COURS 2 : Les grands courants de la pensée sociologique depuis le XIXème siècle

Sommaire

Dès l’Antiquité, la réflexion sur la vie sociale consiste à étudier les caractéristiques de la cité. Platon (La République) retient par exemple l’existence d’une division du travail parmi les caractéristiques de la Cité idéale. Elle naît des différences naturelles d’aptitude entre les individus, qui déterminent la fonction de chaque groupe social (agriculteurs, artisans, guerriers, magistrats, dirigeants), et les séparent strictement les uns des autres. Après lui, Aristote (Éthique à Nicomaque) étudie l’ordre social à partir des communautés élémentaires qui le constituent, en reproduisant les inégalités naturelles entre les êtres. Ainsi, il distingue tout d’abord la famille qui est issue à la fois, de l’union entre l’homme et la femme, et de l’union entre le maître et l’esclave. Puis, viennent les villages dans lesquels les familles se regroupent, et enfin la cité qui est « la communauté née de plusieurs villages ».

À partir du IVème siècle, s’impose la vision catholique de la fin divine de toute société. Elle interdit alors toute réflexion sur l’origine de la vie sociale. Le dualisme proposé par Saint Augustin (La cité de Dieu, 413 -426), qui distingue la cité terrestre et la cité céleste, a la force d’un dogme. Il conduit à accepter, avec fatalisme, les imperfections et les injustices de la première (la cité terrestre), en raison de l’existence des bienfaits et des vertus de la seconde (la cité céleste). Il faut attendre la triple rupture (philosophique, politique, économique) des XVIIème et XVIIIème siècle pour dépasser les dogmes religieux et rendre ainsi possible l’émergence d’une pensée sociologique :

  • Une rupture philosophique caractérisée par l’émergence des théories du contrat social, qui dépassent effectivement l’idée d’une essence divine de la cité, en interrogeant le lien entre les individus et l’État. Avec Montesquieu (De l’esprit des lois,1748), s’ajoute à ces théories, l’idée qu’il existe des lois sociales fondées sur le modèle des lois de la physique.
  • Une rupture politique incarnée principalement par la Révolution française. Elle détruit l’ordre ancien fondé sur la monarchie, sur la religion et sur l’existence d’une hiérarchie à la naissance entre les hommes. Elle participe alors à la révolution démocratique qui va bouleverser l’ordre politique des sociétés traditionnelles (L’Angleterre et la France) et fonder celui des sociétés nouvelles (Les États – unis).
  • Une rupture économique qui se manifeste par les conséquences de l’industrialisation sur les sociétés traditionnelles. L’augmentation du niveau de vie s’accompagne de la transition démographique. La population est plus nombreuse, plus mobile, et sa structure évolue en raison de l’exode des populations rurales vers les villes ouvrières.

Ces transformations s’accompagnent selon Karl Polanyi (La Grande transformation, 1944) d’un désencastrement du marché. Gouvernée par ses propres lois – les lois du marché – la sphère économique devient alors autonome par rapport à la société. Les relations sociales deviennent de plus en plus des relations monétaires, le travail faisant désormais l’objet d’un échange marchand entre des individus, certes libres et autonomes, mais aussi très inégaux entre eux. Les conditions de travail et de logement des ouvriers engendrent une misère qui, dans les grandes villes, menace l’ordre public à cause de la prostitution et de l’alcoolisme, et d’une manière générale à cause de la violence qu’elle provoque. Cette situation constitue une nouvelle question sociale, la réflexion sociologique va alors se développer en apparaissant comme une possible réponse.

La sociologie est une troisième voie qui s’ouvre dans le courant du XIXème siècle pour analyser les transformations de la société. Cette « troisième culture », selon les termes de Wolf Lepenies (Les trois cultures. Entre science et littérature, l’avènement de la sociologie, 1990), doit en effet s’imposer face aux méthodes et aux lois des sciences de la nature (les lois de l’hérédité par exemple), et en même temps, face à l’omniprésence des romanciers naturalistes, qui prétendent décrire entièrement toute la réalité sociale de leur époque. Trois auteurs vont participer à l’émergence de la pensée sociologique en développant des analyses, qui ne relèvent ni de la littérature, ni des sciences de la nature, pour penser les transformations sociales à l’œuvre, dont ils sont les témoins :  Auguste Comte (voir section 1, II,A), Alexis de Tocqueville, et Karl Marx.

 

I : Alexis de Tocqueville et la naissance des sociétés démocratiques.

En 1831, la monarchie de Juillet confie à Gustave de Beaumont et à Alexis de Tocqueville, la mission d’enquêter sur le système pénitentiaire américain.  Le premier en rapporte l’ouvrage Le système pénitentiaire américain (1833) ; le second écrit les deux tomes De la Démocratie en Amérique (1835 et 1840), dans lesquels il analyse les institutions américaines et s’interroge sur le devenir des sociétés démocratiques. Il donne alors un sens aux transformations sociales du XIXème siècle en les analysant comme les conséquences du changement démocratique. Pour lui, en effet, la démocratie n’est pas uniquement un système politique ; elle est aussi un état social. Ainsi, la société démocratique s’oppose à la société aristocratique, en ce sens qu’elle est caractérisée par l’égalité des conditions. Celle – ci est à la fois : une égalité de droit, une égalité des chances, et une uniformisation des modes de vie.  Une égalité de droit car les distinctions héréditaires n’existent plus. Le statut social des individus ne dépend plus du rang de naissance. « Les riches sortent chaque jour au sein de la foule et y retournent sans cesse » écrit Tocqueville, signifiant ainsi que cette égalité est aussi une égalité des chances, parce que la société démocratique autorise et facilite la mobilité sociale. La démocratie conduit aussi à une uniformisation des modes de vie en raison d’une recherche constante de réduction des inégalités. L’individu démocratique est en effet animé par une véritable passion pour l’égalité. C’est pourquoi l’ambition de revenir en arrière que cultivent à l’époque les ultra royalistes français, est pour lui, avec certitude vouée à l’échec. Pour Tocqueville, l’égalisation des conditions est en effet un phénomène inéluctable, universel et irréversible. S’il y a un enjeu pour la démocratie, il n’est pas de savoir s’il faut l’accepter ou la refuser, mais si la révolution est, comme en France, nécessaire à sa réalisation. Or, l’expérience américaine offre justement l’exemple d’un processus qui « s’opère de manière simple et facile ».  Pour comprendre cette différence, Tocqueville va être amené à dresser la liste des conditions favorables et la liste des dangers qui expliquent l’expérience américaine. Il y a trois facteurs qui selon lui sont favorables aux États-Unis : l’histoire, les institutions, les mœurs.

  • Tout d’abord, l’histoire du pays dont l’acte de naissance est la sécession avec la monarchie britannique. Une fois réalisée, les individus sont libres et égaux, en particulier quand les immigrants arrivent sur le sol américain. Ils n’ont pas à lutter contre les restes d’un passé aristocratique.
  • Ensuite, les institutions américaines décentralisées facilitent l’équilibre des pouvoirs : le pouvoir fédéral est limité par celui de chaque État ; le pouvoir politique est limité par l’indépendance stricte de la justice (certains juges et procureurs sont par exemple élus).
  • Enfin, les mœurs des Américains apaisent les passions politiques en raison du puritanisme hérités des premiers colons. Il en résulte en effet une forte cohésion autour des valeurs : l’attachement à la liberté, l’esprit d’association, l’opposition entre le bien et le mal.

 

En même temps, Tocqueville se livre aussi à un exercice de sociologie de la connaissance, en analysant l’évolution des comportements humains en démocratie et les risques qui en découlent pour la démocratie elle- même (La sociologie de la connaissance a pour but de comprendre et d’expliquer comment se forment les idées et les pensées en fonction du contexte socio historique dans lequel se trouvent les individus). Il identifie trois dangers pour la démocratie : la tyrannie de la majorité, l’individualisme, l’anarchie et la servitude volontaire.

  • En premier lieu, la tyrannie de la majorité qui s’explique par le conformisme des opinions dans une société où les individus, étant égaux, sont portés à croire l’opinion commune, plutôt qu’à adhérer « à certains hommes ou à un certaine classe », comme c’est le cas dans une société aristocratique. Il écrit ainsi : « Aux États - Unis, la majorité se charge de fournir aux individus une foule d’opinions toute faites, et les soulage de l’obligation de s’en former qui lui soit propre ».
  • En second lieu, l’individualisme croissant est aussi une menace. Défini comme le « sentiment réfléchi et paisible qui dispose chacun à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis », il conduit chacun à se désintéresser de la chose publique et à se replier sur sa sphère privée. 
  • En troisième lieu, le risque de servitude volontaire issue de la règle de la majorité et de la recherche conjointe du bien-être, qui amène les hommes à renoncer à la liberté pour l’égalité et une garantie de confort matériel. Un véritable despotisme peut ainsi s’installer et exercer « un pouvoir immense et tutélaire » sur des individus « retirés à l'écart (…) étrangers à la destinée de tous les autres ». Ce pouvoir fixe « les citoyens dans l’enfance (…) il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir ».                        

                                                                                               

En 1852, frappé par le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte, dont il a été un éphémère ministre des Affaires étrangères de juin à octobre 1849. Cherchant alors à comprendre l’appétence des Français pour le césarisme, il rédige L’ancien régime et la Révolution (1856). Cet ouvrage est d’abord l’abandon de la description synchronique des institutions, caractéristique de ses deux livres précédents consacrés à la démocratie américaine, pour la remplacer par une méthode diachronique qui interroge l’histoire de France. Cet ouvrage est aussi l’occasion pour lui d’adopter une méthode comparative, qui permet d’isoler les singularités de la culture française marquée par l’omniprésence d’une bureaucratie égalitaire. Il permet à Tocqueville de mettre en évidence que la Révolution n’est pas une rupture. Le centralisme jacobin date en réalité de l’ancien régime. La Révolution s’inscrit donc dans la continuité de changements qui ont commencé bien avant elle.  La France est en effet, avant la Révolution, déjà  marquée par des progrès de l’égalité, la noblesse ayant perdu ses propriétés et ses charges au profit de la bourgeoisie, dont elle doit d’ailleurs se rapprocher pour survivre économiquement. De nombreux mariages permettent alors de lier un nom de l’aristocratie et une fortune de la  bourgeoisie. La passion pour l’égalité a créé les conditions de la Révolution, qui n’est donc que la mise en conformité, dans la violence, de la situation politique et de la situation sociale. En effet écrit-il : « Lorsque l’inégalité des conditions est la loi commune de la société, les inégalités les plus marquées ne frappent pas le regard ; mais quand tout est presque au même niveau, les plus légères sont assez marquées pour le blesser. Il en ressort que le désir d’égalité devient plus insatiable à mesure que l’égalité est plus complète ». La France est finalement l’exemple d’une démocratie qui bascule dans une forme de despotisme. Les progrès de la liberté se sont en effet accompagnés d’un renforcement de la centralisation en l’absence de corps intermédiaires. Sous la tutelle de l’État, les Français sont soumis à une nouvelle forme de servitude. Ils sont arrivés écrit -il « à abandonner leurs premières visées, et oubliant la liberté, n’ont plus voulu qu’être les serviteurs égaux du maître du monde ».   

 

II : Karl Marx et la société de classes

 

Karl Marx n’est pas davantage sociologue qu’Alexis de Tocqueville, mais il est incontestable que sa pensée influence autant la sociologie que celle du comte du Cotentin. Selon Robert Nisbet, (La tradition sociologique, 1966), leur analyse respective constitue d’ailleurs l’un des deux pôles de la pensée sociologique.      

La contribution marxiste à l’analyse des transformations sociales est double : 

1. La société émergente du XIXème est une société de classes ;                                                       

2.L’Etat est un État bourgeois.

