COURS 2 : Mobilité sociale et transformations des structures sociales

Sommaire

Lorsque l’on observe l’évolution de la structure socioprofessionnelle depuis 1945, plusieurs évolutions se dégagent :

On constate un processus de salarisation qui correspond à un accroissement de la part des emplois salariés parmi l’ensemble des emplois (cette salarisation est due à la fois à l’augmentation du nombre d’emplois salariés et à la baisse de la part des indépendants : les agriculteurs exploitants et les artisans commerçants et chefs d’entreprise). Robert Castel propose la notion de société salariale qu’il définit comme  « une société dans laquelle l’identité sociale se fonde sur le travail salarié plutôt que sur la propriété » pour comprendre les changements opérés après guerre.  Castel montre ainsi quele salariat, synonyme au XIXè siècle de vulnérabilité, va s’affirmer, après 1945,  comme la norme de référence de la société industrielle, permettant l’accès aux droits et à la protection sociale liés à l’Etat providence.

Néanmoins Robert Castel souligne également l’effritement de cette société salariale dès les années 1980 avec le développement des nouvelles formes d’emploi comme le sous emploi et/ou l’emploi précaire. Le statut de salarié n’offre plus aujourd’hui les mêmes garanties, les mêmes protections qu’avant.

Depuis les années 1980, le taux de chômage progresse, le changement de conjoncture économique amorce le développement du chômage de masse. Ce sont les salariés les moins qualifiés qui sont les premiers concernés par le chômage.

Face à ces évolutions le statut d’indépendant apparaît pour certains comme la solution face au chômage, la création du régime de l’auto-entrepreneur en 2009, remplacé en 2015 par le statut de microentrepreneur vise à faciliter les démarches administratives et autorise de conjuguer ce statut avec celui de salarié. Cela a conduit à un regain d’intérêt pour le travail indépendant et vient nuancer le constat de la salarisation depuis une dizaine d’année. Les frontières entre le statut de salarié et d’indépendant sont désormais plus floues. En effet, le développement des nouvelles technologies de l’information et la communication a contribué à développer des marchés bifaces où certains actifs considérés comme des indépendants sont, en réalité, dans un relation d’étroite dépendance avec des donneurs d’ordre (on peut penser par exemple à des services de livraison ou des services de véhicule avec chauffeur). Le contrat commercial se substitue ici au contrat de travail.

Une tertiarisation : le secteur tertiaire représentait environ 30% des actifs vers 1920, puis 40% vers 1950, 60% au milieu des années 80 et plus de 75% aujourd’hui. L’évolution de la population active tout au long du XXè siècle illustre la loi du déversement (cf. cours 1). Nous sommes en effet passés d’une société essentiellement agricole à une société dominée par l’industrie puis par le secteur tertiaire. C’est l’évolution différente des gains de productivité et de la demande entre les trois secteurs qui permet de comprendre ce déversement.

Une hausse du niveau moyen d’éducation qui a été favorisée par l’accès plus massif à la scolarité surtout après la deuxième guerre mondiale. Cette hausse de la part des diplômés s’est accompagnée également d’une augmentation du nombre d’emplois qualifiés jusque dans les années 1970 : on constate ainsi l’augmentation de la part des professions intermédiaires et des cadres et professions intellectuelles supérieures au sein de la population active. Ces deux groupes socio-processionnels représentaient un peu moins de 30% des actifs en 1990, et 44,1% aujourd’hui. Néanmoins les emplois  non qualifiés n’ont pas diminué mais  ils concernent aujourd’hui davantage les employés que les ouvriers.

Par ailleurs à partir de la fin des années 1970, la progression du nombre de diplômés a été plus rapide que la progression des emplois qualifiés, on assiste donc à une situation paradoxale où des générations en moyenne plus qualifiées que les précédentes ont parfois accès à des emplois moins valorisés (paradoxe d’Anderson).

Une féminisation de la population active. Même si les femmes ont toujours participé à la production, celle-ci était rarement prise en compte et évaluée. Le taux d’activité des femmes a surtout augmenté à partir des années 1960 et se rapproche de plus en plus de celui des hommes : En 1975, le taux d’activité des femmes s’élevait à 52,7%, soit 30,9 points de moins que celui des hommes, en 2020, le taux d’activité des femmes est de 67,6% soit seulement 6,9 points de moins que celui des hommes. Néanmoins les femmes sont plus souvent à temps partiel que les hommes et dans deux tiers des cas il s’agit de temps partiel subi. Cette progression de l’activité féminine accompagne les phénomènes de salarisation et de tertiarisation et résulte à la fois d’un meilleur accès des femmes à la scolarité, mais également des méthodes de contraception (en 1967, la loi Neuwirth autorise la contraception) qui ont permis aux femmes de choisir le moment et le nombre d’enfants souhaités, de l’émancipation des femmes du point de vue juridique (par exemple, les femmes obtiennent le droit de vote en 1944, les femmes obtiennent le droit de travailler sans le consentement de leur mari en 1965, l’égalité des rémunérations pour un travail égal en 1972). L’accès à l’emploi salarié par les femmes favorise l’autonomie financière des femmes et renforce leur possibilité d’indépendance.

Toutefois, la structure socioprofessionnelle des emplois féminins et masculins demeure très différente, les femmes demeurent très présentes dans les emplois tournés vers les services à la personne, l’éducation, par exemple, mais accèdent peu aux postes à responsabilité, c’est le plafond de verre.

Jusqu’en 1950, le secteur agricole demeure important en France, mais aujourd’hui les agriculteurs représentent moins de 3% des actifs. Les changements sont donc importants et rapides.

L’agriculture française se distingue dans son évolution des autres pays occidentaux : Pour  Rostow dans les étapes de la croissance, 1960, la révolution agricole est la condition préalable à la révolution industrielle, or ce schéma ne s’applique pas au cas français parce que la productivité agricole est restée assez faible jusque dans les années 1950. De même la thèse de P. Bairoch, qui souligne le rôle de l’épargne accumulée dans l’agriculture et ensuite investie dans l’industrie, n’est pas vérifiée pour le cas français.

Au début du XXè siècle, le secteur agricole bénéficie des progrès scientifiques et techniques obtenus dans d’autres domaines : la révolution des transports permet de désenclaver les campagnes et d’étendre les marchés, les progrès médicaux profitent également à l’élevage. Malgré tout, l’agriculture française accuse toujours un retard de productivité par rapport à d’autres pays européens. Cela s’explique par la petite taille des exploitations et le manque d’investissements ou plutôt par des  investissements qui demeurent cantonnés à l’acquisition de propriétés foncières et qui ne s’orientent pas assez vers la mécanisation

Dans l’entre deux guerres, l’utilisation des engrais se diffuse et la mécanisation progresse.  Mais ce n’est qu’après 1945 que les gains de productivité vont vraiment devenir significatifs.

Après 1945, les pouvoirs publics souhaitent atteindre rapidement l’indépendance alimentaire et le secteur agricole bénéficie de l’aide économique du Plan Marshall qui favorise sa modernisation. Les jeunes agriculteurs sont formés aux techniques modernes, la mécanisation est encouragée. Le terme d’exploitant agricole vient remplacer peu à peu le terme de paysan dans les années 1960. En 1967, le sociologue Henri Mendras publie la fin des paysans : il rend ainsi compte du déclin numérique et des changements de mode de production et de mode de vie des actifs du secteur agricole.

