Justice sociale et légitimation de l'intervention publique - Dossier documentaire

Sommaire

Document 1 : Espérance de vie à la naissance et taux de mortalité infantile de 1950 à 2019

Facile

Champ : France métropolitaine.

Source : Insee, estimations de population et statistiques de l'état civil

Questions :

1) Présentez l’évolution de l’espérance de vie et du taux de mortalité infantile entre 1950 et 2019, en formulant des phrases significatives.

2) Calculez la proportion dans laquelle le taux de mortalité infantile a diminué depuis 1950.

3)Quelles sont les limites de ce graphique pour rendre compte de l’évolution de la qualité de vie en France ?

 

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1) L’espérance de vie des Français a beaucoup augmenté depuis 1950. Tandis que les hommes vivaient en moyenne jusqu’à 63 ans en 1950, leur espérance de vie a atteint 80 ans en 2019. Celle des femmes est passée de 69 ans en 1950 à 86 ans en 2019. Par ailleurs, le taux de mortalité infantile a beaucoup diminué en France. Tandis que 52 enfants sur 100 mourraient prématurément en 1950, c’est le cas de 3 enfants sur 100 en 2019.

2) Le taux de mortalité infantile en France a pratiquement été divisé par 6 depuis 1950 ((3/52)*100=5,8)

3) Ce graphique rend compte d’une progression de la qualité de vie en France de manière partielle. D’abord, le concept de qualité de vie ne fait pas l’objet d’une définition consensuelle. S’il renvoie au bien-être d’une population de manière générale, il peut être mesuré par de nombreux indicateurs au-delà de l’espérance de vie et du taux de moralité infantile comme le taux de scolarisation, le revenu par tête, le respect des droits politiques etc. Il traite donc d’un aspect particulier de la qualité de vie. Par ailleurs, ce graphique ne prend pas en compte toutes les inégalités face à l’espérance de vie et à la mortalité infantile. S’il met en avant les différences d’espérance de vie entre hommes et femmes, la mort touche aussi différemment les individus selon leurs PCS (professions et catégories socio-professionnelles), leurs origines éthiques et géographiques, etc. Ainsi, il décrit des évolutions moyennes, laissant de côté les différences éventuelles dans la progression de la qualité de vie entre les groupes.

Document 2 : La courbe de l’éléphant

Facile

Questions : 

1) Qu’est-ce qu’un fractile ? Quel est le fractile utilisé pour construire ce graphique ?

2) Faites des phrases avec pour caractériser les points A, B et C.

3) Qui sont les gagnants et les perdants de la croissance des revenus d’après cette courbe ?

4) Qu’est-ce que l’indice de Gini ? Quel est l’intérêt de cette représentation par rapport à un indicateur comme l’indice de Gini ?

 

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1) Si on ordonne une distribution de salaires, de revenus, de chiffres d'affaires, etc., les fractiles sont les paramètres qui la divisent en parties égales. Les déciles sont les valeurs qui partagent cette distribution en 10 parties d’effectifs égaux. Ici, les revenus sont classés en déciles. On observe par exemple le premier décile, qui est le salaire au-dessous duquel se situent 10 % des salaires, ou le neuvième décile, qui est le salaire au-dessous duquel se situent 90 % des salaires.

2) Les trois points A, B et C sont particulièrement intéressants pour comprendre le graphique car ils indiquent là où les gains de revenus réels ont été les plus élevés et les plus faibles au sein de la population mondiale entre 1988 et 2008. Les personnes qui appartiennent au 55ème centile des revenus (point A) sont celles qui ont connu l’évolution du revenu réel la plus forte. Il a augmenté de 80%. Les personnes qui appartiennent au 100ème centile des revenus (point C) ont aussi connu une augmentation importante de leur revenu réel, de 65%. Les personnes appartenant au 80ème centile des revenus (point B) sont celles qui ont connu l’évolution du revenu réel la plus faible. Il n’a augmenté que de 0,1%.

3) Le premier groupe de perdants est celui des plus pauvres (en dessus du 5ème centile), qui n’ont pas réduit leur handicap relatif. En effet, si leur revenu s’est accru, il l’a fait moins vite que le revenu global moyen. Le deuxième groupe de perdants est celui des revenus situés entre le 80ème et le 97ème centile des revenus. Il s’agit donc de revenus relativement élevés à l’échelle mondiale. Ils ont connu l’accroissement le plus faible des revenus, et se sont donc relativement appauvris par rapport au reste de la population mondiale. Il s’agit selon les auteurs des classes moyennes des pays développés.

Le premier groupe de gagnants est celui des personnes qui se situent autour de la médiane. Elles ont vu leurs revenus réels exploser pendant cette période. Il s’agit selon les auteurs des nouvelles classes moyennes de certains pays en développement, d’Asie principalement. Enfin, les 1% des plus riches à l’échelle de la planète sont le deuxième groupe dont les revenus ont augmenté le plus fortement.

4) L'indice (ou coefficient) de Gini est un indicateur synthétique permettant de rendre compte du niveau d'inégalité pour une variable (revenus, salaires, etc.) et sur une population donnée. Il varie entre 0 (égalité parfaite) et 1 (inégalité extrême). L'inégalité est donc d'autant plus forte que l'indice de Gini est élevé. Mesurée avec l’indice de Gini du revenu mondial, l’inégalité mondiale était supérieure à 0,7 en 2008.

La courbe dite « de l’éléphant » permet de visualiser une redistribution des revenus à l’échelle mondiale. Elle offre une vision rapide et synthétique des gagnants et les perdants de la mondialisation. Dans un monde aux relations économiques et financières globalisées, les débats sur l’inégalité ne peuvent se focaliser uniquement sur les écarts de revenus entre groupes sociaux à l’intérieur d’un pays. De plus, en soulignant l’émergence de nouveaux groupes de revenus élevés dans les pays en développement, notamment les pays asiatiques, elle permet d’identifier un basculement dans la distribution des richesses au niveau mondial. Il est ici suggéré que l’essor des classes moyennes asiatiques se fait au détriment des classes moyennes des économies avancées.

Document 3 : L’optimum de Pareto

Facile

Source : Economie des inégalités, D. Pouchain, 2019

Questions : 

1) Que représente la droite sur le graphique ?

2) Que représente la zone sous la courbe (zone 1) ?

3) Que représente la zone au dessus de la courbe (zone 2) ?

4) Que traduisent les points de la droite confondus avec les axes ?

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1) La droite est appelée la « frontière des possibilités de Pareto ». Elle représente l’ensemble des situations optimales selon Pareto, soit les situations pour lesquelles il n’est pas possible d’améliorer l’utilité d’un agent sans détériorer celle d’un autre. Ainsi, pour n’importe quel point situé sur la droite, il n’est pas possible d’améliorer l’utilité de A ou de B sans diminuer celle de l’autre agent.

2) Sous la courbe, le triangle de la zone 1 représente l’ensemble des situations non Pareto-optimales. Cela s’signifie que pour n’importe quel point situé dans cette zone, il est encore possible d’augmenter l’utilité de l’agent A sans réduire celle de B, ou inversement, voire d’accroître l’utilité des deux agents, en se rapprochant de la droite.

3) La zone 2, située au-dessus de la droite, symbolise les situations non atteignables. Les quantités produites sont insuffisantes pour atteindre ces niveaux respectifs d’utilité.

4) Ces deux situations sont optimales selon Pareto, malgré le fait qu’un agent seul agent (A ou B selon le cas) dispose de toute l’utilité pendant que celle de l’autre agent est nulle.

 

Document 4 : Adam Smith, père de l’effet de ruissellement ?

Facile

« Il y a cependant certaines circonstances qui sont quelquefois favorables aux ouvriers, et les mettent dans le cas de hausser beaucoup leurs salaires au-dessus de ce taux, qui est évidemment le plus bas qui soit compatible avec la simple humanité.

