que montrent ces résultats ?

7) Ces résultats permettent ils d’analyser la progression de la fluidité sociale ?

 

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1) Comment évolue la reproduction sociale ?

La reproduction sociale diminue chez les femmes depuis 1977 (baisse de 6,1 points de la part des femmes immobiles entre 1977 et 2017). Chez les hommes, l’immobilité a diminué de 3,6 points entre 1977 et 1993, puis elle a légèrement augmenté entre 1993 et 2015 de 2,2 points.

On constate donc, entre 1977 et 2015, une diminution de la reproduction sociale chez les hommes comme chez les femmes, la mobilité sociale est donc en hausse.

2) Peut on parler d’une panne de l’ascenseur social ?

Depuis les années 1990, le thème de la « panne de l’ascenseur social » s’est imposé dans le débat public mais ne semble pas confirmé a priori par le calcul du taux de mobilité. Néanmoins, pour se prononcer sur cette panne de l’ascenseur social, il faut affiner en décomposant le taux de mobilité selon ces différentes composantes (cf. questions suivantes)

3) Comparez la mobilité observée des femmes et des hommes par rapport à leur père pour l’année 2015.

En 2015, la mobilité sociale observée par rapport au père est plus forte pour les femmes que pour les hommes. On constate que près de 70 % des femmes connaissent une mobilité sociale, ce qui représente 5 points de plus que pour les hommes.

La mobilité non verticale n’est pas significativement différente (23,3 % pour les femmes contre 22,6 % pour les hommes).

C’est donc essentiellement la structure de la mobilité verticale qui diffère selon qu’on est un homme ou une femme. Les femmes connaissent plus fréquemment une mobilité descendante qu’ascendante par rapport à leur père (25 % contre 21,8 %), alors que, chez les hommes, la mobilité́ sociale ascendante est près de 2 fois (1,84) plus forte que la mobilité descendante.

Les hommes connaissent proportionnellement plus souvent une situation de mobilité ascendante (27,6 %) que les femmes (21,8 %), soit un écart de 5,8 points.

4) Comment expliquer ces écarts de mobilité entre hommes et femmes par rapport à leur père ?

La structure socioprofessionnelle des emplois masculins et féminins diffère et les femmes accèdent moins facilement que leurs homologues

5) Calculez le ratio mobiles ascendants/ mobiles descendants (MA/MD) pour les hommes. On pourra présenter les résultats sous forme de tableau :

6. Que montrent ces résultats ?

On constate que le déclassement touche davantage les femmes : pour les femmes, le ratio est toujours inférieur à 1, ce qui montre que la mobilité descendante est plus fréquente que la mobilité ascendante pour les femmes, par rapport à leur père. Le plafond de verre est à nouveau perceptible à travers ce calcul.

L’évolution du ratio MA/MD pour les hommes révèle deux éléments :

Tout d’abord le ratio demeure supérieur à 1 ce qui signifie que sur toute la période, la mobilité verticale est plus souvent ascendante que descendante pour les hommes.

Néanmoins, ce ratio, après avoir légèrement progressé entre 1977 et 1985, décline entre 1985 et 2015 de manière très significative. La mobilité descendante est donc devenue beaucoup plus fréquente.

Cette progression relative des situations de mobilité descendante est liée au phénomène d’inflation scolaire décrit par Marie Duru-Bellat face à un marché du travail beaucoup plus restreint. En effet, la massification scolaire (et surtout la deuxième explosion scolaire) s’est traduite par une augmentation de la part des diplômés dans la population active dans un contexte de progression beaucoup plus lente des postes qualifiés.

La stabilité du taux de mobilité est ainsi compatible avec un déclassement intergénérationnel de plus en plus répandu.

7. Ces résultats permettent ils d’analyser la progression de la fluidité sociale ?

Il y a bien un écart entre la mobilité observée et la fluidité sociale.

Néanmoins la hausse de la part relative de la mobilité descendante peut correspondre à une progression de la fluidité sociale si un déclassement de la part des enfants de cadre  se fait au profit de la mobilité ascendante des enfants de catégories populaires. Le déclassement des uns n’est alors que la contrepartie de la promotion des autres. C’est ce que l’on peut constater à travers le poids de la mobilité sociale ascendante qui progresse en même temps que le déclassement, de façon modérée pour les hommes (+4,1 points de 1977 à 2015 soit +17 %) et plus marquée pour les femmes (+9,1 points sur la même période, soit +71 %).

