Mots-clés : Croissance potentielle, Démographie, Productivité, Taux d’emploi, Transition énergétique.

Résumé
L’objet de l’ouvrage est de réfléchir à ce que pourrait être l’état de l’économie mondiale en 2050 : quelles seront les nouvelles puissances ? Quels seront les nouveaux rapports de force ? Et comment l’économie européenne, et tout particulièrement au sein de celle-ci l’économie française, peuvent-elle surmonter les handicaps structurels dont elles souffrent ?
L’ouvrage
L’hypothèse de travail du livre de Patrick Artus et Marie-Paule Virard est qu’à l’horizon 2050 l’économie mondiale devrait avoir deux moteurs : les Etats-Unis et l’Asie du Sud-Est (Vietnam, Malaisie, Cambodge, Thaïlande, Philippines, Indonésie), pays où le progrès technique et les gains de productivité sont importants, et où la démographie n’est pas défavorable. L’évolution des autres régions du monde est plus contrastée : l’Inde et l’Afrique devraient connaître une croissance modérée, les pays d’Amérique du Sud, de l’Union européenne, ainsi que la Chine et le Japon présentent deux handicaps importants : un recul de la population en âge de travailler et la faiblesse des gains de productivité. Dans ce livre, Artus et Virard portent une attention particulière à la situation de l’Europe et de la France.
En Europe, et donc aussi en France, les handicaps structurels sont importants : peu de gains de productivité, un vieillissement démographique, une absence de ressources en matières premières, une qualité assez faible du système éducatif. Ces handicaps structurels semblent condamner l’Europe à la décroissance, et cela d’autant plus que la baisse de la population totale à l’horizon de 30 ans est plus faible que celle de la population en âge de travailler, ce qui annonce une diminution du revenu par habitant et un déficit croissant des systèmes de protection sociale.
Quelle stratégie l’Europe doit-elle mettre en œuvre pour éviter la réalisation de ce scénario pessimiste ?
D’après nos deux auteurs, l’Europe doit d’abord accepter une immigration assez forte permettant de satisfaire les besoins des entreprises, aussi bien en termes d’emplois qualifiés que peu qualifiés. Elle doit aussi faire en sorte que l’épargne des Européens soit investie en Europe (ce qui n’est pas le cas actuellement : les pays excédentaires, à savoir l’Allemagne et les Pays-Bas, ont jusqu’à présent choisi de prêter au reste du monde) pour financer les investissements supplémentaires indispensables à la transition énergétique, à la préservation de la biodiversité, et à l’amélioration de la gestion de l’eau, ce qui permettrait à l’Europe d’offrir plus rapidement que les autres régions du monde une technologie « verte » de production, qui constituerait un atout formidable pour attirer les investissements. Une autre priorité, aussi bien à l’échelle de l’Europe qu’en France, est de corriger les autres handicaps structurels, et tout particulièrement la faible efficacité du système éducatif, dont résulte une faiblesse des compétences à tous les âges.
Pour mettre en œuvre cette stratégie, l’Europe doit modifier sa politique économique conjoncturelle dans le sens d’une politique budgétaire moins restrictive et d’une politique monétaire permettant un supplément d’endettement public et privé, c’est-à-dire d’une politique monétaire de taux d’intérêt à long terme inférieurs à la croissance de long terme. Cette politique économique n’est pas celle vers laquelle s’oriente l’Union européenne aujourd’hui, mais il n’est pas trop tard pour développer une stratégie européenne offensive fondée sur un nouveau modèle de développement.
Voir la note de lecture du livre de Joseph Stiglitz « L’euro : comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe »
I- Quel devrait être le poids économique de chaque région du monde en 2050 ?
Pour estimer le poids relatif de chaque région du monde en 2050, Artus et Virard se livrent à une simulation en extrapolant la tendance des trois grandes composantes de la croissance potentielle : les gains de productivité du travail, l’évolution de la population en âge de travailler, et le taux d’emploi.
