État-providence

Définition :

État qui intervient activement dans les sphères économique et sociale en vue d’assurer le bien-être de chacun, et que l’on oppose généralement à l’Etat-Gendarme, dont la mission se limite pour l’essentiel à assurer la sécurité intérieure et extérieure des citoyens.

L'essentiel :

« On a toujours pensé à faire la charité aux pauvres et jamais à faire valoir les droits de l’homme pauvre sur la société ». En s’exprimant ainsi devant l’Assemblée constituante, le duc de la Rochefoucauld-Liancourt, rapporteur de la commission pour l’extinction de la mendicité, posait les termes du débat sur la question sociale. Ce débat opposera tout au long du XIXème siècle ceux qui, d’une part, défendaient les droits du pauvre, c’est-à-dire une prise en charge collective des risques sociaux, à ceux qui, d’autre part, misaient sur le devoir du riche, c’est-à-dire le choix de la charité et de la bienfaisance, le seul pour eux qui ne porte pas atteinte aux libertés fondamentales. C’est d’ailleurs en défendant ce second point de vue que le député Emile Ollivier utilisera le premier, en 1864, cette expression d’« Etat-providence ».  La résistance à reconnaître l’existence de droits économiques et sociaux de chaque être humain explique qu’avant de parvenir au Welfare state de la seconde moitié du XXème siècle dans les pays riches, la construction des Etats providence ne pouvait être qu’un processus très lent.

Dans sa définition, l’Etat-providence a pour fonction de protéger les individus contre certains risques sociaux, tels que la maladie, la vieillesse, les accidents du travail, ou encore le chômage.

Historiquement, c’est en Allemagne, entre 1880 et 1890, que se met en place un système assurantiel que l’on qualifie aujourd’hui de bismarckien (du nom d’Otto Von Bismarck, chancelier d’Allemagne, qui est à l’origine de cette réforme sociale). Il repose sur un financement contributif, ce qui signifie que les prestations sont proportionnelles aux cotisations versées par les assurés sur une base professionnelle et sont gérées par des représentants des salariés et des employeurs.  L’ordonnance du 04 octobre 1945 en France qui fonde la Caisse nationale de Sécurité sociale fera du système français un système à dominante assurantielle, qui évoluera progressivement dans une direction assistantielle (voir plus bas) avec l’introduction progressive de minima sociaux). 

Dès avant la fin de la seconde guerre mondiale, le rapport de Lord Beveridge en Grande-Bretagne (Rapport au Parlement sur la Sécurité sociale et les prestations connexes, 1942) propose une organisation alternative de l’Etat-providence dont il redéfinit les fondements et les missions. Il s’agit de libérer l’homme du besoin en lui donnant en toutes circonstances les moyens financiers pour qu’il mène une existence « saine ». Les droits sociaux deviennent alors une extension des droits du citoyen. L’Etat-providence dit beveridgien s’organise autour de trois principes : universalité, uniformité, unicité. Les prestations sont versées en fonction des besoins de chacun. Elles sont universelles, au sens où tout le monde peut les percevoir à un moment où à un autre ; elles sont uniformes, car le montant versé est le même pour tous. Il y a unicité du financement par l’impôt ; le système est donc non contributif, à la différence du système assurantiel que l’on vient d’évoquer.

Depuis 1945, les Etats-providence ont bien évolué dans les pays riches. En 1990, Gosta Esping-Andersen (Les trois mondes de l’Etat-providence) propose une typologie qui indique la persistance d’une forte identité nationale des systèmes sociaux, en lien avec le type de capitalisme. Selon lui, on distingue dans les pays scandinaves un premier modèle qui est le modèle social-démocrate, dont la caractéristique principale est de permettre un accès à un haut niveau de prestations et de services pour toute la population, dont le corollaire est l’acceptation d’un taux de prélèvements obligatoires élevé. Ce modèle s’oppose au modèle libéral que l’on trouve en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et au Canada, qui se contente quant à lui de proposer un traitement contre la pauvreté. Ces deux modèles se différencient du troisième monde qui est celui du modèle corporatiste présent en Autriche, en Allemagne, en Belgique ou en France. Ce dernier modèle couvre les risques sociaux essentiellement en fonction de l’activité professionnelle. C’est un modèle en crise, car le financement par les cotisations sociales lie la protection des citoyens à l’emploi, ce qui, en période de chômage de masse, aboutit à une société de plus en plus duale.

