L’héritage au XXIème siècle

André Masson

Mots-clés : Héritage, Inégalités, Patrimoine, Rente.

Résumé

Ce livre a pour ambition de traiter les principales questions relatives à l’héritage, pour donner à chacun les moyens de se forger une conviction éclairée sur le système successoral en France et sur l’éventuelle réforme de ce système. Deux enjeux fondamentaux sont éclairés. Le premier est de savoir à qui on peut ou doit transmettre. Le second enjeu est de savoir comment doivent être taxées les successions patrimoniales.

Voir le fait d’actualité « Les effets économiques de l’héritage »

L’ouvrage

Le patrimoine des ménages français a augmenté beaucoup plus vite que leurs revenus depuis l’après-guerre. En masse, ce patrimoine représentait deux fois le PIB en 1950, six fois le PIB aujourd’hui.

Une des causes de cette « patrimonialisation » est l’émergence d’une classe moyenne patrimoniale au cours des Trente Glorieuses. L’héritage n’est plus réservé aux riches comme auparavant. Transmettre est devenu une norme socioculturelle au sein des classes moyennes, qui en sont venues à regarder autrement la taxation des héritages, même si les montants en jeu demeurent limités. Assist-t-on aujourd’hui à un retour à la France balzacienne, rentière et héritière du XIXème siècle ? Comparaison n'est pas raison,  mais il est vrai que les jeunes générations ont de plus en plus de mal à accéder à la propriété (ou à se loger) dans les grandes villes si elles ne bénéficient pas de l’aide de leurs parents. Fortement inégal, l’héritage joue un rôle de plus en plus important et il est devenu plus difficile qu’hier de parvenir aux sommets de la hiérarchie des revenus ou des patrimoines en ne devant compter que sur soi-même. 

La première partie du livre pose la question de savoir si l’institution de l’héritage est bonne ou mauvaise pour les individus comme pour les sociétés. Quels effets l’héritage a-t-il sur l’efficacité économique, soit les compétences et la motivation, l’activité et la richesse du pays, le dynamisme entrepreneurial ? L’héritage n’est-il pas foncièrement injuste en générant une inégalité des chances considérable entre « héritiers » « non-héritiers », en contribuant à la concentration des richesses et à sa perpétuation de génération en génération ?

La deuxième partie se concentre sur les droits de succession. On peut parler d’une véritable énigme des droits de succession : pourquoi l’impôt est-il aujourd’hui réduit à la portion congrue, et en même temps si impopulaire, alors qu’il était hier à la fois conséquent et bien toléré ? Le retournement, qui intervient dans les années 1970 ou 1980, semble s’accuser encore maintenant dans notre pays, où les récents débats électoraux ont entériné la défaite en rase campagne des partisans de l’impôt. L’énigme s’épaissit encore si l’on considère que ces droits de succession apparaissent à maints égards plus légitimes aujourd’hui qu’hier, du fait de l’augmentation du poids d’un héritage inégal et de la concentration accrue des richesses.

La troisième partie considère l’éventail des réformes successorales que l’on pourrait envisager en France, en revenant sur les deux enjeux de la transmission. Le premier est d’examiner les règles de transmission. Est-il possible de déshériter ses enfants ou d’avantager considérablement l’un d’entre eux ?  A cet égard, les comparaisons internationales sont édifiantes. En France, les enfants sont réservataires ». Aux Etats-Unis, la réserve héréditaire n’existe pas, la liberté testamentaire (y compris de ne rien laisser à ses enfants) est totale et la fiscalité ne dépend pas des choix effectués. Le second enjeu porte sur la taxation des transmissions patrimoniales : faut-il envisager les donations par rapport aux héritages, dans l’espoir que le patrimoine circule plus rapidement entre générations dans nos sociétés où l’allongement de l’espérance de vie fait que l’on hérite généralement bien tard ? L’impôt successoral doit-il dépendre du lien de parenté avec le défunt, selon le principe du « droit du sang » ?

La position de l’auteur est résumée dans la conclusion : pour sauver les droits de succession de nos jours, il faut les transformer en un mécanisme fiscal incitatif permettant de financer les investissements d’avenir collectifs écologiques et sociaux dont nos sociétés ont tant besoin.

Voir la note de lecture du livre d’Antoine Foucher « Sortir du travail qui ne paie plus »

I Héritage et économie

Si on accepte les grandes lignes de l’économie de marché, la société peut-elle pour autant fonctionner sans héritage ?

Tout au long du XIXème siècle, de nombreux auteurs pensent que l’héritage pousse à la paresse. Les saint-simoniens, dans les années 1830, considèrent celui-ci comme un « brevet d’oisiveté ». Ce thème de l’oisiveté des riches traverse le XIXème siècle chez les penseurs sociaux, prenant un tour paroxystique dans la Théorie de la classe de loisir de Thorstein Veblen en 1899. Pour ce dernier, la société américaine est peuplée de gentilshommes désœuvrés, dont l’obsession est d’étaler leur richesse et de multiplier les dépenses ostentatoires, le nec plus ultra étant d’exhiber une domesticité qui ne sert à peu près à rien.