Les résultats sont quelque peu surprenants. Avec 35,4% du PIB mondial à l’horizon 2050 (contre 29,6% en 2022), les Etats-Unis devraient rester l’économie dominante alors que le poids de la Chine dans l’économie mondiale stagnerait (22,8% en 2022 ; 23,5% en 2050), de même que celui de l’Amérique latine (7% en 2022 ; 6% en 2050). La baisse affecterait surtout les économies européennes (21,5% en 2022 ; 15% en 2050) et japonaise (6,4% en 2022 ; 3% en 2050). La croissance de l’Inde et du continent africain devrait être forte, mais pas au point de modifier la hiérarchie de l’économie mondiale.
Comment expliquer que les simulations de ce modèle ne correspondent pas à ce que bon nombre d’analystes croient pouvoir déceler concernant l’évolution de l’économie mondiale d’ici 30 ans, à savoir un déclin relatif de l’économie américaine et simultanément une montée en puissance de l’économie chinoise ?
Du côté des Etats-Unis, on peut dire que l’économie nourrit la croissance potentielle. La population en âge de travailler augmente, et le niveau d’investissements de modernisation, de dépenses de recherche et développement (R&D) et d’innovation est très élevé. Sur le terrain de la croissance potentielle, les Etats-Unis activent aussi un arsenal de politiques publiques (Inflation Reduction Act, Chips Act, modèle Darpa) qui font progresser l’investissement et la productivité. La croissance américaine est également alimentée par le dynamisme de la consommation (taux d’épargne qui ne dépasse pas 8%, contre 14% en zone euro), ainsi que par le goût des épargnants pour le risque, qui facilite la réalisation d’investissements d’avenir.
Du côté de la Chine, Artus et Virard expliquent au contraire que la croissance potentielle chinoise devrait tout doucement décrocher. Cela s’explique par les effets massifs du vieillissement démographique (la population chinoise devrait selon l’ONU diminuer de 110 millions d’individus entre 2022 et 2050) et une productivité qui ralentit (l’écart était de 5,5 points par an de 2002 à 2007 en faveur de la Chine ; il n’est plus que de 0,2 point par an de 2020 à 2023). Mais d’autres éléments jouent également pour affaiblir la croissance potentielle chinoise : la crise bancaire, la baisse des prix mobiliers et immobiliers, l’insuffisance de l’investissement des entreprises, la hausse de l’épargne, la politique monétaire et budgétaire, certes expansionniste, mais peu efficace. Finalement, la situation de la Chine d’aujourd’hui n’est pas sans rappeler la situation japonaise du début des années 1990.
Et du côté de l’Europe, le contraste avec les Etats-Unis est édifiant. Depuis 1995, la productivité par tête a augmenté de 44% de moins en Europe qu’aux Etats-Unis. Ce décrochage s’explique par le vieillissement de la population en âge de travailler, l’insuffisance chronique de l’investissement dans les nouvelles technologies et les dépenses de R&D, la baisse de la durée effective du travail. Cette évolution peut-elle s’inverser ?
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II- Les tendances structurelles susceptibles de modifier ce scénario
Les auteurs choisissent d’explorer six questions qui peuvent bousculer la hiérarchie à venir entre les grandes zones du globe : le vieillissement démographique, la fragmentation du monde, la transition énergétique, la bataille de l’épargne, le réarmement industriel, et l’avènement d’une économie de la rareté.
Le vieillissement démographique affecte l’Europe, mais aussi un certain nombre de pays sur la planète : Japon, Chine, Corée du Sud… Ce vieillissement a des conséquences redoutables sur l’économie : il diminue la population en âge de travailler, est associé à un recul des gains de productivité, provoque une hausse structurelle de l’inflation et une augmentation des taux d’intérêt de long terme, déséquilibre les finances publiques. Cet enchaînement de déséquilibres macroéconomiques fait qu’il jouera un rôle majeur dans les 30 prochaines années sur l’évolution du poids des différentes économies de la planète. Comment, pour les pays les plus touchés, faire en sorte que le vieillissement ne pèse pas sur la croissance de long terme ?