Pour mieux cerner l’évolution de la fluidité sociale, il faut disposer d’autres mesures par exemple des odds ratios.

Document 10 : Nathalie Foux : l’indépendance comme promotion sociale

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Nathalie Foux (40 ans, diplômée d’une licence de langues) travaille depuis quatre ans comme négociatrice indépendante à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne). Ses parents ont terminé leur carrière en étant à la tête de deux agences immobilières franchisées réalisant des chiffres d’affaires importants. Au moment d’entrer en préretraite, son père, ancien conducteur de bus à la RATP, a rejoint sa conjointe dans l’agence immobilière qu’elle dirigeait. Cette dernière avait fondé une agence immobilière après avoir été directrice d’une agence bancaire. Les parents de Nathalie sont parvenus à élever significativement leur niveau de vie en se lançant dans l’immobilier. Au cours de ses études, Nathalie avait l’habitude de travailler le samedi dans une des deux agences immobilières tenues par sa mère. Cette dernière l’incitait à embrasser la même carrière qu’elle, mais Nathalie souhaitait devenir professeure des écoles et y est parvenue. Quelques années après son entrée dans l’enseignement, Nathalie se sépare de son compagnon (directeur d’une société de bâtiment). Elle élève alors seule sa fille et rencontre des difficultés financières. Faute de moyens, elle ne part pas en vacances et sa fille non plus. Le parcours de Nathalie illustre comment l’ambition de mieux gagner sa vie peut conduire à quitter un poste de fonctionnaire pour un poste plus risqué. Si Nathalie fut très inquiète pendant les six premiers mois au cours desquels elle ne détenait aucune assurance de revenu, elle est ensuite parvenue à disposer d’un niveau de vie très confortable : elle gagne entre quatre mille et huit mille euros par mois, soit près de trois fois plus que ce qu’elle percevait en tant que professeure des écoles. Étant donné l’évolution de ses revenus, Nathalie vit ce passage d’une profession intermédiaire de la fonction publique à une position d’indépendante comme une ascension. Dans le même temps, la perception de ce déplacement – qui s’apparente à un cas de contre-mobilité professionnelle – comme une ascension est intimement liée à un sentiment de « décalage » entre son milieu social d’origine et celui de ses anciens collègues (enseignants fonctionnaires) qui se cristallisait dans leur rapport différencié au travail et aux grèves. Cette perception traduit ainsi également l’influence de la position sociale et de la trajectoire des proches sur la mobilité intragénérationnelle subjective. C’est d’ailleurs encouragée par sa mère que Nathalie a quitté le métier de professeur des écoles et pris ses distances avec un monde enseignant qui « ne la tir[ait] pas vers le haut » :

« Nathalie : Les discours ils montaient pas très haut, des fois, dans la salle des maîtresses. Elles se plaignaient… Toujours en train de se plaindre.

Q : De se plaindre des conditions de travail, c’est ça ?

Nathalie : Ouais, trop d’enfants, les parents ceci, l’Éducation nationale cela, le ministre ceci… ça n’allait jamais quoi ! […] Moi je suis partie [de l’Éducation nationale] en 2004, l’année où y’a eu un mois de grève au mois de mai. On était deux dans l’école à pas être gréviste. Je veux bien faire grève un jour parce que c’est un défilé national, mais comme j’ai dit aux maîtresses “Vous pouvez pas la veille de deux mois de vacances vous faire un mois de grève ! Vous prenez en otage des familles, des petits bouts, des enfants… J’crois qu’il faut vous rendre compte !” Parce que moi j’avais l’exemple de mes parents, tu vois, qui travaillaient, qui rentraient tard… En tant que directeur d’agence, ma mère elle rentrait à 21 h presque tous les soirs ! Elle avait deux agences et je la voyais jamais se plaindre ; et moi je voyais ces maîtresses qu’arrêtaient pas de se plaindre : y’avait une espèce de décalage. […] Et je me rendais compte surtout de la chance qu’on avait. C’était pas possible de se plaindre : à 16 h 30 t’as fini, t’as le mercredi, le samedi matin en maternelle tu vas à l’école mais t’as pas les enfants ! Tu fais vingt-sept heures par semaine ! T’as 1 800 euros nets par mois ; si tu veux plus, tu fais l’étude ! Moi j’en faisais deux, tu peux en faire quatre par semaine, tu peux donner des cours particuliers, t’es payée pendant les vacances scolaires ! À un moment donné, faut arrêter ! […] Et donc j’en avais marre. Et un jour justement, pendant les grèves, j’étais revenue voir ma mère en larmes ! Elle m’a dit “Mais arrête, Nathalie, c’est des gens qui te tirent pas vers le haut ! C’est bon, t’as donné, passe à autre chose !” [Elle conclut :] J’ai pas arrêté pour les enfants ou les parents, mais plus pour ce milieu d’enseignants qui est un système qui commençait vraiment à m’agacer. »