Lorsque, dans un pays, la demande de ceux qui vivent de salaires, ouvriers, journaliers, domestiques de toute espèce, va continuellement en augmentant ; lorsque chaque année fournit de l’emploi pour un nombre plus grand que celui qui a été employé l’année précédente, les ouvriers n’ont pas besoin de se coaliser pour faire hausser leurs salaires. La rareté des bras occasionne une concurrence parmi les maîtres, qui mettent à l’enchère l’un sur l’autre pour avoir des ouvriers, et rompent ainsi volontairement la ligue naturelle des maîtres contre l’élévation des salaires.

Évidemment, la demande de ceux qui vivent de salaires ne peut augmenter qu’à proportion de l’accroissement des fonds destinés à payer des salaires. Ces fonds sont de deux sortes : la première consiste dans l’excédent du revenu sur les besoins ; la seconde, dans l’excédent du capital nécessaire pour tenir occupés les maîtres du travail.

Quand un propriétaire, un rentier, un capitaliste a un plus grand revenu que celui qu’il juge nécessaire à l’entretien de sa mille, il emploie tout ce surplus ou une partie de ce surplus à entretenir plusieurs domestiques. Augmentez ce surplus, et naturellement il le nombre de ses domestiques ; Toute hausse des revenus des plus fortunés permet donc de créer des emplois pour les moins fortunés. »

 

Adam SMITH, Enquête sur la Nature et sur les Causes de la Richesse des Nations, 1776

Questions : 

1) Rappelez ce qu’est la théorie du ruissellement.

2) Quelle est, selon Smith, la retombée favorable de la croissance sur les pauvres ?

3) Quel est le mécanisme mis en avant par Smith pour justifier un effet de ruissellement ?

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1) On a souvent synthétisé la théorie de Kuznets sous la forme d’une « courbe en U inversé », alors nommée courbe « Kuznets ». Elle stipule que si l’on met en abscisse un indicateur de richesse économique par habitant, comme le PIB par tête, et en ordonnée un indicateur du degré d’inégalités, comme le rapport inter décile ou le coefficient de Gini, on constate qu’à un niveau de richesse par tête faible, le niveau d’inégalité est lui-même relativement faible. Au furet à mesure que le niveau de richesse augmente, les inégalités augmentent également, jusqu’à un seuil au-delà duquel elles finissent par diminuer.

2) La courbe de Kuznets est construite à partir d’un constat empirique. Toutefois, lors de la publication de l’article de Kuznets, ce constat est interprété comme une théorie à validité universelle. Pour Picketty, c’est lié à l’optimisme qui caractérisait la période des Trente Glorieuses marquées par une croissance sans précédent des économies industrialisées.

3) Kuznets insiste sur l’idée selon laquelle la hausse et la baisse des inégalités ne s’expliquent pas par une intervention étatique. Ainsi, il serait inutile de mettre en œuvre des politiques sociales visant à réduire les inégalités car ce phénomène interviendrait naturellement.

4) La montée récente des inégalités de revenus et de patrimoine, aux Etats-Unis notamment, remet en cause l’idée que la diminution des inégalités soit amenée à se prolonger dans les pays développés.

 

Document 5 : La courbe de Kuznets critiquée par Piketty

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« Selon la théorie de Kuznets, les inégalités de revenus sont spontanément appelées à diminuer dans les phases avancées du développement capitaliste, quelles que soient les politiques suivies ou les caractéristiques du pays, puis à se stabiliser à un niveau acceptable. Proposée en 1955, il s’agit véritablement d’une théorie pour le monde enchanté des « Trente Glorieuses » : il suffit d’être patient et d’attendre un peu pour que la croissance bénéficie à tous. Une expression anglo-saxonne résume fidèlement la philosophie du moment : « Growth is a rising tide that lifts all boats » (« La croissance est une vague montante qui porte tous les bateaux »).

 

(...) Toujours est-il que ces données permettent à Kuznets de calculer l’évolution de la part dans le revenu national américain des différents déciles et centiles supérieurs de la hiérarchie des revenus. Or que trouve-t-il ? Il constate qu’une forte réduction des inégalités de revenus a eu lieu aux États-Unis entre 1913 et 1948. Concrètement, dans les années 1910-1920, le décile supérieur de la répartition, c’est-à-dire les 10 % des Américains les plus riches, recevaient chaque année jusqu’à 45 %-50 % du revenu national. À la fin des années 1940, la part de ce même décile supérieur est passée à environ 30 %-35 % du revenu national. La baisse, supérieure à dix points de revenu national, est considérable : elle est équivalente par exemple à la moitié de ce que reçoivent les 50 % des Américains les plus pauvres. La réduction des inégalités est nette et incontestable. Kuznets ira plus loin en proposant en 1955 une « courbe en cloche» des inégalités, c’est-à-dire d’abord croissantes puis décroissantes, au cours du processus d’industrialisation et de développement économique.

 

D’après Kuznets, à une phase de croissance naturelle des inégalités caractéristique des premières étapes de l’industrialisation, et qui aux États-Unis correspondrait grosso modo au XIXe siècle, succéderait une phase de forte diminution des inégalités, qui aux États-Unis aurait commencé au cours de la première moitié du XXe siècle. Son idée serait que les inégalités s’accroissent au cours des premières phases de l’industrialisation (seule une minorité est à même de bénéficier des nouvelles richesses apportées par l’industrialisation), avant de se mettre spontanément à diminuer lors des phases avancées du développement (une fraction de plus en plus importante de la population rejoint les secteurs les plus porteurs, d’où une réduction spontanée des inégalités). Ces « phases avancées » auraient commencé à la fin du XIXème ou au début du XXème siècle dans les pays industrialisés, et la compression des inégalités survenue aux États-Unis au cours des années 1913-1948 ne ferait donc que témoigner d’un phénomène plus général, que tous les pays, y compris les pays sous-développés présentement empêtrés dans la pauvreté et la décolonisation, devraient en principe être amenés à connaître un jour ou l’autre.

 

(...) La théorie enchantée de la « courbe de Kuznets » a été formulée en grande partie pour de mauvaises raisons, et que son soubassement empirique est extrêmement fragile. Nous verrons que la forte réduction des inégalités de revenus qui se produit un peu partout dans les pays riches entre 1914 et 1945 est avant tout le produit des guerres mondiales et des violents chocs économiques et politiques qu’elles ont entraînés (notamment pour les détenteurs de patrimoines importants), et n’a pas grand-chose à voir avec le paisible processus de mobilité intersectorielle décrit par Kuznets. Depuis les années 1970, les inégalités sont fortement reparties à la hausse dans les pays riches, notamment aux États-Unis, où la concentration des revenus a retrouvé dans les années 2000-2010 – voire légèrement dépassé – le niveau record des années 1910-1920 : il est donc essentiel de bien comprendre pourquoi et comment les inégalités avaient diminué la première fois. »

Extrait de Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, 2013

Questions : 

1) Rappelez ce que désigne la courbe de Kuznets.

2) Expliquez le passage souligné.

3) Pourquoi cette courbe a-t-elle été formulée pour de « mauvaises raisons » selon Piketty ?

4) Quel phénomène récent la remet-il en cause ?

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1) On a souvent synthétisé la théorie de Kuznets sous la forme d’une « courbe en U inversé », alors nommée courbe « Kuznets ». Elle stipule que si l’on met en abscisse un indicateur de richesse économique par habitant, comme le PIB par tête, et en ordonnée un indicateur du degré d’inégalités, comme le rapport inter décile ou le coefficient de Gini, on constate qu’à un niveau de richesse par tête faible, le niveau d’inégalité est lui-même relativement faible. Au furet à mesure que le niveau de richesse augmente, les inégalités augmentent également, jusqu’à un seuil au-delà duquel elles finissent par diminuer.

2) La courbe de Kuznets est construite à partir d’un constat empirique. Toutefois, lors de la publication de l’article de Kuznets, ce constat est interprété comme une théorie à validité universelle. Pour Picketty, c’est lié à l’optimisme qui caractérisait la période des Trente Glorieuses marquées par une croissance sans précédent des économies industrialisées.

3) Kuznets insiste sur l’idée selon laquelle la hausse et la baisse des inégalités ne s’expliquent pas par une intervention étatique. Ainsi, il serait inutile de mettre en œuvre des politiques sociales visant à réduire les inégalités car ce phénomène interviendrait naturellement.

