COURS 1 : Les transformations de l’entreprise et de sa gouvernance depuis le XIXème siècle.

Sommaire

   L’entreprise est devenue, au fil du XIXème siècle, le maillon essentiel des systèmes productifs qui se sont mis en place. Leur institutionnalisation s’est faite en plusieurs étapes. Pour devenir une composante centrale de l’activité économique, l’entreprise s’est transformée de façon à développer une efficacité organisationnelle, s’adapter à son environnement et insuffler le progrès technique qui a considérablement modifié la société depuis 2 siècles.

      Avant la révolution industrielle, et ce dès la fin du XVIIIe et XIXe siècles, un mode d’organisation du travail et de la production en très petits ateliers essentiellement situés en milieu rural se met en place en Europe du Nord-Ouest. Cette étape préliminaire à la naissance de l'entreprise capitaliste consiste en une répartition des tâches entre zones rurales et urbaines : des marchands-fabricants achètent la matière première et la confient à des travailleurs peu qualifiés dans les campagnes. Des familles paysannes profitent ainsi des temps morts du travail de la terre pour compléter les revenus qu'elles tirent de l'agriculture grâce à ce travail à domicile. Ce sont les négociants-fabricants qui se chargent ensuite de la commercialisation des produits. Ce système de sous-traitance se retrouve dans de nombreuses branches telles que le textile et le travail du fer. L’historien Franklin Mendels (1943-1988) nomme « proto-industrialisation » cette division du travail et cette première forme de salariat.

Cette organisation fait apparaître les premiers entrepreneurs. Les négociants remplissent trois fonctions : ils organisent la production, fournissent la matière première aux ateliers domestiques, collectent le produit et le vendent.  Ces entrepreneurs acquièrent donc une expérience commerciale et technique et se constituent des capitaux.

La première industrialisation (1780-1880) se caractérise par le développement des premières usines sous l’effet d’un processus de concentration technique.

Jusqu’en 1880, le développement industriel s’appuie essentiellement sur de petits ateliers mais il existe quelques grandes entreprises. Ce dualisme, c’est-à-dire un tissu d’entreprises allant de la petite unité à la grande usine, selon les critères de l’époque, caractérise la première industrialisation. Le « factory system » s’impose dans les branches où il existe des contraintes techniques quant à l’accès aux sources d’énergie utilisées (la machine à vapeur) ou au niveau de la machinerie nécessaire. Des branches comme le textile, les mines, la sidérurgie, la construction mécanique développe alors un machinisme nécessitant une concentration de main d’œuvre. Une logique d’économies d’échelle telles que celles que développent Adam Smith dans le cadre d’une manufacture d’épingles (Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776) est mise en œuvre. On assiste donc partir des années 1860-1870 à une augmentation de la taille des entreprises dans ces secteurs. Ce processus de concentration technique est plus lent dans le textile et plus rapide dans la sidérurgie.

       Cette concentration technique s’articule à une concentration économique, elle aussi très variable selon les activités. La concentration horizontale qui implique des entreprises situées au même stade de production, fabriquant donc un groupe de produits, est assez rapide dans les mines et la sidérurgie. La concentration verticale impliquant des entreprises situées dans la même filière interviennent en amont (vers les sources d'approvisionnement en matières premières) ou en aval (vers la fabrication de produits finis et leur distribution) est encore très peu mise en œuvre sauf dans des secteurs tels que le textile, la sidérurgie et la mécanique.

       Mais, ces processus de croissance de la taille de l’entreprise sont encore assez limités jusqu’en 1880, notamment en France. D’ailleurs, concernant l'industrialisation française, on dit souvent qu’à cette époque, elle a "marché sur deux jambes", c’est-à-dire sur un dualisme des structures productives : l’usine mécanisée tarde à remplacer l’atelier. La première industrialisation, jusqu'en 1880, passe par un développement combiné de l'usine et de l'atelier, souvent situé en zone rurale. Les grandes entreprises se situent alors dans la métallurgie : les usines Schneider mobilisent presque 15 000 en 1875 au Creusot (Saône-et-Loire). Près de Valenciennes, à Anzin, se met en place une « usine à fer » qui produit à grande échelle et à nécessité des investissements considérables (fours à coke, haut fourneau, laminoirs).