(Entretien avec Nathalie, le 28 avril 2008)

Saisir la perception que Nathalie se fait de sa trajectoire intragénérationnelle nécessite donc de prendre en compte la structure et le niveau de vie de son ménage (sa séparation conjugale ayant été un déclencheur de sa reconversion professionnelle), l’évolution de ses revenus, ainsi que la trajectoire de ses parents. L’enquête qualitative est, sur ce dernier point, particulièrement riche d’apports. Dans une table de mobilité, l’origine sociale de Nathalie serait résumée à sa position de fille d’un ouvrier qualifié (son père étant conducteur de bus au moment où elle termine ses études. L’entretien permet d’intégrer à l’analyse d’autres éléments précieux relatifs à son origine sociale : la prise en compte de l’ensemble de la trajectoire professionnelle de son père (devenu, après sa carrière à la RATP, un agent immobilier aux revenus confortables) et celle de sa mère (ayant réussi dans le monde des affaires) permet de mieux comprendre pourquoi Nathalie (et ses parents) valorisent aujourd’hui l’indépendance et perçoivent le passage d’une position de professeure des écoles (associée à des revenus stables mais moins élevés que ce que permet d’espérer un emploi dans l’immobilier) à un poste de négociatrice indépendante comme une promotion sociale.

Lise Bernard, « Des ascensions sociales par un métier commercial, Le cas des agents immobiliers », Politix, 2016/2 (n°114) p 73 à 98

Questions :

1) Comment qualifier la mobilité sociale intergénérationnelle de Nathalie Foux par rapport à ses parents en début de carrière ?

2) Expliquer les motivations de la mobilité professionnelle et la mobilité subjective de Nathalie Foux

3) Que nous apporte l’enquête ethnographique sur cette trajectoire individuelle ?

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1) Comment qualifier la mobilité sociale intergénérationnelle de Nathalie Foux par rapport à ses parents en début de carrière ?

La mobilité intergénérationnelle de Nathalie Foux par rapport à sa mère est une mobilité de statut puisque sa mère était agent immobilier (catégorie 2) et elle-même est professeure des écoles (catégorie 4)

La mobilité intergénérationnelle de Nathalie Foux par rapport à son père est une mobilité verticale ascendante puisque son père est conducteur de bus à la RATP (catégorie 6) et elle même est professeure des écoles (catégorie 4)

2) Expliquer les motivations de la mobilité professionnelle et la mobilité subjective de Nathalie Foux

Nathalie Foux, après son divorce, estime ses revenus de professeure des écoles insuffisants pour lui permettre de vivre comme elle le souhaite. Par ailleurs, elle ne se retrouve pas dans les discours tenus par ses collègues de travail (se plaignant trop souvent et se mettant trop facilement en grève, selon elle). Elle quitte alors son emploi dans la fonction publique et embrasse la carrière d’agent immobilier. Elle choisit ce métier, encouragée par sa mère, elle même agent immobilier et percevant des revenus confortables.

Nathalie Foux, après quelques mois difficiles perçoit très positivement ce changement de statut puisque cela lui a permis d’augmenter de manière considérable ses revenus.

La perte de la sécurité liée au statut de fonctionnaire est largement compensée dans son cas par la progression de ses revenus.

3) Que nous apporte l’enquête ethnographique sur cette trajectoire individuelle ?

La mobilité observée à l’aide des tables de mobilité est établie à un instant t et ne permet pas d’appréhender correctement l’origine sociale de Nathalie ni sa carrière professionnelle. Seule une approche microsociologique permet de saisir l’ensemble de ces aspects. Les enquêtes ethnographiques fournissent donc un regard complémentaire aux travaux statistiques.

Document 11 : L'attrait du statut, puis le salariat comme salut

Facile

À l’inverse, le cas de Christophe Coulon montre que le salariat stable peut offrir une voie de salut pour des agents immobiliers en situation de grande précarité : il met en lumière comment un déplacement vers le salariat, même peu qualifié – en l’occurrence un poste d’employé – peut être vécu par un agent immobilier comme une ascension intragénérationnelle. Le cas de Christophe montre aussi combien des agents immobiliers peu diplômés et issus de milieux populaires peuvent être attachés au statut du métier et s’y accrocher. Cette trajectoire souligne ainsi la possibilité d’un dilemme entre statut et revenu.