Les classes sociales sont définies dans des rapports de production dans lesquels entrent les forces productives (c’est-à-dire les moyens de production et le travail) au cours de leur développement. Ils sont historiquement déterminés. Marx distingue ainsi plusieurs époques (antiquité, féodalisme, capitalisme), chacune d’elle étant caractérisée par un type particulier de rapports de production (esclavage, servage, salariat). Dans Le manifeste du parti communiste (1848), Karl Marx et Friedrich Engels identifient deux classes à partir d’un seul critère : la propriété des moyens de production. La classe dominante (la bourgeoisie) est propriétaire, ce qui lui permet d’exploiter la classe dominée (le prolétariat). L’exploitation capitaliste repose sur la possibilité offerte aux capitalistes, justement parce qu’ils sont propriétaires des moyens de production, de s’adjuger une partie de la valeur crée par la force de travail des ouvriers, parce que celle – ci est une marchandise particulière créant plus de valeur (ce qu’elle produit) qu’elle n’en coûte (le salaire). Quand il dénombre concrètement les classes sociales, Karl Marx va cependant au-delà de deux classes. Ainsi, dans La lutte des classes en France (1850), il compte sept groupes différents (aristocratie financière, bourgeoisie industrielle, petite bourgeoisie, propriétaires fonciers, paysannerie, prolétariat, lumpen prolétariat (prolétariat en haillons), et encore trois (travailleurs salariés, capitalistes, propriétaires fonciers) dans le livre III du Capital (1867). Cependant, on doit davantage y voir un éclairage plutôt qu’une contradiction sur sa théorie des classes. En effet, dans Misère de la philosophie (1847), on trouve déjà une analyse plus complexe des classes sociales avec la distinction classe en soi et classe pour soi. Elle correspond, en réalité, à la mobilisation d’un deuxième critère d’identification des classes sociales. La classe en soi réunit les conditions objectives de son existence en ce sens « qu’elle est déjà une classe vis-à-vis du capital » composée d’une masse  d’individus exploités. Dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte (1852), Marx en donne une illustration avec ceux qu’ils nomment les paysans parcellaires, qui « forment une masse énorme, dont les membres vivent dans la même situation, mais sans être liés par de nombreux rapports. (…) La grande masse de la nation française est ainsi constituée par une simple addition, à peu près comme un sac de pommes de terre ». La classe pour soi désigne en revanche une classe mobilisée, dont les membres ont pris conscience de leur situation commune vis-à-vis du capital et donc de leurs intérêts communs. Cette classe « se   constitue en classe pour elle – même. Les intérêts qu’elle défend deviennent des intérêts de classe ». Reste alors à résoudre le problème du passage de l’une à l’autre, c’est-à-dire expliquer comment la classe en soi se mue en classe pour soi. La réponse de Marx repose sur la lutte des classes. La position de chacune d’elles dans les rapports de production créent nécessairement des conflits d’intérêts entre elles, sur des enjeux dans un premier temps très concrets (les salaires, les conditions de travail). Ces conflits en devenant plus fréquents se politisent. Ils font apparaître des leaders et des organisations qui favorisent l’émergence de la conscience de classe, émergence qui accompagne une tendance relevée par Marx et Engels dans le Manifeste (1848), celle de la polarisation en deux classes en raison de la concurrence capitaliste qui ruine toutes les couches intermédiaires.  On lit en effet « Petits industriels, marchands et rentiers, artisans et paysans, tout l’échelon inférieur des classes moyennes de jadis, tombent dans le prolétariat (…) ils succombent dans leur concurrence avec les grands capitalistes (…) De sorte que le prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population ».  On peut considérer que l’analyse de Marx est une analyse holiste, parce que les hommes « ne sont pas les libres arbitres de leurs forces productives ». Les individus y sont donc réduits à leur statut économique de producteur. Les conditions de la production déterminent les rapports entre eux (esclavage, servage, salariat). Ces rapports constituent la structure économique au-dessus de laquelle « s’élève une superstructure politique et juridique ». Celle – ci, c’est-à-dire concrètement : l’État, le droit, les idéologies, les religions, façonne les consciences, permettant ainsi «de reproduire les rapports sociaux existants », c’est-à-dire les rapports d’exploitation au profit d’une classe dominante. Contrairement à Hegel, Marx ne considèrent pas en effet, que l’État est un régulateur social qui permet de concilier des intérêts divergents, mais au contraire qu’il n’y a pas de véritables autonomie du pouvoir économique par rapport au pouvoir politique. L’État protège les intérêts exclusifs de la classe dominante, en premier lieu le droit de propriété, mais aussi l’ordre public, ce qui a conduit pendant une longue période à interdire les coalitions et les syndicats, à empêcher les grèves, et plus globalement à déréglementer ( au sens de supprimer les réglementations mercantilistes ) pour mettre en place un marché libre du travail. Marx admet cependant, parce que c’est un constat historique, que l’État est en mesure de prendre son indépendance vis-à-vis de la bourgeoisie (il pense à l’État bonapartiste), sans pour autant être au service d’un intérêt général auquel il ne croit pas. Si l’État échappe au strict contrôle de la bourgeoisie, c’est en effet, selon lui ,pour devenir une « excroissance parasitaire » en tant qu’« avorton naturel de la société ».

Chez Marx, l’État n’est pas la seule composante de la superstructure. L’idéologie y prend également une place prépondérante qui se substitue progressivement à la théorie de l’aliénation. En effet, en tant que disciple de Hegel, il reprend à celui-ci le concept d’aliénation qu’il applique à la dimension économique de la vie humaine. D’une manière générale, l’aliénation est une dépossession. Elle décrit dans l’œuvre marxiste, la situation de l’ouvrier dans l’économie capitaliste. Dans la société médiévale, le compagnon maîtrise un savoir-faire, profite donc d’une autonomie dans le travail qui lui permet de s’attribuer la paternité de ce qu’il produit et d’en être fier. En comparaison, l’ouvrier dans le capitalisme est aliéné parce qu’il n’est pas propriétaire du produit de son travail, qu’il est contraint par l’organisation du travail, dépourvu de toute recherche de plaisir dans le travail, réduit à n’être qu’un moyen de subsistance. En raison de cette aliénation qu’il subit, l’ouvrier ne peut pas prendre conscience de l’exploitation dont il est l’objet. Plus loin dans son œuvre, Marx va donc abandonner la théorie de l’aliénation pour l’analyse des idéologies, qui ne sont pour lui que des visions déformées de la réalité qu’elles justifient. Les idéologies donnent un sens à la vie des hommes, mais éloignées de la réalité qu’ils vivent. Il en est ainsi des religions, qui justifient les souffrances de la vie terrestre ou des valeurs de la morale dominantes (l’honnêteté, le courage, la droiture). Cela engendre des comportements de soumission à l’ordre social. Cependant, si celui – ci est en quelques sortes consolidé par les idéologies, il n’en est pas pour autant immobile. Le capitalisme est un processus de transformation qui ne se limite pas aux conditions matérielles de l’existence, mais métamorphose les comportements et les valeurs qui les sous-tendent. La bourgeoisie est ainsi par nature révolutionnaire. Elle a imposé la généralisation du marché, la recherche du profit comme finalité de l’activité humaine, et finalement son système de valeurs. Elle noie « dans les eaux glaciales du calcul égoïste » les valeurs qui la précèdent « frissons sacrés et pieuses ferveurs, enthousiasme chevaleresques, mélancolie béotienne (…) Elle dissout la dignité de la personne dans la valeur marchande »   

Alexis de Tocqueville et Karl Marx ont donc analysé le changement social chacun à leur manière. Ils s’expliquent, pour le premier, par la naissance de la démocratie, et pour le second,  par celle du mode production capitaliste. Pour autant, leurs analyses ne sont pas des analyses sociologiques à proprement parler. Il n’y a d’ailleurs pas chez eux de réflexion  sur la nécessité d’une nouvelle discipline, dotée de ses propres méthodes, pour étudier la société.    

La sociologie devient une science sociale à part entière au cours de la période qui s’étend de 1890 à la première guerre mondiale. Grâce au travail d’Émile Durkheim en France et de Max Weber en Allemagne, son objet est alors parfaitement distingué de celui d’autres disciplines (psychologie, philosophie, histoire), et les conditions qui garantissent la rigueur scientifique de ses méthodes sont décrites et expliquées. Cette double naissance de chaque côté du Rhin a une conséquence durable en raison de la différence d’approche entre ces deux sociologues. L’école française à la suite de Durkheim est, dans ses débuts fondée sur le holisme, c’est-à-dire que l’objectif de la sociologie, qui est de comprendre et d’expliquer la réalité sociale, doit être atteint sans recourir aux motivations individuelles. En même temps, Max Weber élabore quant à lui les principes d’une sociologie individualiste qui considère à contrario, que seul le sens donné par les individus à leurs actes permet d’atteindre cet objectif.  

 

I : Émile Durkheim et la naissance de l’école française de sociologie

Agrégé de philosophie, Émile Durkheim (1858 -1917) s’intéresse aux sciences sociales. Il publie plusieurs articles et devient le premier à les enseigner en France, en 1887, à la faculté de Bordeaux. Après la publication de sa thèse – De la division du travail social - en 1893 dans laquelle il analyse les transformations des sociétés, il s’attache, en disciple d’Auguste Comte, à définir la méthode propre de la sociologie pour affirmer le caractère scientifique de cette nouvelle discipline. La dernière étape de sa carrière sera consacrée à la sociologie des religions.

A – De la division du travail social (DTS)

Souhaitant étudier l’évolution de la société, Durkheim  est frappé par une contradiction qui lui semble être ce qu’il doit expliquer.  « Comment se fait -il qu’en devant plus autonome, l’individu dépende plus étroitement de la société ? » écrit il dans la préface de son livre. Plus autonome, car l’individualisme est une caractéristique des sociétés modernes au sens on l’on constate un affranchissement de l’individu vis à vis des contraintes sociales. Disons pour faire simple qu’il est désormais possible de « choisir sa vie » : choisir son conjoint, sa profession, son lieu de résidence, sa religion ou son absence de religion. Plus dépendant ajoute-t -il, en ce sens  que la part de ses besoins que l’individu est capable de satisfaire de façon autonome ne cesse de se réduire. Cette contradiction s’explique par la transformation de la solidarité sociale dans tous les domaines de la vie sociale : économique, scientifique, administratif, judiciaire.                                                                                              Durkheim distingue donc deux types de solidarité sociale : la solidarité mécanique qui caractérisent les sociétés à faible division du travail, et la solidarité organique, pour les sociétés à forte division du travail, qui résulte de la différenciation des individus qui ont des rôles complémentaires et non identiques. La première concerne les communautés de petite taille, très homogènes socialement et moralement. La conscience individuelle s’y trouve subordonnée à la conscience collective, c’est-à-dire à l’ensemble des valeurs, croyances et pratiques communes. Robert Nisbet (La tradition sociologique, 1966) écrit à leur sujet, que ce qui leur donne corps « ce sont les liens du sang, ceux du sol et un même sentiment du sacré », ce qui signifie que : la propriété est collective ; le comportement de chacun obéit aux nécessités de la communauté ; la religion se confond avec le culte et le rituel. La seconde forme de solidarité concerne les sociétés modernes dans lesquelles l’individu s’est émancipé des liens communautaires (parentèle, village, profession). La conscience individuelle s’éloigne de la conscience collective. L’évolution du droit témoigne de ce changement de solidarité qui est aussi une évolution du lien entre les individus. La solidarité mécanique est attachée au droit répressif qui concerne les états forts de la conscience collective. Elle inflige à celui qui les a bafoués, une peine qui va du bannissement jusqu’au châtiment corporel qui peut conduire jusqu’à la mort. « Il s’agit de se venger de l’outrage fait à la morale » écrit Durkheim (DTS, 1893). La solidarité organique est associée quant à elle au droit restitutif, dont l’objectif est la remise en état, la réparation de ce qui a été endommagé. Ce droit se développe avec la division du travail puisque les accidents ou les délits ne concernent qu’une partie du corps social et non plus sa totalité, comme dans le cas précédent. L’origine de l’approfondissement de la division du travail est à rechercher du côté de l’évolution des conditions de vie : d’une part, l’augmentation de la population, d’autre part, l’accroissement de la densité sociale c’est-à-dire l’intensification des communications inter individuelles. La division du travail « crée entre les hommes tout un système de droits et de devoirs qui les lient les uns aux autres d’une manière durable (…) Elle donne naissance à des règles qui assurent le concours pacifique et régulier des fonctions divisées » (DTS).  Elle a donc une fonction d’intégration des individus à la société.

