Question 4. Comprendre que la pluralité des influences socialisatrices peut être à l'origine de trajectoires individuelles improbables.

Sommaire

La pluralité des influences socialisatrices peut être à l’origine de trajectoires individuelles improbables.

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Une vaste enquête sur les pratiques culturelles des Français a permis au sociologue Pierre Bourdieu (1930-2002) de proposer une analyse de la structure sociale basée sur les conditions sociales de production du goût.

Par exemple, il relie certaines pratiques sociales (alpinisme, fréquentation des musées, écoute de musique classique) aux groupes sociaux dotés d’un fort capital culturel comme les professeurs d’université ou les professions libérales.

Plus largement Pierre Bourdieu postule une correspondance entre la hiérarchie des œuvres (légitimes, moyennes ou vulgaires) et la hiérarchie sociale (classe dominante, moyenne ou populaire).

Richard A. Peterson défend l’idée d’un « passage à des goûts omnivores ». Avec son collègue A. Simkus, le sociologue américain propose le terme d’« omnivorité » pour souligner que les classes supérieures diplômées se distinguent par l’éclectisme de leurs goûts.

Par exemple, dans le domaine musical, ils vont écouter des formes savantes de musique classique et, en même temps, des groupes folkloriques populaires. Les classes populaires se singularisent plutôt par la restriction du champ de leur goût (dont la figure limite serait le « fan »).

Il y a donc toujours des goûts et des pratiques qui sont des marqueurs de statuts sociaux mais ils se modifient au cours du temps.

Notons qu’il ne contredit pas le modèle de la légitimité culturelle : l'éclectisme des classes supérieures reste un signe de domination symbolique mais il veut prendre en compte, avec d’autres sociologues, les résultats des nouvelles enquêtes empiriques :

  • la position sociale n’est pas la seule variable explicative des pratiques culturelles ;
  • les « pratiques culturelles » se sont élargies à d’autres formes de loisirs comme la photographie ou le sport ;
  • la massification scolaire, les transformations socioprofessionnelles, le poids croissants des médias, des industries culturelle, des réseaux sociaux numériques, etc. obligent le sociologue à réactualiser ses analyses. Le développement des industries culturelles ont modifié les modèles de la légitimité culturelle ;
  • il faut prendre en compte les différences de sexe, d'âge, d’origines géographiques, etc.

Il n’y a donc plus de stricte correspondance entre position sociale et préférences esthétiques.

Philippe Coulangeon, étudiant les goûts musicaux des Français, montre que le modèle de la légitimité culturelle n’est pas révolu (la musique « savante » reste écoutée par les classes supérieures) mais il souligne aussi que l'appartenance de classe n'explique pas la totalité des goûts (et des dégoûts). La pratique d'un instrument ou l'âge sont des variables explicatives pour l’écoute du rock ou du rap. Il invite donc à « corriger » le modèle de la légitimité culturelle proposé par Pierre Bourdieu par le modèle « omnivore/univore » (ou modèle de l'éclectisme culturel).

De plus, comprendre la socialisation des jeunes c’est aussi intégrer les nouvelles pratiques, notamment les expériences d’immersion dans un pays étranger dans le cadre de ses études comme l’illustre le programme Erasmus.

Pour le sociologue Vincenzo Cicchelli, les étudiants du programme Erasmus, connaissent une socialisation cosmopolite, soit « le processus d’apprentissage de la part des individus des dimensions transnationales du monde qui les entoure ».

La socialisation n’est donc pas uniquement liée au cadre local et national. Les individus peuvent avoir des cercles d’appartenances supranationaux voire transnationaux.

Soulignons que le cosmopolitisme des jeunes Européens ne se traduit pas par une citoyenneté universelle : pour se déclarer Européen, il faut d’abord passer par une identité nationale !

Plus largement, pour Vincenzo Cicchelli, il existe une « condition humaine collective » comme l’illustre les phénomènes transnationaux comme les compétitions sportives (cf. FIFA, coupe d’Europe, CAN, etc.) ou la « dénationalisation » de certains sujets majeurs (changement climatique, risques terroristes, crise des réfugiés). Il constate que nos sociétés connaissent « un degré inédit d’interconnexion ». Il questionne alors les États-nations et les frontières. Il identifie un « esprit du cosmopolitisme », qui est le désir de vivre dans une pluralité de cultures et de nationalités.