Alors que les tensions internationales s’exacerbent sur la planète, l’avenir du commerce international est incertain. Ces dernières années ont été émaillées de nombreuses entorses à la liberté des échanges, et le mot « fragmentation » tend à s’imposer. La mondialisation synonyme de fluidité du commerce international, n’est plus dans l’air du temps. Face à cette nouvelle donne internationale, chaque pays ajuste son modèle. Les pays tels que l’Allemagne, la Chine, la Corée du Sud, et bien d’autres, qui avaient fondé leur croissance sur le libre-échange, vont devoir modifier leur stratégie économique en s’appuyant sur la demande interne. En sont-ils capables ?
Depuis quelques années, on a pris conscience que la disparition de l’industrie est une menace pour la croissance économique des pays développés, pour le niveau de vie des habitants, et pour la survie même des régimes démocratiques. Nous sommes au début d’une redistribution des cartes pour tous les grands pays de la planète, et dont témoigne la bataille actuelle de l’industrie entre les Etats-Unis et la Chine. Pour l’Europe, l’enjeu est de préserver ses bases industrielles mises à rude épreuve par les stratégies américaine et chinoise.
Jusqu’à une période récente, l’épargne était surabondante. Le « saving glut » a exercé pendant les années 2000 et 2010 une pression constante à la baisse des taux d’inflation et des taux d’intérêt, et cet excès d’épargne était rendu possible par l’excédent commercial des pays d’Asie qui les rendait capables de financer le besoin d’investissement d’une bonne partie de la planète. Or, aujourd’hui, les excédents d’épargne s’étiolent, précisément au moment où les besoins d’investissement sont importants dans le monde entier. De nombreux pays devront emprunter, ne serait-ce que pour financer la transition énergétique, et on peut craindre l’arrivée d’une « guerre de l’épargne » au coût économique et politique important pour chaque pays.
La transition énergétique à l’échelle de la planète signifie la transformation de l’ensemble du système de production, de distribution et de consommation d’énergie afin de diminuer drastiquement son impact environnemental. Cette « révolution » suppose de modifier en profondeur le mix énergétique mondial en agissant sur tous les fronts afin d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. C’est un bouleversement de première grandeur qui ne s’accomplira pas facilement. Comme le font observer Jean Pisani-Ferry et Salma Mahfouz, c’est une transformation comparable aux révolutions industrielles du passé, et tous les pays ne l’abordent pas de la même façon.
Le monde a basculé brutalement d’une économie suspendue à la vitalité de la demande à une économie handicapée par l’insuffisance de l’offre. Désormais, on manque de tout, et les tensions inflationnistes apparaissent. La rareté concerne les matières premières, des secteurs comme ceux des transports et des semi-conducteurs. Elle concerne aussi le travail et l’épargne. Or, une inflation mal régulée est la source de nombreux maux individuels et collectifs. Elle s’accompagne en outre de taux d’intérêt réels élevés qui pénalisent l’investissement des entreprises, et donc menacent la croissance future.
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Note de lecture, Faits actualité, notion, Synthèse, mise en activité
III- Que nous est-il permis d’espérer pour l’Europe ?
Les objectifs prioritaires de la zone euro, considérés comme d’importance égale par les gouvernements européens et la Banque centrale européenne, sont au nombre de quatre : effectuer les investissements nécessaires à la transition énergétique, réduire le taux d’endettement public, revenir à une inflation de 2%, et faire progresser le taux d’emploi.
L’objectif de faire progresser le taux d’emploi est très important : l’augmentation de ce taux permet d’augmenter le PIB potentiel et de dégager les marges de manœuvre budgétaires pour rééquilibrer les finances publiques et réaliser les investissements nécessaires. Faut-il rappeler que si la France avait le taux d’emploi de l’Allemagne, ses recettes fiscales seraient supérieures de 6 points de PIB à ce qu’elles sont aujourd’hui ?