Il existe alors des circonstances qui conduisent à des défaillances de la division du travail et à une insuffisance d’intégration. Constatant la crise sociale et morale qui frappe les sociétés industrielles à la fin du XIXème siècle, Durkheim ne dénonce ni le progrès technique, ni la lutte des classes, mais des défaillances de la division du travail. Il en compte trois possibles : les crises industrielles et commerciales en raison des faillites d’entreprises qu’elles provoquent et du chômage qui s’en suit, l’antagonisme capital – travail en raison d’un excès de spécialisation qui réduit la coopération entre ceux qui travaillent ( Le taylorisme est un de ces excès), l’anarchie liée à la spécialisation scientifique et à l’absence d’une discipline unificatrice, déjà dénoncée par Auguste Comte quand il déplore l'effritement de la science et sa conséquence sur le savoir des scientifiques, qui se limite à des questions tellement pointues, qu'il ignore les connaissances de son propre domaine qui ne sont pas liées à son sujet d'étude. Or, écrit Durkheim : « si la division du travail ne produit pas la solidarité, il y a un état d’anomie », c’est-à-dire un état maladif de la société, chacun étant insuffisamment conscient « du besoin qu’il a des autres et la dépendance mutuelle ». Cet état d’anomie a pour origine la vitesse des changements des structures de la société, une nouvelle morale n’ayant pas pu se mettre en place pour compenser la disparition de la morale traditionnelle « d’où un état de déséquilibre, de revendications individuelles de justice ». Donc, cette crise est toujours une crise morale dans la mesure où les individus refusent de se plier aux contraintes et aux règles qui permettent à chacun de trouver sa place dans la vie sociale. Ils ne partagent plus systématiquement les mêmes pratiques et les mêmes buts. Chez Durkheim, « le lien social est un lien moral, qui fixe les règles et détermine un idéal ». L’excès d’individualisme tend naturellement à le déliter. Il est donc nécessaire de mettre en place volontairement des moyens de le préserver, là où précisément la modernité a affaibli les institutions traditionnelles. C’est tout d’abord le cas pour la famille. Dans L’introduction à la sociologie de la famille (1888) qui n’est autre que son cours à la faculté de Bordeaux, Durkheim explique que la famille moderne ne peut plus, selon lui, jouer le rôle intégrateur qui était le sien auparavant, parce qu’elle est désormais relationnelle ( c’est-à-dire affective alors « qu’ où les liens qui dérivaient des choses primaient au contraire ceux qui venaient des personnes »  ), de plus en privée (c’est-à-dire de plus en « autonome par rapport à la parenté, au voisinage, au reste de la société ») , de plus en plus individualiste ( c’est-à-dire qu’elle n’a plus d’horizon intergénérationnelle, l’individu devient alors «  sa propre fin »). Pour ces trois raisons, la famille ne peut jouer aussi efficacement le  rôle éducatif qu’elle tenait. C’est donc à l’école de socialiser les nouvelles générations par la transmission d’une morale laïque et républicaine. Durkheim pense également qu’il est impossible de lutter contre le progrès technique et ses effets sur le travail. Par contre, il fait la promotion d’instances intégratrices venant rompre l’isolement des travailleurs. Il prône ainsi une réforme sociale fondée sur les corporations professionnelles. Elle a donné lieu à plusieurs interprétations, car si l’on sait que Durkheim ne défend pas l’idée d’un retour aux corporations du passé, on ne sait pas concrètement ce qu’elles auraient pu être.

 

B – Le suicide : une application des règles de la méthode.

Cet ouvrage publié en 1897 est l’occasion pour Émile Durkheim de montrer la singularité et la pertinence du raisonnement sociologique. Le suicide y est défini comme « tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d’un acte positif ou négatif accompli par la victime elle -même et qu’elle savait devoir produire ce résultat ». Le choix du suicide n’est pas anodin. Montrer qu’il s’agit d’un fait social, c’est-à-dire selon sa définition, qu’il s’agit d’une manière d’agir « extérieure à l’individu », alors qu’il s’agit de l’acte probablement le plus intime, le plus personnel, que peut réaliser un  individu, est une gageure pour le sociologue. Ensuite, traiter le suicide comme une chose l’est également, tant les causes psychologiques apparaissent évidentes et que les prénotions sont nombreuses. Durkheim consacre d’ailleurs plusieurs pages à en faire la liste (l’imitation, le climat, le cosmos, la race, l’hérédité, les états psychopathiques) pour mieux les éliminer et justifier sa démarche, qui ne consiste pas à comprendre l’acte individuel mais à rechercher ses causes sociales. En revanche, c’est un choix de sujet qui permet de disposer d’un matériel statistique robuste, tous les actes de suicide faisant l’objet d’une déclaration dans laquelle la cause est mentionnée. La méthode des variations concomitantes permet de montrer que « le suicide varie en raison inverse du degré d'intégration des groupes sociaux ». En effet, le taux de suicide augmente avec l’âge, diminue pendant les guerres et les révolutions. Sa fréquence est supérieure à la moyenne pour diverses catégories : les hommes, les protestants, les habitants des grandes villes, les célibataires et les veufs. Cela permet à Durkheim d’établir une typologie des formes de suicide en fonction de deux critères : l’intégration (c’est-à-dire l’attachement de l’individu au groupe, en particulier à la société) et la régulation (c’est-à-dire l’attachement aux règles). Philippe Besnard (Études durkheimiennes, 2003) a proposé le tableau récapitulatif suivant :

 

Le suicide altruiste concerne les sociétés militaires fortement marquées par le code de l’honneur ; le suicide fataliste (quant à lui évoqué dans une note en bas de page) concerne les individus qui ne peuvent pour des raisons familiales ou religieuses échapper à une vie que l’on a choisie pour eux ; le suicide égoïste touche particulièrement les personnes seules (protestants sujets à l’introspection, les célibataires et les veufs) ; le suicide anomique s’explique par « le mal de l’infini », c’est-à-dire une difficulté à maitriser et limiter ses désirs. Il est plus fréquent dans les périodes de croissance économique. Ces deux dernières formes intéressent principalement Durkheim parce qu’elles s’expliquent par les excès de l’individualisme des société modernes. Outre, la démonstration méthodologique, le suicide lui permet aussi d’illustrer le rôle qu’il attribue à la sociologie : d’une part, établir un diagnostic (ici, la montée du taux de suicide est le signe selon lui de la misère morale caractéristique des sociétés modernes, c’est donc une pathologie sociale) ; d’autre part, proposer un remède  (ici, pour lutter contre cette misère, il « faut se donner une morale » que seuls les groupes professionnels peuvent espérer apporter).    

 

II : Max Weber et la sociologie allemande

Né en 1864, Max Weber va mener une carrière universitaire en enseignant l’économie dans plusieurs universités allemandes. Contraint de cesser son activité pour raison de santé en 1899, il s’initie à la sociologie en même temps qu’il prend part aux débats portant sur les questions d’ordre méthodologique. Autant l’œuvre de Durkheim apparait clairement orientée par le projet de construire la sociologie, autant celle de Weber apparaît multi disciplinaire (sociologie certes, mais aussi histoire, économie, philosophie, science politique). C’est après 1903 qu’il publie, dans la revue qu’il a fondée, Archives pour la science sociale et la politique sociale, une série d’articles fondamentaux pour la sociologie (Éthique protestante et esprit du capitalisme en 1905, L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociale en 1904). Il consacre les dix dernières années de sa vie à la rédaction d’Économie et société publiée principalement à titre posthume.     

A – De la querelle des méthodes aux fondements scientifiques de la sociologie

La querelle des méthodes porte sur le caractère scientifique des sciences sociales. Elle oppose à partir de 1880, au sein de l’université allemande, l’école historique allemande aux économistes adeptes du marginalisme. Il s’agit de savoir si les sciences de la culture (les sciences sociales) peuvent emprunter les méthodes des sciences de la nature ou se doivent de mettre en place leurs propres méthodes  au risque de perdre leur caractère scientifique. Cette querelle conduit à la distinction célèbre entre expliquer et comprendre proposer par Wilhelm Dilthey. Pour lui, il faut accepter la différence entre les phénomènes naturels et phénomènes sociaux parce que ces derniers sont dépendants de l’expérience des individus. Dès lors, les méthodes doivent elles aussi différées. Si « nous expliquons la nature, nous comprenons la vie psychique » affirme le philosophe avant de distinguer :  une démarche « compréhensive » qui vise à restituer le sens que les acteurs donnent à leurs actions ; et une démarche « explicative » qui consiste à rechercher des causalités, voire des lois, reliant de façon stable des effets à leurs causes. S’il adhère à la méthode compréhensive, Max Weber ne renonce pas pour autant à mettre en évidence des relations de causalité.

Il expose ses principes méthodologiques dans l’article intitulé L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociale en 1904.       

  • Tout d’abord, les sciences sociales appartiennent bien aux sciences de la culture en ce sens que leur objet est d’étudier les événements de la vie humaine sous l’angle de leur signification culturelle. Selon Max Weber, il s’agit plus exactement d’étudier la signification culturelle de la structure économique et sociale et de ses évolutions historiques. Chaque science sociale l’étudie en adoptant un point de vue spécifique, et c’est ce point de vue spécifique qui permet à chacune de produire un examen scientifique de la société. Ainsi, Weber reproche à Marx, non pas son analyse du capitalisme et des classes sociales, mais son refus de reconnaître qu’il s’agit d’un point de vue spécifique.                
  • Ensuite, Max Weber récuse ce qu’il nomme l’illusion positiviste, en l’occurrence la prétention à établir des lois fondées sur une observation rigoureuse des faits dont on déduit la réalité. Il considère quant à lui qu’il n’existe aucune loi générale permettant de décrire la réalité sociale. « La réalité empirique est culture » écrit Max Weber, parce que nous l’interprétons en nous référant à un système de valeurs. Il revient alors aux sociologues de choisir dans cette réalité ce qui a une signification culturelle pour parvenir à expliquer causalement ce phénomène, dont on ne doit perdre de vue, qu’il demeure un phénomène singulier parce que justement lié à des valeurs et à une période particulière de l’histoire. La recherche de causalités n’est en effet jamais une fin en soi pour les sciences de la culture comme elle l’est dans la recherche des lois de la nature. Elle est  un moyen de saisir des causalités concrètes entre un phénomène et une cause. Si le lien est observé une fois, il est donc possible qu’il existe, mais comme il doit être rapporté à un système de valeurs, cette possibilité n’est qu’une probabilité, jamais une certitude. Dès lors, le problème encore à traiter pour Max Weber est celui de l’objectivité du sociologue et du caractère scientifique de ses observations. Celles – ci étant relatives au contexte dans lequel elles sont réalisées, cela peut laisser penser que le résultat est alors entièrement subjectif. En d’autres termes, que les sciences de la culture ne parviennent à aucune vérité, ce que Max Weber rejette en avançant que c’est la rigueur de sa démarche, qui permet aux sociologues de faire œuvre de science en mobilisant les critères de la vérité scientifique.
  • Il faut donc construire des concepts qui distinguent les sciences de la culture des sciences de la nature, ce que fait Wax Weber avec la notion d’idéal – type, qu’il avance pour parvenir à faire le lien entre une causalité historique et un fait singulier. Il s’agit d’une abstraction construite à partir d’une observation de la réalité « en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus et discrets (…) choisis unilatéralement pour former un tableau de pensée homogène ». L’idéal type n‘est pas la réalité mais une forme synthétique tirée de cette réalité. Elle ne doit pas être une moyenne mais justement un type idéal, dont les individus qui ont vécu à l’époque observée, n’ont pas eu nécessairement conscience. La construction de l’idéal type réclame que le chercheur applique une neutralité axiologique. Elle suppose qu’il s’abstienne de tout jugement de valeurs pour établir son rapport aux valeurs en considérant celles – ci comme des faits à analyser.