Une agriculture intensive se met en place  grâce à des équipements de plus en plus importants et la généralisation des engrais et de la génétique. Ces évolutions entrainent également une spécialisation des exploitations puis une spécialisation des régions. Les revenus des agriculteurs se rapprochent de ceux des actifs des autres secteurs d’activité.

Les agriculteurs sont de moins en moins nombreux et l’augmentation du prix du foncier dans les années 70 va accentuer ce phénomène : l’accès à la terre devient compliqué pour ceux qui ne peuvent hériter d’une exploitation familiale. Le fermage se développe.

On constate également le développement de deux types d’agriculture : les grandes exploitations qui tirent profit de la PAC (Politique agricole commune) mise en place en 1962 et proposent une agriculture intensive permettant même de se tourner vers l’exportation, et parallèlement le maintien des petites et moyennes exploitations qui conservent une organisation beaucoup plus traditionnelle surtout dans les régions de moyenne montagne

Dès les années 1980, ce sont désormais des problèmes de surproduction qui inquiètent les agriculteurs, les revenus agricoles dépendent de plus en plus de l’aide européenne. Le modèle productiviste est de plus en  plus remis en cause du fait des dégâts environnementaux, de la baisse de la qualité des aliments et de l’impact sur les territoires ruraux. Le vieillissement des agriculteurs génère de nouvelles inquiétudes.

L’évolution du secteur agricole se traduit donc par une augmentation de l‘hétérogénéité des agriculteurs exploitants. En revanche si Marx au milieu du XIXè siècle écrivait dans le 18 brumaire de Louis Napoléon Bonaparte (1852) que les paysans parcellaires français ne constituaient pas une classe sociale car ils n’étaient pas pourvus d’une conscience collective et d’une capacité à s’organiser, on constate aujourd’hui une plus grande capacité à se mobiliser, comme le montre certaines actions menées par la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), malgré une hétérogénéité très forte du groupe des agriculteurs.

La classe moyenne rassemble, par définition des agents en situation intermédiaire dans la hiérarchie sociale, sa composition dépend étroitement des groupes dominants et inférieurs de la période historique considérée. Le vocable « classe moyenne » a été employé au fil du temps pour désigner des groupes sociaux très différents. Sans entrer dans le détail de la mouvance du groupe, on constate que l’utilisation du pluriel, « les classes moyennes », s’impose à partir des années 1950 pour souligner l’hétérogénéité de ce groupe qui regroupe aujourd’hui des indépendants et des salariés, il s’agit en termes de PCS, des professions intermédiaires mais également d’une fraction dominée des cadres et professions intellectuelles supérieures, et d’une partie des indépendants.

Les causes de ce processus de moyennisation sont nombreuses.

Le processus de moyennisation s’explique d’abord par la réduction des inégalités économiques, elle-même liée à de nombreux facteurs  comme l’inflation qui a permis de limiter les rentes perçues, la hausse des salaires liées aux gains de productivité, mais aussi la mise en place, de l’impôt sur les successions (1901), de l’impôt sur le revenu (1914), de la sécurité sociale (1945), d’un salaire minimum (le SMIG à partir de 1950).

Cette réduction des inégalités économiques entraine ensuite un affaiblissement des frontières sociales en termes d’accès à la consommation et de références culturelles. En effet conformément à la loi d’Engel, lorsque le revenu augmente, la structure de la consommation évolue. La production de masse permet en outre une baisse du niveau général des prix et un accès plus facile à certains biens jusqu’ici réservés. Cette homogénéisation des modes de vie entraine une moindre structuration de la société en classes distinctes et identifiées, ce qui contribue alors à réduire la conflictualité et la conscience de classe. La notion de moyennisation renvoie donc également à un déclin du clivage traditionnel en termes de clases sociales. Pour Henri Mendras, les classes sociales disparaissent au profit d’une moyennisation de la société, il propose alors une représentation de la société en toupie.

Néanmoins ce processus de moyennisation semble remis en cause depuis les années 1980, face à la remontée des inégalités et à la dégradation de la conjoncture qui entraine chômage et précarité. Louis Chauvel dans La spirale du déclassement, essai sur la société des illusions, 2016, souligne que les classes moyennes sont scindées en deux, une fraction selon lui, des classes moyennes est rattrapée par les difficultés jusque là subies uniquement par les classes populaires : le chômage, la précarité, les difficultés de logement alors qu’une autre fraction parvient à maintenir sa position.

Jusqu’en 1975, la classe ouvrière augmente et s’homogénéise.

En effet dès la fin du XIXème siècle, la diffusion de l’usine moderne se traduit par l’implantation de grands établissements autour de quelques grandes villes. Les banlieues ouvrières se dessinent. Ces ouvriers sont concentrés dans l’industrie. Les grandes entreprises se multiplient. Le travail au cours du XXè siècle, est de plus en plus mécanisé et rationnalisé, ceci contribue à déqualifier le travail ouvrier.

L’autorisation du droit de grève (loi Ollivier de 1864) et l’autorisation des syndicats (loi Waldeck Rousseau de 1884) permettent l’apparition de syndicats (CGT en 1895, la CFTC en 1919…) et de partis politiques visant à défendre les intérêts ouvriers (la Section Française de l’Internationale Ouvrière en 1905 et le Parti Communiste Français en 1920). Ces organisations favorisent des mouvements de grève et l’amélioration des conditions de travail et de rémunération, mais aussi la représentativité des ouvriers au sein de l’entreprise.

Pendant les trente glorieuses, en particulier, les ouvriers bénéficient donc d’un certain nombre d’avancées. La progression des salaires soulève la question de l’embourgeoisement de la classe ouvrière. Ce sont les travaux de John Goldthorpe menés dans les années 1960 à Luton en Grande Bretagne qui démentent cette thèse de l’embourgeoisement ouvrier. Ces « ouvriers de l’abondance », pour reprendre l’expression de  Goldthorpe,  vivent effectivement comme de riches ouvriers mais ils n’adoptent pas, pour autant, les aspirations propres aux classes moyennes.

Depuis 1975, en revanche, différents éléments fragilisent la classe ouvrière. La classe ouvrière entame son déclin numérique. Le poids relatif du groupe ouvrier dans la structure sociale commence à décliner dès les années 1960, et les effectifs chutent à partir de 1975. La désouvriérisation accompagne le processus de désindustrialisation qui s’amorce à partir de 1970. Certains bassins d’emplois s’effondrent, des pôles industriels disparaissent (dans le Nord, la Lorraine, la Seine Saint Denis…). Sur le marché du travail, les ouvriers font face au développement du chômage et à la précarisation des contrats de travail.

Les évolutions sont également qualitatives, puisque avec la désindustrialisation, le groupe ouvrier perd ses figures de proue (les mineurs, puis les sidérurgistes, les métallurgistes…). Par ailleurs, les ouvriers sont de moins en moins enrôlés dans des tâches de production de plus en plus automatisées, mais dans des tâches de tri, d’emballage, de manutention, de surveillance et de contrôle des machines. Les ouvriers sont de plus en plus  soumis à des contacts avec la clientèle qui imposent de nouvelles formes de pression. La taille des entreprises diminue et fragilise le collectif ouvrier. La conscience de classe du groupe est affectée par ses changements sociaux.

Historiquement les employés se distinguaient des ouvriers puisque l’on opposait d’un côté l’ouvrier,  travaillant dans l’industrie et payé de manière quotidienne à l’employé de bureau effectuant des tâches non manuelles et percevant un salaire mensuel ; les cols blancs étaient ainsi opposés aux bleus de travail.