4) La montée récente des inégalités de revenus et de patrimoine, aux Etats-Unis notamment, remet en cause l’idée que la diminution des inégalités soit amenée à se prolonger dans les pays développés.

Document 6 : Comparaison du rendement du capital et du taux de croissance, en pourcents en moyenne, par an, dans le monde

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Questions : 

1) Rappelez ce que désigne la « loi du capitalisme » de Piketty et sa formule générale.

2) D’après le tableau, cette loi est-elle vérifiée à toutes les périodes ?

3) Comment expliquer ce phénomène ?

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1) La « loi du capitalisme » de Piketty énonce que tendanciellement, le taux de croissance est plus faible que le taux qui rémunère le capital, ce qui tend à accroître les inégalités. Il résume cette loi par une formule générale  « r>g » (avec « r » comme rentabilité du capital et « g » comme taux de croissance de l’économie).

2) D’après le tableau, le taux de rendement du capital a été inférieur au taux de croissance économique entre 1913 et 2012. Au cours de cette période, la loi de Piketty a donc été enfreinte. 

3) La « loi du capitalisme » n’est pas une loi universelle mais est généralisée tant que les phénomènes politiques et historiques ne la contredisent pas. Cela a été le cas durant cette période, durant laquelle il y a eu une volonté politique de réduire les inégalités et des accidents historiques (comme les guerres mondiales) qui ont mis à mal les détenteurs de capitaux.

Document 7 : Egalité des positions et égalité des chances

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« Il existe deux grandes manières de considérer les inégalités sociales. La première, plutôt européenne, liée au mouvement ouvrier et à la tradition de la gauche, pense qu’il importe d’abord de réduire les inégalités entre les positions sociales, de resserrer l’écart entre les plus riches et les plus pauvres. Dans ce cadre, on considère que les inégalités sociales sont principalement des inégalités de classes opposant les exploiteurs aux exploités. La justice sociale consiste à offrir des protections sociales contre les aléas de la vie et de l’économie, elle conduit à développer l’État providence et les services publics grâce à l’impôt progressif et à la redistribution. C’est ce que l’on a longtemps appelé le progrès social.

 

Aujourd’hui, cette conception de l’égalité des places est mise à mal par la mondialisation qui met les Etats providence nationaux en concurrence. Elle est aussi affaiblie par le recul de la croissance et par l’affaiblissement de l’idée de solidarité quand les sociétés nationales deviennent plurielles et pluriculturelles. Par ailleurs cette conception de la justice a longtemps été aveugle aux inégalités imposées aux femmes et aux minorités car elle était construite sur la figure de l’homme travailleur et blanc sur laquelle étaient construits les droits sociaux. Mais tout au long du XXe siècle, l’égalité des places a très sensiblement réduit les inégalités sociales, même si l’État providence a surtout bénéficié aux classes moyennes.

 

La seconde conception de la justice sociale, plutôt américaine, considère que la justice sociale est avant tout la promotion de l’égalité des chances méritocratique : chacun doit pouvoir réussir en fonction de son mérite. Dans ce cadre, les inégalités sont moins définies en termes de revenus et d’exploitation qu’en termes de discriminations et de traitement inéquitable des minorités privées de leurs chances de réussir. Ce modèle s’impose quand le premier faiblit, quand la société est plus individualiste et quand chacun a le droit égalitaire de vouloir réussir et d’échapper ainsi à sa condition sociale. Aujourd’hui, l’égalité des chances tend à s’imposer et les discriminations sont devenues la figure cardinale des injustices. Cependant il faut noter que, même si l’égalité de chances n’est pas contestable en termes de principes de justice, ce modèle de l’équité peut accroître les inégalités de positions dès lors que les vainqueurs et les vaincus de la méritocratie mériteraient leur sort. De plus ce modèle interroge la solidarité puisque la société n’est plus perçue comme un système fonctionnel, mais comme une compétition continue pour obtenir le succès, même quand cette compétition est équitable. »

 

Source : « Les inégalités sociales en France. Entretiens », Louis Maurin, François Dubet, Laurent Mucchielli, Pierre Bruno, Dans Le français aujourd'hui 2013/4 (n°183), pages 29 à 40

Questions : 

1) Retrouvez les définitions des notions d’égalité des chances et d’égalité des position, avant de précisez les politiques sociales qui leur sont associées.

2) Quels sont leurs avantages et inconvénients respectifs ?

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1) L’égalité des positions désigne le resserrement des écarts entre les plus riches et les plus pauvres. Elle renvoie à des mesures visant à réduire les différences de revenus ou de patrimoine (redistribution verticale), aux services publics fournis par l’Etat ou encore à la protection sociale (redistribution horizontale). L’égalité des chances désigne la promotion du fait que chacun puisse réussir selon son mérite. Elle renvoie à des mesures de lutte contre les discriminations visant à réduire le poids de critères illégitimes tels que le sexe, l’origine social, l’origine géographique, etc. sur les parcours individuels.

2)

Document 8 : Des théories de la justice égalitaristes

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« Les éthiques de l’organisation sociale qui ont résisté à l’épreuve du temps ont quasiment toutes en commun de vouloir l’égalité de quelque chose – ce quelque chose jouant un rôle majeur dans leur cadre théorique respectif. Toutes sont « égalitaristes » sur un point crucial – ils prônent résolument l’égalité de quelque chose que tout le monde devrait avoir, et qui est absolument vital dans leur approche particulière. Lorsqu’on perçoit le combat d’idées comme un affrontement entre partisans et adversaires de l’égalité (…) on manque donc une caractéristique essentielle du sujet. (…) Assigner le premier rôle à la question « Egalité de quoi ? » invite à appréhender les débats entre écoles de pensée à partir de l’aspect qu’elles choisissent respectivement de privilégier pour un faire le centre de la pratique sociale où l’égalité est impérative. Cette exigence agira ensuite comme une contrainte sur la nature des autres décisions sociales. Si une théorie impose l’égalité sur une variable, elle devra peut être se montrer inégalitaire sur une autre, puisqu’il est tout à fait possible qu’il y ait conflit entre les deux égalisations. (…) Vouloir l’égalité sur ce que l’on a placé au « centre » de la pratique sociale, c’est par la même accepter l’inégalité dans les lointaines « périphéries ». Le débat porte, en dernière analyse sur la localisation du centre. 

(...) Il s’agit de reconnaître la « durabilité » de logiques de justice plurielle et concurrentes, qui peuvent toutes prétendre à l’impartialité mais n’en sont pas moins différentes – et rivales. En voici un exemple : il s’agit de décider lequel de ces trois enfants – Anne, Bob ou Cala – doit recevoir la flûte qu’ils se disputent. Anne la revendique au motif qu’elle est la seule des trois à savoir en jouer Autre scénario : Bob prend la parole, défend son droit à avoir la flûte en faisant valoir qu’il est le seul des trois à être pauvre au point de ne posséder aucun jouet. (...) Dans le troisième scénario, c’est Carla qui fait remarquer qu’elle a travaillé assidûment pendant des mois pour fabriquer cette flûte (les autres le confirment). Les théoriciens de différentes tendances, comme les utilitaristes, les partisans l’égalitarisme économique ou encore les libertariens purs et durs, diront peut-être que la solution juste, évidente crève les yeux. Mais il est à peu près certain que ce ne sera pas la même. »

Source : Amartya Sen, Repenser l’inégalité, Seuil, 2000

Questions : 

1) Qu’est-ce qui différencie les différentes théories de la justice selon le sens commun et selon Sen ?

2) En quoi y a-t-il conflits entre les différents principes d’égalisation ? Illustrez votre réponse en opposant deux formes d’égalité.

3) Quelles sont les trois conceptions de la justice citées dans l’exemple de Sen ? Associez-y chaque enfant et le critère d’égalité mis en avant.

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1) Le sens commun distingue parfois les théories de la justice selon qu’elle prône l’égalité ou la liberté. Sen remet en cause cette distinction. Selon lui, l’impératif d’égalité, ou la nécessité de traiter chacun sur un pied d’égalité selon un critère précis, est au cœur de toute théorie de la justice. Seulement ces théories se différencie selon le critère retenu.