En ces premiers temps de l’industrialisation, ce sont des capitaux familiaux qui sont mobilisés dans le financement des usines. Le développement de l’entreprise est alors essentiellement une histoire familiale. Les machines mises en place sont peu sophistiquées en cette fin du XIXème siècle et ne nécessitent pas des investissements très élevés. C’est donc un capitalisme familial qui se dessine dans la première partie du XIXème siècle. Les stratégies matrimoniales d'unions entre familles d’industriels, de banquiers et de gros commerçants se développent. Cet autofinancement familial est complété par les banques à partir du milieu du XIXème siècle lorsque l’investissement devient plus important. Des banques telles que celle des Frère Pereire ou Rothschild participent au financement du progrès technique, en particulier dans le secteur coûteux du rail.

L’institutionnalisation de l’entreprise, notamment de la grande entreprise, s’opère dans le dernier quart du XIXème siècle et la première partie du XXème, et ce sous l’effet de plusieurs mouvements : l’accentuation de la concentration, un accès élargi au capital et la mise en place d’organisations productives. Ces mutations, internes et externes aux entreprises, ont dessiné des régimes de croissance, c’est-à-dire un cadre institutionnel expliquant le type de croissance de la période considérée.

A partir des années 1870-1880, la rapide concentration horizontale qui caractérise les secteurs capitalistiques (métallurgie, sidérurgie) correspond à la naissance de l’économie industrielle et à un développement de la concurrence. Le mouvement de concentration est plus lent dans les pays dont la Révolution Industrielle a été plus précoce. C’est le cas en France et au Royaume-Uni. En revanche, les pays de la 2ème vague, telle que l’Allemagne et les Etats-Unis ont un niveau de concentration élevé en même temps qu’un décollage rapide. Ces processus de concentration donnent lieu à des formes institutionnelles spécifiques.

En Allemagne, les groupes qui se structurent à partir de la concentration sont nommés Konzerns. Ces groupes, sous contrôle familial, associent concentration horizontale et verticale. Les groupes Thyssen et Krupp illustrent cette stratégie d’intégration verticale allant de la mine de fer aux aciéries jusqu’à la construction mécanique. Les banques participent au financement des Konzerns et c’est l’Etat impérial qui impulse ces associations d’entreprise comme le montre l’exemple du cartel de la chimie associant Basf, Agfa et Bayer en 1904.

Au Japon, les groupes d’entreprises, appelés Zaibatsus se caractérisent par des activités très diversifiées. Ces conglomérats sont mis en place grâce au soutien étatique du pouvoir impérial. Les principaux Zaibatsus du début du XXème siècle sont notamment Mitsubishi et Mitsui.

Aux Etats-Unis, le terme trust désigne des entreprises ayant un pouvoir de marché à la suite de rachat de concurrents ou de fournisseurs. Ces trusts donnent au capitalisme américain un caractère plus rude. Les trusts se donnent pour principal objectif de limiter la concurrence. Des figures telles que Rockefeller, dans le pétrole, et Carnegie, dans l'acier illustrent ces stratégies. A la tête de la Standard Oil, Rockfeller aurait déclaré : « Le seul concurrent qui n’est pas dangereux est un concurrent mort. » Le mouvement de concentration se poursuivant durant l’entre-deux-guerres puis pendant les Trente Glorieuses, c’est un capitalisme oligopolistique qui, peu à peu, remplacera le capitalisme concurrentiel.

Le développement de grandes entreprises n’aurait pu se faire sans un accès plus large au capital. Le capitalisme familial du XIXème siècle des Michelin ou Schneider finit par rencontrer des limites. Le machinisme nécessite des financements extérieurs. Dans la plupart des pays, les banques tarderont à jouer un rôle actif dans le financement de l’industrialisation et ce n’est qu’à partir du milieu du XIXème qu’elles participeront au capital d’entreprises telles que celles du rail. En France, le Code du commerce facilite l’accès au financement externe de l’entreprise en instituant diverses formes juridiques sociétaires, sociétés de personnes et sociétés de capitaux. Ainsi l’accès à des capitaux nouveaux est organisé ainsi que la frontière entre les risques financiers liés à l'activité de l'entreprise et le patrimoine personnel des détenteurs de l’entreprise. Ce cadre juridique a été un facteur clé de la croissance des entreprises. Les initiatives sont donc libérées ; un capitalisme actionnarial peut se développer.