Mais les évolutions à partir des années 1980 tendent à rapprocher ces deux groupes :

Le terme de classes populaires permet ainsi de rapprocher, au sein d’un même groupe, les ouvriers et les employés. Si l’on reprend les travaux de Olivier Schwartz, « Peut-on parler des classes populaires ? », La vie des idées, (2011), trois éléments caractérisent les classes populaires : tout d’abord les classes populaires sont des groupes dominés, en effet, les classes populaires sont confrontées à une certaine vulnérabilité des conditions d’existence marquée par une exposition récurrente au manque de ressources ou à l’insécurité. De plus leurs rapports sociaux sont marqués par la subalternité et la subordination, ce sont effet des exécutants. Les ouvriers et les employés ont  les mêmes conditions d’emploi, ils sont plus souvent au chômage, ou avec des contrats précaires, en sous emploi.

Le deuxième critère retenu par Olivier Schwartz est la séparation culturelle des classes populaires. En effet les classes populaires sont démunies d’un ensemble d’éléments culturels et s’écartent des normes culturelles dominantes.

Le troisième critère est géographique : le désenclavement et la ségrégation des classes populaires sont aujourd’hui à nuancer. Des banlieues subsistent, mais les classes populaires ont également investi les zones rurales contraintes par la montée des prix de l’immobilier dans les centres villes.

Pour aborder la condition des classes populaires dans la société française contemporaine, il faut sortir du modèle « hoggartien » : dans la culture du pauvre, en 1957, Hoggart s’appuyait sur l’opposition « eux »/ « nous » pour décrire le positionnement des classes populaires (à l’époque essentiellement ouvrières). Le « eux » correspondaient alors  aux classes dominantes de manière assez vague, et l’opposition « eux »/ « nous » soulignait la séparation des classes populaires du reste de la société.

Pour nombre d’observateurs, cette opposition binaire (« eux »/ « nous ») doit être remplacée par une vision ternaire des classes populaires (« eux »/ « nous »/ « ils »). Le « eux » désigne alors les fractions les plus précaires des classes populaires, les « assistés », ceux dont les classes populaires stables cherchent à se démarquer. Mais ce « eux » souligne également la peur qui anime aujourd’hui les classes populaires, la peur du basculement du côté des assistés. Le « ils » désignent les individus occupant une position dominante dans l’espace social. Enfin, le « nous » désigne la fraction stable des classes populaires, rongée par la peur du déclassement.

Au XIXè siècle, les classes supérieures sont celles qui possèdent tout d’abord des domaines fonciers, puis avec le développement de la révolution industrielle, les usines et les capitaux. Les capitalistes profitent de la révolution industrielle pour asseoir leur puissance, celle-ci profite également à certains banquiers qui participent au financement des projets porteurs de la croissance industrielle.

Mais la Première guerre mondiale, le développement de l’inflation et la mise en place de l’impôt sur les successions et de l’emploi sur le revenu vont entraîner la fonte des rentes.

Avec le phénomène de bureaucratisation, la position sociale devient de plus en plus liée au niveau de diplôme, dès lors la classe dominante doit transformer ses capitaux économiques en capitaux scolaires. Les enfants issus des classes favorisées sont préparés à la compétition scolaire et maîtrisent les choix d’orientation. Les explosions scolaires ont en effet permis un phénomène de massification scolaire mais la démocratisation scolaire n’est pas atteinte et les plus grandes écoles demeurent réservées aux enfants issus des origines sociales les plus favorisées, Paul Pasquali parle d’héritocratie (Héritocratie : les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite (1870-2020), La découverte,  (2021).

Michel Pinçon et Monique Pinçon Charlot qui ont travaillé sur les classes favorisées soulignent la volonté du groupe de défendre ses intérêts et de maintenir des barrières sociales.

Le terme de mobilité sociale a été introduit en sociologie par le sociologue américain d’origine russe, Pitrim Sorokin dans un ouvrage intitulé « social mobility » publié en 1927.

Il définit la mobilité sociale comme "le phénomène du déplacement d’individus dans l’espace social". Le terme de “mobilité” suppose des notions de temps (la vie d’une personne ou la succession d’une génération) et d’espace (la société). Les éléments en déplacement pouvant être des individus ou des groupes d’individus.

L’Insee propose à partir des années 1950 une définition plus restrictive de la mobilité sociale : La mobilité sociale désigne les situations où la catégorie socioprofessionnelle de l’individu est différente de celle du parent auquel il est comparé (France portrait social, édition 2019, Insee Références). Dans la suite de notre travail, nous allons nous référer à cette définition de l’Insee et donc la mobilité sociale sera intergénérationnelle.

Ce n’est que grâce à la généralisation des techniques d’enquête par sondage et des organismes chargés de les réaliser, c’est-à-dire pour l’essentiel après la Seconde guerre mondiale, que des études sur la mobilité sociale sont mises en œuvre et permettent la réalisation d’enquêtes portant sur des échantillons parfois très importants, à l’échelle nationale et la construction de tables de mobilité. La première étude est menée par l’INED en 1948, puis c’est l’Insee qui poursuit le travail à partir de 1953 à travers l’enquête Emploi et à partir de 1964, grâce aux enquêtes Formation, Qualification Professionnelle (FQP).

Les enquêtes de mobilité débouchent sur la construction de tables de mobilité qui sont des tableaux statistiques à double entrée croisant la position sociale d'un individu à un moment donné à celle de son père (on retient la profession du père au moment où l’enfant terminait ses études) . Ce sont donc des instruments de mesure permettant d'étudier la transmission ou le changement de statut social d'une génération à l'autre : ces tables permettent donc d'analyser la mobilité intergénérationnelle.

 

Intéressons tout d’abord au champ des enquêtes c’est-à-dire les populations retenues pour ces enquêtes

“Champ : hommes actifs ayant un emploi ou anciens actifs, âgés de 30 à 59 ans en 2014-2015”

Chacune de ces variables mérite d’être analysée :

Agés de 30 à 59 ans : Les tables de mobilité visent à appréhender la position sociale définitive d’un individu à travers sa profession. Dans ces conditions, on ne connaît réellement la position sociale d’un individu que lorsqu’il est déjà bien installé dans sa vie professionnelle donc il faut que l’individu soit âgé d’au moins 30 ans. A partir de 59 ans certains individus peuvent ne plus être actifs

Hommes : jusqu’à la dernière enquête menée par l’Insee en 2014/2015, on ne retenait que des individus du sexe masculin pour des raisons variées.

Tout d’abord, parce que les personnes âgées de 40 à 59 ans jusqu’en 2003, avaient des parents qui ont appartenu à une génération dans laquelle les femmes étaient peu actives. Il était dès lors impossible de comparer l’évolution intergénérationnelle des positions sociales entre les mères et les filles. Si la dernière étude de l’Insee, analyse la position des femmes par rapport à leurs mères, ces résultats doivent être maniés avec précaution puisque  26,1 % des femmes âgées de 30 à 59 ans en 2014/2015 ont des mères qui n’ont jamais travaillé. Les principes de lecture des  tables de mobilité mère filles sont les mêmes que pour les tables pères/fils, les tables de mobilité qui portent sur les femmes présentent néanmoins des spécificités qui tiennent aux inégalités entre hommes et femmes sur le marché du travail. Les marges des tables des hommes et des femmes révèlent ainsi la structure socioprofessionnelle des hommes et des femmes à chaque génération.

Ensuite, la structure des emplois féminins et masculins étant différente, il est plus difficile d’analyser la mobilité sociale en comparant la catégorie du père et de sa fille, d’autant que le taux d’activité féminin reste inférieur à celui des hommes.