2) Prôner l’égalité dans un domaine conduit à accepter l’inégalité dans un autre. Par exemple, favoriser l’égalité des chances, soit l’accès égal à différentes positions sociales selon son mérite, conduit à accepter les inégalités de position sociale.

3) Amartya Sen cite différentes conceptions de la justice :

- La conception libertarienne, visant l’égalité des libertés, et notamment la liberté de jouir des fruits de son travail. La petite fille qui prône ce principe de justice est Cala, qui a fabriqué la flûte.

- Les partisans de l’égalitarisme économique, visant l’égalité des ressources économiques. C’est Bob, l’enfant pauvre, qui revendique ce principe.

- Les utilitaristes, qui prône l’égalité des utilités, se focalisant sur le plaisir ressenti par les individus. C’est Anne, qui sait jouer de la flûte, qui revendique ce principe.

Document 9 : L’utilitarisme selon J.S. Mill

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« La doctrine qui donne comme fondement à la morale l'utilité ou le principe du plus grand bonheur, affirme que les actions sont bonnes ou sont mauvaises dans la mesure où elles tendent à accroître le bonheur, ou à produire le contraire du bonheur. Par "bonheur" on entend le plaisir et l'absence de douleur; par "malheur", la douleur et la privation de plaisir. Pour donner une vue claire de la règle morale posée par la doctrine, de plus amples développements sont nécessaires; il s'agit de savoir, en particulier, quel est, pour l'utilitarisme, le contenu des idées de douleur et de plaisir, et dans quelle mesure le débat sur cette question reste ouvert. Mais ces explications supplémentaires n'affectent en aucune façon la conception de la vie sur laquelle est fondée cette théorie de la moralité, à savoir que le plaisir et l'absence de douleur sont les seules choses désirables comme fin, et que toutes les choses désirables (qui sont aussi nombreuses dans le système utilitariste que dans tout autre) sont désirables, soit pour le plaisir qu'elles donnent elles-mêmes, soit comme des moyens de procurer le plaisir et d'éviter la douleur. »

Mill, L'utilitarisme, 1863

Questions : 

1) Comment Mill définit-il l’utilitarisme ?

2) Qu’est-ce que l’utilité en science économique ?

3) Pourquoi, selon l’auteur, l’utilité apparaît-elle comme un critère « neutre » ?

4) Est-il vrai que toutes les actions « bonnes » procurent du plaisir ?

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1) Mill définit l’utilitarisme comme la doctrine qui promeut les actions visant à augmenter le bonheur et à diminuer les peines des individus.

2) L’utilité économique est la satisfaction tirée de la consommation d’un bien ou d’un service.

3) L’utilité comme principe de justice permet une certaine neutralité car il laisse ouverte la possibilité de désirer ce qu’il souhaite. Cela évite d’imposer une conception précise du « bien » aux individus.

4) Certaines actions jugées « bonnes » peuvent être source de souffrance comme le fait de se sacrifier pour sa patrie, ou de laisser sa place dans le bus à une personne âgée.

Document 10 : Du succès de l’utilitarisme à la critique rawlsienne

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« En 1950, l’utilitarisme est la doctrine normative la plus importante dans le monde anglophone. En particulier, elle domine la branche de l’économie à laquelle Rawls commence à s’intéresser, l’économie normative (welfare economics). Celle-ci propose au législateur et à l’administration, des évaluations et des recommandations qui ont pour critères l’efficacité dans le fonctionnement de l’économie et dans la répartition des ressources selon le principe d’optimalité de Pareto ainsi que l’amélioration du bien-être (welfare) des agents concernés. (...)

[Pour l’utilitarisme,] l’idée principale est qu’une société est bien ordonnée et, par là même juste, quand ses institutions majeures sont organisées de manière à réaliser la plus grande somme totale de satisfaction pour l’ensemble des individus qui en font partie. Sur ce point, il semble qu’il ne puisse qu’y avoir unanimité. La société juste et « bien ordonnée » vise le bonheur de tous ses membres, une société « mauvaise » ou « injuste » fait, au contraire, leur malheur. Mais derrière cette thèse apparemment simple se dissimulent des débats d’une grande complexité dans lesquels Rawls allait jouer, dès la publication de ses premiers articles, un rôle important. La critique de Rawls est d’autant plus forte qu’elle saisit exactement ce qui fait la valeur du raisonnement utilitariste.

Les raisons du succès de l’utilitarisme, pour Rawls, tiennent avant tout à sa structure conceptuelle, et c’est un modèle qu’il devait tenter de suivre tout au long de sa réflexion sur la justice. C’est une doctrine qui a été, en effet, capable de fournir un critère impartial, à la fois rationnel et empirique, susceptible d’être unanimement accepté, pour évaluer les états sociaux et politiques et les décisions politiques et économiques, un critère qui ne doit rien ni aux traditions morales et religieuses ni aux jugements moraux subjectifs des dirigeants politiques ou de l’opinion publique majoritaire qu’ils représentent. L’utilitarisme fournit une « morale » politique, laïque et rationnelle, qui, (...) a pu faire l’objet d’un vaste consensus dans le monde anglophone, (...) Ce que Rawls admire surtout dans l’utilitarisme, c’est qu’il ait été capable de fournir un guide reconnu pour l’évaluation et la décision politiques, une conception publique de la justice.

(...) L’utilitarisme possède plusieurs dimensions essentielles : c’est une morale démocratique et égalitariste puisque son critère d’évaluation, l’utilité, y est défini par les aspirations et les choix des individus eux-mêmes, chacun comptant également. (...) L’utilitarisme mesure la valeur d’une action ou d’une décision par ses conséquences observables, non par les caractéristiques de l’agent, ses intentions, ses vertus ou ses bonnes dispositions. En se concentrant sur l’action et ses conséquences, il suppose donc une conception morale de la personne plus objective que celle de la morale traditionnelle, en particulier de la responsabilité et de la justice pénale. Enfin, c’est un universalisme hédoniste, tout être humain cherchant à fuir la souffrance et à maximiser le plaisir. Ce sont donc les conséquences de l’action mesurables en ces termes qui servent de critère universel d’évaluation du choix social et politique.

(...) L’appel à la sympathie pour évaluer l’intérêt général à partir des utilités individuelles ignore ce qui constitue le principe de base des démocraties libérales contemporaines : la protection de l’individu, de ses droits et libertés de base et de son caractère distinct. Traiter l’agent comme un être autonome veut dire reconnaître sa capacité à choisir lui-même ce qui possède une valeur intrinsèque pour lui, ses fins et ses intérêts les plus importants. Au contraire, traiter ses choix comme interchangeables et équivalents à ceux de n’importe qui d’autre en autorise le sacrifice si le bien-être général peut ainsi être augmenté. La diminution de la satisfaction des uns est compensée par l’augmentation de celle des autres dans le calcul de l’utilité moyenne ou générale, « les gains des uns compensent les pertes des autres » et « la pluralité des personnes n’est pas prise vraiment au sérieux par l’utilitarisme. Rawls allait donc s’employer à mettre en évidence ce qui fonde le caractère distinct des personnes et, en conséquence, la nécessité de recourir à des principes de justice pour arbitrer entre leurs désirs antagonistes, ce dont l’identification par la sympathie prétend se passer. »

Source : Audard Catherine, « Une critique de la conception utilitariste de la personne et de l’agent économique [1] », dans : Gilles Campagnolo éd., Philosophie économique. Un état des lieux, 2017

Questions : 

1) Qu’est-ce que l’économie du bien-être ? Quelle y est la place du critère d’utilité ?

2) Comment expliquer le succès de l’utilitarisme comme guide pour l’évaluation des décisions publiques ?

3) Quelles sont les trois grandes caractéristiques de l’utilitarisme ?

4) Pourquoi Rawls le critique-t-il ?

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1) L’économie du bien-être est la composante de la science économique qui porte sur l’estimation de la qualité de vie et l’appréciation des politiques publiques. Elle a une longue histoire de valorisation de l’utilité : elle l’a mis au cœur de sa méthode d’évaluation et a vu en lui le seul guide pour détermine le bien-être humain et les avantages dont jouissent des individus.