En France, à la fin du XIXème siècle, le statut de société anonyme est essentiellement le fait d’entreprises industrielles, le plus souvent dans des secteurs qui ont besoin de capitaux considérables pour se développer comme la sidérurgie, la construction mécanique ou la chimie. Mais le développement de la société anonyme varie selon les pays. En Allemagne, où l'industrialisation a démarré plus tardivement, le statut de société anonyme se développe plus précocement et la participation financière des banques dans le capital des sociétés est assez significative, ce qui témoigne de la difficulté à le réunir.  Ce sont les configurations d’un « capitalisme rhénan » qui s’institutionnalise alors. Alexander Gerschenkron (1904-1978) analyse, dans son ouvrage Economic backwardness in historical perspective (1962), cette implication des banques comme un moyen ayant permis de compenser le retard des entreprises allemandes.

La question de l’organisation de la production est rapidement devenue centrale du fait de la concentration technique. La nécessité de rechercher l’efficacité s’est traduite dans l’organisation du travail interne l’entreprise.  Frédéric Winslow Taylor (1856-1915) est un des premiers à proposer une organisation rationnelle du travail dans l’entreprise. Dans Shop management (1903) et La direction scientifique des entreprises (1909), il présente 4 principes qui caractériseront le taylorisme :

  • une division horizontale du travail qui se traduit par une parcellisation des taches : le travail est divisé en tâches élémentaires et les gestes inutiles sont réduits.
  • une division hiérarchique du travail : les tâches de conception et d'exécution sont séparées.  Un « bureau des méthodes » est chargé de définir la méthode adoptée, la « one best way ». Le travail ouvrier est ainsi réduit à des tâches simples.
  • un chronométrage et un contrôle afin d’imposer les rythmes de travail définis par le bureau des méthodes.
  • un salaire lié au rendement.

 

Dans les années 1920, Henry Ford (1863-1947) introduit, quant à lui, une méthode qui se généralise après la seconde guerre mondiale dans toute l'industrie automobile américaine et européenne après. Ses principes sont les suivants :

  • la standardisation de la production telles sur le modèle qui existe alors dans l'armement. Il s’agit donc de produire des séries longues de façon à augmenter la rentabilité d’investissements lourds en capital ;
  • la mise en place du convoyeur c’est-à-dire de la chaîne de production continue.
  • une augmentation des salaires symbolisée par le principe des « five dollars day » dont le but est de stabiliser la main d'œuvre et de limiter son turn over.

La méthode préconisée par Ford est conforme aux principes établis par Henri Fayol en 1916 dans son ouvrage Administration industrielle et générale. Selon Fayol, les cinq tâches dans l’entreprise sont : prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler.

Dans cette logique fordiste, l’ingénieur, l’organisateur, le manager deviennent des rouages essentiels, ce qui conduit John Kenneth Galbraith (1908-2006) au développement d’une « technostructure » analysés dans son ouvrage Le nouvel état industriel (1967). Un capitalisme managérial se met donc en place.

Au-delà de l’organisation du travail, c’est toute l’organisation de l’entreprise qui évolue au fil des mutations économiques. Alfred Chandler (1918-2007) analyse ces transformations d’un point de vue historique et fonctionnaliste dans The visible hand, The managérial Revolution in American Business (1977). Selon lui, la firme centralisée correspond au modèle de capitalisme de la fin du XIXème siècle et à celui d’une bonne partie du XXème siècle.  Il nomme cette firme unifiée U (U-form) pour signifier la forme unitaire marquée par une centralisation des décisions. Il s’agit d’une grande entreprise, très hiérarchisée, très centralisée, fondée sur une séparation des fonctions bien définie (commerce, administration, production, recherche) et un contrôle à tous les niveaux. Dans cette firme U, les managers ont un pouvoir important du fait de la forte spécialisation des tâches. Mais, à la fin des années 1960, ce modèle centralisé donc assez rigide rencontre des limites du fait d’une difficile adaptation aux évolutions d’une demande plus diversifiée, de la pénibilité du travail et de lourds coûts de coordination internes. Dans les années 1960, la U-form doit donc être assouplie ce qui conduit au développement de nouveaux principes que Chandler appelle la M-form (forme multidivisionnelle).  Cette organisation multidivisionnelle se caractérise par une reconfiguration de la production en divisions correspondant à des activités de production ou des zones géographiques. Chaque division (produit 1, produit 2, etc.) a un fonctionnement calqué sur celui de la firme U (système hiérarchique) et la direction générale assure la coordination, planifie, prend les orientations stratégiques. Cette organisation réduit les coûts d’organisation et permet plus de flexibilité.