Et l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique et le respect de l’engagement de neutralité carbone en 2050 est l’objectif le plus important d’une politique économique car le coût de son non-respect serait considérable. Et à la lutte contre le réchauffement, il faut ajouter les investissements structurels indispensables au maintien de l’économie européenne dans la compétition mondiale (éducation, santé, R&D.)
Mais le moins important des quatre objectifs de politique économique selon Artus et Virard est sans aucun doute de ramener l’inflation à 2%, compte-tenu de la nécessité de donner la priorité aux investissements que l’on vient d’évoquer. En effet, cette priorité implique d’accepter une inflation plus forte en évitant la hausse du taux d’intérêt à long terme (par une politique monétaire expansionniste) qui permettra d’accepter un déficit public supérieur à 3% dans la mesure où l’augmentation de l’endettement public sera contenue par des taux d’intérêt à long terme négatifs. Il faut donc rompre avec la politique économique conjoncturelle telle qu’elle est définie aujourd’hui en Europe.
La politique économique préconisée par Artus et Virard s’apparente à une « économie de guerre », en ceci que l’économie de guerre a comme seul objectif de consacrer autant de ressources que nécessaire aux investissements, à la différence près qu’il ne s’agit pas ici d’armements mais d’investissements destinés à réussir la transition énergétique, et plus généralement à restaurer une croissance potentielle durable dans la zone euro. En outre, pour assurer ces investissements, les auteurs insistent sur la nécessité de rétablir la mobilité des capitaux entre les différents pays de la zone et de mettre en place un fédéralisme actif pour contenir les inconvénients d’une unification monétaire sans libre circulation des capitaux. Ce fédéralisme pourrait porter sur les dépenses qui font consensus (transition énergétique, défense, R&D) et sur la mobilité du capital afin de financer les investissements. Pour conclure avec Artus et Virard, « sans fédéralisme accru et sans mobilité des capitaux, la zone euro est et restera une machine à réduire le bien-être collectif ».
Voir l’activité pédagogique « Regards sur la zone euro de Patrick Artus (classes préparatoires ) »
Quatrième de couverture
A quoi ressembleront la France et l’Europe en 2050 ? Confrontées à la menace du déclassement, auront-elles la capacité de rester dans la course face aux économies américaine, chinoise ou indienne ?
Au moment où le monde vit une série de ruptures (énergétique, climatique, géopolitique, démographique, industrielle…), il s’agit, pour nous, Français, de relever six défis majeurs : le vieillissement démographique, la fragmentation du monde, la transition énergétique, le réarmement industriel, la bataille de l’épargne, sans oublier les bouleversements associés au passage d’une économie d’abondance à une économie de rareté.
Avec le livre, Patrick Artus et Marie-Paule Virard proposent des solutions autour de deux priorités absolues : d’abord, sortir du piège à croissance faible en corrigeant nos handicaps structurels, en particulier la défaillance de la productivité ; ensuite, modifier en profondeur la politique économique menée par Bruxelles. Deux boulets aux pieds qui tuent la croissance et nous empêchent de relever les nombreux défis qui s’annoncent.
Les auteurs
Patrick Artus est conseiller économique de Natixis et membre du Cercle des économistes.
Marie-Paule Virard est journaliste économique. Ensemble, ils ont notamment publié chez Odile Jacob La dernière chance du capitalisme.
Questions pour vérifier l’acquis et vous entraîner sur le thème
1) Quels seront d’après Artus et Virard les moteurs de l’économie mondiale en 2050 ?
2) Quelles sont les composantes de la croissance potentielle ?
3) Pourquoi peut-on estimer que la croissance potentielle chinoise devrait prochainement décrocher ?
4) Comment l’Europe peut-elle surmonter ses handicaps structurels ?
5) Comment la politique économique conjoncturelle doit-elle être orientée en Europe pour redresser l’économie ?