2) L’utilitarisme doit son succès à son impartialité. Il offre un critère d’évaluation détachés des traditions religieuses ou morales, n’imposant aucun jugement et aucune restriction aux désirs et aux choix des individus. Il peut alors facilement faire l’objet d’un consensus.

3) L’utilitarisme est un principe démocratique (chacun compte pour un et est libre de ses aspirations) ; conséquentialiste (les actions sont évaluées à l’aune de leurs conséquences, en termes d’utilités individuelles) ; hédoniste (seul compte la volonté de réduire les peines et d’augmenter les plaisirs).

4) Rawls critique le fait que l’utilitarisme ne reconnaisse pas le caractère distincts des personnes. En effet, c’est la maximisation de l’utilité totale qui est visée, sans considération pour l’utilité des personnes prises une par une. Par ailleurs, il autorise le sacrifice de quelques uns au nom de l’utilité collective, ne reconnaissant aucun droit humain fondamental.

Document 11 : Les biens premiers face à l’utilité

Facile

« Afin d'aborder cette question, nous devons tout d'abord constater une distinction importante entre les conceptions de la justice qui admettent une pluralité de conceptions différentes et opposées, voire même incommensurables, du bien et celles qui affirment au contraire l'existence d'une seule conception du bien que toutes les personnes, pour autant qu'elles soient rationnelles, devraient reconnaître comme telle. Des conceptions de la justice situées de part et d'autre de cette ligne de partage traitent le problème des comparaisons interpersonnelles de façons totalement différentes. Platon et Aristote, ainsi que la tradition chrétienne représentée par Thomas d'Aquin et Augustin, défendent l'existence d'un bien (rationnel) unique. Depuis l'Antiquité, l'affirmation qu'il n'existe qu'une seule conception rationnelle du bien correspond en effet à la tradition dominante. Le présupposé du libéralisme (compris en tant que doctrine philosophique), tel qu'il est représenté par Locke et Kant, est au contraire qu'il existe de nombreuses conceptions du bien contradictoires et incommensurables, chacune compatible avec la pleine autonomie et rationalité des personnes humaines. Ce présupposé conduit le libéralisme à supposer que les citoyens poursuivront une pluralité de conceptions du bien et que ce fait constitue la condition naturelle d'une culture démocratique libre. Si les utilitaristes classiques ­ Bentham, Edgeworth et Sidgwick ­ semblent accepter ce présupposé libéral, cette apparence est, à mon avis, trompeuse et provient de la nature subjective particulière de leur conception du bien rationnel. (...)

En tant que conception kantienne, la théorie de la justice comme équité accepte le présupposé libéral. L'unité de la société et l'allégeance des citoyens à leurs institutions communes ne repose donc pas sur l'adhésion à une conception rationnelle du bien, mais sur un accord autour de ce qui est juste pour des personnes morales libres et égales ayant des conceptions différentes et opposées du bien. (...)

Le rôle des institutions sociales de base est d'établir un cadre à l'intérieur duquel les citoyens peuvent chercher à réaliser leurs fins, pour autant que celles-ci ne violent pas les principes antérieurs et indépendants de la justice. »

Rawls, John. « Unité sociale et biens premiers », Raisons politiques, vol. 33, no. 1, 2009,

pp. 9-43.

 

Questions : 

1) Quelles sont les deux conceptions de la justice que différencie Rawls ?

2) D’après le texte, à quelle conception appartiennent les courants suivants ? Justifiez.

Le courant chrétien (D’Acquin, Saint Augustin)

Le courant antique (Platon, Aristote)

L’utilitarisme (Bentham, Edgeworth et Sidgwick)

Le libéralisme (Locke et Kant)

3) En quoi la focalisation sur les biens premiers et les libertés fondamentales garantissent-ils tous les deux la reconnaissance d’une pluralité de conceptions du bien ?

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1)Rawls distingue les conceptions de la justice qui ne reconnaissent qu’une seule conception du bien de celles qui en admettent une pluralité.

2)

  • Le courant chrétien (D’Acquin, Saint Augustin) ne reconnaît qu’une conception du bien, celle présente dans les textes religieux
  • Le courant antique (Platon, Aristote) ne reconnaît qu’une conception du bien, l’eudaimonia (« vie bonne ») qui est une certaine vision de l’épanouissement humain.
  • L’utilitarisme (Bentham, Edgeworth et Sidgwick) ne reconnaît qu’une conception du bien, le plaisir ou l’utilité.
  • Le libéralisme (Locke et Kant) en reconnaît plusieurs. L’Etat doit faire en sorte que chacun puisse les poursuivre librement dans une société démocratique.

3) Rawls cherche à inscrire sa théorie dans la conception libérale. Pour cela, il reconnaît d’abord des libertés fondamentales comme le doit de vote, la liberté de conscience etc. qui protègent l’autonomie individuelle, permettant d’être libre de choisir la vie que l’on souhaite mener. C’est son premier principe de justice. Par ailleurs, son deuxième principe met en avant la nécessité de répartir équitablement les biens premiers (revenus, pouvoirs, etc.) qui permettent à chacun de réaliser concrètement les projets qu’il a choisit librement.

Document 12 : Exercice d’application pour comprendre le principe de différence

Facile

Questions : 

1) Selon le « maximin », quelle est la situation la plus juste ?

Le principe de différence doit permettre de concilier égalité et efficience en stipulant que les inégalités sont justes si elles améliorent la situation des moins bien lotis. C’est le « maximin » qui consiste à maximiser la dotation minimale. Si deux situations conduisent à un accès identique aux biens premiers sociaux, alors il convient de trancher en fonction de la dotation des membres qui précèdent les moins favorisés. On parle alors de « leximin » puisqu’il s’agit de remonter catégorie par catégorie à partir de la dernière pour déterminer la situation la plus juste. Soit trois catégories A, B et C et trois situations :

 

2)  Selon le « leximin », quelle est la situation la plus juste ?

 

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1) Selon le maximin, les situations 2 et 3 sont équivalentes, puisque la catégorie la moins bien lotie obtient

2) Selon le leximin, c’est la situation 3 qui est la plus juste, puisque la catégorie précédant la moins bien lotie obtient 12 alors qu’elle n’obtient que 11 dans la situation 2.

Document 13 : Position originelle et voile d'ignorance

Facile

« Dans la théorie de la justice comme équité, la position originelle d'égalité correspond à l'état de nature dans la théorie traditionnelle du contrat social. Cette position originelle n'est pas conçue, bien sûr, comme étant une situation historique réelle, encore moins une forme primitive de la culture. Il faut la comprendre comme étant une situation purement hypothétique, définie de manière à conduire à une certaine conception de la justice.

Parmi les traits essentiels de cette situation, il y a le fait que personne ne connaît sa place dans la société, sa position de classe ou son statut social, pas plus que personne ne connaît le sort qui lui est réservé dans la répartition des capacités et des dons naturels, par exemple l'intelligence, la force, etc. J'irai même jusqu'à poser que les partenaires ignorent leurs propres conceptions du bien ou leurs tendances psychologiques particulières. Les principes de la justice sont choisis derrière un voile d'ignorance. Ceci garantit que personne n'est avantagé ou désavantagé dans le choix des principes par le hasard naturel ou par la contingence des circonstances sociales.

Comme tous ont une situation comparable et qu'aucun ne peut formuler des principes favorisant sa condition particulière, les principes de la justice sont le résultat d'un accord ou d'une négociation équitable (fair). Car, étant donné les circonstances de la position originelle, c'est-à-dire la symétrie des relations entre les partenaires, cette situation initiale est équitable à l'égard des sujets moraux, c'est-à-dire d'êtres rationnels ayant leurs propres systèmes de fins et capables, selon moi, d'un sens de la justice. La position originelle est, pourrait-on dire, le statu quo initial adéquat et c'est pourquoi les accords fondamentaux auxquels on parvient dans cette situation initiales sont équitables. Tout ceci nous explique la justesse de l'expression "justice comme équité" : elle transmet l'idée que les principes de la justice sont issus d'un accord conclu dans une situation initiale elle-même équitable. »

 

Rawls (John), Théorie de la justice, 1971

Questions portant sur le graphique :

1) Quel est l’outil ayant permis de classer la population américaine pour construire le graphique, et quel est le critère de classement ?

