COURS 1 : Les transformations des structures économiques et financières.

Sommaire

A. Analyse sur le long terme de l’évolution de la productivité

Deux périodes doivent être distinguées

1/ une croissance de la productivité depuis la révolution industrielle jusqu’en 1980

Les gains de productivité ont été importants dès les débuts de la révolution industrielle, même si la grande dépression (1873-1896) et la crise de 1929 viennent infléchir les chiffres sur plusieurs années.

Plusieurs facteurs permettent de comprendre l’origine de ces gains de productivité, on peut distinguer :

Les innovations technologiques :

L’innovation de produit : lancement d’un produit nouveau, donc l’apparition d’un nouveau marché, parfois la substitution à un produit ancien. Dans l’agriculture ces innovations de produits peuvent être illustrées par l’utilisation des premiers engrais à partir de 1850. Dans l’industrie on peut tout d’abord évoquer l’invention de la navette volante  en 1733 par John Kay, puis l’automatisation des machines à tisser et des machines à filer. Une étape décisive est franchie avec l’apparition de la machine à vapeur inventée par James Watt. De nombreuses innovations de produits vont jalonner l’histoire, on peut aussi penser au moteur à explosion, à l’électricité…

L’innovation de procédé : nouvelles techniques de production ou de commercialisation. Ces innovations de procédé ont été nombreuses depuis les débuts de la révolution industrielle. Ainsi dans l’agriculture on substitue à l’assolement triennal, qui consistait à laisser la terre en jachère une année sur trois, un assolement continu mais avec une rotation des cultures sur les mêmes parcelles. On découvre également que la production de certaines denrées permet de fertiliser les terres. Peu à peu on sélectionne également les semences. L’essor du machinisme, à travers des tracteurs ou des moissonneuses batteuses accélère encore les progrès. Les techniques d’élevage sont modifiées également : le bétail est regroupé en étable et mieux nourri grâce aux cultures fourragères. En grande Bretagne, dès la fin du XVIème siècle, les Enclosure Act contraignent les propriétaires  à clôturer leurs terres. Cela met à la fois fin aux pratiques d’open field qui permettaient  aux plus pauvres de bénéficier d’un usage communautaire des terres laissées en jachère pour les pâturages. Mais cela permet également par des opérations de remembrement d’obtenir des grandes exploitations qui dépassent les perspectives de l’autosuffisance et permettent d’envisager un capitalisme agraire.

 

Ces innovations sont radicales lorsque les produits n’ont aucun équivalent préexistant, elles sont incrémentales lorsqu’elles se traduisent par l’amélioration significative des performances de produits existants.

 

Les innovations organisationnelles : correspondent à de nouvelles formes d’organisation des entreprises ou des marchés.

A partir du milieu de la deuxième moitié du XIXème siècle, l’amélioration des moyens de transport joue également un rôle fondamental dans la croissance industrielle. Les voies de chemin de fer sont en construction partout en Europe occidentale favorisant la création de nombreux emplois. Le rail représente, en outre,  un débouché substantiel pour l’industrie métallurgique et un terreau favorable aux innovations : certains tunnels, certains viaducs s’appuient sur des prouesses techniques. L’extension du chemin de fer permet d’accroitre les débouchés de l’agriculture et de l’industrie. Les marchés s’étendent, les denrées agricoles peuvent également être vendues loin de leur lieu de production. Cela favorise la spécialisation en termes de production agricole des régions en fonction du climat et du sol. Les marchés nationaux s’unifient et les territoires se désenclavent.

Le transport maritime amorce également sa révolution : les bateaux à vapeur permettent d’acquérir régularité, vitesse et taille. Cela permet d’accroitre le transport des marchandises mais aussi des voyageurs : des lignes régulières sont mises en place sur l’Atlantique. L’ouverture de certains canaux permet de raccourcir les temps de transports maritimes (le canal de Suez est inauguré en 1869). Le commerce mondial se développe et la division internationale du travail se met en place.

 

Le machinisme conduit à la concentration technique, c’est-à-dire au regroupement de l’ensemble des activités industrielles en un même lieu, l’usine. En effet la machine à vapeur ne peut transmettre son énergie que sur des courtes distances, ce qui contraint à rassembler les travailleurs autour d’un même lieu. La taille des entreprises augmente peu à peu, même si, au cours de la première révolution industrielle, c’est à dire jusqu’aux années 1850-1860, les entreprises demeurent de taille modeste, les petites entreprises de type artisanale restent majoritaires.