 

L’ensemble de ces principes aboutissent chez Max Weber à la définition de la sociologie et à la méthode compréhensive. La définition qu’il propose est la suivante : « une science qui se propose de comprendre par interprétation, l’activité sociale et par là d’expliquer causalement son déroulement et ses effets ». Il faut entendre par activité sociale : « Toute activité qui, d’après son sens visé, par l’agent ou par les agents, se rapporte au comportement d’autrui, par rapport auquel s’oriente son déroulement ». La sociologie de Max Weber est une sociologie individualiste. L’activité d’un individu est sociale parce qu’il lui donne un sens subjectif déterminé par sa relation aux autres membres de la société. Sens subjectif qui permet en général de l’expliquer. On est donc loin d’Émile Durkheim, loin du fait social extérieur et contraignant dont l’existence n’apparait que dans les statistiques, à l’opposé du holisme qui se propose d’expliquer le tout (la société) sans en comprendre les parties (les individus). Chez le sociologue allemand, les parties (les activités sociales au sens subjectif) vont permettre de comprendre le tout. Finalement, cette méthode consiste, selon Raymond Aron (Les étapes de la pensée sociologique, 1967), à mener conjointement la compréhension (saisir le sens pour l’acteur), l’interprétation (conceptualiser le sens subjectif) afin de pouvoir expliquer (identifier des régularités de conduite).

B – La rationalisation des sociétés

Dans l’ouvrage posthume Économie et société (1922), Max Weber dresse une typologie de types idéaux d’action qui englobe toutes les activités sociales. Il en distingue quatre :  

  1. L’action rationnelle en finalité (rationnelle par rapport à un but) a lieu quand l’individu « agit de façon rationnelle en finalité celui qui oriente son activité d'après les fins, moyens et conséquences subsidiaires et qui confronte en même temps rationnellement les moyens et la fin, la fin et les conséquences subsidiaires et enfin les diverses fins possibles entre elles. »

  2. L’action rationnelle en valeur a lieu quand l’individu « agit d'une manière purement rationnelle en valeur celui qui agit sans tenir compte des conséquences prévisibles de ses actes, au service qu'il est de sa conviction portant sur ce qui lui apparaît comme commandé par le devoir, la dignité, la beauté, les directives religieuses, la piété ou la grandeur d'une « cause », quelle qu'en soit la nature. »

  3. L’action affective est un acte dont l’auteur est dominé par la passion et par ses émotions, qui par définition est irréfléchi au sens où aucune stratégie n’est suivie.

  4. L’action traditionnelle est « une manière morne de réagir à des excitations habituelles qui s’obstine dans la direction d’une attitude acquise autrefois », elle est guidée par les coutumes. 

 

Ces actions sociales sont immédiatement interprétées et comprises par les différents acteurs d’une relation sociale. Les comportements se règlent en effet les uns par rapport aux autres, dans le sens attendu par chacun, sans qu’il « soit nécessaire de préciser sur quoi ce sens se fonde ». Il existe donc une forme de consensus entre les personnes. C’est ce consensus qui amène Weber à distinguer la communalisation et la sociation. La communalisation correspond aux relations sociales fondées sur un sentiment d’appartenance à une même communauté ; les activités sociales sont alors principalement des activités affectives et traditionnelles. C’est en revanche le compromis d’intérêt qui caractérise les relations sociales pour la sociation ; les actions cette fois sont rationnelles.                                           Chez Weber, Les relations sociales sont asymétriques, c’est-à-dire que le pouvoir est inégalement réparti entre les individus, ce qui permet à certains acteurs d’exercer une domination sur les autres acteurs. Max Weber définit le pouvoir comme les « chances de de faire triompher sa volonté au sein d’une relation sociale, peu importe sur quoi repose cette chance ». Il le distingue de la domination qui comporte « une volonté d’obéir, par conséquent un intérêt à obéir ». En faisant cette distinction, Max Weber introduit la notion de légitimité. Exercer une domination, c’est exercer un pouvoir légitime, accepté par ceux qui le subissent. Une seconde typologie recense les trois formes idéales de pouvoir :

  • La domination charismatique « repose sur la soumission extraordinaire, au caractère sacré, à la vertu héroïque, ou au à la vertu exemplaire d’un personne » qui est donc considéré « naturellement » comme le chef.
  • La domination traditionnelle « repose sur la croyance en la sainteté des traditions (…) à la légitimité de ceux qui exercent une autorité par ces moyens ». Le détenteur du pouvoir est désigné par la tradition.
  • La domination légale rationnelle repose « sur la croyance en la légalité de règlements », c’est la domination par la règle et par la loi. Les ordres sont impersonnels, donnés par ceux qui occupent une position hiérarchique dont la fonction est de donner ces ordres.                                                      

La domination légale rationnelle s’exerce dans un cadre bureaucratique. La bureaucratie est «  le type le plus pur de domination légale est la domination par le moyen de la direction administrative bureaucratique ». Ici, l’exercice de la domination est « dépersonnalisé ». L’individu qui l’exerce, n’est que le titulaire d’une « compétence légale » donnée par la règle qui la définit et la délimite précisément. Max Weber donne lui – même un aperçu des caractéristiques des membres d’une bureaucratie :  personnellement libres, ils n’obéissent qu’aux devoirs objectifs de leur fonction ;  dans une hiérarchie de la fonction solidement établie ; avec des compétences de la fonction solidement établies ; en vertu d’un contrat, donc en principe sur le fondement d’une sélection ouverte selon la qualification professionnelle : dans le cas le plus rationnel, ils sont nommés selon une qualification professionnelles révélée par l’examen, attestée par le diplôme ; Ils sont payés par des appointements fixes en espèces (…) gradués selon le rang hiérarchique, traitent leur fonction comme unique ou principale profession, voient s’ouvrir à eux une carrière, un avancement à l’ancienneté ; sont soumis à une discipline stricte et à un contrôle.                                                                                                        La bureaucratie incarne un processus historique de rationalisation qui s’est imposé dans tous les domaines de la société, et qui caractérise l’ensemble des mutations sociales observées depuis plusieurs siècles (depuis la Renaissance). Il concerne à la fois les institutions (les entreprises, l’État, les institutions politiques, le système juridique) et les réalisations humaines (l’art, la science). Les activités artistiques en sont l’exemple le plus parlant, parce qu’elles sont les plus éloignées à priori de la rationalisation, en raison des qualités que l’on attribue aux artistes comme l’imagination ou l’inspiration. Or, la rationalité est, par exemple, partout chez les musiciens : report écrit des notes, règles de l’harmonie, constitution des accords, usage des instruments dans l’orchestre, organisation de l’orchestre, type d’œuvres). Elle s’est imposée aussi, à la Renaissance, chez les architectes et les peintres (nombre d’or, point de fuite, règles de la perspective, composition des tableaux).

Ce processus de rationalisation est étroitement lié au capitalisme moderne, parce qu’il affaiblit les sociétés traditionnelles et systématise l’usage des règles de droit. La bureaucratie est donc une condition nécessaire à son développement. Si bureaucratie et capitalisme sont indissociables c’est parce que, selon Philippe Raynaud (Max Weber et les dilemmes de la raison moderne,1987) : « le capitalisme moderne incarne le même principe qui est à l’origine de l’expansion universelle de la bureaucratie dans la société : la recherche de l’efficacité par l‘organisation des activités humaines selon des règles calculables ». Ce processus de rationalisation a une conséquence générale : le désenchantement du monde.  « Le destin de notre époque » écrit en effet  Max Weber, « caractérisée par la rationalisation, par l’intellectualisation et surtout par le désenchantement du monde, a conduit les humains à bannir les valeurs suprêmes les plus sublimes de la vie publique ». La raison l’emporte, c’est « la fin de la magie comme technique de salut ». Le sens de la vie n’est plus le monopole des religions ; la science éclaire les mystères du monde ; la politique est devenue un métier. 

C – La méthode par l’exemple : Éthique protestante et esprit du capitalisme (1905)

On l’a dit, l’objet de la sociologie est d’étudier la signification culturelle de la structure économique et sociale et de ses évolutions historiques. L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme commence ainsi par cette question : « à quel enchainement de circonstances doit - on imputer l’apparition, dans la civilisation occidentale et uniquement dans celle – ci, de phénomènes culturels qui – du moins aimons-nous le penser – ont revêtu une portée universelle ? ». En d’autres termes, comment est apparu le capitalisme moderne ? Comment est-il apparu dans l’Occident médiéval dont les valeurs lui étaient en tout point opposées. Le présupposé adopté par Max Weber est de considérer que « certains contenus de croyances religieuses ont joué un rôle dans l'émergence d'une mentalité économique ».

Fidèle à sa méthode, il observe les faits historiques pour construire un premier idéal type – l’esprit du capitalisme – et commence alors par établir un double constat : d’une part, l’appât du gain n’est pas en lui - même capitaliste, mais n’est rien d’autre qu’une pulsion, plutôt irrationnel d’ailleurs ; d’autre part, les techniques du capitalisme ont existé avant le capitalisme. La circulation monétaire et les prêts d’argents existent depuis l’Antiquité. Ils ont parfois atteint un haut niveau de sophistication (les lettres de change pendant la Renaissance par exemple), favorisé le développement des échanges, voire du commerce international. Donc, il faut d’autres facteurs pour expliquer l’émergence du capitalisme en Occident aux environs du XVIème siècle. Max Weber en vient ainsi à mettre en évidence que « l’occident connaît (…)  À l'époque moderne, une forme toute différente de capitalisme, qui ne s'était jamais développée auparavant dans le monde : l'organisation capitaliste rationnelle du travail (formellement) libre ».  Le capitalisme ajoute – t - il « s’identifierait plutôt à la domination à tout le moins avec une modération rationnelle de cette pulsion irrationnelle que constitue la  soif de l’argent ». L’esprit du capitalisme en tant qu’idéal type, c’est donc de saisir les chances de profit par l’exploitation des possibilités d’échange grâce à un usage rationnel et pacifique des moyens dont on dispose, ce que l’on retrouve dans l’organisation des entreprises, le développement du droit commercial et de la comptabilité.      