Le sociologue français Bernard Lahire invite à ne plus considérer l'individu comme le représentant d'un groupe mais comme le produit complexe et singulier d'expériences socialisatrices multiples.

Les individus connaissent des expériences socialisatrices multiples en famille, à l’école, dans le voisinage, etc. qui instillent des normes et des valeurs qui ne sont pas toutes convergentes.

De plus, quelle que soit l’institution socialisatrice (famille, école, association, etc.), elle ne peut exercer un contrôle total sur ses normes et ses valeurs.

Les individus ont donc le choix, certes encadrés, entre différents modèles de socialisation différents souvent concurrents, parfois contradictoires.

Le concept de socialisation est un outil pour analyser comment, dans des sociétés hautement différenciées, chaque individu se structure à partir de différentes expériences socialisatrices. Il s’agit de montrer la complexité de l’être humain qui n’est pas totalement déterminé ni absolument libre.

Dans une société différenciée, où les individus sont socialisés par de multiples instances de socialisation, où les injonctions à suivre des normes et adhérer à des valeurs sont nombreuses et parfois contradictoires, il y a peu de chance de trouver des individus ayant une homogénéité de ses dispositions. Ce qui est courant dans la société française, c’est d'observer des individus porteurs d'habitudes, de normes, de valeurs, de dispositions disparates et opposées : l’homme moderne est un « homme pluriel ».

Le sociologue français Bernard Lahire invite donc à envisager un « homme pluriel » pour comprendre les « ressorts de l’action ». Ses réflexions visent à montrer les différentes facettes qui permettent de comprendre les singularités de la vie sociale.

Par exemple, un(e) adolescent(e) n’est pas qu’un lycée(ne) mais aussi un fils ou une fille, un frère ou une sœur, etc. Il ou elle consomme, exerce une pratique sportive, s’engage dans des causes (téléthon, soutien scolaire, associations, syndicats, partis, etc.), fréquente certains réseaux sociaux numériques,… Comme tous les individus d’une société, l’élève vit simultanément et successivement des expériences sociales hétérogènes. Ces dernières peuvent être cohérentes et stables (fréquentation de personnes du même âge, ayant les mêmes origines sociales, partageant les mêmes normes et valeurs) mais elles sont parfois contradictoires.

Pour faire face à ces situations, les individus sont porteurs d’une multiplicité de dispositions : ils savent mobiliser différentes façons de voir, de sentir et d’agir.

Les acteurs incorporent donc une multiplicité de représentation, de guide d'action ou d'habitudes. Le sociologue doit éviter une vision trop homogène de l'homme qui serait doté de caractéristiques (habitus, normes, style de vie) stables. Il doit, au contraire, rendre compte des modèles d'action différents et contradictoires mobilisé par des individus qui ont des rôles (scolaire, enfant, parent, ami, conjoint, client, actif occupé, etc.) différents.

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Documents et exercices

Document 19. Les pratiques culturelles des Français : genres de musique écoutés le plus souvent

Facile

 

Question 1 : Faites une phrase avec la première donnée « 68 »

Question 2 : Peut-on identifier des différences dans les genres de musique écoutés le plus souvent entre les sexes ?

Question 3 : L’âge est-il un critère discriminant des genres de musique écoutés le plus souvent ?

Question 4 : Le lieu d’habitation est-il un élément à prendre en compte dans l’analyse des pratiques culturelles des Français ?

Question 5 : La catégorie socioprofessionnelle est-elle un marqueur important des goûts musicaux ?

Document 20. Natifs du numérique (digital natives) ?

Facile

 

TO CODE OR NOT TO CODE II : ENTRETIEN AVEC ELISABETH SCHNEIDER

2 juin 2015 | Cahier 2, Dossiers

 

Vous êtes spécialiste de l’usage du numérique chez les adolescents et les jeunes adultes. A ce titre, vous avez beaucoup travaillé sur les modes d’apprentissage et de socialisation via internet. Quels sont les grands constats que vous faites aujourd’hui ?