A partir des années 1860, la taille des entreprise tend à s’accroitre pour bénéficier d’économies d’échelle : la grande entreprise peut étaler les coûts fixes sur un nombre d’unités vendues plus important. Le nombre important de salariés permet également d’améliorer l’organisation du travail, par la mise en place de la division du travail en particulier, et d’accroitre les gains de productivité.

Dès 1776, Adam Smith dans Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, établit un lien entre division du travail et gains de productivité. A. Smith montre que plusieurs facteurs permettent de comprendre en quoi la division du travail est source de productivité. Tout d’abord, l’esprit et le corps acquièrent une grande habileté dans les tâches simples et répétées, ensuite, la division du travail évite les pertes de temps dues au passage d’une activité à une autre (changement de place, de position, d’outil, …), enfin, les tâches simples permettent plus facilement de concevoir des outils adaptés.

A la fin du XIXème siècle, F. W. Taylor développe l’organisation scientifique du travail (OST) qui repose sur la parcellisation des tâches, the one best way (il s’agit alors de trouver pour chaque tâche le meilleur geste à accomplir) et le paiement au rendement. Cette organisation du travail permet de lutter contre la flânerie ouvrière et permet d’obtenir des gains de productivité importants. H. Ford va compléter cette approche en introduisant trois propositions supplémentaires : la standardisation de la production, le travail à la chaine, le five dollars a day (augmentation importante des salaires pour l’époque). Ces différents éléments permettent d’obtenir des gains de productivité considérables. Cette organisation du travail tayloro-fordienne connait son apogée au moment des trente glorieuses.

 

Les gains de productivité s’expliquent également par l’amélioration du facteur travail, considéré à partir des années 1960 comme un capital humain, grâce aux travaux de T. Schultz. Ce sont à la fois des progrès en matière d’hygiène et de médecine qui permettent à la population d’être plus nombreuse, en meilleure santé et plus productive, mais aussi à la hausse du niveau de formation qui s’accroit et se démocratise surtout au XXème siècle. Une population mieux formée est plus productive.

 

2/ Dès la fin des trente glorieuses, on constate dans tous les pays industrialisés, un ralentissement de la productivité globale des facteurs.

Pourtant les innovations demeurent importantes avec le développement de l’informatique puis des nouvelles technologies de l’information et de la communication. On constate alors que le rythme soutenu des innovations ne se traduit pas forcément par une hausse de la productivité globale des facteurs. R. Solow en 1987 écrit : « Les ordinateurs sont partout, sauf dans les statistiques de productivité ». Ce paradoxe souligne combien le délai peut être long entre l’apparition de l’innovation et ses effets en termes de productivité.

Philippe Aghion, Céline Antonin et Simon Bunel, dans le pouvoir de la destruction créatrice (2020) s’interrogent sur le paradoxe qu’ils constatent entre une accélération de l’innovation aux Etats-Unis, mesurée par la croissance de quantité de brevets déposés et la stagnation, voire la baisse de la productivité. La question de la mesure apporte quelques éléments de réponse. En effet la mesure de la production, telle qu’elle est prise en compte aujourd’hui ne permet pas de saisir les évolutions des usages liées au numérique (par exemple, les photos aujourd’hui sont plus échangées que vendues grâce aux Smartphones, considérées auparavant comme des biens marchands, les photos sont aujourd’hui des biens essentiellement non marchands, auto-produits par les consommateurs, donc non prises en compte dans la mesure de la productivité). Les statistiques peinent également à prendre en compte l’augmentation de la qualité : en reprenant à nouveau l’exemple des téléphones portables, on peut souligner que ceux ci remplissent de multiples autres usages (GPS, livre électronique, lecteur audio, réveil…) qui ont induit une baisse des ventes de ces produits spécifiques. Les auteurs soulignent que les produits qui conduisent à une destruction créatrice, proposent souvent une amélioration importante de la qualité du service rendu et les instituts de statistiques du fait de leur mode de calcul sous-estiment, de ce fait souvent, la croissance de la productivité qu’ils permettent.