Au long du XXème siècle, la forme M a pris de l’ampleur du fait de la croissance des groupes industriels mais ces deux formes organisationnelles coexistent toujours.

Dans les années 1980, d’autres modèles sont donc proposés pour répondre aux limites de cette conception hiérarchique de l’organisation.  Ainsi, Masahiko Aoki (1938-2015) oppose le modèle hiérarchique traditionnel, appelée firme A (pour américaine) ou H (pour hiérarchique) à la firme japonaise (firme J), plus flexible, moins hiérarchisée, plus informelle et donc mieux adaptée à un univers incertain.

L’entreprise Toyota, illustre assez bien cette organisation alternative. A la fin des années 1950, l’ingénieur Taichi Ohno y met en place une organisation flexible : le lean manufacturing, caractérisé notamment par  le juste-à-temps, la limitation des stocks et l’automatisation.

La mondialisation conduit à une nouvelle réflexion sur la forme opérationnelle de l’entreprise et interroge le périmètre de l’entreprise. Dans Economie de la firme (2003), Bernard Baudry analyse la firme-réseau c’est-à-dire constituée d’un ensemble de firmes reliées les unes aux autres mais juridiquement indépendantes autour d’une firme pivot. Nike et Apple illustrent cette logique d’intégration en « grappes ». L’organisation de l’approvisionnement de ce réseau intra-firme l’amène à être largement hors marché, les échanges entre la firme-pivot et les autres firmes portant sur des produits spécifiques et n’existant pas en tant que tels sur le marché. Le principal enjeu de la firme réseau consiste donc à organiser la co-traitance, à organiser une bonne circulation de l’information (données électroniques en temps réel). L’organisation du réseau suppose des processus de certification de façon à limiter les coûts d’organisation et le risque d’aléa moral. Cette structure peu intégrée est donc une réponse à la nécessaire flexibilité liée à l’internationalisation des marchés.

Malgré la faible place accordée à l’entreprise dans l’analyse économique pendant une longue période, les économistes classiques ont présenté une définition de l’entrepreneur. C’est d’abord Turgot (1727-1781) qui le présente comme un acteur du progrès social, approche reprise ensuite par Jean-Baptiste Say. Selon Turgot, le statut de l’entrepreneur se définit par combinaison de la propriété et de la direction de l’entreprise. L’entrepreneur capitaliste est donc celui qui a dégagé une épargne, l’a mobilisée sous la forme d’un capital pour acheter des matières premières et des outils.

Avec Richard Cantillon (1680-1734), la figure de l’entrepreneur est définie sur un autre plan : celui de l’incertitude. La spécificité de l’entrepreneur serait alors d’engager une production sans être en capacité de prévoir l’avenir des marchés. Il est ainsi amené à supporter des coûts certains alors même que ses revenus sont incertains. Au XXème siècle, ce critère d’incertitude sera également au cœur des travaux de Frank Knight dans Risk, Profit and Uncertainly (1921). Knight définit également l'entrepreneur par rapport à ce rapport singulier au problème de l'incertitude.

 

Joseph Schumpeter (1883-1950) propose quant à lui une approche très différente du statut et du rôle de l’entrepreneur. L'entrepreneur schumpétérien est bien plus qu’un individu qui mobilise un capital ; il est un innovateur qui bouscule l’ordre économique.  Ce rôle clé fait de lui un véritable moteur de l'évolution économique. S’intéressant à la dynamique du capitalisme, Schumpeter montre que l’innovation qu’amène l’entrepreneur-innovateur explique l’évolution économique. Il dégage cinq types d’innovations dans Théorie de l'évolution économique (1911) :

  • un nouveau bien ou une qualité nouvelle d'un bien (innovation incrémentale).
  • une méthode de production nouvelle (l’utilisation de la surgélation, du numérique), un nouveau procédé y compris commercial (la vente en ligne) ;
  • un débouché nouveau, c'est-à-dire un marché ou une branche dans lequel le produit n’avait pas encore été introduit ;
  • une source nouvelle de matières premières ou de produits semi-finis ;
  • une nouvelle organisation, qui peut être interne ou externe à l’entreprise (plateformes).

Toute innovation créant ainsi un débouché nouveau, les innovations surgissent par grappes, ce qui conduit à un processus de destruction-créatrice expliquant, selon Schumpeter, la dynamique économique.  L'entrepreneur schumpétérien n’est donc pas un simple investisseur-gestionnaire.