Elisabeth Schneider. Le premier constat est que l’expression digital natives ne rime à rien. C’est surtout un argument marketing, que les jeunes eux-mêmes ne connaissent pas. Dire que les jeunes sont à l’aise avec le numérique ne signifie pas grand-chose en soi car ils ont des rapports complexes et différents de ceux des adultes aux outils numériques. Par exemple, des usages que l’on pourrait estimer comme étant sans intérêt, comme ce qu’on juge être des pertes de temps sur les réseaux sociaux, doivent être pris au sérieux.

Cet usage des réseaux sociaux suffit à faire d’eux des internautes compétents ?

La notion de compétence est extrêmement plurielle : publier sur des réseaux sociaux requiert de nombreuses compétences, de lecture/écriture, de compréhension de la plateforme… qui ne sont pas innées. On le voit, par exemple, lors d’un changement d’interface. Pour certains, le coût cognitif d’utilisation de ladite interface est trop grand et ils vont abandonner. D’autres vont échanger entre pairs pour apprendre à s’en servir. On observe donc que les jeunes ne sont pas du tout experts dans leurs usages des réseaux sociaux. Plus généralement, une des illusions qui dominent le numérique est qu’il n’est plus nécessaire d’apprendre à utiliser l’outil. L’outil ferait l’usage et rendrait autonome, c’est faux.

(…)

Est-ce que vous pensez que les jeunes ont conscience de leurs difficultés ?

Ils sont bien conscients qu’ils ne sont pas performants, mais en même temps, s’ils n’ont pas les ressources pour développer des compétences, ils préfèrent taire leurs difficultés. Ils vont se dire « je ne sais pas faire ce truc-là, donc j’ai tout intérêt à ne pas en avoir besoin », ou nier leurs lacunes en déclarant « de toute façon, il est pourri ce site ».

Et le code dans tout ça ? Est-ce déconnecté des besoins des jeunes ?

Je ne pense pas, il y a un certain nombre de jeux plébiscités par les jeunes, comme Minecraft, y compris des jeunes qui sont en difficulté scolaire, qui leur demandent d’utiliser du code. Sur des sites comme Jeuvidéo.com, vous les verrez échanger des lignes de code pour débloquer tel ou tel niveau du jeu, sur Youtube vous pouvez visionner les tutoriels qu’ils consacrent à cette activité… Agir, fabriquer et modifier le jeu dans son architecture commence à intégrer leur culture. C’est en partie pour cette raison que la question du code dans les programmes scolaires n’est pas complètement déconnectée de leurs besoins. D’une manière plus générale, si nous souhaitons, à l’avenir, ne pas être complètement asservis à des systèmes marchands, comprendre et avoir la maîtrise technique de ce qu’on laisse en ligne, il faudra posséder les compétences techniques qui nous permettront de pouvoir agir sur nos outils.

Les Cahiers Connexion solidaire

https://www.inclusion-numerique.fr/pratiques-numeriques-des-jeunes-entretien-avec-elisabeth-schneider/

 

Question 1 : Qu’est-ce que la socialisation ? La socialisation au numérique est-elle un processus inné ?

Question 2 : Que veux dire l’expression « coût cognitif » ?

Question 3 : L’apprentissage du code est-il nécessaire à la socialisation numérique ?

Question 4 : Selon vous, le concept de « natifs du numérique » (digital natives) est-il pertinent ?

Document 21. Le passage à des goûts omnivores selon Richard A. Peterson

Facile

À toutes les époques, les marqueurs d’un statut élevé semblent naturels, c’est-à-dire évidents et inaltérables. Pourtant, la lecture de l’histoire laisse voir la fragilité temporelle de ces marqueurs inaltérables de statut. (…) L’ère du capitalisme industriel bourgeois se caractérisait par une nette distinction entre, d’une part, les arts qui étaient perçus comme des symboles ennoblissant de vertu, de vérité et de beauté et, d’autre part, les divertissements populaires grossiers en dehors de sa classe.

