L’évolution du système monétaire international depuis le XIXe siècle - Grands auteurs

Sommaire

Robert Triffin (1911-1993) est diplômé en droit et en économie de l’Université de Louvain (Belgique) puis complète sa formation universitaire à l’Université de Harvard (États-Unis). Naturalisé américain, il travaillera au sein de la Banque fédérale des États-Unis (Fed) puis au Fonds monétaire international (FMI). En 1948, représentant du FMI en Europe, il participe aux discussions sur les perspectives d’intégration monétaire au sein de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE qui deviendra OCDE). En 1949, il est membre de l'Administration de coopération économique (Economic Cooperation Administration - ECA), agence américaine créée pour administrer le plan Marshall (1947-1952) dans les 16 pays bénéficiaires des fonds américains. Dans ce cadre, il sera l’un des concepteurs de l’Union européenne des paiements (UEP, 1950).

A partir de 1951, il enseignera l’économie et la finance à l’Université de Yale tout en conservant des fonctions de conseil pour divers organismes américains ou internationaux.

Parmi ses réflexions notons :

  • Europe and the Money Muddle (1957) qui regroupe ses idées sur les « turbulences » monétaires en Europe avant puis après les deux Guerres mondiales, phase qui peut se lire comme une période qui conduit du « du bilatéralisme à la quasi-convertibilité » (cf. échec de la convertibilité de la livre sterling en 1947). La convertibilité des monnaies sous le régime de l’étalon-or limitait les incitations des pays à discriminer ses partenaires commerciaux. La Grande dépression remis en cause cet état de fait : inconvertibilité des monnaies et discriminations commerciales devinrent la règle. L’ouvrage engage aussi deux réflexions, la première sur les déficits des pays avec la zone dollar (ou « dollar shortage ») ; la seconde sur l’inflation en Europe, comme déséquilibre entre la demande globale et la production. L’excès de demande interne (pouvoir d’achat exagéré) entraîne une dégradation de la balance commerciale et/ou de l’inflation. Pour Robert Triffin, le rétablissement du commerce mondial et de la convertibilité des monnaies vont de pair. D’une manière générale, invite à ne pas dissocier les questions monétaires des questions commerciales car l’approche financière forme un ensemble entremêlé.
  • et, surtout, L’or et la crise du dollar (1960) qui part d’un constat, celui que les devises, la livre sterling et, surtout, le dollar des États-Unis ont remplacé l’or comme source mondiale de liquidité. Le système monétaire international (SMI) est donc sous la dépendance de décisions nationales. Les devises nationales qui servent de réserves introduisent un « élément subversif » ou « déstabilisant » dans le SMI, soit parce que les pays peuvent en émettre trop, soit parce les autres pays peuvent choisir unilatéralement de la changer en or. Robert Triffin invite donc à remplace les monnaies nationales servant la liquidité mondiale par une monnaie internationale formée de dépôts gérés par le Fonds monétaire international (FMI). Cette monnaie, réservée pour le financement du commerce, aurait une « équivalence parfaite » avec l’or. Enfin, l’ouvrage énonce ce qui deviendra le « dilemme de Triffin » : les États-Unis, principaux détenteurs de réserves d’or, satisfont les besoins internationaux en liquidité en fournissant des dollars mais les déséquilibres croissants interrogent sur la possibilité de maintenir la conversion de leur monnaie en or.

 

En 1977, il travaillera au sein de l’Institut de Recherches économiques et sociales de l’Université catholique de Louvain. Il recouvre la nationalité belge en 1981 et travaille à l’intégration monétaire européenne, notamment pour développer l’utilisation privée de l’unité de compte européenne (écu).

Il décède après la signature du traité de Maastricht qui ouvre la voie à la monnaie unique européenne.

 

Emmanuel Farhi (1978-2020) major de l’X et normalien a obtenu son doctorat à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) et fut professeur de macroéconomie et de finance internationale à Harvard et intervenant à la Toulouse School of Economics (TSE).

Avec Pierre‐Olivier Gourinchas et Hélène Rey, dans Réformer le système monétaire international (2011), Emmanuel Farhi défend une réforme du SMI qui se concentre sur l'apport de liquidités. Le développement d’alternatives aux bons du Trésor américain, actif de réserve dominant, doit accélérer la transition « inévitable » vers un SMI multipolaire.