Au-delà de ces typologies par ailleurs fort instructives, la crise économique et sociale que traversent les pays développés depuis maintenant une cinquantaine d’années fait réfléchir à la nature de l’Etat-providence. Selon Pierre Rosanvallon (La crise de l’Etat-providence, 1981), c’est dans les années 1970 que le ralentissement de la croissance économique entraînera des difficultés financières, qui seront en partie responsables de l’augmentation spectaculaire des prélèvements obligatoires, et qui révéleront en fait une triple crise, à savoir une crise financière due à un accroissement des dépenses liées au chômage et au vieillissement de la population qui alourdissent les prélèvements sans pour autant empêcher les déficits, une crise d’efficacité parce-que l’Etat-providence s’est montré incapable d’éviter la progression de l’exclusion sociale, et une crise de légitimité qui signifie une contestation croissante des valeurs et des principes mis en œuvre. L’adaptation de l’Etat-providence à la crise a ensuite conduit à une certaine convergence des modèles nationaux, en particulier due aux difficultés rencontrées par l’organisation de type bismarckienne. On constate ainsi une tendance à la réduction de la part des cotisations sociales dans le financement de la protection sociale et une augmentation de la part de l’impôt (ce que l’on appelle la fiscalisation de la protection sociale), tandis que les prestations sociales sont de plus en plus universelles (modèle beveridgien).

D’autres auteurs préfèrent replacer l’analyse de l’Etat-providence dans la longue période. Pour Jacques Donzelot (L’invention du social - Essai sur le déclin des passions politiques, 1994), il n’y a pas opposition mais continuité entre Etat-gendarme et Etat-providence. En effet, dès 1848, la contradiction entre la réalité sociale et les principes républicains définis un demi-siècle plus tôt est flagrante. Une grande partie de la population ne peut pas bénéficier véritablement de l’égalité républicaine dans la mesure où elle se trouve exclue de la propriété, garante à la fois de la liberté et de la sécurité de chacun. La réponse sera la mise en œuvre progressive par le droit social du principe de solidarité, qui apparaît à la fin du XIXème siècle, par exemple dans la sociologie d’Emile Durkheim. De ce point de vue, l’Etat-providence n’est donc que l’extension nécessaire du rôle de la puissance publique pour rendre effectif le principe républicain d’égalité. Toujours dans cette perspective de long terme, Gosta Esping-Andersen et Bruno Palier proposent ainsi de dépasser la vision qui présente l’évolution de l’Etat-providence exclusivement dans sa dimension financière, qui conduit à renvoyer une part de plus en plus importante des assurances sociales aux solidarités familiales et/ou aux prétendues vertus des assurances privées. Si l’on admet que le vieillissement démographique est la contrainte majeure à laquelle il faudra s’adapter, les trois leçons des deux auteurs sont de renforcer l’emploi féminin pour élargir l’assiette de cotisations, de mettre en place une prise en charge collective des obligations familiales des femmes, et de consentir un effort en faveur de la petite enfance pour aider les générations futures à s’adapter à l’économie de la connaissance. Ils proposent donc de considérer une partie des dépenses de l’Etat-providence comme un investissement qui permettra de faire face aux dépenses croissantes qu’entraînera inévitablement le vieillissement de la population. Un tel point de vue est prolongé par Eloi Laurent dans Le bel avenir de l’Etat-providence publié en 2014 .Dans ce livre, l’auteur défend la thèse selon laquelle l’Etat-providence est l’institution la plus efficace jamais créée au cours de la longue histoire de la coopération humaine. De plus, face aux nouveaux enjeux sociaux et climatiques, l’Etat-providence semble bien être la seule institution capable de promouvoir la nécessaire transition sociale et écologique, et les choix sociétaux qui l’accompagnent (croissance plus verte, protection des plus faibles, redistribution des richesses, …).

3 sujets possibles :

1)  Est-il légitime d’opposer l’Etat-gendarme à l’Etat-providence ?

2)  Faut-il continuer à fiscaliser la protection sociale ?

3)  Comment l’Etat-providence peut-il faire face aux nouveaux enjeux sociaux et climatiques et en même temps maîtriser ses dépenses ?

Lire à ce propos

Voir le chapitre de 1ère: Comment l’assurance et la protection sociale contribuent-elles à la gestion des risques dans les sociétés développées ?

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