(…)

Dans l’ensemble, les sociologues n’ont pas remis en question ou analysé l’hégémonie du snobisme intellectuel avant 1979, année où Pierre Bourdieu a publié sa monographie avant-gardiste La distinction. Critique sociale du jugement. Ce livre ainsi que les autres ouvrages de Bourdieu et de ses collègues sont importants pour deux raisons. Tout d’abord, la théorie complexe que les auteurs intègrent à leurs travaux se centre pour la première fois sur les notions de capital culturel, habitus, goût, domination et violence symbolique, et elle fournit une base théorique pour conceptualiser les liens entre le goût, le statut et la classe sociale incarnés par l’intellectuel snob du capitalisme bourgeois et sa contrepartie, le rustre vulgaire du prolétariat. En deuxième lieu, l’ouvrage ne se fonde pas sur des hypothèses et sur l’observation de petits groupes, mais sur le questionnaire complexe d’une enquête menée en 1963 et à nouveau en 1967-1968 auprès de 1 217 répondants de Paris, de Lille et d’une « petite ville de province ». Parce que Bourdieu avait documenté avec soin le plan de son enquête, il a été assez facile de la reproduire par la suite.

Au départ, la thèse de Bourdieu a été fortement contestée, mais depuis quelques décennies des chercheurs l’ont testée dans différents pays afin de voir si elle s’appliquait ailleurs que dans la France de la fin des années 1960. Dans cet article, je m’attache à un aspect, celui de la composition du capital culturel en dehors de cette période et de ce pays. Je montrerai que même si les caractéristiques du snobisme intellectuel reposent sur la glorification des arts et le dédain des divertissements populaires, le capital culturel apparaît de plus en plus comme une aptitude à apprécier l’esthétisme différent d’une vaste gamme de formes culturelles variées qui englobent non seulement les arts, mais aussi tout un éventail d’expressions populaires et folkloriques. Parce que cette règle du goût se caractérise notamment par la capacité d’apprécier une vaste gamme de formes culturelles, mes collègues et moi l’avons appelée « l’omnivorité ».

(…)

Nous avons constaté que, comme prévu, les emplois supérieurs étaient associés à la musique classique et à l’opéra et qu’il y avait une plus grande probabilité que ces répondants de statut élevé participent à toutes les activités artistiques. Toutefois, à notre grande surprise, ceux qui occupaient des emplois supérieurs avaient également tendance à s’intéresser plus souvent que les autres à une vaste gamme d’activités de statut inférieur, tandis que ceux qui occupaient des emplois inférieurs avaient une gamme d’activités culturelles limitée. Ces résultats, qui contredisaient la distinction courante entre l’exclusivisme de l’intellectuel snob et le manque de discrimination du rustre vulgaire, nous ont amenés à penser que les répondants de statut élevé avaient peut-être des goûts plus « omnivores », tandis que ceux qui se situaient au bas de la hiérarchie sociale étaient plus « univores ». (…)

(…)

En fait, notre théorie elle-même, c’est-à-dire l’opposition omnivore-univore, n’est pas immuable. De tels néologismes durent rarement longtemps, mais ils ont l’avantage de montrer que cette façon de conceptualiser le goût présente des aspects novateurs et mérite l’attention. (…)

La notion d’un goût non limité convient à la situation que nous avons décrite ; pourtant, même si le cosmopolitisme fait référence à un goût qui transcende les frontières nationales, le mot omnivorité nous semble plus approprié, car il sous-entend des goûts qui franchissent non seulement les frontières des nations, mais aussi celles des classes sociales, des sexes, des ethnies, des religions, des âges ou d’autres frontières similaires.

Le passage à des goûts omnivores

Richard A. Peterson

 

Question 1 : Recherchez. Qui est Pierre Bourdieu ?

Question 2 : Quels liens peut-on faire entre goût et la classe sociale ?

Question 3 : Qu’est-ce que « l’omnivorité ». Donnez un exemple.

 

Document 22. Comprendre la stratification sociale des goûts musicaux

Facile

A la maison, en voiture, dans les magasins comme au restaurant, la musique est partout. L’omniprésence de la musique dans le quotidien, décuplée par la multiplication des supports offerts par le développement des technologies numériques, s’accompagne d’une diversification de ses usages, de l’écoute recueillie à la pratique active, en passant par les modalités les plus ouvertement décoratives (musique de fond, musique d’ambiance). Cette diversification amplifie la différenciation des styles et des genres, qui remplit une fonction centrale dans l’économie du domaine musical. (…)

Les préférences exprimées en matière musicale demeurent par ailleurs particulièrement « classantes ». (…) Les goûts musicaux constituent de ce fait de longue date un objet de recherche régulièrement investi par la sociologie des pratiques culturelles.