Néanmoins ces difficultés de mesure n’expliquent qu’une partie du déclin de la croissance depuis le début des années 2000. Les auteurs soulignent alors le rôle de la structure du marché pour comprendre le ralentissement de la productivité. En effet, sur certains marchés, les entreprises proches de la frontière technologique, c’est-à-dire les entreprises qui adoptent les combinaisons productives les plus efficaces à un moment donné, vont intensifier leurs efforts pour éviter d’être rattrapées par leurs concurrentes. Ces mêmes concurrentes, plus éloignées de la frontière technologique, se découragent et freinent leurs efforts d’innovation. La productivité est alors en moyenne plus faible

 

B.  Evolution comparée de la productivité

D’après l’étude menée par Gilbert Cette, Yusuf Kocoglu et Jacques Mairesse « la productivité en France, au Japon aux Etats-Unis et au Royaume Uni au cours du XXème siècle », parue dans la revue de l’OFCE en octobre 2009, on s’aperçoit que le rythme de la productivité varie dans le temps et dans l’espace. Les auteurs tirent quatre conclusions de leurs travaux :

La productivité croit de manière importante dans ces quatre pays : Sur l’ensemble de la période 1890-2006: le niveau de la productivité par emploi et par heure de travail est multiplié par, respectivement, environ 10 et 20 en France, 25 et 40 au Japon, 5 et 9 au Royaume-Uni et 7 et 12 aux Etats-Unis.

Mais au cours du XXème siècle on constate un déclin relatif de la productivité au Royaume-Uni par rapport aux Etats-Unis. Ainsi, le Royaume-Uni était en 1890 le pays où la productivité horaire du travail était la plus élevée, en 2006, ce sont les Etats Unis.

Sur ces presque 120 années, le Japon connaît la croissance annuelle moyenne la plus forte de la productivité : 2,8 % par an en moyenne pour la productivité  par tête et 3,2 % par en moyenne pour la productivité par heure, et le Royaume-Uni la plus faible : 1,4 % par emploi et 1,9 % par heure, la France (2,1 % et 2,7 %) et les États-Unis (1,8 % et 2,2 %) se situant entre ces deux extrêmes.

L’étude montre que « les facteurs de progression de la PGF [Productivité Globale des Facteurs] (entre autres l’élévation de la qualité de la main-d’œuvre, les changements techniques et organisationnels, de meilleures institutions…) contribuent davantage, dans leur ensemble, aux gains de productivité observés sur la période que l’intensification des techniques. »

La croissance des trente glorieuses a permis à la France et au Japon de connaître un rattrapage de leur niveau de productivité par rapport au niveau américain.

Sur les 25 dernières années, le niveau global des facteurs de production est très proche dans les quatre pays.

Les Etats-Unis connaissent néanmoins un regain de productivité depuis 1990 du fait des technologies de l’information et de la communication, alors que  les autres pays connaissent un ralentissement de la productivité.

 

Ces résultats sont à relier aux modèles de la croissance : Solow, dans les années 1950, explique la croissance grâce à l’accumulation du facteur travail et du facteur capital. Néanmoins selon Solow, les économies doivent tendre vers un état stationnaire du fait de la loi des rendements décroissants. Le progrès technique, dont l’origine est inexpliquée par Solow, permet néanmoins de dépasser cet état stationnaire et d’assurer la croissance. Les théories de la croissance endogène, développées dans les années 1980, soulignent que les agents économiques et en particulier l’Etat, peuvent par l’accumulation de capitaux (capital technique, capital public, capital technologique, capital humain) générer un processus de croissance autoentretenu, grâce aux externalités positives et aux rendements croissants de ces capitaux..

A. Les trois secteurs

La classification de l’économie en trois secteurs principaux selon la nature de l’activité est issue des travaux de  Colin Clark dans les conditions du progrès économique (1947).

Ainsi

Le secteur primaire regroupe les activités visant l’exploitation des ressources naturelles : agriculture, sylviculture, mines, forêts…

Le secteur secondaire rassemble les activités correspondant à la transformation des matières premières (il s’agit pour l’essentiel de l’industrie et de la construction).

Le secteur tertiaire regroupe toutes les autres activités (il s’agit pour l’essentiel des services).

 

B. La théorie du déversement

Alfred Sauvy montre dans La machine et le chômage, en 1980 que les gains de productivité et de l’évolution de la demande, entrainent un transfert des emplois du secteur primaire vers le secteur secondaire puis du secteur secondaire vers le secteur tertiaire. C’est la thèse du déversement qui repose sur deux explications essentielles :

La croissance de la productivité par rapport à la croissance de la demande.