Pour ces raisons, l’étude de la mobilité sociale  a longtemps reposé sur la comparaison des positions sociales des pères et de leurs fils. Les travaux de 2014/2015 constituent donc une première.

Jusqu’ici, la mobilité sociale des femmes a été pensée comme liée surtout au mariage. Donc parallèlement aux études de mobilité ont été menées des recherches sur le choix du conjoint.

Que constate-t-on à partir de cette table de mobilité brute ? Tout d’abord, 6 912 070 hommes ont été interrogés. Parmi eux, certains sont restés dans la même PCS que leur père (les "immobiles", données situées dans la diagonale), d’autres se sont déplacés, ils ont changé de PCS (les "mobiles", données situées à l’extérieur de la diagonale).

Cependant, les analyses à partir de la table des trajets sociaux restent limitées car on ne peut comparer la mobilité entre les groupes. En effet, les marges (dernière ligne et dernière colonne) ne sont pas de la même taille : ainsi, le même nombre d’individus immobiles dans deux PCS différentes peut traduire une immobilité relative (en %) très différente. Par exemple, peut-on dire que les agriculteurs sont moins mobiles que les ouvriers parce que 186 789 sont immobiles alors qu’il y a 1 231 395 ouvriers immobiles ?
Il faut donc "fixer" les marges en transformant les valeurs absolues en valeurs relatives (en %).

Deux types de tables de mobilté peuvent alors être construites:

Les tables de destinée nous renseignent sur ce que deviennent les enfants (ou les fils) d’une origine sociale donnée.

Table de destinées sociales des hommes

Le tableau ci-dessus se lit ainsi : 25% des fils d’agirculteurs âgés de 30 à 59 ans en 2014-2015 sont en moyenne eux-mêmes agriculteurs, 8,8% sont devenus cadres ou membres d’une profession intellectuelle supérieure, 32,5% sont devenus ouvriers, 7,1% employés. En 2014-2015, 47,6% des fils d’ouvriers sont en moyenne eux-mêmes ouvriers, tandis que 12,3% sont devenus employés.

Les tables de recrutement nous renseignent sur l’origine sociale des individus qui occupent une position sociale donnée.

 

Table de recrutements sociaux des hommes

 Lecture : 81,1% des agriculteurs âgées de 30 à 59 ans en 2014-2015 sont en moyenne fils d’agriculteurs, tandis que plus de 7,8% ont un père ouvrier ; 33,8% des cadres âgés de 30 à 59 ans en 2014-2015 sont des fils de cadres tandis que 19,3% ont un  père ouvrier (3,9% ont un  père agriculteur) ; parmi les ouvriers âgés de 30 à 59 ans en 2014-2015, 57,5% sont en moyenne fils d’ouvriers mais 8,4% ont en moyenne une origine rurale avec un père agriculteur.

L’exemple des agriculteurs est très manifeste: une très grande partie des agriculteurs (81,1%) ont un père qui était lui-même agriculteur mais beaucoup de fils d’agriculteurs (75%) ne sont pas devenus eux-mêmes agriculteurs. En définitive, le tableau sur la destinée sociale nous indique, par exemple, que tous les enfants d’agriculteurs, ne deviennent pas, en 2014-2015, agriculteurs (25% seulement le deviennent), mais le tableau sur le recrutement social nous apprend qu’à la même époque, la quasi totalité des agriculteurs (81,1%) sont fils d’exploitant agricole, c’est ce qui fait dire, “on nait agriculteur, on ne le devient guère”.

Les marges des tables de mobilité: la ligne « ensemble » de la table de destinée indique la structure sociale pour les hommes âgés de 30 à 59 ans en 2014-2015. La colonne « ensemble » de la table de recrutement nous renseigne sur la structure sociale à la génération des pères.

Nous pouvons donc, en comparant les marges des deux tables, déduire les transformations de la structure sociale d’une génération à l’autre. Nous pouvons en particulier observer le recul du poids des agriculteurs et des indépendants et la progression des catégories intermédiaires et supérieures.

La diagonale des tables de mobilité: dans les tables de mobilité, la diagonale est particulière : elle indique le degré d’ « immobilité sociale » pour chaque catégorie, le poids de l’hérédité, si l’on peut dire. La diagonale correspond aux individus qui demeurent dans la même catégorie socioprofessionnelle que leur père.  La diagonale de la table de destinée nous renseigne sur la plus ou moins forte hérédité sociale (ou reproduction sociale). Nous pouvons observer ici que la probabilité de conserver sa position sociale d’origine est relativement élevée, surtout pour les catégories « cadres et professions intellectuelles supérieures » (47 %) et pour la catégorie « ouvriers» (47,6%). La diagonale de la table de recrutement nous renseigne sur le degré d’auto-recrutement, c’est-à-dire le degré d’ouverture d’une catégorie sociale aux individus issus de catégories différentes. Ce sont les agriculteurs (avec 81,1 %) et les ouvriers (avec 57,5%) qui recrutent principalement en leur sein.

La mobilité totale peut être mesurée par la somme des valeurs ne figurant pas sur la diagonale principale, les mobiles se situent en dehors de la diagonale.

Les limites des tables de mobilité

Les tables de mobilité présentent néanmoins un certain nombre de limites qui tiennent essentiellement à l’utilisation de la grille des PCS:

Dans les enquêtes de mobilité, la profession est le critère principal et généralement unique de classement social. Ce choix d’un critère professionnel de classement a des conséquences sur les limites de la population effectivement étudiée, réduite à celle des actifs (cela pose un problème pour l’étude de la mobilité des femmes). En France les tables de mobilité sont construites grâce à l’outil des PCS or, si la hiérarchie entre les salariés est acceptable, la mobilité sociale demeure indéterminée lorsqu’elle concerne des passages du statut de salarié vers indépendant ou l’inverse.

Les groupes sociprofessionnels ne sont pas tous  hiérarchisables les uns par rapport aux autres, c’est pour cela que l’Insee distingue la mobilité verticale (qui concerne les changements entre groupes socioprofessionnels de salariés) de la mobilité non verticale qui concerne les mobilités de statut entre indépendant et salariés et les mobilités entre employés et ouvriers. Récemment , l’Insee a choisi de substituer la distinction ouvriers-employés par la distinction ouvriers et employés non qualifiés d’une part et ouvriers et employés qualifiés d’autre part.

Les comparaisons intergénérationnelles s’avèrent compliquées lorsque l’Insee modifie sa grille comme ce fut le cas en 1982 (passage de la grille des CSP à la grille des PCS) ou plus récemment avec la distiction employés et ouviers qualifiés et employés et ouvriers non qualifiés qui vient remplacer la distinction employés/ouvriers.

Les tables de mobilité reposent sur le niveau le plus agrégé de la grille des PCS, si on utilisait une grille plus détaillée, on pourrait faire apparaître davantage de changements de positions sociales et mettre en évidence des mobilités sociales plus fréquentes.

La grille des PCS ne donne aucune indication sur la qualité des emplois

Les analyses intergénérationnelles conduisent à considérer que les groupes socioprofessionnels correspondent à des situations identiques d’une génération à l’autre, or certains métiers peuvent connaitre des évolutions en termes de prestige, de revenus, de conditions de vies, qui ne sont pas prises en compte, c’est la mobilité collective.