Christophe Coulon (30 ans, diplômé du BEPC, fils d’un mécanicien et d’une agente d’entretien) a travaillé comme négociateur indépendant pendant deux ans à Paris, à l’agence du Logis. Il a été auparavant employé dans un magasin de chaussures et agent de sécurité. Après un licenciement et un an et demi de chômage, il avait décidé de tenter sa chance dans l’immobilier. Plus que l’espoir de faire fortune, c’est le statut du métier qui l’attirait alors : un agent immobilier avait, à ses yeux, un prestige comparable à celui d’un avocat. Christophe recherchait dans l’immobilier une reconnaissance sociale ; son père était mécanicien et il espérait exercer un métier plus prestigieux. Si Christophe a obtenu des promotions quand il était agent de sécurité, il a gardé le vif souvenir d’un manque de considération de sa hiérarchie. Christophe vivait ainsi son entrée dans le secteur de l’immobilier comme une ascension (inter- et intragénérationnelle). Mais Christophe a rencontré des difficultés dans l’exercice du métier de négociateur. En deux ans, il a touché, grâce à son travail dans l’immobilier, près de onze mille euros. Cette somme s’approche de celle qu’il aurait perçue en touchant le Revenu Minimum d’Insertion deux années durant. Christophe travaillait alors entre cinquante et soixante heures par semaine. Longtemps, il s’est accroché à l’espoir de suffisamment réussir dans la profession pour s’y maintenir et y faire carrière. Mais, peu diplômé, peu d’alternatives s’offraient à lui. On ne peut comprendre pourquoi il est resté si longtemps à l’agence du Logis sans prendre la mesure des potentialités que le métier lui offrait : ce métier, où il portait un costume et une cravate, où il parlait au quotidien d’importantes sommes d’argent, où il s’entretenait régulièrement avec des interlocuteurs aisés et où il était possible de bien gagner sa vie, lui permettait d’entretenir de grandes espérances. C’est à bout de ressources qu’il a finalement lâché prise. Le salaire de sa compagne ne lui permettait pas de ne pas gagner sa vie plus longtemps. Cette dernière, Adeline, est serveuse et touche le SMIC. Quand je rencontre Christophe, six mois avant son départ de l’agence du Logis, ce dernier se plaint de ses difficultés financières. Angoissé par l’incertitude des revenus et usé par les heures de travail, il envisage de quitter le métier pour un emploi avec un salaire fixe. Il rêvait alors de se faire embaucher comme éboueur ou comme conducteur de bus à la RATP. La plupart des agents immobiliers accordent à ces métiers peu de crédit. C’est la grande précarité que traverse Christophe qui permet de comprendre son point de vue. Depuis de nombreux mois, Adeline l’incite à quitter l’immobilier et à essayer de trouver un emploi avec un salaire fixe. Le père et la sœur d’Adeline travaillant à La Poste, cette dernière le pousse à chercher à s’y faire embaucher. Adeline aurait aimé travailler à La Poste pour occuper un emploi plus stable que le sien, mais elle n’est jamais parvenue à se faire recruter. S’accrochant aux espoirs qu’il avait placés dans l’immobilier, Christophe a longtemps refusé de renoncer à ce poste. Finalement, il décide de postuler à des offres d’emploi et parvient à décrocher à La Poste un contrat à durée déterminée. Ce qu’il cherche alors avant tout, c’est la sécurité. Cet emploi de la fonction publique lui apparaît, à ce moment-là, comme un horizon enviable, synonyme d’ascension intragénérationnelle. Quand, plus de deux ans après son départ de l’agence du Logis, je le recontacte et qu’il me reçoit chez lui en présence d’Adeline, il travaille à La Poste (il est au grade le plus bas) où il s’occupe du tri. Il savoure le fait de pouvoir effectuer, à la différence d’un négociateur immobilier indépendant, des heures supplémentaires rémunérées. Plus profondément, il ressent dans cet emploi subalterne une « tranquillité » et une « liberté » que le statut de négociateur indépendant ne lui avait pas permis de goûter. Christophe et Adeline aspirent désormais à une sécurité qu’une entreprise comme La Poste leur permet d’entrevoir. C’est dans cette entreprise publique que Christophe espère dorénavant trouver une place et faire carrière. La régularité du salaire et les espoirs de promotion permettent à Christophe, qui est parvenu au bout de plusieurs mois à se faire embaucher en contrat à durée indéterminée, de se projeter dans l’avenir. Avec Adeline, ils envisagent à présent d’avoir un enfant.

