Question 4. Comprendre que la pluralité des influences socialisatrices peut être à l'origine de trajectoires individuelles improbables.

Synthèse

Déroulé du chapitre :

Question 1. Comprendre comment les individus expérimentent et intériorisent des façons d’agir, de penser et d’anticiper l’avenir qui sont socialement situées et qui sont à l’origine de différences de comportements, de préférences et d’aspirations.

Question 2. Comprendre comment la diversité des configurations familiales modifie les conditions de la socialisation des enfants et des adolescents.

Question 3. Comprendre qu’il existe des socialisations secondaires (professionnelle, conjugale, politique) à la suite de la socialisation primaire.

Question 4. Comprendre que la pluralité des influences socialisatrices peut être à l'origine de trajectoires individuelles improbables.

 

Conforme au programme officiel (BO)

La pluralité des influences socialisatrices peut être à l’origine de trajectoires individuelles improbables.

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Une vaste enquête sur les pratiques culturelles des Français a permis au sociologue Pierre Bourdieu (1930-2002) de proposer une analyse de la structure sociale basée sur les conditions sociales de production du goût.

Par exemple, il relie certaines pratiques sociales (alpinisme, fréquentation des musées, écoute de musique classique) aux groupes sociaux dotés d’un fort capital culturel comme les professeurs d’université ou les professions libérales.

Plus largement Pierre Bourdieu postule une correspondance entre la hiérarchie des œuvres (légitimes, moyennes ou vulgaires) et la hiérarchie sociale (classe dominante, moyenne ou populaire).

Richard A. Peterson défend l’idée d’un « passage à des goûts omnivores ». Avec son collègue A. Simkus, le sociologue américain propose le terme d’« omnivorité » pour souligner que les classes supérieures diplômées se distinguent par l’éclectisme de leurs goûts.

Par exemple, dans le domaine musical, ils vont écouter des formes savantes de musique classique et, en même temps, des groupes folkloriques populaires. Les classes populaires se singularisent plutôt par la restriction du champ de leur goût (dont la figure limite serait le « fan »).

Il y a donc toujours des goûts et des pratiques qui sont des marqueurs de statuts sociaux mais ils se modifient au cours du temps.

Notons qu’il ne contredit pas le modèle de la légitimité culturelle : l'éclectisme des classes supérieures reste un signe de domination symbolique mais il veut prendre en compte, avec d’autres sociologues, les résultats des nouvelles enquêtes empiriques :

  • la position sociale n’est pas la seule variable explicative des pratiques culturelles ;
  • les « pratiques culturelles » se sont élargies à d’autres formes de loisirs comme la photographie ou le sport ;
  • la massification scolaire, les transformations socioprofessionnelles, le poids croissants des médias, des industries culturelle, des réseaux sociaux numériques, etc. obligent le sociologue à réactualiser ses analyses. Le développement des industries culturelles ont modifié les modèles de la légitimité culturelle ;
  • il faut prendre en compte les différences de sexe, d'âge, d’origines géographiques, etc.

Il n’y a donc plus de stricte correspondance entre position sociale et préférences esthétiques.

Philippe Coulangeon, étudiant les goûts musicaux des Français, montre que le modèle de la légitimité culturelle n’est pas révolu (la musique « savante » reste écoutée par les classes supérieures) mais il souligne aussi que l'appartenance de classe n'explique pas la totalité des goûts (et des dégoûts). La pratique d'un instrument ou l'âge sont des variables explicatives pour l’écoute du rock ou du rap. Il invite donc à « corriger » le modèle de la légitimité culturelle proposé par Pierre Bourdieu par le modèle « omnivore/univore » (ou modèle de l'éclectisme culturel).

De plus, comprendre la socialisation des jeunes c’est aussi intégrer les nouvelles pratiques, notamment les expériences d’immersion dans un pays étranger dans le cadre de ses études comme l’illustre le programme Erasmus.

Pour le sociologue Vincenzo Cicchelli, les étudiants du programme Erasmus, connaissent une socialisation cosmopolite, soit « le processus d’apprentissage de la part des individus des dimensions transnationales du monde qui les entoure ».

La socialisation n’est donc pas uniquement liée au cadre local et national. Les individus peuvent avoir des cercles d’appartenances supranationaux voire transnationaux.