A. la mobilité observée

Différentes publications permettent de dresser le bilan de cette mobilité sociale

« En 40 ans, la mobilité sociale des femmes a progressé, celle des hommes est restée quasi stable », Marc Collet et Émilie Pénicaud, division Études sociales, Insee première Février 2019

Marc Collet et Emilie Pénicaud, « La mobilité sociale des femmes et des hommes : évolution entre 1977 et 2015 », France, portrait social, novembre 2019

Louis André Vallet, « mobilité entre générations et fluidité sociale en France », Revue de l’OFCE 2017/1, N°150

A partir des enquêtes FQP de 1970, 1977, 1985, 1993 et 2003, Louis André Vallet « mobilité entre générations et fluidité sociale en France », Revue de l’OFCE 2017/1, N°150, met en évidence deux constats :

Tout d’abord du point de vue de la mobilité observée (ou taux absolus de mobilité), celle-ci a régulièrement augmenté en France depuis le début du XXème siècle.

La mobilité observée s’appuie sur la distinction entre les immobiles et les mobiles

Les immobiles se situent sur la diagonale des tables de mobilité. Au début des années 1950, un homme ou une femme sur deux appartenait à une classe sociale différente de celle de leur père. Aujourd’hui c’est plus des deux tiers en moyenne

Les résultats montrent en effet que le pourcentage d’immobiles est minoritaire pour les hommes comme pour les femmes. Les mobiles représentent entre 65 et 71% des individus.

Si on fait une étude plus fine, par groupe, on voit que les groupes où la reproduction est la plus forte sont les ouvriers : 57,5 % des ouvriers sont fils d’ouvriers et 47,6% des fils d’ouvriers deviennent ouvriers. Chez les femmes la reproduction est également très forte chez les ouvriers puisque 61,9% des ouvrières ont en moyenne un père ouvrier. Les destinées sont a priori plus ouvertes… mais a priori seulement puisque si 17% des filles d’ouvriers deviennent ouvrières, 53,7 des filles d’ouvriers deviennent employées donc plus de 7 filles d’ouvriers sur 10 restent dans les classes populaires (contre près de 60% des fils d’ouvriers)

Chez les cadres, 47% des fils de cadres se retrouvent dans la même position que leur père. Cependant seulement 33,8% des cadres ont un père qui appartient à la même catégorie sociale (faible auto recrutement).

Chez les filles, la reproduction est moins marquée: 34,1% des filles de cadres sont cadres et 36% sont professions intermédaires; 32,8 des filles cadres ont un père cadre. Cet écart de 13 points entre homme femme souligne la difficulté pour les femmes d’accéder aux positions de cadres (plafond de verre).

Les écarts entre les destinées et le recrutement chez les cadres sont liés à la forte augmentation du nombre de cadres qui a donné la possibilité à des individus d’origines diverses d’atteindre cette position, l’extension numérique de ce groupe a permis aux enfants des autres catégories de parvenir à cette position sociale tout en permettant aux enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures de conserver, pour la majorité d’entre eux, cette même position sociale.

Chez les agriculteurs, l’écart est important entre destinées et recrutement. Les agriculteurs sont typiques d’une catégorie que l’on peut estimer très mobile ou immobile selon que l’on s’intéresse à la destinée ou à l’origine : les fils d’agriculteurs ne sont pas très nombreux à hériter de la profession de leurs pères, mais les agriculteurs sont presque tous des héritiers 81,1% des agriculteurs ont un père agriculteur, il s’agit donc d’un fort auto recrutement. Chez les filles la reproduction est nettement moins marquée.

 

Si l’on s’intéresse désormais aux individus mobiles, trois idées importantes se dégagent

Tout d’abord, la mobilité est avant tout verticale depuis 25 ans car pour les deux sexes, la mobilité de statut a décliné et la mobilité horizontale n’a que légèrement augmenté.

Ensuite, les flux de mobilité sont plus souvent ascendants, mais la mobilité descendante progresse. « La mobilité verticale masculine reste majoritairement une mobilité ascendante, même si cette prédominance se réduit depuis le début des années 2000. De 1977 à 2003, les hommes en ascension sociale étaient environ 3 fois plus nombreux que ceux dont la trajectoire a été descendante ; en 2015, ils ne sont plus que 1,8 fois plus nombreux. Le taux de mobilité descendante des hommes a, lui, été multiplié par 2 entre 1977 (7 %) et 2015 (15 %). ».  (Insee, France portrait social, 2019). La mobilité intergénérationnelle est plus favorable pour les femmes que pour les hommes. Cela s'explique en grande partie par le niveau socioprofessionnel des mères nettement inférieur à celui des pères. Les mouvements ascendants sont en effet d’autant plus fréquents que le parent occupe une position basse dans l’échelle sociale.


Enfin, les flux de mobilité sont des flux de proximité entre position d’origine et d’arrivée. Les trajets  longs sont rares il faut plusieurs générations pour parcourir l’échelle sociale. Néanmoins, même s’il s’agit là de trajectoires rares, la mobilité sociale de longue portée dans les deux directions est devenue moins exceptionnelle. C’est notamment le cas de la mobilité descendante à longue distance qui était particulièrement rare, pour les hommes et les femmes, dans la cohorte 1906-1924.

Pour étoffer le bilan de cette mobilité observée, il faut enfin souligner que les situations de mobilité s’expliquent de moins en moins par le changement de la structure sociale. La mobilité structurelle correspond à la mobilité « mécaniquement » provoquée tout d’abord par le changement de structure de la population active entre la génération des pères et celle des fils  (on peut faire référence ici à la thèse du déversement évoquée dans le cours 1): départ des fils issus des groupes d’agriculteurs exploitants et ouvriers, vers des groupes en expansion numérique ; élargissement du recrutement des groupes en forte expansion (notamment des cadres) favorisant, à la fois, une mobilité structurelle et nette (permise par l’augmentation de la scolarisation et la mobilisation des ressources familiales) d’individus issus de groupes tels que les ouvriers et employés, par exemple. A ces évolutions de la structure socio professionnelle, il faut ajouter le facteur de l’immigration et celui de la fécondité différentielle selon les groupes socioprofessionnels pour saisir tous les aspects de la mobilité structurelle.

Les modifications de la structure des emplois masculins sont essentiellement intervenues au sortir des trente glorieuses. Au cours des 40 dernières années, la structure des emplois des hommes s’est progressivement rapprochée de celle de leurs pères : par exemple, en 1977, parmi les actifs occupés ou anciens actifs occupés, 20 % des hommes exerçaient une profession intermédiaire, contre 8 % de leurs pères ; en 2015, respectivement 25 % et 16 % d’entre eux relèvent de cette catégorie socioprofessionnelle. Depuis la fin des années 1970, la mobilité sociale des hommes est donc de moins en moins liée à l’évolution de la structure des emplois entre leur génération et celle de leurs pères [Collet et Pénicaud, 2019]

Une partie de la mobilité sociale des femmes par rapport à leur mère est directement liée à l'évolution intergénérationnelle de leurs professions. Stable autour de 43 % entre 1977 et 1993, la part de cette mobilité dite « structurelle » a ensuite diminué de 8 points pour atteindre 35 % en 2015. Cette baisse plus modérée que celle observée pour les hommes (pour les hommes, elle est  passée de 40 à 24%) montre que la structure des emplois féminins s’est davantage modifiée ces quarante dernières années que celle des emplois masculins. Au final, en 40 ans, la part de la mobilité sociale féminine directement liée à l’évolution intergénérationnelle des emplois s’est réduite, mais plus modérément que pour les hommes [Collet et Pénicaud, 2019].