Ainsi, seules l'euro, déjà une monnaie de réserve régionale et diffusé par des émissions d'obligations européennes mutuellement garanties, et le yuan renminbi, que les autorités chinoises veulent internationaliser avec à terme le marché obligataire en yuan, sont des candidats crédibles et viables pour devenir des monnaies de réserve capable de concurrencer le dollar.

Dans les années 1960, Robert Triffin avait identifié une des faiblesses du système de Bretton Woods : la demande mondiale de liquidités augmentait mais les stocks d'or américains, comme la valeur or du dollar, sont restés constants. Aujourd’hui, ce n’est plus l'inadéquation entre la quantité d'or détenue par la Réserve fédérale américaine et les dollars en circulation détenus à l'étranger qui font l’objet d’une réflexion, comme au temps de « L’or et la crise du dollar » (1960), mais « La capacité fiscale et la crise du dollar » qui est au cœur de la version moderne du dilemme de Triffin. Il existe une asymétrie croissante entre la capacité fiscale des États-Unis, qui soutient l’émission de bons du Trésor américain demandé dans les pays européens et émergents, et la dette extérieure américaine. La capacité à fournir des liquidités en période de tension, qui dépend de la capacité fiscale de l'émetteur, va diminuer avec la taille relative des États-Unis dans l'économie mondiale entraînant une perte du monopole d’émission de monnaie de réserve.

Emmanuel Farhi va transformer la macroéconomie keynésienne en modélisant un environnement international marqué par des taux d'intérêt réels d'équilibre bas, des marchés de capitaux intégrés mais hétérogènes, la pénurie chronique d'actifs sûrs et liquides dans les pays à forte épargne (cf. Asie), l’existence de rigidités nominales ou ajustements lents des prix, des trappes à liquidité, etc.

Dans ce cadre, il veut poser les fondements d’une taxation progressive du patrimoine et du capital. Ainsi, la question du contrôle de capitaux prendre une part importe dans sa réflexion.

Le triangle (ou trilemme) de Mundell stipule qu'un pays ne peut pas avoir simultanément une liberté de circulation des capitaux, une politique monétaire indépendante et un taux de change fixe. Les pays avec un taux de change fixe (cf. choix d’ancrage ou participation à une union monétaire) doivent-ils renoncer à la libre mobilité des capitaux pour reconquérir la politique monétaire ?

Les flux de capitaux (entrées donc appréciation du taux de change puis fuite en période de ralentissement) sont au cœur des explications des récessions sur les marchés émergents qui cherchaient à stabiliser l'inflation et de la crise dans la zone euro. Face à la libéralisation des comptes financiers qui entraîne des flux de capitaux excessifs et volatils qui peuvent produire des externalités négatives, il défend la mise en place contrôle temporaires des flux de capitaux en réponse à une grande variété de chocs (chocs de productivité, de la demande d'exportation, des termes de l'échange, des taux d'intérêt étrangers ou des primes de risque). Notons que ces contrôles étaient devenus un élément central du système monétaire international de Bretton Woods. Ainsi, les contrôles des capitaux apparaissent d’abord bénéfiques avec des taux de change fixes lorsqu'ils sont utilisés contre des chocs transitoires, notamment les chocs de prime de risque qui affectent le différentiel de taux d'intérêt, et lorsque le degré d'ouverture (exportations/PIB) du pays est faible. Il soutiendra aussi que le contrôle des capitaux peut être optimal même avec des taux de change flexibles.

Parmi d’autres travaux, Emmanuel Farhi a proposé (avec Xavier Gabaix) une théorie des taux change basée sur le risque de catastrophe économique et a enrichi (avec Ivan Werning) la théorie des zones monétaires optimales de Mundell en mettant en évidence une rationalité nouvelle pour les politiques macroprudentielles. Avec Jean Tirole, il préconisera l’utilisation de politiques macroprudentielles pour garantir stabilité macroéconomique et financière afin de lutter contre les problèmes d’aléa moral créés par un soutien indiscriminé aux banques commerciales.

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