Soulignons que le cosmopolitisme des jeunes Européens ne se traduit pas par une citoyenneté universelle : pour se déclarer Européen, il faut d’abord passer par une identité nationale !

Plus largement, pour Vincenzo Cicchelli, il existe une « condition humaine collective » comme l’illustre les phénomènes transnationaux comme les compétitions sportives (cf. FIFA, coupe d’Europe, CAN, etc.) ou la « dénationalisation » de certains sujets majeurs (changement climatique, risques terroristes, crise des réfugiés). Il constate que nos sociétés connaissent « un degré inédit d’interconnexion ». Il questionne alors les États-nations et les frontières. Il identifie un « esprit du cosmopolitisme », qui est le désir de vivre dans une pluralité de cultures et de nationalités.

Le sociologue français Bernard Lahire invite à ne plus considérer l'individu comme le représentant d'un groupe mais comme le produit complexe et singulier d'expériences socialisatrices multiples.

Les individus connaissent des expériences socialisatrices multiples en famille, à l’école, dans le voisinage, etc. qui instillent des normes et des valeurs qui ne sont pas toutes convergentes.

De plus, quelle que soit l’institution socialisatrice (famille, école, association, etc.), elle ne peut exercer un contrôle total sur ses normes et ses valeurs.

Les individus ont donc le choix, certes encadrés, entre différents modèles de socialisation différents souvent concurrents, parfois contradictoires.

Le concept de socialisation est un outil pour analyser comment, dans des sociétés hautement différenciées, chaque individu se structure à partir de différentes expériences socialisatrices. Il s’agit de montrer la complexité de l’être humain qui n’est pas totalement déterminé ni absolument libre.

Dans une société différenciée, où les individus sont socialisés par de multiples instances de socialisation, où les injonctions à suivre des normes et adhérer à des valeurs sont nombreuses et parfois contradictoires, il y a peu de chance de trouver des individus ayant une homogénéité de ses dispositions. Ce qui est courant dans la société française, c’est d'observer des individus porteurs d'habitudes, de normes, de valeurs, de dispositions disparates et opposées : l’homme moderne est un « homme pluriel ».

Le sociologue français Bernard Lahire invite donc à envisager un « homme pluriel » pour comprendre les « ressorts de l’action ». Ses réflexions visent à montrer les différentes facettes qui permettent de comprendre les singularités de la vie sociale.

Par exemple, un(e) adolescent(e) n’est pas qu’un lycée(ne) mais aussi un fils ou une fille, un frère ou une sœur, etc. Il ou elle consomme, exerce une pratique sportive, s’engage dans des causes (téléthon, soutien scolaire, associations, syndicats, partis, etc.), fréquente certains réseaux sociaux numériques,… Comme tous les individus d’une société, l’élève vit simultanément et successivement des expériences sociales hétérogènes. Ces dernières peuvent être cohérentes et stables (fréquentation de personnes du même âge, ayant les mêmes origines sociales, partageant les mêmes normes et valeurs) mais elles sont parfois contradictoires.

Pour faire face à ces situations, les individus sont porteurs d’une multiplicité de dispositions : ils savent mobiliser différentes façons de voir, de sentir et d’agir.

Les acteurs incorporent donc une multiplicité de représentation, de guide d'action ou d'habitudes. Le sociologue doit éviter une vision trop homogène de l'homme qui serait doté de caractéristiques (habitus, normes, style de vie) stables. Il doit, au contraire, rendre compte des modèles d'action différents et contradictoires mobilisé par des individus qui ont des rôles (scolaire, enfant, parent, ami, conjoint, client, actif occupé, etc.) différents.

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Notions

Les pratiques culturelles regroupent les fréquentations des équipements culturelles, les pratiques amateurs, la lecture, l'audiovisuel domestiques, les sorties, mais aussi le bricolage et le jardinage.
Tendance pour un groupe ou un individu à emprunter ses pratiques de consommation à différents milieux sociaux, en fonction de celles qui apparaissent les plus adaptées dans un moment et à une situation donnés.
Ensemble des ressources culturelles dont dispose un individu, comprenant des compétences culturelles incorporées telles que les capacités langagières, les savoir-faire, ou encore les capacités intellectuelles, et se mesurent par la détention de diplômes, l'observation de pratiques culturelles, et la possession d'objets culturels (livres, tableaux,...).

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