La loi d’Engel qui montre qu’avec la hausse du pouvoir d’achat la demande des ménages se modifie : elle passe des biens primaires à des biens secondaires principalement produits par l’industrie et enfin à des biens supérieurs qui sont pour l’essentiel des services (santé, éducation, loisirs…)

 

Un schéma évolutionniste, à l’appui des thèses post-industrielles*.

Les gains de productivité dans l’agriculture apportent tout d’abord une sécurité alimentaire  (les menaces de disettes s’éloignent) et favorisent la croissance de la population. Cette hausse de la population couplée aux gains de productivité permet de libérer de la main d’œuvre agricole, c’est l’exode rural. L’industrie dispose ainsi d’une main d’œuvre abondante et bon marché. Les industries ont besoin de main d’œuvre et embauchent des ouvriers sans grande qualification pour produire les nouveaux équipements industriels.

La productivité agricole va  également exercer un effet d’entrainement sur les activités industrielles. Le pouvoir d’achat augmente à la fois grâce à la baisse du prix des denrées agricoles mais aussi grâce aux revenus agricoles croissants. L’enrichissement des paysans favorise à la fois la demande de biens manufacturés mais aussi une épargne mise à disposition des investissements industriels.

Ainsi, peu à peu, grâce aux gains de productivité enregistrés dans l’agriculture et à la hausse de la demande de produits manufacturés, les emplois se déversent du secteur primaire vers le secteur secondaire. C’est la phase d’industrialisation.

Le progrès technique se poursuit dans  l’industrie et fait apparaître de nouveaux produits, des voitures, puis plus tard des frigos, des machines à laver… qui requièrent une main d’œuvre abondante. Le secteur secondaire embauche de plus en plus pour répondre à la demande. D’autant plus que les gains de productivité permettent de diminuer les prix des produits manufacturés.

Dans les années 60, une fois que la plupart des ménages est équipée de ces nouveaux produits, le marché s’essouffle, la demande en produits industriels se tasse. Néanmoins, les gains de productivité qui se sont poursuivis dans le secteur secondaire ont permis des hausses de salaire qui permettent de générer des nouveaux besoins, en particulier dans les services. Conformément à la loi d’Engel, cette hausse du pouvoir d’achat entraine une évolution de la structure de la consommation des ménages. La part des dépenses alimentaires baisse au profit de la hausse des dépenses de loisirs d’éducation  de santé… autant d’éléments qui vont favoriser l’expansion du secteur tertiaire.

 

C. La tertiarisation

On constate dans la plupart des pays industrialisés un phénomène de tertiarisation, c’est à dire à une augmentation de la part du secteur tertiaire aussi bien dans le PIB que dans la population active. Même l’Allemagne et le Japon, les deux grands pays occidentaux industriels n’échappent pas à cette tendance générale. Ce mouvement de tertiarisation, amorcé de manière timide au début du XXème siècle, s’accélère à partir des années 1960.

On peut mobiliser outre la théorie du déversement, d’autres explications pour comprendre le phénomène de tertiarisation : l’économiste Adolph Wagner constate, dès la fin du XIXème siècle, que: « plus la société se civilise, plus l’État est dispendieux ». En effet, plus l’économie se développe, plus l’État doit investir en infrastructures publiques et doit donc se doter d’une organisation bureaucratique pour superviser ces travaux ; par ailleurs, A. Wagner reprend les travaux d’Engel et souligne que lorsque le pouvoir d’achat augmente, la part des dépenses de loisirs, santé, éducation augmente. Or, ces biens dits supérieurs ont une élasticité-revenu supérieure à un. En d’autres termes, la consommation de ces biens augmente plus vite que le revenu.

Par ailleurs, les  entreprises externalisent certaines tâches afin de se recentrer sur leurs activité principale : cela peu concerner le transport, le recrutement, l’entretien des locaux…de plus en plus d’entreprises trouvent plus pertinent de « faire-faire » que de faire elles-mêmes.

La tertiarisation s’explique également par la hausse du taux d’activité des femmes et le vieillissement de la population qui ont accru les besoins de services à la personne.

Enfin, la concurrence internationale conduit à certaines fermetures d’entreprises ou à leur délocalisation, en particulier dans le secteur industriel, cette désindustrialisation favorise également la tertiarisation.