On se propose notamment d’évaluer la portée de l’opposition entre le modèle de la légitimité culturelle (Bourdieu, 1979) et l’hypothèse « Omnivore/Univore » (Peterson, 1992), qui structure très fortement le champ des recherches sur la stratification sociale des goûts depuis le début des années quatre-vingt-dix.

La théorie de la légitimité culturelle

La robustesse des liens qui unissent l’orientation des préférences esthétiques aux variables de statut, d’origine sociale et de capital culturel est empiriquement largement attestée (Bourdieu, 1979).

Elle est au cœur de la sociologie de Bourdieu, qui produit une vision de l’espace des préférences unifiée par une conception fonctionnaliste du lien entre l’appartenance aux classes supérieures, le goût des arts savants et le rejet simultané des arts populaires. Cette conception est toutefois perturbée, depuis le début des années quatre-vingt-dix, par une série de travaux empiriques qui mettent en évidence une progression de l’éclectisme des goûts des classes supérieures, en particulier dans le domaine musical.

(…) Cette conception exige une vision unifiée et hiérarchisée de l’espace des styles de vie qui est au principe de la théorie de la légitimité culturelle. Selon cette approche, le style de vie des élites, par les comportements d’imitation qu’il suscite au sein des autres catégories sociales, favorise l’intégration culturelle de la société dans son ensemble. Cette vision fonctionnaliste de la distribution sociale des goûts se fonde principalement sur l’idée d’une intériorisation, à tous les niveaux de la structure sociale, de la hiérarchie des préférences culturelles, que manifeste l’opposition entre les arts savants et les arts populaires.

L’hypothèse Omnivore/Univore et l’affaiblissement de la frontière entre genres savants et genres populaires

Peterson et Simkus apportent une inflexion importante au modèle de la légitimité culturelle, en montrant que les classes supérieures diplômées ne se distinguent pas seulement des autres catégories par un penchant particulier pour la musique savante, mais aussi par l’éclectisme de leurs goûts. À l’opposé, c’est parmi les classes populaires que l’on rencontre le plus grand nombre d’amateurs exclusifs, dont les « fans » représentent le cas de figure extrême. Les « snobs », qui se caractérisent par l’expression d’un goût exclusif pour la musique savante, cèdent le pas aux « omnivores », dont les préférences se portent simultanément sur des genres situés dans et hors du champ de la musique savante.

Le constat de la montée de l’éclectisme des goût musicaux des classes supérieures s’intègre dans une réflexion plus large sur le déclin du rôle de la fréquentation des arts savants dans l’identification symbolique du mode de vie des groupes sociaux, lié au développement des industries culturelles, qui mettent formellement une grande diversité de produits culturels à la portée du plus grand nombre du fait de l’unification nationale, voire transnationale des marchés de la production culturelle et dont découle un certain décloisonnement des arts savants et des arts populaires, l’élargissement du périmètre des arts subventionnés, (…).

(…) la production industrielle des biens symboliques et l’avènement de la société des loisirs auraient progressivement fait perdre aux élites culturelles le monopole qu’elles exerçaient auparavant dans la

production des normes et des échelles de valeur esthétique, au profit de la coexistence d’une pluralité d’échelles de jugements, d’une « invasion démocratique » du monde des arts (Michaud, 1997), qui mettent en cause le modèle unificateur de la légitimité culturelle qui est au principe des phénomènes de domination symbolique décrits par Pierre Bourdieu. Il n’est pourtant pas assuré que ce brouillage des frontières entre arts savants et arts populaires suffise à invalider le modèle de la légitimité culturelle.

Philippe Coulangeon (2003) La stratification sociale des goûts musicaux. Le modèle de la légitimité culturelle en question, Revue française de sociologie 2003/1 (Vol. 44)

Questions : 

Question 1 : Pourquoi, selon-vous, l’auteur affirme que les préférences exprimées en matière musicale demeurent sont particulièrement « classantes ». Donnez des exemples.

Question 2 : Selon le sociologue français Pierre Bourdieu (1930-2002), l’appartenance aux classes supérieures est-il synonyme de rejet goûts populaires ?

Question 3 : Selon le sociologue américain Richard Peterson (1932-2010), l’appartenance aux classes supérieures est-il synonyme de rejet goûts populaires ?