 

B. La fluidité sociale

La fluidité sociale (voir la définition dans les mécanismes) a fortement progressé entre tous les groupes sociaux, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Toutefois, la réduction de ces inégalités sociales s’est principalement déroulée, selon Camille Peugny, entre la fin des années 1970 et le début des années 1990 ; depuis les inégalités sociales tendent à stagner.

Plusieurs causes possibles de cette augmentation de la fluidité sociale

Une diminution irrégulière de l’inégalité des chances scolaires  (relation classe d’origine-classe de destination) : la démocratisation de l’enseignement en elle-même, c’est-à-dire un affaiblissement du lien entre classe d’origine et niveau d’éducation atteint, est un premier phénomène qui a pu intervenir pour engendrer une plus grande ouverture sociale en France, au fil des cohortes. les hommes et femmes de toutes les classes d’origine ont pu bénéficier de la fourniture d’une éducation plus avancée. Le progrès historique de la certification scolaire, déjà remarquable parmi les hommes, a été encore plus prononcé parmi les femmes. Le progrès vers la démocratisation scolaire n’a pas été linéaire puisqu’en majeure partie, le changement est survenu dans les cohortes 1935-1944 et 1945-1954, avant de marquer largement le pas pour les hommes et femmes nés à partir du milieu de la décennie 1950.

La deuxième raison tient au déclin régulier, observable au fil des quatre enquêtes, de l’avantage professionnel relatif que procure l’éducation (relation niveau d’éducation –classe de destination) (donc hausse du déclassement).

la dernière raison repose sur un effet de composition (interaction entre classe d’origine, classe des destination et niveau d’éducation) lié au fait que l’expansion de l’éducation a progressivement accru la taille relative des groupes les plus diplômés pour lesquels l’effet propre de la classe d’origine sur la classe de destination est réduit.

 

C. La fracture générationnelle et la thèse du déclassement.

Les données ci dessous révèlent donc deux périodes en France en termes de mobilité

La première période est celle des trente glorieuses : Trois éléments se conjuguent  au cours de cette période pour constituer un terreau favorable à la mobilité sociale :

Il s’agit tout d’abord de la croissance de la production et du plein emploi qui vont permettre de générer des gains de productivité importants. Ces éléments sont à mettre en lien avec la loi du déversement de Sauvy (cf. les transformations des structures économiques et financières) qui va favoriser une mobilité structurelle  c’est-à-dire une mobilité entrainée par l’évolution de la structure sociale, autrement dit des flux de mobilité induits par des changements de places à pourvoir dans les catégories sociales entre la génération des pères et celle des fils.

Ensuite,  le développement du salariat offre de nouvelles perspectives d’emploi et surtout un statut salarial beaucoup plus protecteur grâce à la mise en place de la sécurité sociale.

Enfin, la première explosion scolaire qui se déroule dans les années 1960 généralise la fréquentation du collège. Si un peu plus de la moitié seulement d’une classe d’âge entre en 6ème en 1962, c’est le cas dès 1973 de la quasi totalité des élèves issus du primaire au lycée, la proportion de bacheliers dans une génération a elle aussi doublé en 10 ans (de 10% en 1959 à 20% en 1970) et dans le même temps, les effectifs des universités ont triplé.

Louis Chauvel dans la spirale du déclassement recense ainsi sept critères d’une « civilisation de classe moyenne » au cours de trente glorieuses :

Une société salariale avancée où les travailleurs permanents forment une large majorité : unification de la norme d’emploi atour  d’un contrat stable de référence.

Un salaire moyen suffisant pour mener une vie confortable, notamment par l’acquisition d’un logement décent.

Une protection sociale généralisée : droits sociaux liés aux salaires.

Une expansion scolaire qui alimente les courants d’une mobilité ascendante

La croyance dans le progrès scientifique et humain

La prise de contrôle de la sphère politique par les catégories intermédiaires de la société. (Syndicats, associations et mouvements sociaux)

La promotion d’objectifs politiques de progrès mesurés, équilibrés, au regard des contraintes réelles.

Une seconde période s’ouvre à partir des années 1970 et marque une inversion de tendance, les trois facteurs précédents se retournent :

C’est tout d’abord la dégradation de la situation conjoncturelle qui se traduit par deux phénomènes : une augmentation rapide du taux de chômage. Alors qu’il ne dépasse pas la barre des 5% à la fin des années 1970, il augmente rapidement ensuite. On assiste donc au passage d’un régime de plein emploi à un régime de chômage de masse.

S’ajoute à ce phénomène la précarisation croissante des contrats de travail (introduction des CDD à la fin des 1970, montée de l’intérim, des emplois aidés, du temps partiel subi) ce qui contribue à l’apparition de « travailleurs pauvres ».

C’est ensuite le retour des inégalités avec la repatrimonialisation des richesses. Le ralentissement conjoncturel se traduit par un gel des salaires, mais le patrimoine continue à progresser, grâce à la mise en place de politiques de désinflation.

Louis Chauvel dans la spirale du déclassement présente ces éléments : la repatrimonialisation signifie en particulier au sein des classes moyennes, une distorsion croissante, préalable à un écartèlement, voire une rupture de continuité, entre les classes moyennes dotées d’un substantiel patrimoine net, sans remboursement de prêts, par opposition aux autres, propriétaires endettés ou locataires, dont les conditions économiques d’existence sont d’une tout autre nature. L’accession à la propriété présente alors non seulement un coût exorbitant  mais également une prise de risque importante puisque tout variation des marchés immobiliers, des taux d’intérêt ou simplement des aléas de la vie déstabilisent le projet.

Enfin, la deuxième explosion scolaire qui se déroule au tournant des années 1980-1990  se traduit par un nouveau doublement du taux d’accès au baccalauréat (de 31% d’une classe d’âge en 1986 à 63% en 1995) mais ne s’accompagne pas de la création d’un nombre d’emplois qualifiés aussi important.

Louis Chauvel dans la spirale du déclassement identifie cinq éléments corrosifs à la civilisation de classes moyennes :

Un accroissement vertigineux des inégalités à travers le phénomène de repatrimonialisation des richesses.

Une déstabilisation du centre par rapport à la génération précédente. Les classes moyennes ont plus de difficultés qu’à la génération précédente en termes d’accès à l’emploi, au logement…

Des  désillusions : la baisse du niveau de vie, le rendement décroissant des diplômes, le déclassement résidentiel s’accentuent de génération en génération.

Le déclassement systématique dans la dynamique des inégalités globales : les classes moyennes ne se comparent plus aux cadres du nord, mais aux ouvriers du sud : les classes moyennes sont rattrapées par des difficultés qui jusque là ne concernaient que les classes populaires

La correspondance entre les faits objectifs et leurs représentations sociales décline.

La rupture entre ces deux périodes conduit à une fracture générationnelle. Les jeunes nés juste après la deuxième guerre mondiale n’ont pas connu les mêmes possibilités que ceux nés à la fin des années 50 et qui vont entrer sur le marché du travail au moment où celui-ci se ferme. En une quinzaine d’années les perspectives deviennent beaucoup moins positives

Le déclassement des jeunes et la panne de l’ascenseur social deviennent des thèmes récurrents.

Camille Peugny analyse le phénomène du déclassement dans le déclassement (2009) et dans le destin au berceau (2013). Il note que le thème du déclassement est apparu dans le débat public dans la seconde moitié des années 2000.