Cette vision mythifiée de l’entrepreneur n’est pas celle que retient John Maynard Keynes (1883-1946).  Il estime que, face à l’incertitude, l’entrepreneur est plutôt un « calculateur » qui, anticipa la demande effective, ne s’engage que si celle-ci lui est favorable. En revanche, si la demande effective anticipée est perçue comme fragile, l’entrepreneur adopte une attitude frileuse, ce qui conduit à ralentir encore plus l’activité économique au niveau macro-économique.

Les visions de la figure de l’entrepreneur sont donc très diverses dans la théorie économique.

Les approches de l’entreprise en termes de gouvernance ont pour finalité d’analyser la performance organisationnelle de l’entreprise, compte tenu des modes d’organisation des processus de décisions en son sein. La notion de gouvernance d’entreprise intègre l’ensemble des procédures et des structures mises en place pour diriger une entreprise c’est-à-dire régir les relations entre le dirigeant (manager) et les propriétaires de l’entreprise. La gouvernance met ainsi en jeu tous les systèmes articulant la gestion de la firme et la propriété de la firme. Les modes de gouvernance sont donc liés au mode de propriété et aux relations entre les propriétaires du capital et les dirigeants. Ces modes de gouvernance ont évolué du fait de l’évolution du couple gestionnaire-propriétaire.

Ainsi, Adolf Berle & Gardiner Means montrent, dans The modern corporation and Private Property (1932), que pendant les années 1930, un modèle managérial s’est mis en place. Avec le développement de la société par actions et la croissance de la taille des entreprises, un nouveau cadre institutionnel conduit à la « révolution managériale ». L’ère des managers se caractérise par une séparation nette entre la propriété et le contrôle. La direction est confiée par les actionnaires à des salariés-managers choisis pour leurs compétences en matière de gestion.  

Cette prééminence des managers est mise en cause à fin des années 1970. Les mouvements de mondialisation et de financiarisation conduisent à l’émergence d’actionnaires et à un modèle actionnarial de gouvernance qu’on nomme la « corporate governance ». Cette présence des actionnaires, le contrôle qu’ils exercent limitent mécaniquement le pouvoir des gestionnaires. Les shareholders, notamment les investisseurs institutionnels, modifient les critères de gouvernance en mettant la valeur actionnariale au cœur des objectifs de gouvernance. Maximiser le rendement des titres, les dividendes et les plus-values boursières devient un enjeu central dans la prise de décision de la firme. Ceci débouche sur une approche court-termiste de la stratégie des entreprises concernées.

Un troisième type de gouvernance mettant l’accent sur le caractère collectif de la décision, la pluralité des acteurs concernés et son impact collectif est identifiée dans les années 1930. Mais, c’est un ouvrage de Robert Edward Freeman, Strategic Management : A stakeholder Approach, qui inscrit réellement la notion dans les analyses de management. Les stakeholders, c’est-à-dire les parties prenantes, tous les acteurs internes des propriétaires, (dirigeants, salariés, syndicats) et externes de l’entreprise (pouvoirs publics, institutions financières, clients, fournisseurs, etc.) doivent alors être pris en compte. L’entreprise est alors considérée comme un espace ouvert, en relations avec des partenaires. Dans la mesure où elle génère des externalités (en particulier négatives), sa responsabilité dépasse les simples intérêts des actionnaires. La question de la responsabilité sociétale de l’entreprise est donc posée par cette approche de la gouvernance.

Cette vision de l’entreprise peut être réduite à des perspectives instrumentales : savoir mobiliser le réseau de relations, de parties prenantes, pour améliorer l’efficacité du management. Elle peut aussi être traduite par des choix éthiques donnant leur place aux exigences environnementales et sociales dans une logique de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE). Cette gouvernance suppose des indicateurs précis et ambitieux de performance sociale et écologique (valorisation de fournisseurs locaux et de circuits courts, réduction des émissions de gaz à effet de serre, insertion de personnes handicapées, prise en compte d’enjeux de santé publique, etc.).

En France, la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des entreprises), votée en 2019, pose cette question de l’intérêt social au cœur de la définition de l’entreprise et prévoit que les entreprises puissent se doter d’une « raison d’être » définissant leurs finalités propres en dehors de leur objectif lucratif. La loi prévoit également que les entreprises qui le souhaitent puissent adopter le statut de « société à mission » c’est-à-dire s’engager sur des objectifs sociaux et/ou environnementaux de façon durable. Des entreprises et des mutuelles ont d’ores et déjà adopté ce statut.

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