Une fois cela établi, il lui faut ensuite en venir à l’éthique protestante, second idéal type. Max Weber le construit principalement à partir  des principes du calvinisme. Tout protestant a «   la conviction qu'il n'est qu'un moyen de vivre qui agrée à Dieu (…) l'accomplissement exclusif des devoirs qui (…) découlent pour chaque individu de la position qui est la sienne, et constituent par là même son Beruf (…) ». C’est là un tournant essentiel dans l’histoire de l’occident puisque c’est l’idée que chacun à un métier qui est aussi son devoir puisque « l'homme doit l’accepter comme un décret divin (..) le travail professionnel est une mission ou plutôt la mission imposée par Dieu ». De surcroît, remplir son devoir par un travail bien fait ne garantit, ni le salut éternel ni le repos de l’âme, puisque selon la doctrine calviniste de la prédestination : « le destin de chacun est fixé de toute éternité ». Paradoxalement, ce ne sont pas les mérites de chacun qui le sauvent, mais la volonté de Dieu. Dans les faits, cette doctrine est vécue en se donnant pour un devoir de se considérer comme élu, en s’aidant du travail « censé dissiper le doute religieux et donner la certitude de l'état de grâce ». Ainsi, le travail s’accompagne de valeurs compatibles avec l’esprit du capitalisme comme la conscience professionnelle ou la discipline au travail. Mieux, le calvinisme met « tout en œuvre pour combattre la jouissance spontanée de la fortune ». L’austérité et l’ascèse recommandées à chaque protestant pour organiser sa vie, condamnent la consommation et favorisent l’épargne, ce qui pousse d’autant plus à la constitution d’un capital que la morale ne fait plus obstacle à la volonté de s’enrichir, contrairement à celle des catholiques médiévaux (pauvreté, charité, dons aux œuvres, célébration de la gloire de Dieu par la construction d’édifices religieux). Il y a bien des affinités électives entre l’idéal type « esprit du capitalisme » qui pousse à rechercher le profit par des moyens rationnels, et l’éthique protestante qui consiste à « gagner de l’argent, toujours plus d’argent, tout en se gardant des jouissances spontanées de la vie ».  La modernité occidentale est née de l’esprit ascétique protestant. Il y a là un lien de causalité concrète qui est une possibilité d’explication, mais parmi une grande quantité d’autres facteurs. Si cette relation est plausible, elle n’est pas mécanique. L’esprit du capitalisme s’est progressivement affranchi de ses fondements religieux, la motivation religieuse permet cependant d’identifier le sens visé par les acteurs et de comprendre pourquoi ces entrepreneurs adoptent des comportements en rupture avec leur temps.

I : Les approches holistes après Durkheim 

A – Les approches culturalistes

La sociologie d’Émile Durkheim est une sociologie de l’intégration, dont l’enjeu est de comprendre comment l’individu intériorise les normes présentes dans la conscience collective. Celle – ci est assimilée par les culturalistes à la culture, qui désigne quant à elle, l’ensemble des valeurs et des comportements propres aux membres d’une société, dont elle forge la personnalité et définit le style de vie. Selon Ruth Benedict (Échantillons de civisations,1934), il y a autant de cultures différentes que de sociétés différentes. Elles se répartissent en deux grands types de civilisation liés à deux types de psychologie : la psychologie dionysiaque dont les traits de caractère sont l’impulsivité, la passion, parfois la violence ; la psychologie apollinienne associée au calme, à la recherche de l’équilibre dans le conformisme. Elle ouvre la voie à une autre anthropologue américaine : Margareth Mead (Mœurs et sexualité en Océanie,1928 et 1935). Celle – ci ramène de ses voyages d’étude aux iles Samoa, l’idée que la nature humaine n’existe pas. Les comportements que l’on pensent déterminés par la nature le sont en réalité par la culture. Elle montre, en étudiant trois ethnies de Nouvelle Guinée et trois villages de l’archipel de Samoa, que les tempéraments masculins et féminins reposent sur des stéréotypes qui varient d’une société à l’autre. Ainsi, selon elle, le sexe des individus ne détermine pas leur comportement. « Si certaines attitudes, que nous considérons traditionnellement associées au tempérament féminin (…) peuvent aisément être typiques des hommes d’une tribu, et dans une autre (…)  Être rejetées par la majorité des hommes comme des femmes, nous n’avons plus aucune raison de croire qu’elles soient irrévocablement déterminées par le sexe de l’individu ».  

Ralph Linton (De l’homme, 1936) écrit que la culture n’est rien d‘autre que de « l’hérédité sociale ». Elle forme la personnalité, c’est-à-dire « la totalité des caractéristiques mentales de l’individu » (ses attitudes rationnelles, ses perceptions, ses idées, ses réactions affectives). Il faut donc expliquer comment elle est intériorisée par l’individu. Il fonde avec Abraham Kardiner (L’individu dans sa société,1939) le concept de personnalité de base, c’est à dire l’ensemble des normes et valeurs communes aux individus d’une même culture. Dans chacune d’elles écrit – il : « le moi est un précipité culturel ». Il existe en quelques sortes un répertoire de comportements dans lequel les individus vont puiser en fonction des circonstances sociales qu’ils rencontrent. Cette personnalité de base est le produit de la socialisation, c’est-à-dire des mécanismes d’intériorisation des normes et des valeurs réalisées par des institutions. Kardiner opère une distinction entre les institutions primaires et secondaires Les institutions primaires éduquent les enfants en les soumettant à des règles (alimentaires, sexuelles, relationnelles). Les instituions secondaires (la religion, l’art) sont un reflet de la personnalité de base. La socialisation passe par la « prise de rôle » pendant les jeux de l’enfance pendant lesquels se réalise l’apprentissage des statuts et rôle sociaux. Linton définit les statuts comme les différentes positions sociales (père, fils, élèves, fidèle, citoyen) présentes dans la société, il peut être assigné (enfant, adulte), il peut être acquis (familial, professionnel). Le modèle culturel définit les rôles associés à chaque statut, donc ce qui est attendu de chacun dans la vie sociale.

L’anthropologie culturaliste a imposé le thème du relativisme culturel par opposition à l’universalisme. Il signifie qu’il n’y a pas de référence absolue pour les valeurs et les normes qui expliquent les comportements humains. On ne peut donc pas établir de hiérarchie entre les cultures. Cette idée, dans une période où les empires coloniaux sont à leur apogée, ne permet plus de les justifier comme la conséquence nécessaire à l’émancipation des peuples, parce que celle - ci nécessite la diffusion des valeurs présentées comme universelles de la culture occidentale. Cependant, elle peut conduire à verser dans un relativisme moral. Si tout est culture, il n’y a pas de morale universelle, donc pas de progrès au nom de celle – ci, ce qui revient à remettre en question l’existence universelle de droits de l’homme, et en même temps la possibilité d’évolutions culturelles convergentes (par exemple, la reconnaissance de l’égalité des sexes).  

B – Les fonctionnalismes

Par définition, le fonctionnalisme est une déviation par rapport à la sociologie de Durkheim qui fait de la distinction entre cause et fonction, une règle de la méthode « parce qu’il faut traiter les faits sociaux comme des choses ». En effet, le fonctionnalisme considérant la société comme un tout cohérent, chaque fait culturel s’explique par la fonction qu’il remplit pour assurer la stabilité de la société dans le temps. L’analogie est forte avec la biologie quand elle explique la présence de chaque organe dans un corps humain par la fonction qui est la sienne. C’est donc une vision holiste. Elle présuppose qu’il existe une harmonie sociale comme il existe un fonctionnement du corps humain permettant d’être en bonne santé. Ce fonctionnalisme dit absolu trouve son origine dans les travaux de Bronislaw Malinowski (Les argonautes du Pacifique occidental,1963). Pour lui, la société est un ensemble dont il est impossible d’isoler une fonction des autres fonctions, en raison de leur interdépendance. L’étude des phénomènes sociaux  revient à étudier comment une société répond à ses besoins qui sont de deux types : besoins primaires et besoins culturels. De là, il définit les trois postulats du fonctionnalisme :      

  • Postulat de l’unité fonctionnelle: tout élément d’un système est fonctionnel pour le système social tout entier.
  • Postulat du fonctionnalisme universel: chaque élément social et culturel remplit une fonction dans le système.
  • Postulat de nécessité: chaque élément est indispensable au système.

 

Il met en évidence par exemple les mécanismes de la Kula : une série d’échanges ritualisés entre les habitants d’iles de Nouvelle Guinée portant sur des objets de prestige, sans utilité pratique ni valeur marchande, autour desquels la société s’organise. Les objets échangés n’ont donc de valeur que pour ces rituels en donnant du prestige aux individus qui les offrent. Ils sont d’ailleurs réservés à une partie cooptée de la population. Selon Malinowski, la Kula remplit plusieurs fonctions essentielles, au premier rang desquelles la socialisation des individus, en conférant statuts et rôles aux participants et aux non participants. Elle apporte aussi une régulation des rapports sociaux en organisant des échanges pacifiques au cours desquels s’opère une reconnaissance mutuelle du pouvoir de donner qui est la source du prestige et donc d’un pouvoir effectif.

Une évolution de cette approche se trouve dans le travail du sociologue canadien Talcott Parsons (Les structures de l’action sociale,1937).Il développe quant à lui une démarche dite structuro fonctionnaliste. En réaction à la généralisation des études de terrain qui caractérise alors la sociologie américaine, il a pour ambition de proposer une théorie générale en étudiant les conditions de l’action sociale des individus, en ce sens qu’ils agissent comme chez Max Weber (ils font des choix pour atteindre les buts qu’ils se donnent), mais dans un cadre contraignant comme chez Durkheim (le système social). La stabilité du système social suppose que soient remplies quatre fonctions :  maintien des modèles, intégration, réalisation des fins, adaptation. Elles sont remplies par quatre sous – systèmes du système social global : le sous -système culturel, le sous -système social, le sous -système psychique, le sous -système adaptatif. La sociologie de Parsons étudie plus particulièrement comment le sous-système social remplit les quatre fonctions sociales basiques évoquées précédemment. Concrètement, cela signifie que le maintien des modèles est assuré par la famille quand elle socialise les enfants ; la fonction d’intégration est remplie par le système judiciaire qui favorise l’intériorisation des normes par l’éventualité de la sanction ; le système politique définit les but collectifs c’est-à-dire accomplit la fonction de réalisation des fins ; les structures de l’économie permettent l’adaptation de la société à son environnement. À l’instar de la théorie de Malinowski, Talcott Parsons s’appuie lui aussi sur une harmonie sociale pré existante, l’homme étant en quelques sortes « hyper socialisé » en ce sens qu’il ne fait que suivre des comportements pré définis. Il présente donc une vision intégrée de la société américaine dans laquelle tous les américains partagent les mêmes buts : obtenir un emploi stable, faire carrière, être propriétaire, avoir une famille etc. On dit de lui qu’il est le sociologue de l’american way of life.                                                                                                                      

À la différence de ses prédécesseurs, Robert Merton est à la recherche d’une théorie à moyenne portée. Il ne croit pas à « un système entier de théories sociologiques où les observations de toutes sortes trouveraient immédiatement leur place » (Éléments de théorie et méthode sociologique,1953). S’il s’inscrit dans la tradition du fonctionnalisme, il récuse à la fois la rigidité du fonctionnalisme absolu de Malinowski et l’excès d’ambition de la théorie de l’action sociale de Parsons. Il remet d’ailleurs partiellement en cause les postulats du fonctionnalisme : il existe des substituts fonctionnels parce que plusieurs éléments peuvent avoir la même fonction ; il existe des dysfonctions, c’est-à-dire des conséquences négatives liées à l’action d’un élément ; ces dysfonctions n’ont pas nécessairement les mêmes effets surtout les membres de la société. Il ajoute à cela qu’il existe des fonctions manifestes dont les acteurs ont conscience et des fonctions latentes qui leur échappent. Cela permet de comprendre, selon lui, pourquoi des « pratiques sociales se perpétuent alors que leur but manifeste n’est sûrement pas atteint ». Par exemple, danser n’a jamais fait pleuvoir, sauf en cas de coïncidence. Mais, comme toute pratique rituelle, danser pour qu’il pleuve remplit une fonction latente : assurer la cohésion sociale. Ces concepts, en particulier celui de dysfonction, permettent à Merton de dépasser l’une des principales limites du fonctionnalisme, en l’occurrence la présence d’une harmonie sociale pré existante. La double question qu’il pose est alors la suivante : les individus poursuivent-ils des buts légitimes qui correspondent aux attentes sociales ? Ont-ils les moyens de les atteindre ?