2) Faites des phrases de lectures significatives pour présenter les données en gris clair sur les diagrammes.

3) En quoi peut-on dire que l’intérêt personnel des individus a influencé leur réponse ?

 

Questions portant sur le texte :

4) Qu’est-ce que la position originelle d'égalité ?

5) Quel est son intérêt pour construire une théorie de la justice ?

6) Quel est le sens de l’expression « justice comme équité » ?

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1) La population américaine a été classée en déciles de revenus.

2) Sur 100 américains préférant vivre aux Etats-Unis plutôt qu’en Suède ou dans un pays parfaitement égalitaire, moins d’un était issu des deux déciles de revenus les plus pauvres. Sur 100 américains préférant vivre en Suède plutôt qu’au Etats-Unis ou dans un pays parfaitement égalitaire, 11 étaient issus des deux déciles de revenus les plus pauvres. Sur 100 américains préférant vivre dans un pays parfaitement égalitaires plutôt qu’aux Etats-Unis ou en Suède, 20 provenaient des deux déciles de revenus les plus pauvres.

3) Au plus les individus interrogés sont riches, au moins leur intérêt pour l’égalitarisme économique est marqué. À l’inverse, les individus plus pauvres sont plus enclins à le viser. Nous pouvons en effet considérer que la Suède (Etat-Providence universel et très protecteur) est un pays plus égalitaire que les Etats-Unis (Etat-Providence résiduel).

4) C’est une situation hypothétique antérieur à la vie en société, dans laquelle les individus élaborent un contrat social et des principes de justice en étant dans un « voile d’ignorance », c’est à dire ne connaissant par la position sociale qu’il occuperont dans la société.

5) Dans la mesure où les individus ignorent la place qu’ils occuperont dans la société qui sera encadrée par le contrat, ils choisissent des principes de justice qui ne lèsent personne. Ainsi, les principes de justice sont le fruit de la rationalité humaine et pas du hasard ou des contingences sociales.

6) Elle traduit l’idée que les principes de justice proviennent d’une situation initiale équitable, où chacun est traité sur un pied d’égalité. La théorie de Rawls est une théorie de la justice procédurale, c’est à dire que c’est la procédure mise en œuvre pour y parvenir qui garantie leur légitimité.

Document 14 : Le courant libertarien

Facile

« Mais pourquoi n'a-t-on pas la permission de violer les droits d'autres personnes en vue d'atteindre un bien social plus grand ? Sur le plan individuel, chacun de nous choisit quelquefois de subir quelque douleur ou de pratiquer quelque sacrifice pour en tirer un bénéfice plus grand ou pour éviter un mal plus grand : nous allons chez le dentiste pour éviter une souffrance plus grande par la suite ; nous nous livrons à quelque travail déplaisant en vue d'obtenir des résultats ; d'aucuns jeûnent pour améliorer leur santé ou leur apparence ; d'autres économisent de l'argent pour leurs vieux jours. Dans chaque cas, on paye un certain prix pour sauver le bien général. Pourquoi, de façon similaire, ne dirait-on pas que certaines personnes doivent supporter certains coûts qui peuvent bénéficier à d'autres, pour sauver le bien social général ? Mais il n'existe pas d'entité sociale ayant un bien qui subisse quelque sacrifice par son propre bien. Il n'y a que des individus, des individus différents, avec leur vie individuelle propre. Utiliser l'un de ces individus pour le bénéfice d'autres, c'est l'utiliser et en faire bénéficier les autres. Rien de plus. Ce qui arrive, c'est que quelque chose lui est fait, pour le bien des autres. Parler de bien social général, c'est dissimuler cela. (Intentionnellement ?) Utiliser une personne de cette façon ne respecte pas suffisamment ni ne prend en considération le fait qu'elle est un individu séparé, que c'est la seule vie qu'elle ait. Elle ne tire aucun bénéfice marquant de son propre sacrifice, et personne n'est en droit de l'y forcer. »

Robert NozickAnarchie, État et utopie, 1974

Questions : 

1) Quels types de sacrifices sont légitimes selon Nozick ? Lesquels sont illégitimes ?

2) Expliquez la phrase soulignée.

3) En quoi la conception libertarienne de la justice est-elle différente de la conception utilitariste ? De celle de Rawls ?

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1) Les sacrifices menés au nom du bien individuel, fruits de nos choix de vie (ex : épargner pour sa retraite) sont légitimes, car ils sont issus de l’exercice de notre liberté. À l’inverse, les sacrifices menés au nom du bien collectif sont illégitimes, car ils ne sont pas issus de choix libres. Personne ne peut donc nous forcer à y consentir.

2) Pour Nozick, l’idée de bien collectif une fiction, car la société n’est que la somme des individus qui la composent. Prôner le sacrifice individuel au nom du bien collectif est en réalité une manière d’instrumentaliser certains individus au nom du bien de certains autres.

3) La conception libertarienne est différente de la conception utilitariste dans le sens où elle fait passer la liberté avant l’utilité. Pour Nozick, prôner le critère d’utilité revient à autoriser des sacrifices individuels en son nom, ce qui est inacceptable. Par ailleurs, le libertarisme est critique envers la théorie de Rawls, qui ne protègerait pas suffisamment les libertés fondamentales (premier principe chez Rawls). En effet, Rawls fait passer l’égalité des chances et les droits fondamentaux avant l’égalité des résultats, mais il autorise la redistribution des biens premiers à partir du moment où elle permet d’améliorer le sort des plus défavorisés.

Document 15 : Des biens premiers aux capabilités

Facile

«  Les succès susceptibles d’être valorisés dans le fonctionnement humain sont très diversifiés. Ils vont du fait d’être bien nourri, au fait de ne pas mourir prématurément,  au fait de pouvoir participer à la vie de la communauté ou encore au fait d’acquérir les compétences nécessaires à ses ambitions professionnelles. La capabilité, qui nous intéresse plus particulièrement, est notre aptitude à réaliser diverses combinaisons de fonctionnements que nous pouvons comparer et juger les unes par rapport aux autres au regard de ce que nous avons de raisons de valoriser. (...)

L’approche par les capabilités se concentre sur la vie humaine et pas seulement sur des « objets de confort » comme les revenus ou les produits de base – souvent érigés en critères principaux du succès humain, notamment dans l’analyse économique. Elle propose d’abandonner la focalisation sur les moyens d’existence pour s’intéresser aux possibilités réelles de vivre. Alors que les biens premiers sont, au mieux, des moyens d’atteindre les fins valorisées de l’existence humaine, ils deviennent, dans la formulation rawlsienne des principes de justice, les critères cruciaux pour juger l’équité de la répartition. L’approche par les capabilités se préoccupe tout spécialement de corriger cette concentration sur les moyens et elle insiste sur la possibilité de réaliser effectivement les fins et sur la liberté concrète d’atteindre ces fins raisonnables. On voit sans peine que le raisonnement en faveur de cette réorientation vers la capabilité peut faire une différence importante, et constructive ; si quelqu’un, par exemple, a un revenu élevé mais souffre de maladies chroniques. (...)

En termes de polyvalence, la perspective des capabilités est plus générale – et englobe plus d’informations – que la concentration sur les seuls fonctionnements accomplis. Cette remarque préliminaire est manifestement un argument minimal, et beaucoup d’autres, cette fois positifs, montrent toute l’importance de la perspective des capabilités et de la liberté, Premièrement, même une situation où deux personnes paraissent vraiment égaux dans les fonctionnements réalisés peut malgré tout dissimuler des différences importantes ente leurs avantages respectifs. Quelqu’un qui jeûne volontairement est dans une meilleure situation que quelqu’un qui n’a pas les moyens de manger à sa faim. Deuxièmement, la capacité de choisir entre des affiliations différentes dans la vie culturelle peut avoir une importance à la fois personnelle et politique. L’enjeu crucial est la liberté de choisir sa façon de vivre. Troisièmement, la distinction entre capabilité et accomplissement est importante pour une autre raison, liée à l’action publique. Il s’agit de la responsabilité et de l’obligation qu’ont les sociétés, et les autres en général, d’aider les défavorisés, question qui a un impact tant sur les mesures prises au sein des Etats que sur l’effort général pour promouvoir les droits humains. Garantir une assurance-maladie de base, par exemple c’est essentiellement donner aux gens la capabilité d’améliorer leur état de santé. Si quelqu’un peut bénéficier d’un système de financé par la société mais décide, en toute connaissance de cause, de l’absence de soins, cela n’est pas une préoccupation sociale aussi brûlante que si la possibilité de se soigner ne lui avait pas été offerte.