Les débuts de la révolution industrielle requièrent peu de capitaux. L’épargne accumulée par un artisan ou un marchand suffit souvent pour démarrer une nouvelle activité.

L’industrie textile se développe ainsi tout d’abord autour d’un modèle hybride que l’on appelle la proto-industrialisation: des paysans effectuent la production de fils ou de tissu à domicile pour des entrepreneurs urbains qui leur fournissent les matières premières. L’entrepreneur organise l’approvisionnement en matières premières et l’écoulement de la production. Ainsi, le développement des entreprises ne nécessite pas alors la mobilisation de capitaux importants : l’épargne individuelle suffit le plus souvent, on parle d’autofinancement. Ce système a permis d’assurer des compléments de revenus non négligeables aux paysans qui ont ainsi pu accroitre leur demande de produits agricoles et industriels. Dans les entreprises urbaines ce système a permis une accumulation du capital grâce à des coûts de production faibles.

Jusqu’aux années 1850-1860, les entreprises demeurent de taille modeste, les petites entreprises de type artisanal restent majoritaires, le capitalisme est encore très familial et l’endettement suscite des craintes.

Finalement avant 1850, le rôle des banques demeure limité. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, les banques familiales sont prédominantes, c’est ce que l’on appelle la « haute banque » car elles n’ont pas de contact avec le public. Leur principale fonction consiste à financer le commerce, à avancer de l’argent aux pouvoirs publics, c’est par exemple le cas de la banque Rothschild.

Le financement des premières innovations repose donc avant tout sur l’autofinancement,

En revanche, l’introduction du machinisme contraint les entrepreneurs à mobiliser des capitaux plus importants.

Ainsi, une étape décisive est franchie avec l’apparition de la machine à vapeur inventée par James Watt. Le machinisme conduit à la concentration technique, c’est-à-dire au regroupement de l’ensemble des activités industrielles en un même lieu, l’usine. En effet la machine à vapeur ne peut transmettre son énergie que sur des courtes distances, ce qui contraint à créer des sites de production, les usines qui rassemblent les ouvriers. La taille des entreprises augmente peu à peu et requiert des investissements beaucoup plus importants : les entrepreneurs doivent trouver des associés pour financer leurs projets.

Les entreprises changent alors de statut juridique : les sociétés remplacent les entreprises individuelles, la loi sur les sociétés anonymes est mise en place en 1867.

Dès lors, l’activité des banques se développe grâce à l’augmentation de la taille des entreprises qui requièrent des financements externes et grâce à une confiance plus importante des épargnants dans le système bancaire : la thésaurisation recule au profit du placement.

A partir de 1860, le système bancaire évolue vers une spécialisation des banques en deux catégories:

Les banques de dépôt se spécialisent dans la collecte de l’épargne des ménages, afin d’être au plus près des épargnants, elles créent de nombreuses succursales. Il s’agit alors de gagner la confiance des déposants en assurant la sécurité des dépôts. Les banques parviennent petit à petit à détourner l’épargne de la pierre et de la terre pour l’orienter vers les placements mobiliers, actions et obligations qui s’avèrent plus rentables. Les banques de dépôt proposent également des crédits à court terme et pratiquent l’escompte (avance consentie par une banque à une entreprise en échange d’en effet de commerce, qui est un document permettant à une entreprise de se faire payer en échange d’un service rendu ou d’une livraison de marchandise, à une échéance donnée. Cet effet de commerce peut donc être cédé à une banque qui l’encaissera à terme).

Les banques d’affaires se spécialisent dans le financement de long terme et le financement des opérations liées aux chemins de fer.

Néanmoins, le système bancaire français demeure assez frileux en matière d’investissement, les banques préfèrent se tourner vers  la gestion des patrimoines plutôt que la prise de risques liés à des projets audacieux et incertains.

En revanche, les marchés financiers se développent grâce aux obligations d’Etat et aux chemins de fer qui requièrent des capitaux importants. Les compagnies ferroviaires émettent alors des actions pour financer leurs projets. Ce sont ensuite les entreprises des secteurs de la chimie, de l’électricité et du pétrole qui leur emboitent le pas et émettent des actions. Néanmoins, en 1914, l'essentiel des titres financiers négociés à la Bourse de Paris sont des obligations d'Etat et de grandes compagnies ferroviaires.