 

Cela permet d’envisager plusieurs situations dysfonctionnelles qui se manifestent par des comportements déviants comme indiqués dans le tableau suivant :

Le conformisme est une situation qui renforce l’ordre social. Les individus sont intégrés et partagent les valeurs de la société. Ce n’est pas le cas lorsqu’ils sont en situation où ils innovent, c’est-à-dire qu’ils sont prêts à utiliser n’importe quels moyens pour atteindre leur but y compris illégaux (la mafia par exemple). L’attitude ritualiste est caractéristique de la personnalité bureaucratique qui consiste en une sorte de sur conformité : on applique la règle quelles que soient les conséquences, parce que la règle protège vis-à-vis de la hiérarchie. Elle permet de faire carrière même si l’efficacité est nulle. Le retrait est un rejet global qui conduit à la marginalité (clochards, toxicomanes). Il peut se muer en rébellion si l’individu vise à renforcer l’ordre social (le zadisme par exemple). Finalement, seul le conformisme n’est pas dysfonctionnel.

II : Les approches individualistes après Max Weber : la sociologie de l’action

A – L’individualisme méthodologique

Ce courant est en France totalement rattaché aux travaux de Raymond Boudon. Il se revendique comme un disciple de Max Weber dont il cite fréquemment un extrait de lettre de 1920, dans lequel le père de la sociologie allemande écrit : « La sociologie (…) ne peut procéder que des actions, d’un, de quelques, ou de nombreux individus séparés. C’est pourquoi elle se doit d’adopter des méthodes strictement individualistes ». Pour les mettre en œuvre, Boudon fait l’hypothèse qu’il existe un homo sociologicus, tout en prenant bien soin de  le distinguer de son équivalent en économie. Il identifie en effet cinq différences entre les deux (La logique du social,1979) : l’homo sociologicus peut renoncer à ce qu’il préfère en fonction de son intérêt, et agir par habitude selon divers conditionnements éthiques ou culturels ; le meilleur choix n’est pas toujours connu ; d’ailleurs sa rationalité est limitée c’est-à-dire qu’il choisit la meilleure solution parmi celles qu’il connait ; ses préférences dépendent de son expérience et donc de son histoire personnelle ; il agit en fonction des rôles sociaux qui sont les siens. On est donc loin du cadre théorique des néo classiques en économie dans lequel l’homo oeconomicus réalise des choix optimaux. Dans Théorie générale de la rationalité (2007), Boudon précise que si l’action humaine est rationnelle, c’est parce qu’elle est toujours, pour l’individu, fondées sur de « bonnes raisons ». Il y évoque à nouveau les limites de la rationalité humaine : d’une part, c’est une rationalité limitée, et d’autre part, c’est une rationalité axiologique c’est-à-dire qu’elle dépend des valeurs ( voir définition de rationalité) .

Selon Boudon, les phénomènes sociaux s’interprètent comme la conséquences de l’agrégation des choix et des actions individuelles. « La notion d’agrégation désigne une question fondamentale de la sociologie, celle de la relation entre les actions et préférences individuelles, et les effets collectifs qu’elles produisent » (Raymond Boudon, François Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, 1986). Cependant, ces effets collectifs ne correspondent pas nécessairement aux intentions des acteurs qui ne les prennent pas en compte dans leurs décisions. Ils apparaissent alors comme des effets non voulus, qui sont aussi, fréquemment, des effets pervers. Il applique ainsi sa méthode pour expliquer la mobilité sociale (L’inégalité des chances,1973) à partir de la stratégie des familles concernant les choix d’orientation. Son analyse repose sur la distinction de deux effets qui distinguent les contraintes qui pèsent sur les choix des élèves et de leurs parents : un effet méritocratique qui est fonction des résultats scolaires ; un effet de dominance qui est fonction du milieu social. Ainsi, le parcours scolaire s’explique d’abord par l’effet méritocratique. Les possibilités d’orientation offertes à chacun dépendent en effet des performances scolaires. L’effet de dominance intervient ensuite. Il explique que deux élèves ayant les mêmes résultats ne font pas les mêmes choix en raison de leur milieu social, parce que l’évaluation des avantages et des coûts d’une scolarité plus longue en dépend. Concrètement, l’élève s’oriente en fonction du parcours scolaire de ses parents. S’ils sont peu diplômés, obtenir le bac avant un BTS ou un DUT, suffit pour connaître une mobilité sociale ascendante. Ce n’est pas le cas si les parents sont très diplômés. Ainsi, la faible de la mobilité sociale (à l’époque 40% des hommes de 35 à 59 ans étaient classés dans la même PCS – professions et catégories socio professionnelles – que leur père) est un effet pervers des décisions individuelles d’orientation. Il explique pourquoi le développement de la scolarité favorise peu la mobilité sociale (paradoxe d’Anderson).

Les critiques adressées à la sociologie de Raymond Boudon pointent plusieurs paradoxes qui selon elles nuisent à sa cohérence d’ensemble. Le plus évident d’entre eux est celui, entre d’une part, une démarche individualiste qui par définition explique tout par les choix individuels, et d’autre part, cet individu lui – même, dont on ne sait rien, qui en quelque sorte n’est personne, puisqu’il se trouve réduit à la comparaison coût – avantage qu’il met à l’œuvre dans ses choix. Pour dépasser cela, avec la neutralité axiologique, Boudon ajoute d’autres motifs de comportements (les valeurs ou l’histoire personnelle par exemple) qui entrent dans la détermination des « bonnes raisons » d’agir de telle ou telle façon. On peut comprendre alors que l’individu intériorise l’environnement social dans lequel il se trouve, et considérer alors comme un problème, de ne pas trouver d’explication de cette intériorisation, d’autant plus importante qu’elle est à l’origine des croyances qui le font agir. Comme il rejette toute analyse étudiant les conditions d’émergence de ces croyances, Il en vient à écrire « que l’on peut parler sans excès de l’objectivité des valeurs » (Le juste et le vrai,1995). Ainsi, il en vient à ré -  affirmer l’existence de raisons d’agir qui dépassent le cadre des contraintes sociales liées à un contexte historique ou culturel donné. Certes, les individus ne sont pas de simples calculateurs qui comparent les coûts et les avantages, mais leurs choix continuent de s’imposer à eux, puisqu’ils s’appuient sur des valeurs universelles auxquelles ils ne peuvent échapper. Ainsi, la sociologie des effets pervers est tout d'abord une sociologie déterministe et non une sociologie de la liberté » écrit Pierre Favre (Nécessaire mais non suffisante, la sociologie des effets pervers de Raymond Boudon, Revue française de science politique, 1980) pour résumer ces critiques.

B – L’analyse stratégique

Ce courant porté par Michel Crozier s’inscrit dans le champ des théories des organisations. Influencé par Max Weber, il ne croit pas cependant à « la supériorité absolue du modèle hiérarchique réglementaire et bureaucratique ». Il va même montrer que ce modèle réduit l’efficacité des organisations. Certes, les individus acteurs élaborent comme chez Weber des stratégies en fonction de buts qui leurs sont personnels, mais ces buts peuvent parfois entrer en contradiction avec ceux de l’organisation dans laquelle ils agissent. En étudiant Le phénomène bureaucratique (1970), Michel Crozier montre en effet par des travaux empiriques, que dans toute organisation, certains membres échappent aux règles fixées parce que celles – ci sont par nature incomplètes. Ils bénéficient alors d’une zone d’incertitude qui rend leur comportement en partie imprévisible, leur donnant alors un pouvoir sur les autres membres. Ces relations de pouvoir parallèle sont des arrangements – négociations qui réduisent l’efficacité de l’organisation bureaucratique. Entre 1956 et 1960, menant deux séries d’enquête à la SEITA (société d’exploitation des tabacs et allumettes) qui détient alors en France le monopole de production de cigarettes, Michel Crozier comprend que le conflit quasi permanent, qu’il observe entre les ateliers de production et les ouvriers d’entretien, a pour origine la zone d’incertitude que créent les pannes de machine, car elles sont ignorées par le règlement . En effet, les ouvriers de production et leur chef d’atelier en sont victimes. Ils doivent supporter les ouvriers d’entretien, qui disposent donc d’un pouvoir et  agissent comme bon leur semble. Crozier note alors trois types de conséquences : l’autorité des chefs d’atelier est affaiblie par les ouvriers d’entretien en la circonstance plus compétents ; dès lors, les ouvriers de production échappent en partie à cette autorité parvenant à entretenir une alliance avec les ouvriers d’entretien fondée sur leur condition commune de salarié et leur appartenance syndicale ; ces tensions crée un climat qui nuit à l’efficacité de l’entreprise.

Dès lors, la direction de l’entreprise va chercher à apporter une solution au problème. Or, l’organisation bureaucratique est impuissante à le faire en raison de ses caractéristiques. En premier lieu, la centralisation des décisions éloigne les dirigeants et la production, ainsi « ceux qui décident ne connaissent pas directement les problèmes qu’ils ont à trancher », tandis que ceux qui sont sur le terrain connaissent ces problèmes, mais n’ont pas la capacité et la volonté d’agir.  Ensuite, il y a une absence de coopération. Les catégories hiérarchiques étant isolées les unes par rapport aux autres par l’organisation, développent un esprit de corps qui atténue les conflits internes à chacune, mais exacerbent les conflits entre elles. Ainsi, les décisions prises par la direction, sous la forme de nouvelles règles visant à éradiquer le problème, vont renforcer les zones d’incertitude, en l’occurrence dans l’exemple précédent, la mise en place de procédure visant à éliminer les pannes de machine renforce de fait le pouvoir des ouvriers d’entretien. L’organisation bureaucratique est elle – même la cause de l’échec parce qu’il « n’y a pas de systèmes sociaux entièrement réglés et contrôlés ». Les membres ont toujours des marges de manœuvre. Il y a donc un jeu entre les acteurs qui élabore au sein de toute organisation, ce que Michel Crozier et Erhard Friedberg (L’acteur et le système, 1977) nomme un système d’action concret, qu’ils définissent comme « un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stable et qui maintient sa structure ».

Dans plusieurs de ses ouvrages, Michel Crozier va ensuite s’interroger sur les possibilités de changement des organisations humaines en tenant compte de leur système d’action concret. Il conclut que le changement est nécessairement un phénomène systémique, c’est-à-dire « le résultat d’un processus collectif » qui seul permet de réorienter une organisation comme « un ensemble humain et non comme une machine ». Appliquant cette analyse à la société française, il explique les événements de mai 1968 comme caractéristiques d’une Société bloquée (1970) dans laquelle « le style administratif est au centre de toutes les organisations », parce que celui-ci engendre « une peur du face à face et une conception hiérarchique de l’autorité », qui est contourner radicalement pendant les crises sociales : le face à face est alors dans la rue et le pouvoir est remise en cause. Cela le conduira à élargir encore sa réflexion en publiant, en1987, État moderne - État modeste, dans lequel il développe l’idée d’une crise de l’État bureaucratique à la française qui se traduit par une montée de ses coûts de fonctionnement. On retrouve ici à l’échelle de la société tout entière l’existence d’un cercle vicieux bureaucratique, en ce sens que plus l’administration se réforme plus elle accentue sa tendance bureaucratique. Les solutions proposées apparaissent comme des solutions libérales : tenir compte de l’avis des usagers- clients, faire de la qualité un objectif prépondérant faire en sorte que l’État se retire quand il est moins efficace que des organisations privées. Les critiques qui lui sont adressées dénoncent des relations de pouvoir et des individus considérés en dehors du social lui-même, indépendants des systèmes de valeurs et des idéologies.