Le cas de Christophe montre que la perception d’un déplacement entre une position d’indépendant et une de salarié peut fortement évoluer et que des ressources économiques très modestes peuvent, au fil du temps, rendre moins enviable un emploi qui, au départ, semblait plus attirant. Dans le même temps, si Christophe ne vit pas son déplacement (de l’immobilier à La Poste) comme un déclassement, cette mobilité professionnelle prend la forme d’une promotion ambivalente, qui s’accompagne à la fois d’une amélioration (significative) de sa situation économique et du renoncement à ce qui fut, un temps, un rêve. La prise en compte des revenus, des caractéristiques sociales du conjoint, ainsi que des ressources économiques et de la structure du ménage permettent de saisir ici encore la mobilité intra-générationnelle subjective, et notamment pourquoi Christophe vit comme une « ascension » un déplacement que les analyses statistiques n’appréhendent pas comme tel. On perçoit également la nécessité de prendre en considération les caractéristiques sociales de Christophe (en particulier le fait qu’il soit peu diplômé et issu d’un milieu populaire) pour prendre la mesure des espoirs que le métier d’agent immobilier lui permettait d’entrevoir. Enfin, le cas de Christophe suggère l’intérêt d’une enquête qui s’étend sur la durée et au cours de laquelle des enquêtés sont revus à plusieurs mois ou plusieurs années d’intervalle, afin de mettre en lumière les évolutions de leurs manières de percevoir leur position et leurs déplacements dans l’espace social.

Lise Bernard, « Des ascensions sociales par un métier commercial, Le cas des agents immobiliers », Politix, 2016/2 (n°114) p 73 à 98

Questions :

1) Expliquez pourquoi Christophe Coulon vivait son entrée dans le secteur de l’immobilier comme une ascension intra et intergénérationnelle ?

2) Pourquoi Christophe Coulon cherche-t-il un autre emploi au bout de deux ans ?

3) Pourquoi sa econversion professionnelle vers un poste d’employé est vécue comme une mobilité ascendante ?

4) En quoi cette trajectoire individuelle permet-elle de comprendre l’importance des enquêtes qualitatives ?

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1) Expliquez pourquoi Christophe Coulon vivait son entrée dans le secteur de l’immobilier comme une ascension intra et intergénérationnelle ?

Le père de Christophe était mécanicien et donc Christophe appréhende le statut d’indépendant comme beaucoup plus valorisant (puisque pour lui agent immobilier est un métier comparable au métier d’avocat). Par ailleurs, le fait d’être en costume et de vendre des produits de plusieurs milliers d’euros lui semblent valorisant.

2) Pourquoi Christophe Coulon cherche-t-il un autre emploi au bout de deux ans ?

Vraisemblablement Christophe n’a pas les qualités de négociateur attendues de la part d’un agent immobilier et donc ses revenus sont extrêmement faibles : il perçoit un revenu qui est proche du Revenu Minimum d’Insertion. Il perçoit alors le métier d’agent immobilier comme extrêmement précaire.

3) Pourquoi sa reconversion professionnelle vers un poste d’employé est vécue comme une mobilité ascendante ?

Christophe Coulon voit dans le poste d’employé à la Poste la stabilité des revenus qu’il avait perdue. Certes les possibilités de revenu sont très inférieures à ce qu’il pouvait espérer en tant qu’agent immobilier, mais il obtient, grâce au statut de fonctionnaire, ici au plus bas de l’échelle, une sécurité de l’emploi et des revenus stables et réguliers, des facteurs importants pour construire une vie de famille.

4) En quoi cette trajectoire individuelle permet-elle de comprendre l’importance des enquêtes qualitatives ?

Les statistiques sur la mobilité n’auraient pas permis de suivre la trajectoire individuelle de Christophe. La mobilité intergénérationnelle aurait conclu à une mobilité horizontale en prenant en compte le dernier emploi occupé par Christophe, à savoir employé à la Poste (catégorie 5), et l’emploi occupé par son père (mécanicien, catégorie 6). Pourtant l’enquête ethnographique relate un sentiment de mobilité sociale ascendante.  

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