Question 4 : Quelle est selon vous, l’avis de Philippe Coulangeon ?

Document 23. Une socialisation cosmopolite (épisode 1) : les productions culturelles ont une diffusion mondiale

Facile

 

Question 1 : Pouvez-vous identifier ces productions culturelles ?

Question 2 : Pensez-vous qu’il existe beaucoup de pays dans lesquels les jeunes ne pourraient pas identifier ces productions culturelles ? Qu’en déduisez-vous ?

Question 3 : Quel est le rôle des médias dans la diffusion des normes et de valeurs ?

Document 24. Une socialisation cosmopolite (épisode 2) : Erasmus, le voyage d’études élargit les apprentissages

Facile

Comment enquête-t-on sur la socialisation cosmopolite ?

Vincenzo Cicchelli

Dans un monde traversé par des vastes phénomènes globaux qui modifient profondément les sociétés nationales, l’une des questions qui se posent à la sociologie est de mieux comprendre la production des individus contemporains dans des contextes sociaux globalisés. (…)

La sociologie du cosmopolitisme s’arrête, quant à elle, trop souvent au stade de l’analyse des grands récits globaux, des mécanismes de fonctionnement des sociétés contemporaines – tels la production des imaginaires collectifs, les hybridations et autres dynamiques culturelles. En se désintéressant de la vie quotidienne (…)

En partant du constat que « les gens font soudainement l’expérience de vivre dans un monde très étrange et sont confrontés à toute sorte d’étrangetés », (…) la question essentielle se posant aux individus à l’ère de la globalisation est « comment vivre avec l’altérité, la différence culturelle, au quotidien et en permanence ». (…)

La socialisation cosmopolite sera ici définie comme le processus d’apprentissage de la part des individus des dimensions transnationales du monde qui les entoure. Elle entend saisir la façon dont les acteurs sociaux font l’expérience du monde global et y agissent, en se penchant sur les dynamiques et les contenus que prend l’apprentissage du rapport entre soi-même et Autrui d’une part, sur les échelles d’appartenance sur lesquelles les mêmes individus se situent d’autre part. Plus largement, rendre opérationnelle l’approche cosmopolite par « le bas », signifie également se demander dans quelle mesure – et à quelles conditions – la nation peut encore être une source de production des imaginaires de l’appartenance et des formes du lien social dans un monde désenclavé qui semble de plus en plus dissocier les vies individuelles des contextes nationaux de socialisation et où les contacts permanents avec les différences génèrent une multiplicité des références culturelles et identitaires.

(…)

La croyance dans la profonde unité humaine, l’existence d’obligations morales envers autrui, l’ouverture à l’égard de la diversité des cultures sont sans aucun doute les traits les mieux partagés dans l’imaginaire historique occidental du cosmopolitisme entendu comme un idéal de vie. 

Toutefois l’idéal-type du cosmopolite que l’on pourrait brosser à partir de ces traits ne saurait, à lui tout seul, nous aider à saisir comment les idées, les récits, les valeurs cosmopolites façonnent les expériences quotidiennes et s’inscrivent dans des pratiques, comment les individus et les groupes donnent un sens à leur identité et à leurs rencontres sociales d’une façon que l’on pourrait appeler « cosmopolite ». 

Question 1 : Recherchez : Qu’est-ce qu’Erasmus ?

Question 2 : Quels liens peut-on faire entre le programme Erasmus et la socialisation des étudiants qui en bénéficient ?

Question 3 : Que nous apporte le concept de « socialisation cosmopolite » ?

Question 4 : Proposez d’autres exemples d’expérience qui favorisent une « socialisation cosmopolite » ?

Document 25. L'homme pluriel (I). La sociologie à l'épreuve de l'individu

Facile

La sociologie a longtemps considéré que l'homme était uniformément façonné par son milieu social. Or, dans nos sociétés, de plus en plus d'individus sont amenés à incorporer des façons différentes de penser et de se comporter : on peut en même temps être ouvrier, aimer le football, apprécier la musique classique, être écologiste...