C – l’actionnalisme d’Alain Touraine

Le fil conducteur de la sociologie d’Alain Touraine, depuis ces premiers travaux (L’évolution du travail ouvrier aux usines Renault,1955), est d’étudier le sujet qui porte l’action sociale entendue comme transformation de la société. Cette sociologie connaît plusieurs étapes : tout d’abord, Touraine commence comme sociologue du travail, travail qui est selon lui « la condition historique de l’homme » ; ce qui l’amène ensuite à l’étude des mouvements sociaux dont l’aboutissement est l’écriture de Production de la société (1973), ouvrage clé contenant sa principale thèse ; enfin, à partir de la publication de Retour de l’acteur (1984), il entame une dernière évolution de sa pensée désormais tournée vers l’analyse de la société post industrielle. Sa sociologie est une sociologie de l’action, son but étant de comprendre le changement de la société. Il s’oppose ainsi au  holisme, en particulier à l’approche fonctionnaliste, mais sa sociologie de l’action n’est pas pour autant une sociologie individualiste, à qui il reproche d’ignorer les relations sociales en se concentrant sur un individu qui ne défend que ses intérêts égoïstes.       

 

Comment expliquer le changement de la société ?  Il provient du travail, soit l’activité humaine qui crée le changement et oriente les conduites de chacun ; les sociétés se produisent ainsi elles-mêmes par le travail. Dès lors, on ne peut parler de société qu’à partir du moment où l’ordre de la vie collective n’est plus déterminé par un principe qui lui est extérieur, par exemple les religions. Alain Touraine propose le concept d’historicité pour désigner la production de la société par elle – même, au cours d’un processus d’action historique guidé par le sens qu’elle donne à ses pratiques (le travail lui-même et les rapports sociaux qui lui sont associés) en fonction de son modèle culturel (ensemble d’objectifs dominant la société tout entière). C’est de ce modèle culturel, dont dépend l’utilisation du surplus de richesses créées par le travail, c’est-à-dire l’investissement et ses finalités. En termes simples, il s’agit de savoir comment la société utilise son surplus de richesses pour se transformer elle – même dans le futur, en fonction du sens qu’elle donne à celui-ci. Il est donc très différent de l’utiliser à construire le Parthénon ou des cathédrales, que de l’utiliser à faire évoluer la technologie pour transformer les conditions de travail et de vie. Tout en sachant que le progrès technique est orienté dans ses recherches par le modèle culturel.

 

Alain Touraine emprunte à Marx, l’idée que la société se transforme par le conflit, conflit dont l’enjeu est justement l’historicité et le processus d’action historique qui l’accompagne. Il existe une classe dirigeante qui confond le modèle culturel de la société et sa propre idéologie de classe. S’oppose à elle une classe dominée qui conteste son pouvoir pour mettre le surplus de richesse au service de la société tout entière. Ce conflit entre dominants et dominés est donc le moteur de la transformation des sociétés, donc de l’action sociale. À ce stade, se pose alors la question de savoir qui agit ?  Quel est le sujet de l’action ? Pour Touraine, c’est le mouvement social lui - même. Ce n’est pas la société (elle n’a pas de personnalité) ; pas davantage de l’individu (cela revient à ignorer les relations sociales) ; pas non plus un acteur collectif (syndicats, classes sociales, associations). C’est le mouvement social lui – même, c’est-à-dire le conflit autour de l’historicité. Il se caractérise par trois principes : l’identité, en ce sens qu’il se définit lui – même en toute conscience ; l’opposition, c’est-à-dire que l’adversaire est nommé et connu ; la totalité, parce que l’acteur est porteur d’un contre-projet de société. Ainsi, le mouvement ouvrier est-il le mouvement social propre à la société industrielle, c’est lui qui porte le changement en tant que sujet de l’action sociale. Il est bien défini par les trois principes énoncé à l’instant : il a une identité attachée à de la classe ouvrière et à son travail industriel ; il est en opposition avec la bourgeoisie qui impose l’accumulation du capital comme finalité sociale ; il est porteur d’un contre-projet social fondé sur une autre répartition des richesses grâce à la socialisation des moyens de production.            

 

À la suite d’une série d’études sur plusieurs mouvements sociaux (les anti nucléaires, le régionalisme, le féminisme), il doit constater qu’ils s’affaiblissent, et qu’aucun d’entre eux ne parvient à jouer dans la société post industrielle, le rôle que joue le mouvement ouvrier dans la société industrielle. Pour l’expliquer, il développe une théorie du sujet personnel, c’est-à-dire de l’individu créateur de sa propre situation sociale, ce qui n’a rien à voir avec l’individualisme pour lequel l’individu est en quelque sorte en dehors du social. Dans une société post industrielle, l’enjeu de l‘historicité ne porte plus sur l’accumulation du capital mais sur la production de connaissances et ses usages sociaux. Ainsi, l’individu se trouve contrôlé par ceux qui ont la maîtrise de ce processus. C’est pourquoi les nouveaux mouvements sociaux identifiés par Touraine, consistent à défendre le sujet pour lui permettre de prendre le contrôle de sa propre vie. Leurs objectifs  portent sur la vie personnelle, son organisation et ses choix : la famille, la sexualité, les droits de l’homme, l’éthique, ou encore le savoir et la formation.

 

III : Dépasser l’alternative entre l’holisme et l’individualisme : la double dimension du social

Le constructivisme n’appréhende pas la société comme une réalité en soi, mais analyse la manière dont elle est « construite » par les acteurs individuels ou collectifs en situation. Les actions sociales s’inscrivent dans un monde social lui aussi construit.

A – La sociologie de l’habitus de Pierre Bourdieu

Pierre Bourdieu est en quête du troisième voie. Il récuse en effet l’objectivisme holiste, parce qu’en privilégiant l’étude des structures sociales qui contraignent (voire conditionnent) les individus, il n’explique ni la diversité des pratiques sociales observées, ni celle des significations du monde social. Pour autant, le subjectivisme ne saurait suffire, puisque par nature, il ignore quant à lui le poids des structures. Cette troisième voie consiste alors à comprendre comment les individus intériorisent les contraintes qui pèsent sur eux, et leur attribuent ainsi un sens déterminé par la position sociale qu’ils occupent. Pour y parvenir, Pierre Bourdieu avance le concept d’habitus, qu’il présente comme le « produit du travail d'inculcation et d'appropriation nécessaire pour que ces produits de l'histoire collective que sont les structures objectives parviennent à se reproduire, sous la forme de dispositions durables, dans tous les organismes durablement soumis aux mêmes conditionnements, donc placés dans les mêmes conditions matérielles d'existences » (Esquisse d'une théorie de la pratique,1972). L’habitus permet de combiner un triple héritage : celui de Durkheim, car la socialisation de l’individu consiste à intégrer en lui les règles de la société dans laquelle il vit ; celui de Marx, les relations sociales étant des relations de domination liées à la position de classe ; et celui de Weber, cette domination apparaissant comme légitime aux individus. L’habitus est toujours lié à la classe sociale à laquelle on appartient. Il détermine pour chacun sa relation avec le monde extérieur (pensées, goûts, comportements). Pour caractériser le monde extérieur, Bourdieu utilise le concept de champ. Il met en évidence l’existence d’une multiplicité d’espaces sociaux distincts (champ scientifique, littéraire, scolaire, sportif)  et l’adéquation de chacun avec l’habitus, adéquation qui rend le monde extérieur plus ou moins familier à l’individu, et lui donne le sentiment d’être ou de ne pas être à sa place en fonction des ressources dont il dispose. Ces ressources sont formées de capitaux de nature diverse.

  • Le capital économique (patrimoine immobilier, patrimoine financier, revenus) doit en effet être légitimité par d’autres formes de capitaux (social, culturel, symbolique).
  • Le capital social est « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la détention d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’inter reconnaissance ; ou, en d’autres termes, à l’appartenance à un groupe » (Le sens pratique, 1980).
  • Le capital culturel est constitué par la connaissance et la fréquentation de la culture légitime.
  • Le capital symbolique vient en quelque sorte synthétiser tous les aspects de la domination, puisque c’est la reconnaissance et la légitimité accumulée, en particulier le prestige du nom de famille ou de la profession exercée.

 

L’analyse du rôle joué par le système scolaire dans la reproduction sociale, est un support efficace pour comprendre les apports théoriques de la sociologie de Pierre Bourdieu. En publiant d’abord avec Jean Claude Passeron, Les Héritiers, les étudiants et la culture (1964), il dresse le constat, en exploitant des enquêtes du centre de sociologie européenne dirigé par Raymond Aron et dont il est le secrétaire, d’une représentation inégale des enfants des différentes classes sociales dans l’enseignement supérieur,  reflet des inégalités culturelles entre elles. Avec La reproduction, éléments pour une théorie de l’enseignement (1970), Bourdieu et Passeron proposent une théorie de la reproduction sociale via le système scolaire, qui s’apparente selon eux, à un système de sélection fondée sur un arbitraire culturel à l’avantage des classes dominantes, dont les enfants disposent du capital culturel nécessaire à la compréhension des codes, des règles, et du langage pratiqué pendant l’enseignement. Il y a ainsi selon eux « une complicité cultivée » entre les enfants de ces catégories et les enseignants. En d’autres termes, l’habitus des classes dominantes permet à leurs enfants de réussir  dans le champ scolaire. Dès lors, l’école assure la reproduction sociale en légitimant par les diplômes qu’elle distribue, les relations de domination entre les classes sociales. En 1988, Pierre Bourdieu (La noblesse d’État) revient sur ce thème pour montrer que la démocratisation scolaire a conduit les classes dominantes à rechercher de plus en plus la légitimité par le diplôme, et donc paradoxalement, à faire reculer la part des enfants de milieux populaires dans les grandes écoles de la République (École Polytechnique, École Normale Supérieure, École Nationale d’Administration). 

Les critiques des travaux de Pierre Bourdieu soulignent, comme toujours avec une sociologie holiste, qu’il exclut le changement social tant il accorde une priorité à la reproduction. La structure sociale cristallisée dans les habitus est alors immuable ; l’habitus étant la clé de voûte du système de pensée de Pierre Bourdieu. Pour certains sociologues, par exemple François Héran (La seconde nature de l’Habitus, Revue française de sociologie, n°3,1987), il y a une première difficulté dans son usage en raison de la difficulté qu’il y a à l’observer autrement que par ses manifestations, et donc autrement que par les explications qu’il permet d’apporter. Il apparaît alors comme un concept ad hoc, celui dont on a besoin, et qui n’existe parce que l’on en a besoin, sans être en mesure de le décrire en dehors de l’usage que l’on en fait. Un autre angle critique de l’habitus repose sur le constat que la socialisation n’est plus aujourd’hui réservée à la famille. L’individu selon Bernard Lahire (L’homme pluriel, 1988) rencontre très tôt dans sa vie, des instances de socialisation diverses (famille, crèche, école, clubs sportifs) et parfois contradictoires. Cela revient à dire que l’individu n’a pas la cohérence sociale que lui confère Bourdieu à priori. Il est donc nécessaire de comprendre comment les individus s’approprient effectivement leur monde.