On peut distinguer, à l’aide des travaux de Camille Peugny trois types de déclassement :

Le déclassement intergénérationnel est le fait pour un enfant d'occuper une position sociale de niveau inférieur à celui de ses parents au même âge (en général vers 40 ans). On parle alors de mobilité sociale "descendante". Ce déclassement est généralement mesuré par rapport à la position du père. Camille Peugny utilise comme critère de mesure, le rapport mobiles ascendants/mobiles descendants et constate que quel que soit l’âge considéré, le rapport ascendants/ descendants est maximal pour les générations nées dans le milieu des années 40 avant d’amorcer une baisse sensible pour les générations ultérieures. Certes, parmi les femmes comme parmi les hommes, et quelle que soit la génération de naissance, les ascendants  sont plus nombreux que les descendants ; le mouvement global de la société reste donc ascendant. Néanmoins l’écart entre les deux flux diminue sensiblement.

Le déclassement intragénérationnel est le fait pour une personne d'occuper une position sociale de niveau inférieur à la fin de sa vie active à celle qu'elle occupait au début de sa vie active. Cela peut être la conséquence, par exemple, d'une période de chômage.

On parle de déclassement professionnel/ scolaire (overeducation en anglais) quand un jeune entrant sur le marché du travail occupe une profession dont le statut social est inférieur à celui auquel il pourrait, en théorie, prétendre du fait de son diplôme. L'élévation du niveau de diplôme et la montée du chômage ont contraint une part croissante de jeunes à accepter des postes de niveau inférieur, en dépit de la progression de la part des emplois qualifiés. La définition des emplois accessibles par niveau de diplôme évolue en fonction de la conjoncture, du niveau de formation, etc.

Ces deux derniers types de déclassement sont à relier à l’évolution de la part des diplômés : si la première explosion scolaire a contribué à favoriser l’ascension sociale de ceux qui en ont bénéficié, la deuxième explosion scolaire va être moins « rentable » car la croissance des postes de diplômés, pour un niveau de diplôme donné a été inférieure à l’augmentation des diplômés. L’augmentation du nombre de cadres et professions intellectuelles supérieures n’a pas été suffisante pour absorber le surcroit massif de diplômés. Ainsi, Marie Duru-Bellat dans l’inflation scolaire (2006) note que “au long des 30 glorieuses, le bac a fait figure de ticket d’entrée dans les classes moyennes. Pour les nouvelles générations, le cours du titre s’est effondré.” Jusqu’en 1967 le bac  permettait une fois sur deux de devenir cadre, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les diplômes, paraissent à la fois de plus en plus nécessaires et de moins en moins suffisants. L’éducation devient un bien positionnel dont la valeur est relative à ce qu’ont les autres. L’acquisition d’un diplôme supérieur à celui de son père ne garantit pas au fils une position sociale plus élevée, c’est le paradoxe d’Anderson.

Ces différentes formes de déclassement lorsqu’elles se combinent  et se cumulent sur des cohortes de naissances particulières, forment ensemble le déclassement générationnel.

Cela se traduit également par le déclassement résidentiel ou géographique : déclin d’une personne ou d’un ensemble d’individus le long de l’échelle de prestige socio-économique du territoire : glissement progressif vers des communes ou des cantons moins prestigieux, alors même que la part de budget consacrée au logement  s’est accrue.

Lorsque le mouvement descendant devient collectif et durable sur plusieurs décennies, l’ensemble du processus de reproduction sociale en est affecté. C’est  alors qu’intervient l’idée d’un déclassement global.

La prise en compte de la génération de naissance dans la mesure des flux de mobilité sociale contribue à éclairer la dynamique de la société française depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Profitant d’un contexte économique particulièrement favorable et d’une première élévation de leur niveau d’éducation, les cohortes nées dans les années 1940 rencontrent des perspectives sans précédent de mobilité sociale (cf. supra).

En comparaison, les générations nées au tournant des années 1960 semblent faire face à une situation plus dégradée: les risques de déclassement progressent pour les individus issus des milieux sociaux les plus favorisés, tandis que les trajectoires de promotion sociale se raréfient pour les enfants des classes populaires. Pour les générations plus récentes, nées dans les années 1960 et après, c’est l’intensité de la reproduction sociale qui semble particulièrement marquante. Si le destin des enfants d’ouvriers s’améliore de nouveau légèrement, c’est aussi le cas des enfants mieux nés, de sorte qu’au final, l’inégalité des chances demeure globalement inchangée.

Le déclassement ou la peur du déclassement?

Néanmoins en ce qui concerne la question du déclassement, tous les sociologues ne sont pas d’accord,  deux clans s’affrontent :

Pour les uns, le déclassement est un phénomène objectif, touchant une part croissante et significative de la population, signe que la société française n’avance plus. Au sein de ce premier camp, on retrouve des chercheurs comme Louis Chauvel, Marie Duru-Bellat, ou Camille Peugny

Pour eux, le déclassement conduit à une fracture générationnelle.

Pour d’autres sociologues, le risque effectif de déclassement est largement surestimé. Ce qui est réel en revanche, c’est le règne d’une angoisse de la chute sociale particulièrement affirmée en France. Ce second camp est dominé par l’économiste Éric Maurin qui a publié La Peur du déclassement (Seuil, 2009).

Eric Maurin définit le déclassement de manière très restrictive puisque selon lui, le déclassement correspond à la perte d’un emploi en CDI. Le risque de déclassement est alors effectivement très faible, puisqu’il ne concerne que 1 % environ de la population active (300 000 personnes en 2009). En revanche, la peur du déclassement est ressentie par l’ensemble de la société, y compris par les classes moyennes et supérieures, celles qui ont le plus à perdre. Dans une société où le CDI offre des avantages considérables en termes de stabilité et de protections (Sécurité sociale, retraite…), il suscite la convoitise de tous ceux qui entrent sur le marché du travail ou dans des statuts nettement moins avantageux (chômage, intérim, CDD…). Mais Eric Maurin souligne que même les titulaires d’un CDI sont anxieux car si d’un côté la détention d’un CDI diminue la probabilité de perdre son emploi dans le même temps, il augmente le coût de cette perte. La dégradation conjoncturelle du début des années 80 va générer cette angoisse du déclassement  au sein de la société salariale.

E. Maurin nuance également le déclassement scolaire.  Pour lui, l’accroissement du nombre de diplômés sur le marché du travail ne s’est pas accompagné de leur dévalorisation mais bien plutôt d’un renforcement des avantages statutaires auxquels ils donnent accès. Il devient de plus en plus important de détenir un diplôme : le taux de chômage des diplômés devient rapidement résiduel après quelques années de carrière alors que c’est de moins en moins le cas pour les personnes les moins diplômées. Les jeunes diplômés ont un accès beaucoup plus rapide à l’emploi, mais en plus un emploi à statut. On peut donc dire que le prix d’un échec scolaire a augmenté,  le diplôme devient un sésame pour l’insertion professionnelle au début de la vie active et marque toute la carrière de l’individu. En revanche, certains jeunes diplômés optent pour une stratégie de repli vers la fonction publique : ils préfèrent renoncer à la promotion pour obtenir la protection, mais, selon Eric Maurin, c’est une stratégie de protection pas un déclassement

Les travaux publiés par l’Insee en 2019, nuancent également ce déclassement. En effet, comme nous l’avons souligné précédemment, les femmes sont plus souvent en mobilité ascendante par rapport à leurs mères et dans une moindre mesure par rapport à leurs pères. Quant aux hommes issus d’origine sociale favorisée (fils de cadres et professions intellectuelles supérieures ou fils de professions intermédiaires), s’ils connaissent plus souvent qu’avant des déclassements, il s’agit le plus souvent de déclassements courts.