A vouloir expliquer les pratiques et les comportements collectifs, les sociologues ont élaboré une vision homogène de l'homme : celui-ci serait d'un « bloc », façonné par un ensemble stable de principes (habitus, schèmes, normes, style de vie...) (…) Or, l'observation montre que les acteurs incorporent des modèles d'action différents et contradictoires. Un même individu pourra être tour à tour au cours de sa vie, ou simultanément selon les contextes, écolier, fils, père, copain, amant, gardien de but, enfant de choeur, client, directeur, militant... Au-delà du simple jeu des rôles sociaux, cette disparité renvoie à une diversité de modèles de socialisation. On peut donc faire l'hypothèse de l'incorporation, par chaque acteur, d'une multiplicité de schèmes d'action ou d'habitudes. Ce stock de modèles, plus ou moins étendu selon les personnes, s'organise en répertoires, que l'individu activera en fonction de la situation.

Or, les sciences sociales ont longtemps vécu sur la vision homogénéisatrice de l'homme en société. (…) De fait, au début du siècle, les sociologues dessinaient les portraits typiques du bourgeois, du paysan, de l'étranger, de l'ouvrier. Dès lors, le cas illustratif ne peut qu'apparaître caricatural aux yeux de ceux qui ne considèrent plus seulement l'individu comme le représentant d'un groupe, mais comme le produit complexe et singulier d'expériences socialisatrices multiples. La personnalité et les attitudes d'un individu donné résultent de ce qu'il a appris à l'école, dans sa famille, son métier, ses loisirs, ses voyages, de sa vie associative, religieuse, sentimentale... C'est la saisie du singulier qui force à voir la pluralité : le singulier est nécessairement pluriel.

Bernard Lahire (1998) L'Homme pluriel. Les ressorts de l'action, Nathan, « Essais et Recherches »

Bernard Lahire est professeur de sociologie à l'université Louis-Lumière Lyon-II,

Question 1 : Selon Bernard Lahire, l’individu se socialise dans un seul contexte ? Donnez un exemple

Question 2 : Donnez un exemple d’instance de socialisation qui diffusent des valeurs et des modèles de comportement qui peuvent être en opposition radicale les uns aux autres

Question 3 : Expliquer la phrase « le singulier est nécessairement pluriel »

Document 26. L'homme pluriel (II). Pluralité des contextes, pluralité des habitudes

Facile

Les moments de la vie où se constituent les différentes habitudes ne sont pas tous équivalents.

On distingue notamment la période de socialisation « primaire » (essentiellement familiale) de toutes celles qui suivent et que l'on nomme « secondaires » (école, groupe de pairs, travail, etc.).

Cette distinction est certes importante : elle rappelle que l'enfant incorpore une série d'expériences sociales dans la plus grande dépendance socio-affective à l'égard des adultes. Elle conduit cependant souvent à se représenter le parcours individuel comme un passage de l'homogène (la famille) à l'hétérogène (l'école, le travail, les réseaux d'amis). Mais différentes observations empiriques viennent contredire ce schéma.

Tout d'abord, l'hétérogénéité est toujours présente au coeur de la configuration familiale, qui n'est jamais une institution totale parfaite. La différence ou la contradiction peut s'établir, selon les cas : entre l'« amusement » et l'« effort scolaire » ; entre une sensibilité très grande pour tout ce qui touche à l'école et une autre qui y est moins attachée ; entre une prédilection pour la lecture et des absences de pratiques et de goûts pour la lecture ; entre le contrôle moral très strict d'une mère et le laisser-faire d'un père qui vient contredire les efforts de la mère; entre des adultes analphabètes et des enfants qui sont en classe de terminale, etc.

Par ailleurs, la « superposition » des institutions primaire et secondaire est fréquemment perturbée par l'action socialisatrice très précoce d'univers sociaux différents : la nourrice (quelques jours ou quelques semaines après la naissance), la crèche (quelques mois seulement après la naissance de l'enfant), ou l'école maternelle (à partir de deux ans). Or, les programmes de socialisation de ces différents univers sociaux ne sont pas forcément harmonieux par rapport à ceux de la famille. Comment ne pas voir que, mis en crèche très tôt, l'enfant apprend que l'on n'attend pas la même chose de lui et que l'on ne le traite pas identiquement « ici et là » ? L'expérience de la pluralité des mondes a donc toutes les chances, dans nos sociétés ultra-différenciées, d'être précoce.