B – La sociologie des interactions

La première école de Chicago regroupe les travaux de recherche menés entre les deux guerres à   l’université de cette ville. Si elle n’a jamais constitué un courant de pensée au sens propre du terme, c’est-à-dire fondé sur une approche théorique commune, cette école a cependant une unité. Les sociologues y appartenant ont en commun de privilégier une approche empirique. Ils procèdent à des enquêtes de terrain sur des phénomènes urbains, tels que l’intégration et la ségrégation des populations immigrées, les liens entre la ségrégation spatiale et la ségrégation sociale, ou encore la délinquance et l’acculturation. William Isaac Thomas est sans nul doute l’un des plus importants. On lui doit, en collaboration avec le philosophe Florian Znaniecki, les cinq volumes parus entre 1918 et 1920 décrivant la vie du paysans polonais en Europe et aux États Unis. À partir de lettres et de documents autobiographiques, les deux auteurs étudient la trajectoire d’un groupe social dont les membres n’ont pas tous le même itinéraire. Pour l’expliquer, ils avancent l’idée que les penchants personnels se combinent les structures sociales en fonction des circonstances. Thomas et Znaniecki dégagent trois types sociaux dominants : philistin, bohème, créatif. Chacun désigne un ensemble d’attitudes et de valeurs qui guident l’organisation de la vie. Ainsi, le philistin est un conservateur dont les conduites sont guidées par la tradition, c’est un conformiste quel que soit son rang social. Le bohème s’adapte au changement qu’il subit. Le créatif est un innovateur qui trouve toujours l’énergie nécessaire pour réaliser ses projets personnels. En réalité, ces types sociaux ne sont que des tendances de caractère qui se combinent chez tous les individus, même si l’un de ces trois types domine toujours chez un individu particulier. Mais pour autant, rien n’est écrit de son destin ; ce sont en effet les circonstances qui décident ce que chacun devient. Thomas et Znaniecki insistent alors sur l'interaction des facteurs : « Dans cette interaction continuelle entre l'individu et son environnement, on ne peut dire, ni que l'individu est le produit de son milieu, ni qu'il produit son milieu ; ou plutôt, on peut dire les deux choses à la fois ». Ainsi, placés dans une même situation, les réponses des différents individus ne vont pas être les mêmes. Ils agissent en fonction de ce qu’ils comprennent de la situation dans laquelle ils se trouvent. Ils agissent selon William Thomas d’après leur propre définition de la situation. Il en tire la conclusion que « si les hommes définissent des situations comme réelles, alors elles sont réelles dans leurs conséquences »

 

Le courant de l’interactionnisme symbolique à proprement parler se situe dans la continuité de ces travaux. Il constitue, à partir de 1950, la seconde école de Chicago dont le but est de lutter contre l’hégémonie des courants holistes sur la sociologie américaine, en particulier le culturalisme et le fonctionnalisme. Ils n’inclinent pas pour autant vers l’individualisme méthodologique, car l‘action sociale ne peut être réduite à la défense de l’intérêt personnel. Outre l’influence de leurs prédécesseurs de Chicago, celle du sociologue allemand Georg Simmel est évidente sur le travail des sociologues de ce courant. Simmel développe en effet une sociologie des formes sociales. Il ne cherche pas à expliquer la société tout entière, mais à se focaliser sur des relations interindividuelles d’un niveau intermédiaire. Il étudie par exemple l’argent, le conflit, la pauvreté, la mode. Ces formes sociales étant le produit des actions réciproques des individus, il pressent le rôle des interactions. Il écrit ainsi dans Questions fondamentales de sociologie (1918) : « en tant qu’elle se réalise progressivement, la société (…) est quelque chose que les individus produisent et subissent à la fois ». C’est cependant à Herbert Blumer (Symbolic Interactionism,1969) que l’on doit la dénomination et  l’énonciation des trois principes de l’interactionnisme symbolique :

  • tout d’abord, les humains agissent à l’égard des choses en fonction du sens que les choses ont pour eux, c’est donc la perception de la réalité qui est ici fondamentale  ;
  • ce sens est en même temps construit au cours des interactions avec autrui , il n’est donc pas une donnée à priori ;
  • c’est enfin dans un processus d’interprétation mis en œuvre par chacun que ce sens est modifié, ce qui explique entre autres, pourquoi les normes de comportement évoluent dans le temps.

 

La conséquence radicale de ces principes est qu’il ne peut pas y avoir de faits sociaux extérieurs aux individus. La sociologie de la déviance s’avère alors un terrain de prédilection pour les mettre en œuvre, en prenant le contre-pied de la sociologie durkheimienne. La déviance étudiée par Émile Durkheim est en effet une transgression des normes, ce qui est une offense pour la conscience collective et réclame donc une sanction. Ainsi écrit-il : « nous ne réprouvons pas un acte parce qu'il est criminel, mais il est criminel parce que nous le réprouvons ». Le châtiment doit réactiver le sentiment d’appartenance fondée sur des règles partagées en agissant sur les honnêtes gens. Ici, les choses sont donc parfaitement claires : des personnes malhonnêtes transgressent des normes connues de tous et sont donc sanctionnés pour cela. L’analyse interactionniste proposée par Howard Becker (Outsiders, 1963) y est en tout point opposée. Chez lui, le statut du déviant se construit par une série d’interactions.

  • Les normes sont instituées par des entrepreneurs de morale. Elles n’existent pas en elles- mêmes. Si elles découlent de valeurs abstraites, elles ne sont pas automatiquement des prescriptions. C’est donc l’interprétation par ces entrepreneurs qui crée la norme. Howard Becker montre ainsi comment la consommation de marijuana a été interdite aux États unis en 1937.Le Federal bureau of Narcotics, sans activité depuis la fin de la prohibition en 1933, joue ce rôle d’entrepreneur de morale par la mobilisation des médias et de l’opinion publique sur les dangers de cette drogue.
  • Un individu est déviant parce qu’il est perçu comme tel par la société : il est « étiqueté » déviant (théorie de l’étiquetage ou labelling). La déviance est donc en quelques sorte une création sociale : « Le déviant est celui à qui l’étiquette de déviant a été appliquée avec succès ; le comportement déviant est le comportement que les gens stigmatisent comme tel »
  • L’étiquetage engendre la stigmatisation. Certaines pratiques deviennent immorales, voire délinquantes s’il existe une loi qui vient le préciser. La société renforce son unité par le rejet des déviants qui progressivement se constituent en groupe construit sur l’identité et la carrière déviante de ses membres.

 

La déviance n’a donc de sens qu’au regard d’une norme socialement construite, qui aurait pu être autre. Chez Erwing Goffman (Stigmate,1963), ce processus de stigmatisation est étudié comme la relation entre le groupe des « normaux » et le groupe de ceux qui justement porte un stigmate, c’est-à-dire une caractéristique physique volontaire (vêtements portés, coupe de cheveux) ou involontaire (taille, couleur de peau, handicap physique). Être déviant chez Goffman, c’est donc porter un stigmate produit par l’interaction entre ceux qui le portent et ceux qui ne le portent pas. Elle donne lieu, entre eux, à une négociation permanente qui peut prendre plusieurs formes selon l’usage social du handicap. Cet usage social peut être :

  • une stratégie de dissimulation qui consiste à refuser ce qui lui est associé (lunettes, appareil auditif, canne, fauteuil roulant) ;
  • une stratégie de coopération, c’est-à-dire à user socialement de son handicap (indemnisation, place réservée, transport particulier)
  • une stratégie de refus, dés lors que l’on agit pour inverser l’image du handicap (pratiques sportives, mouvements associatifs).

 

C – La sociologie des configurations de Norbert Elias

L’individu ne peut agir qu’en société ; la société n’existe que par les individus. Toute séparation est alors artificielle. Partant de ce principe que l’on ne peut pas penser l’individu sans penser la société et réciproquement, le constructivisme suppose par définition de proposer un concept permettant de faire le lien entre les deux. La configuration est le concept proposée par Norbert Elias (La société des individus, 1987) pour parvenir à faire ce lien. Il s’agit, comme chez Bourdieu et comme chez les interactionnistes, de dépasser l’opposition entre objectivisme et subjectivisme, mais tout en récusant les concepts de champ et d’interaction. Une configuration est selon lui un réseau d’interdépendances entre les individus c’est-à-dire leur mise en relation concrète. Elle s’apparente à un jeu, c’est-à-dire une situation, dont l’issue échappe au calcul des acteurs, mais qui a un effet sur chacun d’entre eux. Le raisonnement se fonde, non pas sur les règles du jeu, non pas sur les joueurs, mais sur les relations forcément variables entre des positions définies par le jeu. « Lorsque l’on regarde un match de football, on comprend que c’est de la configuration mouvante des joueurs elle-même que dépendent, à tout moment, les décisions et les mouvements de chacun d’eux individuellement ». Le match est à chaque fois différent, son issue est toujours incertaine, alors que les règles sont toujours les mêmes, et que dans certains cas les joueurs sont identiques.

Avec La civilisation des mœurs (1987), Norbert Élias étudie le processus historique de civilisation, qui débute à partir de la renaissance, par lequel les individus ont intériorisé de plus en plus de règles de vie en commun. Ces règles contraignent les corps en leur imposant de refouler leurs pulsions et de contrôler leurs affects :  le contrôle de l’animalité corporelle (se moucher, roter, digérer, déféquer), les conduites sexuelles, l’attitude à table et les rapports à la nourriture. Ce modèle, qui ne concerne dans un premier temps que la société de cour, va ensuite se diffuser à l’ensemble des couches de la société. Cette diffusion multiplie alors les possibilités de relations entre les individus, en étant à la fois une évolution psychologique – le contrôle de soi – et une évolution sociale – l’urbanisation, la coopération, la synchronisation des activités. Le tour de force que réalise ici Élias, est de penser simultanément l’évolution des structures mentales individuelles et des structures sociales collectives. En effet, en même temps que le processus de civilisation, qui exige un contrôle de son corps et de ses pulsions, se réalise un processus d’individuation propice à la naissance d’une conscience de soi et au développement d’une individualité. Ainsi, quand il cherche à expliquer la naissance de l’État c’est-à-dire la monopolisation du pouvoir, Norbert Élias (La dynamique de l’Occident,1975) nous explique ainsi qu’elle accompagne la pacification des relations sociales. Le contrôle de soi se substitue à la violence entre des êtres de plus en plus interdépendants en raison de la division des tâches sociales, il impose alors « l’habitude de songer aux conséquences futurs de ses actes ». D’une certaine manière, protéger les autres c’est se protéger soi- même. L’État se renforce au fur et à mesure qu’il faut protéger, arbitrer, et finalement garantir la possibilité physique et matérielle de l’indépendance de l’individu.

 

La sociologie de Norbert Élias se voit opposer trois types de critiques. Tout d’abord, un reproche d’évolutionnisme de sa théorie du processus de civilisation, en ce sens que son explication décrit un processus historique pendant lequel ce qu’a eu lieu devait avoir lieu. Ainsi, la socio genèse de l’État est une succession d’étapes qui se succèdent comme un processus allant de soi : L’État se constitue d’abord pour monopoliser la violence physique (pouvoir militaire et judiciaire), ce qui le conduit ensuite à prendre le contrôle des ressources financières par l’impôt, obligeant chacun à trouver des ressources pour vivre. Ainsi, les tâches sociales se divisent, faisant apparaître des conflits qui nécessitent l’apparition d’un arbitre : l’État. Ensuite, les historiens contestent également l’existence même du processus de civilisation. Selon eux, d’une part, la société féodale n’est ni archaïque ni immobile, d’autre part, la modernité n’a rien de pacifique. Certes, il est excessif de considérer que la vision d’Elias est  absolument irénique. Il fait en effet une place à la violence dans son analyse des sociétés modernes, mais c’est pour constater en même temps une tendance historique à la contester comme légitime. Nous trouvons ici le terrain d’un dernière critique, développée entre autres par Jean Hughes Déchaux (Sur le concept de configuration : quelques failles dans la sociologie de Norbert Elias, Cahiers Internationaux de Sociologie,1995), concernant les ambiguïtés du concept de configuration. La configuration comme évoquée précédemment peut être envisagée comme un jeu entre les acteurs qui appliquent des règles (la compétition, la concurrence), ne connaissent pas l’issue de la partie, et surtout le lien avec le comportement exact de chacun. Dès lors, se construisant ainsi, la société nous dit Élias, est un équilibre entre des tensions consécutives à ces rapports de force. Comment alors expliquer la première guerre mondiale comme ce point d’équilibre entre violence et non-violence ?   demande Déchaux.

Newsletter

Suivre toute l'actualité de Melchior et être invité aux événements