(...) Les fonctionnements et les capabilités sont différents, et il est essentiel qu’ils le soient puisqu’ils concernent des aspects différents de notre vie et de notre liberté. (...) On est habitué depuis si longtemps, dans certaines composantes de l’économie et de la philosophie politique, à traiter une caractéristique prétendument homogène (par exemple le revenu ou l’utilité) comme l’unique bonne chose. (...) L’usage massif du produit national brut (PNB) comme indicateur de la situation économique d’un pays a aussi œuvré dans le même sens ».

Amartya SEN, L’idée de Justice, 2009

Questions : 

1) Qu’est-ce que Sen appelle des fonctionnements ? Donnez-en des exemples.

2) Quel est le lien entre fonctionnements et capabilités ? Illustrez la différence entre les deux notions.

3) Pourquoi vaut-il mieux promouvoir les capabilités plutôt que les fonctionnements ?

4) Que Sen reproche-t-il aux biens premiers de Rawls ?

5) D’après le texte, que reproche-il au critère d’utilité ?

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1) Les fonctionnements désigne l’ensemble des états et des actions qui composent la vie d’un individu. Ils sont très variés, allant du plus trivial (faire du vélo ; manger bio) au plus complexe (participer à la vie politique ; bénéficier d’une éducation du supérieur).

2) Les capabilités désigne l’ensemble des fonctionnements qu’un individu peut exercer et parmi lesquels ils peut choisir, qu’il les mette effectivement en œuvre ou non. Par exemple, un individu peut avoir la capabilité d’accéder au fonctionnement « faire du vélo », mais décider de ne pas en faire.

3) Le critère de justice doit être la capabilité et non le fonctionnement. Sen donne trois arguments pour justifier sa préférence. D’abord, se focaliser sur un fonctionnement risque de masquer certains désavantage (ex : l’individu qui n’a pas les moyens de manger par rapport à celui qui fait le choix de jeûner). Ensuite, la liberté de choisir d’exercer ou non des fonctionnements a une valeur intrinsèque. Enfin, se focaliser sur la capabilité permet de limiter la sphère d’action de l’Etat en légitimant certaines inégalités issues de la responsabilité individuelle (ex : choisir de ne pas se soigner).

4) Sen critique Rawls pour son utilisation du critère « bien premier » qui est moins pertinent que le critère des capabilités comme critère de distribution et pour évaluer les situations individuelles. En effet, ces biens ne sont que des moyens et non des fins en soi. Les individus en ont certes besoin pour réaliser les fonctionnements qu’ils choisissent, mais ils ne suffisent pas car leur utilisation dépend aussi de circonstances personnelles, politiques, etc. Par exemple, donner la même quantité de biens premiers à un handicapés et à une personne valide revient à avantager injustement la personne valide.

5) Sen critique le critère d’utilité car il réduit tout ce qui pourrait être valorisé dans une vie humaine à un aspect unique : le plaisir. Or, les fonctionnements diffèrent par bien des manières, et pas seulement selon l’intensité de plaisir à laquelle ils permettent d’accéder. Ajoutons que si ce n’est pas indiqué dans ce passage, Sen reproche aussi au critère d’utilité ne négliger les situations de « préférences adaptatives ». Selon lui, les personnes très désavantagées s’adaptent au caractère limité des fonctionnements auxquels ils ont accès et apprennent à s’en satisfaire. 

Document 16 : Un entretien avec Charles Taylor

Facile

On explique généralement l’émergence d’une conception plus intransigeante de la laïcité comme la réaction démocratique à une offensive religieuse ou à un durcissement clérical des religions. Mais, pour vous, le problème est moins lié à l’évolution interne des religions qu’à la difficulté des sociétés modernes à appréhender la diversité culturelle qui leur est aujourd’hui inhérente.

TAYLOR : Peut-être observe-t-on en France la montée d’un islam plus orthodoxe, qui viendrait corroborer votre première hypothèse. Je n’ai pas suffisamment étudié la question pour me prononcer sur ce point. Quoi qu’il en soit, la situation est tout à fait différente au Québec, dans la mesure où nous avons une immigration choisie sur la base du niveau d’éducation et des compétences. Ainsi, les musulmans québécois ont un niveau d’éducation universitaire en moyenne deux fois supérieur à celui du reste de la population, et environ 60% d’entre eux ne pratiquent pas du tout leur religion. Le problème ne vient donc pas d’une radicalisation des discours religieux dans l’espace public, mais bien d’une difficulté de l’État à faire face au multiculturalisme et à la diversité.

(...) En 2004, la commission Stasi avait pris l’option de dire que la valeur subjective attribuée par l’individu au signe qu’il porte est moins importante que l’interprétation objective qu’en donnait l’État. Or cette interprétation reste sujette à caution. Tout d’abord, le port du hijab est assimilé à un signe d’oppression féminine – indépendamment de la valeur subjective que la femme qui porte le voile attribue à ce geste. Son interdiction est alors légitimée par le principe fondamental de liberté de la femme. Ensuite, le port du voile serait moins un signe de piété qu’une déclaration d’hostilité contre la République française et ses fondements laïcs. Le terme « ostentatoire » doit d’ailleurs, à mon sens, être compris au regard de cet argument : est ostentatoire ce qui apparaît dans l’espace public comme un message de défi contre les valeurs républicaines (en anglais, cela pourrait se traduire par l’expression in your face). Il s’agit alors moins d’un signe « ostentatoire » qu’« attentatoire », du point de vue de la République. C’est d’ailleurs pourquoi le fait de porter une croix catholique – aussi visible soit-elle – ne sera pas assimilé à un signe religieux ostentatoire, car l’État n’y attachera jamais cette dimension de défiance et d’hostilité. À titre personnel, je condamne le primat de cette interprétation objective. Dans un État de droit, une personne devrait justement avoir le droit de déterminer la signification de ses actes.

Depuis les années 2000, les sociétés démocratiques occidentales réagissent de plus en plus durement à toute manifestation d’altérité, comme si l’expression libre d’identités individuelles pouvait ébranler l’identité collective du corps social et politique. Cette tendance n’est-elle pas symptomatique d’une crise d’identité de nos démocraties elles-mêmes ?

La première impression de peur face à l’altérité est tout à fait compréhensible. On se demande ce que l’autre va changer en s’installant parmi nous et où ces changements vont nous mener. Au Québec, cette peur se conjugue en outre avec une autre peur endémique liée à notre statut de population minoritaire en Amérique du Nord et à notre fragilité démographique. Cela se traduit par une volonté politique affirmée de pérenniser notre identité au détriment de celles des nouvelles communautés immigrantes, et notamment de la communauté musulmane. Mais, pour moi, c’est justement la tentative actuelle des sociétés démocratiques occidentales d’imposer une identité et de neutraliser ou de nier toutes les autres qui les affaiblit.

Pour reprendre la thèse de Pierre Rosanvallon dans la Société des égaux, la démocratie, telle qu’elle est issue des révolutions américaine et française, est une forme de société qui érige l’égalité comme principe structurant de la relation sociale. Ce projet constitutif d’égalité s’est construit sur l’idée d’une société de semblables qui agissent ensemble (c’est l’idée d’« égalité-participation ») pour créer les conditions d’un monde commun (au nom de l’« égalité-redistribution »). Or ce genre de lien présuppose une identité historico-ethnique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les systèmes d’États-providence les plus développés aujourd’hui se trouvent dans les pays scandinaves, qui ont conservé une forte homogénéité. Mais un problème se pose dans les sociétés qui sont composées aujourd’hui de personnes de cultures et de religions variées. La reconnaissance des différences se superpose alors au projet originel de constitution d’une société de semblables. On ne peut pas traiter les personnes différentes comme des citoyens de seconde zone sous prétexte qu’il est difficile de les intégrer dans le moule commun. La stigmatisation des différences ou l’aliénation de l’autre ne feront en effet que créer des réactions identitaires.