 

Deux pays se distinguent en matière de financement sur cette période :

L’Allemagne qui adopte assez tôt le modèle de la banque universelle, qui va accorder des crédits et donc développer l’économie d’endettement. Cela favorise le développement de l’industrie lourde.

Les Etats-Unis recourent au marché financier très tôt.

La Première guerre mondiale, financée par la création monétaire se traduit par une forte inflation qui conduit les rentiers  à la ruine. Ensuite, incités par le gouvernement français qui cherche alors un appui politique du côté de la Russie, un million et demi d’épargnants Français investissent dans les emprunts russes entre 1888 et 1914. Mais, suite à la révolution d’octobre 1917, Lénine décide que ces emprunts contractés par l’ancien régime ne sont pas remboursés. De nombreux épargnants perdent toutes leurs économies.

La crise de 1929, et surtout la crise de liquidité qui l’accompagne, renforcent la crise de confiance envers le système financier.

Des réglementations strictes sont alors mises en place:

En 1930, est mise en place un garantie des dépôts bancaires qui vise à protéger les épargnants contres les défaillances des établissements.

En 1933, aux Etats-Unis, le Glass Steagall Act sépare les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement, crée un système fédéral d’assurance des dépôts bancaires et instaure un plafonnement des taux d’intérêt sur les dépôts bancaires.

En France, le Front Populaire prend une participation majoritaire dans le capital de la Banque de France .

 

L'après-guerre est marqué par des besoins de financement très élevés à la fois pour la reconstruction puis pour la croissance économique qui est particulièrement soutenue pendant les 30 glorieuses.

La mise en œuvre du système tayloro-fordien dans les grandes entreprises industrielles nécessite souvent des investissements couteux. Par ailleurs, L’Etat lui même est en besoin de financement, du fait du développement de l'investissement public et de l’extension de son rôle.

Ainsi, la France devient, après 1945, une économie d'endettement (overdraft economy selon la terminologie de J. Hicks): les entreprises n’ont pas les moyens de s’autofinancer (le taux d’autofinancement ne dépassait pas les 60% au début des années 1980), les marchés financiers sont peu développés (les ménages français optant plutôt pour les placements liquides et immobiliers), les entreprises se financent donc essentiellement par le crédit bancaire.

Le système bancaire est très hiérarchisé et contrôlé par les pouvoirs publics (taux d'intérêt administrés par l'État, encadrement du crédit par la Banque de France, et  contrôle des changes édicté par la Direction du Trésor qui limitait les opérations internationales). La plupart des institutions bancaires et financières étaient nationalisées, la concurrence entre les institutions financières est assez faible. De plus la forte inflation, en favorisant l’effet de levier incite les agents à s’endetter (l’effet de levier apparaît lorsque la rentabilité économique d’un investissement  est supérieure au taux d’intérêt, l’entreprise a dans ce cas intérêt à investir et à financer son investissement par l’endettement car cela lui permettra d’accroitre sa rentabilité financière).

 

Néanmoins l’économie d’endettement présente un certain nombre de limites.

Tout d’abord, l’économie d’endettement est inflationniste à la fois parce qu’elle repose sur la création monétaire et parce que les entreprises sont incitées à augmenter leurs prix pour rembourser plus facilement leurs crédits. L’inflation est renforcée par les mécanismes d’indexation des salaires sur le niveau général des prix.

D’autre part, l'économie d'endettement est excessivement règlementée et cloisonnée.

Depuis les années 1980, un nouveau système financier se met en place dans lequel la finance directe par les marchés prend de l'importance par rapport à la finance indirecte ou « intermédiée ».

De nombreux facteurs expliquent cette évolution :

A la fin des années 1960, les réformes Debré Haberer mettent fin à la distinction entre banques de dépôt (qui collectaient l’épargne et menaient des opérations à court terme) et banques d’affaires (qui s’occupent des crédits à long terme), elles deviennent toutes plus ou moins des banques universelles. Les restrictions en ce qui concerne les ouvertures de guichets sont levées, la bancarisation de la société française s’accélère.

Suite aux chocs pétroliers et à l’arrivée de Paul Volcker à la tête de la FED en 1979, la politique économique prend, au début des années 80, un tournant libéral dans la plupart des pays occidentaux : la priorité est donnée à la lutte contre l’inflation en s’appuyant sur un freinage de la création monétaire et le gel des salaires.

