Pourquoi, même avant la crise du Covid, les politiques économiques étaient-elles continuellement expansionnistes ? (épisode 16)

Professeur associé à PSE - Ecole d'économie de Paris
Conseiller économique de Natixis

La crise du Covid conduit évidemment à une politique budgétaire (déficit public de plus de 14% du PIB dans les pays de l’OCDE) et à une politique monétaire (taux d’intérêt nuls, hausse en un an de 75% de l’offre de monnaie) très expansionniste en 2020, en raison de la violence du choc (recul de 7 à 8% du PIB de l’OCDE en 2020). Mais, même avant la crise, les politiques budgétaires et les politiques monétaires des pays de l’OCDE étaient devenues continûment expansionnistes. Le taux d’endettement public des pays de l’OCDE est passé de 70% du PIB dans la seconde moitié des années 1990 à 120% du PIB en 2019 ; la taille du bilan des Banques Centrales des pays de l’OCDE est passée de 1600 milliards de dollars en 1996 à 14 000 milliards de dollars à la fin de 2019.

Nous nous demandons pourquoi, depuis la fin des années 1990, il y a ainsi un biais expansionniste continuel des politiques économiques, au lieu d’avoir comme auparavant l’alternance de périodes de croissance avec des politiques économiques restrictives et de périodes récession avec des politiques économiques stimulantes. Nous voyons quatre explications à cette évolution.

Première explication : le rejet du « Leaning Against the Wind »

Le « Leaning Against the Wind » est une politique monétaire restrictive, menée dans les périodes de croissance même en l’absence d’inflation, et visant à équilibrer les déséquilibres financiers (excès d’endettement, bulles sur les prix des actifs). Mais les Banques Centrales ont décidé de ne plus utiliser cette politique de « Leaning Against the Wind » : elles ont laissé augmenter sans réagir le taux d’endettement du secteur privé de 2002 à 2008, elles ont laissé, depuis le milieu des années 1990, monter sans réagir les cours boursiers et les prix de l’immobilier. Probablement, les Banques Centrales n’acceptent pas le freinage de la croissance qu’implique l’utilisation du « Leaning Against the Wind ».

Deuxième explication : les « politiques de la surchauffe »

La « théorie de la surchauffe » consiste à maintenir les politiques (budgétaire et monétaire) de stimulation de la demande alors que le taux de chômage est redevenu faible, alors que normalement, quand le taux de chômage est faible, on passe à des politiques plus restrictives. Le maintien de déficits publics importants et de taux d’intérêt faibles alors que l’économie se rapproche du plein emploi s’explique par la volonté des Etats et des Banques Centrales de prolonger les périodes de croissance. En effet, la stimulation de la demande conduit les entreprises à devenir plus efficaces, à se moderniser, pour accroître la productivité ; elle ramène de nouvelles personnes sur le marché du travail, elle augmente le taux de participation et au total elle accroît la production potentielle.

Troisième explication : la multiplicité des crises

La troisième explication est la suivante : pour sortir des crises, des récessions, la politique budgétaire devient très expansionniste, ce qui n’est possible que si la politique monétaire devient aussi très expansionniste avec la monétisation des dettes publiques par les Banques Centrales et en conséquence le maintien de taux d’intérêt à long terme très bas. Mais cette expansion monétaire forte, l’abondance de liquidité créée par les Banques Centrales font apparaître des déséquilibres financiers (excès d’endettement, bulles sur les prix des actifs) qui, plus tard, déclenchent une nouvelle crise : les politiques expansionnistes mises en place pour sortir des crises font apparaître de nouvelles crises, d’où de nouvelles politiques expansionnistes.

Quatrième explication : le recul de la croissance potentielle

Les pays de l’OCDE connaissent depuis le début des années 1990 un net recul de leur croissance potentielle, dû au recul des gains de productivité et au vieillissement démographique. Les crises, les récessions contribuent au recul de la croissance potentielle, en détruisant du capital productif, du capital humain ; en faisant apparaître des entreprises zombie (surendettées, inefficaces). La réaction des Etats et des Banques Centrales au recul de la croissance potentielle peut être des politiques budgétaires et monétaires stimulantes, visant par exemple à accroître l’investissement public et l’investissement des entreprises.

Au total, pour toutes ces raisons, les politiques économiques sont chroniquement expansionnistes

Avec le rejet du « Leaning Against the Wind », l’utilisation de la théorie de la surchauffe, la répétition des crises, le recul de la croissance potentielle, on voit dans les pays de l’OCDE des politiques budgétaires et monétaires toujours expansionnistes. La conséquence à long terme d’une hausse continuelle de l’endettement public et d’une hausse continuelle de la quantité de monnaie ne peut être qu’une crise : crise de la dette ou crise liée à l’explosion des bulles ou crise sociale liée aux bulles, par exemple à la hausse perpétuelle des prix de l’immobilier et donc du coût du logement.

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