A La mobilité subjective

Les enquêtes statistiques sur la mobilité abordées jusqu’ici sont souvent réductrices dans la mesure où elles ne prennent pas en compte les différences de perception susceptibles d’advenir d’une génération à l’autre ou au long d’une trajectoire individuelle.

Depuis quelques années, il est devenu important de mieux comprendre la perception qu’ont les individus de leur mobilité sociale, souvent appelée mobilité « subjective ». Marie Duru-Bellat et Annick Kieffer[1] soulignent alors que: « les personnes n’évaluent pas leur propre situation en se fondant seulement, comme le font les sociologues de la mobilité, sur la profession occupée à l’instant t »

Marie Duru Bellat et Annick Kieffer montrent que ces écarts entre mobilité observée et mobilité ressentie peuvent  s’expliquer par le fait que les gens n’évaluent pas seulement leur trajectoire par rapport à la profession de leurs parents, mais aussi par rapport à d’autres personnes (conjoint, frères, soeurs, amis) et en tenant compte d’autres critères tels que le niveau  de diplôme, les conditions de travail, de rémunération, le niveau de responsabilité, la stabilité de l’emploi ou encore le lieu de résidence ou le type d’habitat.

 


[1] Marie Duru Bellat et Annick Kieffer, “les deux faces –objectives et subjectives – de la mobilité sociale”, Sociologie du travail, N°XLVIII, vol 4, 2006[1]

 

Par ailleurs, La mobilité subjective permet de mieux prendre en compte la mobilité professionnelle.

Cette mobilité subjective peut s’appréhender par des enquêtes statistiques et/ou ethnographiques

Dans la dernière enquête FQP menée par l’Insee, la mobilité ressentie est évaluée : Razafindranovona T., « Malgré la progression de l’emploi qualifié, un quart des personnes se sentent socialement déclassées par rapport à leur père », Insee première N°1659, juillet 2017.

Trois éléments jouent un rôle sur le la mobilité ressentie par rapport au père  (cf. graphique ci-dessous) :

Tout d’abord la place de l’enquêté dans la hiérarchie sociale : évidemment, l’enquête souligne, sans surprise, que plus les personnes se situent en haut de l’échelle sociale, plus elles expriment un sentiment de promotion sociale : 50% des cadres se considèrent mieux classés que leur père contre 22% des employés ou ouvriers non qualifiés. Mais le sentiment de déclassement ou d’ascension sociale est répandu et concerne toutes les PCS.

Ensuite l’appréciation dépend du milieu d’origine : seulement 16% des enfants de cadres se considèrent comme mieux classés que leur père (effet plafond : lorsque la position d’origine est élevée, il est difficile de progresser encore dans la hiérarchie sociale). A l’inverse seuls 13 % des enfants d’employés ou d’ouvriers non qualifiés se sentent déclassés (effet plancher).

Enfin l’âge (dans une moindre mesure) puisque plus l’individu avance en âge plus il a le sentiment d’avoir une position plus favorable que son père : Ce pessimisme des jeunes est sans doute lié à la détérioration de leurs conditions globales d’insertion - accès plus difficile à l’emploi, dégradation des statuts d’emploi et de la relation diplôme-profession.

Appréciation de sa propre profession par comparaison avec celle de son père.

Les écarts constatés entre mobilité ressentie et mobilité objective peuvent être compris par la prise en compte de plusieurs variables :

Le niveau de diplôme obtenu joue un rôle : Les individus les plus instruits ont tendance à s’estimer plus souvent en mobilité ascendante, quelles que soient leur profession actuelle et celle de leur père. La possession de capital culturel, en elle-même, semble augmenter le sentiment d’appartenir aux classes privilégiées

Le rôle de la situation du conjoint exerce également une influence, puisque les individus qui sur-estiment leur trajectoire ont des conjointes un peu moins qualifiées que la moyenne, et réciproquement les individus qui sous-estiment leur trajectoire ont des conjointes un peu plus qualifiées. L’individu évalue donc sa trajectoire en se comparant à ses proches.

Ensuite, la mobilité en cours de carrière doit être analysée, la trajectoire s’ancre, en effet, dans l’origine sociale et se déroule tout au long de la vie professionnelle. Ainsi, les personnes surestimant leur trajectoire auraient connu plus fréquemment une mobilité professionnelle ascendante. On observe par exemple que, parmi les ouvriers qualifiés qui surestiment leur trajectoire, ceux qui ont débuté comme manœuvres ou OS (ouvrier spécialisé) sont légèrement sur-représentés (53% contre 47% dans l’ensemble de la population des ouvriers qualifiés).

Enfin, les conditions d’emploi jouent un rôle important, en effet, les personnes contextualisent toujours l’évaluation qu’elles font de leur profession et de leur mobilité : elles tiennent compte de la dimension strictement professionnelle du statut ou de l’emploi (conditions de travail plus ou moins dures, environnement socioprofessionnel, rapports humaines et autonomie...) ; elles prennent aussi en compte le train de vie que l’emploi autorise, et donc la situation matérielle (le pouvoir d’achat est souvent invoqué comme critère de comparaison), souvent matérialisée par le fait d’être (ou non) propriétaire ; les fréquentations sociales - « on ne fréquente pas du tout le même milieu social »- , ou encore des valeurs partagées : « oui (même milieu social), on n’a aucune différence dans nos conceptions de la vie, on a les mêmes valeurs »,

 

B. Des approches qualitatives pour comprendre le sens que les individus donnent à leur mobilité

De nombreux travaux peuvent être mobilisés ici, nous n’en citerons qu’un : « Celles qui restent la fausse inertie des jeunes diplômées du coin » Sophie orange dans Une génération sacrifiée ? jeunes des classes populaires dans la France désindustrialisée, sou la direction de Stéphane Beaud et Gérard Mauger (Vous trouverez un autre exemple dans le dossier documentaire).

Cet article part du constat que l’accès aux diplômes et le départ vers les villes se sont progressivement imposés aux jeunes, aggravant l’éclatement des milieux populaires et accentuant le vieillissement des campagnes. Le devenir de ceux qui restent dans les campagnes  fait l’objet d’un moindre intérêt sociologique jusqu’ici. Pourtant ces jeunes ont également bénéficié d’un allongement de la scolarité: ainsi, un certain nombre de jeunes femmes, après un BTS obtenu dans le lycée du secteur, s’installent à proximité de leur famille et occupent des emplois d’exécution pour lesquels elles sont surqualifiées. Cela ressemble à  un surplace géographique et social.

Mais l’enquête permet de comprendre que ces jeunes femmes appartiennent dans la majorité des cas, à la première génération de leur lignée qui accède au baccalauréat puis à l’enseignement supérieur. Ces jeunes diplômées restées au pays jouissent de l’aura de l’ascension sociale sans fuir le territoire et rompre les attaches, et sont créditées de la fidélité aux origines alors même qu’elles s’en éloignent.

L’enquête révèle que c’est le maintien sur leur lieu d’origine qui permet de tenir ensemble carrière professionnelle, maternité et conjugalité, ainsi que les loisirs. En effet la proximité de la famille et parfois de la belle famille favorisent la possibilité la pratiques d’activités culturelles et /ou de loisirs, malgré la présence d’enfants, caractéristiques des pratiques des classes moyennes. Par ailleurs le moindre coût du logement en milieu rural permet aux couples d’accéder à un habitat individuel.

L’inertie géographique de ces jeunes femmes est donc de manière paradoxale le moyen de concilier le travail salarié féminin, l’injonction aux études longues et le style de vie des classes moyennes.

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