La hausse des taux d’intérêt réels dissuade le recours au crédit bancaire : c’est l’effet boomerang ou effet de massue qui désigne les effets pervers du crédit et de l’endettement.

Les pouvoirs publics français jouent un rôle non négligeable dans cette transition vers l'« économie de marchés financiers libéralisée » en prenant deux séries de mesures. La première engendre une libéralisation financière,  avec la suppression de l'encadrement du crédit en 1987, la levée du contrôle des changes en 1989, et la réduction progressive de la part des crédits à taux administrés dès 1985 et la privatisation des principales banques et institutions financières à partir de 1986. La deuxième série de mesures de la politique française est la création d'un grand marché unique des capitaux (du court au long terme, aussi bien pour les opérations au comptant que à terme, et ouvert à l'ensemble des opérateurs : financiers et non financiers, nationaux et étrangers).

A partir des années 80, le mouvement de globalisation financière prend de l’ampleur, poussée par la concurrence internationale, par la volonté des Etats de financer plus facilement leurs emprunts, mais aussi par le passage aux changes flottants et la nécessité pour les acteurs de se couvrir contre le risque de change.

La globalisation financière, caractérisée par la règle des 3D énoncée par H. Bourguinat, permet de développer le financement externe direct.

Décloisonnement : correspond à l’abolition des frontières entre marchés nationaux, mais aussi entre marché monétaire et marché des capitaux ; ce sont des mesures d’inspiration libérale qui convergent pour créer un marché des capitaux mondial globalisé sur lequel chaque agent peut choisir ses financements ou ses placements parmi une large gamme de produits financiers.

Déréglementation : correspond à la privatisation des banques, à l’abandon de l’encadrement du crédit et du contrôle des changes, à la libéralisation des mouvements de capitaux.

Désintermédiation : correspond à une hausse du financement direct ; cette désintermédiation s’est accompagnée d’innovations financières : nouveaux produits et nouveaux marchés. Ces innovations permettent de proposer certains titres mieux adaptés aux besoins des entreprises et des épargnants, d’attirer de nouvelles entreprises donc tout cela favorise le développement du marché financier.

 

Face à tous ces changements, l’économie s’achemine vers une économie de financement désintermédié. Il est en effet possible de remarquer une hausse importante du financement interne (autofinancement) et du financement externe direct (recours au marché financier), alors que le financement externe indirect (recours à l’emprunt bancaire) diminue fortement.

Par ailleurs des innovations financières vont attirer l’épargne des ménages vers les marchés financiers : par exemple, les SICAV (société d’investissement à capital variable) et les FCP (Fonds communs de placement),  permettent aux ménages de diversifier leurs risques et d’obtenir des rendements intéressants, malgré des sommes épargnées peu importantes. C’est également la diffusion des contrats d’assurance comme l’assurance vie, l’assurance retraite par capitalisation…

 

Néanmoins ce recours accru aux marchés financiers ne fait pas disparaître le rôle des banques, celles ci demeurent incontournables pour assurer la fonction d’intermédiation traditionnelle (distribution de crédits et collecte de dépôts) auprès des petites entreprises qui n’ont pas accès aux marchés financiers et auprès des ménages.

Les banques vont également développer de nouvelles activités sur le marché en jouant le rôle de market maker. Concrètement, les banques financent de plus en plus les entreprises en achetant des actions et des obligations et elles-mêmes émettent des titres sur les marchés. Les banques détiennent de ce fait de plus en plus de titres financiers : on assiste donc à une mobiliérisation de leurs bilans, renforcée par le développement du marché des produits dérivés.

Le phénomène de titrisation rend compte également de l’évolution du rôle des banques : les banques transforment une partie de leurs crédits en titres financiers qu’elles revendent à des investisseurs afin de les faire sortir de leur bilan pour pouvoir émettre de nouveaux crédits.

Les banques proposent également des conseils aux entreprises.

 

Les travaux d’Eugène Fama sur l’efficience des marchés renforcent la croyance selon laquelle les marchés financiers permettent une allocation optimale des ressources financières. Néanmoins les faits démentent la théorie : la globalisation financière a engendré un risque systémique accru; c’est-à-dire lorsqu’un évènement particulier entraine par réactions en chaine des effets déstabilisants sur l’ensemble du système financier pouvant conduire sinon à son effondrement du moins à une grande instabilité. La crise des subprimes est une illustration de ce risque systémique.

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