Enfin, les socialisations secondaires, même réalisées dans des conditions socio-affectives différentes, peuvent concurrencer le monopole familial. Les cas de « déclassés par le haut », de ceux que l'on appelle parfois les « transfuges de classes » (les enfants de classes défavorisées qui « s'en sortent » par les études), en sont un exemple des plus flagrants. Ces « miraculés » ont réussi à sortir de leur condition sociale d'origine par la voie scolaire, c'est-à-dire une matrice de socialisation radicalement contradictoire avec celle de leur famille.

Bernard Lahire (1998) L'Homme pluriel. Les ressorts de l'action, Nathan, « Essais et Recherches » Bernard Lahire est professeur de sociologie à l'université Louis-Lumière Lyon-II,

Question 1 : Rappelez la définition de la socialisation primaire

Question 2 : Le sociologue Bernard Lahire considère-t-il la famille comme une instance de socialisation qui inculque des normes et des valeurs homogènes. Donnez un exemple de comportement prévisible ?

Question 3 : Faites le lien entre le titre de l’ouvrage « Homme pluriel » et le constat d’une société différenciée

Exercice 1. L’homme pluriel

Facile

« La sociologie a longtemps considéré que l'homme était uniformément façonné par son milieu social. Or, dans nos sociétés, de plus en plus d'individus sont amenés à incorporer des façons différentes de penser et de se comporter : on peut en même temps être ouvrier, aimer le football, apprécier la musique classique, être écologiste...

A vouloir expliquer les pratiques et les comportements collectifs, les sociologues ont élaboré une vision homogène de l'homme : celui-ci serait d'un « bloc », façonné par un ensemble stable de principes (habitus, schèmes, normes, style de vie...).

 

Bernard Lahire (1998) L'Homme pluriel. Les ressorts de l'action, Nathan, « Essais et Recherches »

 

Questions 

1. Quel terme peut remplacer le mot « façonné » dans ce texte ?

2. Donnez une vision « homogène » d’un ouvrier.

3. Si l’habitus est une manière d’être, une disposition de l’esprit pourquoi refuser une « vision homogène de l’homme » ?

Exercice 2. Replacer les termes suivants dans le texte.

Difficile

Formes culturelles variées, violence symbolique, divertissements populaires, l’omnivorité, capital culturel, habitus.

Attention : un terme est utilisé deux fois

 

Dans l’ensemble, les sociologues n’ont pas remis en question ou analysé l’hégémonie du snobisme intellectuel avant 1979, année où Pierre Bourdieu a publié sa monographie avant-gardiste La Distinction. Ce livre ainsi que les autres ouvrages de Bourdieu et de ses collègues sont importants pour deux raisons. Tout d’abord, la théorie complexe que les auteurs intègrent à leurs travaux se centre pour la première fois sur les notions de ………..……. ……..………., ……………….., goût, domination et ………..……. ……..………., et elle fournit une base théorique pour conceptualiser les liens entre le goût, le statut et la classe sociale incarnés par l’intellectuel snob du capitalisme bourgeois et sa contrepartie, le rustre vulgaire du prolétariat. En deuxième lieu, l’ouvrage ne se fonde pas sur des hypothèses et sur l’observation de petits groupes, mais sur le questionnaire complexe d’une enquête menée en 1963 et à nouveau en 1967-1968 auprès de 1 217 répondants de Paris, de Lille et d’une « petite ville de province » (1979). Parce que Bourdieu avait documenté avec soin le plan de son enquête, il a été assez facile de la reproduire par la suite.

Dans cet article, je m’attache à un aspect, celui de la composition du ………..……. ……..……….en dehors de cette période et de ce pays. Je montrerai que même si les caractéristiques du snobisme intellectuel reposent sur la glorification des arts et le dédain des ………..……. ……..………., le capital culturel apparaît de plus en plus comme une aptitude à apprécier l’esthétisme différent d’une vaste gamme de ………..……. ……..……….qui englobent non seulement les arts, mais aussi tout un éventail d’expressions populaires et folkloriques. Parce que cette règle du goût se caractérise notamment par la capacité d’apprécier une vaste gamme de formes culturelles, mes collègues et moi l’avons appelée «……………… ».

Richard A. Peterson (2004) Le passage à des goûts omnivores : notions, faits et perspectives

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