 

« Vivre dans le pluralisme », Esprit, 2014/10 (Octobre), p. 22-31. DOI : 10.3917/espri.1410.0022. URL : https://www-cairn-info.ressources-electroniques.univ-lille.fr/revue-esprit-2014-10-page-22.htm

Questions : 

1) Quels sont les arguments de Taylor pour dénoncer l’hypocrisie des Etats face à l’interdiction du port du hijab dans l’espace public ?

2) Qu’est-ce que la « crise d’identité de nos démocratie » et par quoi l’explique-t-il ?

3) Expliquez la phrase soulignée.

 

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1) Taylor critique d’abord l’interdiction port du hijab car elle empêche les femmes d’exprimer librement leur identité. Sous couvert d’une interprétation objective du hijab comme signe d’oppression de la femme, l’Etat libéral sensé être neutre vis à vis des conceptions individuelles du bien en impose en réalité sa propre conception du bien aux femmes, enfreignant leur liberté. Par ailleurs, l’interdire sous prétexte qu’il soit un signe ostentatoire est hypocrite car des signes portés par des groupes non-marginalisés comme la croix des chrétiens ne sont pas interprétés avec la même hostilité. En réalité, le hijab est interprété comme un signe « attentatoire » plus que comme un signe « ostentatoire ».

2) La crise d’identité de nos démocraties s’explique par l’accroissement de l’hétérogénéité culturelle au sein des pays, provoquée par l’immigration. En effet, il explique que les Etats-Providence se sont construit sur l’idée d’une société de semblable présupposant une identité historico-éthique commune. Cela expliquerait selon lui la peur face à l’altérité qui menace notre identité commune.

3) Pour respecter les minorités identitaires et leurs modes de vie différents, dans le cadre d’un Etat libéral démocratique qui se doit d’être neutre vis à vis de nos projets de vie, il faut reconnaître leurs différences. Les ignorer revient à affirmer implicitement une homogénéité identitaire qui nuirait à leur liberté.

Document 17 : Honneth et la lutte pour la reconnaissance

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En 1992, dans sa Lutte pour la reconnaissance, Honneth introduit dans le champ de la philosophie sociale l’idée que l’existence des individus et des collectivités ne consiste pas seulement dans des échanges de biens et de services utiles à la conservation de soi, mais aussi des « attentes de reconnaissance » de la part d’un autrui approbateur. Leur refus engendre humiliations et conflits. (...) Bon nombre des tensions qui traversent les sociétés modernes se sont trouvées éclairées d’un nouveau jour : les luttes pour l’égalité des sexes, pour le respect de minorités sexuelles et des minorités culturelles.

Est-ce que tout conflit social doit être analysé comme une lutte pour la reconnaissance ?

Ma position sur ce point a évolué au cours de mes recherches. Au départ, mon projet était seulement de critiquer le modèle classique qui analyse les conflits sociaux comme des conflits d’intérêts. Selon ce modèle, vous présupposez des sujets ou des groupes de sujets qui ont des intérêts définis, lesquels ne sont pas satisfaits dans les conditions données ; ces sujets luttent donc pour les satisfaire. Or, pour moi, il apparaissait qu’une partie en tout cas des conflits sociaux se comprenaient mieux en faisant intervenir des attentes morales, c’est-à-dire en les expliquant par des sentiments d’honneur bafoué, de mépris ou de déni de reconnaissance. Mais ce contre-modèle ne visait pas à analyser l’ensemble des conflits sociaux dont beaucoup restaient alors à mes yeux des conflits d’intérêts. Mais, au fur et à mesure que j’approfondissais la question, j’en suis venu à l’idée que tout conflit est partiellement motivé par des convictions morales. Mon idée désormais est donc que tous les types de conflits sociaux, même ceux qui visent la redistribution des biens et qui semblent être purement intéressés, doivent être compris comme des conflits normatifs, comme des luttes pour la reconnaissance.

Ne peut-il y avoir des demandes de reconnaissance injustifiées ? Ne pensez-vous pas qu’il y a parfois des abus, des manipulations ?

Oui, bien sûr, aussi bien du côté de ceux qui réclament de la reconnaissance que de ceux qui la refusent. Aujourd’hui, on utilise le terme de « reconnaissance » dans un sens très large. C’est même devenu un mot à la mode. Nous sommes parfois confrontés à des gens qui sont obsédés par l’idée qu’ils ne sont pas reconnus. Il faut être prudent dans l’analyse et se demander toujours jusqu’à quel point ces sentiments de mépris ou d’humiliation ont un fondement. Inversement, certaines formes de reconnaissance sont inauthentiques. Il y a parfois instrumentalisation. On peut vouloir donner le sentiment de reconnaître une personne ou un groupe de personnes sans que ce soit vraiment le cas. Une demande de reconnaissance est justifiée quand elle se réfère à certains principes normatifs. Toutes les sociétés sont basées sur de tels principes, acceptés, institués et donc pratiqués. Ce sont eux qui permettent l’intégration d’une communauté sociale. Ils définissent certaines sphères où les gens attendent d’être reconnus.

Quelles sont ces sphères sociales où s’expriment ces demandes de reconnaissance ?

Dans les sociétés modernes, nous pouvons distinguer trois sphères de reconnaissance qui jouent un rôle important pour comprendre nos pratiques et notre vie sociale. Le principe de l’amour dans la sphère intime, celui de l’égalité dans la sphère du droit, et celui de l’accomplissement individuel, de la reconnaissance de notre contribution au sein de la sphère de la production. Ces principes forment pour ainsi dire la grammaire de notre vie sociale.

Il y a vraiment déni de reconnaissance quand l’un au moins de ces trois principes est violé. Il faut toujours se souvenir des exigences internes de ces principes de reconnaissance. (...) Par exemple, concernant le principe de contribution, la théorie sociale peut aider à rendre clair que dans notre type de société, c’est une exigence légitime d’être inclus d’une manière telle que vous ayez la possibilité d’y contribuer. Dans un certain sens, le principe de contribution inclut donc le droit au travail. Parce que sans travailler, vous ne pouvez pas être reconnu pour votre contribution.

« Les conflits sociaux sont des luttes pour la reconnaissance », Christophe André éd., La reconnaissance. Des revendications collectives à l’estime de soi. Éditions Sciences Humaines, 2013, pp. 52-58.

Questions : 

1) Selon Honneth, quel est le lien entre les revendications sociales et les revendications pour la reconnaissance ?

2) Quelles formes de tensions sociale l’idée d’une lutte pour la reconnaissance permet-elle de mettre au jour ? Donnez des exemples.

3) Quel est le rôle des « sphère de reconnaissance » dans la pensée d’Honneth ?

Voir la correction

1) Selon Honneth, tout conflit social peut être interprété à travers le logiciel de la lutte pour la reconnaissance. En effet, les revendications se font toujours sur la base de la dénonciation d’un mépris, même les revendications économiques.

2) Bon nombre des tensions qui traversent les sociétés modernes se sont trouvées éclairées d’un nouveau jour à travers la lutte pour la reconnaissance. Par exemple, les luttes pour l’égalité des sexes, pour le respect de minorités sexuelles ou des minorités culturelles.

3) Selon A. Honneth, trois domaines de la reconnaissance des identités sont imbriqués: l’intime (qui apporte confiance en soi par l’amour, l’amitié), le droit (qui apporte le respect par une reconnaissance de l’égalité) et la solidarité (qui apporte l’estime de soi par la reconnaissance de l’utilité sociale, dont entre autres le travail). Il faut toujours se demander si les revendications de reconnaissance émises par les individus ont un fondement pour savoir si elles sont légitimes. Si elles relève d’une de ses sphères, selon lui, elles le sont.

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