La dénonciation de l’héritage est aussi présente dans les milieux économiques. En 1891, dans son Evangile de la richesse, Andrew Carnegie, magnat de l’acier et philanthrope, affirmait que « les parents qui laissent à leur fils une énorme fortune détruisent généralement ses talents, sa motivation, et l’incitent à mener une vie moins utile et moins méritante que celle qu’il aurait mené autrement ». Au passage, cet effet Carnegie est encore présent aujourd’hui chez certains milliardaires américains, à l’instar de Warren Buffet, pour qui « une personne très riche doit laisser suffisamment à ses enfants pour qu’ils fassent ce qu’ils veulent, mais pas trop pour qu’ils ne fassent rien ».

Par rapport à la question de l’héritage, le point de vue des libéraux au cours du XXème siècle s’avère très instructif. Si on laisse de côté un auteur comme Von Mises qui est opposé aux droits de succession et à leur progressivité, la plupart des penseurs, s’ils respectent le droit de propriété comme un principe de base de la société, n’en affirment pas moins que le maintien de la concurrence ouverte sur les marchés prime sur le droit de propriété. Hayek, Buchanan et Friedman considèrent qu’une économie de marché ouverte est viable sans héritage, et cela sans invoquer un objectif de justice sociale : leur souci premier est de préserver l’efficacité des marchés compétitifs et la prospérité qui peut en résulter. Dans Capitalism and Freedom (1962), Friedman dénonce le danger que les gros héritiers se dispensent de participer à la course économique pour se livrer à la recherche de rente en s’efforçant de préserver les droits acquis, contribuant par là-même à la perpétuation et à la reproduction intergénérationnelle des inégalités de richesse et de statut. Et de son côté, Hayek, dès 1944 dans The Road to Serfdom (La Route de la servitude), souligne la nécessité de réduire l’inégalité des chances que génère inévitablement une économie de marché en questionnant l’institution de l’héritage. Pour améliorer le bien-être du plus grand nombre, une économie de marché performante requiert une compétition entre tous, libre et non faussée, et donc une égalité minimale des chances que l’abolition de l’héritage peut assurer. Autrement dit, une économie de marché sans héritage, où les compteurs seraient partiellement remis à zéro à chaque génération est parfaitement viable, voire souhaitable. Quant à Buchanan, il propose simplement de taxer les héritages à 100%, proposition qui rejoint la perspective d’Hayek que l’on vient d’évoquer.

Voir la notion « rente »

II- La légitimité des droits de succession

Les inégalités d’héritage sont considérables aujourd’hui : la moitié d’une génération recevra moins de 70000 euros sur son cycle de vie, alors que les 1% des plus gros bénéficiaires touchent en moyenne 4,2 millions d’euros et les 0,1% d’en haut 13 millions d’euros. Ces chiffres justifient que la réduction de ces inégalités soit considérée comme un objectif louable. Cependant, cet objectif d’équité suffit-il à légitimer les droits de succession ? La réponse à cette question n’est pas évidente, au moins pour deux raisons.

La première raison est que l’héritage a changé de visage. Jusqu’aux années 1950, l’héritage était perçu comme un phénomène de riches. Les droits de succession bénéficiaient alors de l’appui des discours réformateurs convaincants du XIXème siècle émanant de penseurs de grande envergure (Bakounine, Durkheim, Marx, Mill, …) qui soulignaient que ne pas taxer les transmissions reviendrait à favoriser la rente par rapport au mérite, et donc à compromettre à terme la croissance économique. Or, progressivement , depuis les années 1970-1980, l’héritage n’est plus devenu seulement une affaire de riches, mais aussi de classes moyennes. Dans ces conditions, les droits de succession ne sont plus perçus comme un réducteur d’inégalités de naissance et un outil de justice sociale, mais comme une menace contre les projets de transmission parentaux et la perpétuation de liens familiaux via le patrimoine. Œuvrer en faveur de l’égalité des chances ne suffit plus à légitimer les droits de succession.

La deuxième raison est relative à l’arbitrage équité/efficacité. Les droits de succession sont-ils susceptibles de réduire fortement l’inégalité des chances en patrimoine et la concentration de la propriété tout en générant peu de pertes d’efficacité, en tout cas moindres que celles engendrées par les autres impôts ? Pour la France actuelle, la réponse semble claire. Si les inégalités des chances face à l’héritage sont massives, les droits de succession n’auraient cependant qu’un effet réducteur limité sur ces dernières. Cela s’explique parce que l’impôt est « mité » par une série de niches fiscales permettant aux plus riches d’échapper au fisc. Alors que le taux marginal d’imposition atteint les 45% en ligne directe, les 0,1% des plus gros bénéficiaires ne versent à l’arrivée qu’un quart des montants reçus déclarés, et seulement un dixième de ce qu’ils reçoivent en totalité sur leur cycle de vie.

Et les différentes mesures que l’on peut envisager pour obtenir une réduction plus conséquente de l’inégalité des chances au niveau patrimonial (droits de succession encore plus élevés sur les grosses transmissions, impôts sur le patrimoine courant ou ses revenus visant à réduire en amont les inégalités de patrimoine) débouchent sur un risque important d’évasion fiscale. C’est la raison pour laquelle Olivier Blanchard et Jean Tirole à l’automne 2022 après des élections françaises peu favorables à l’impôt déclarent qu’il faut « taxer mieux plutôt que de taxer davantage » les transmissions patrimoniales en se fondant sur tout ce que chacun reçoit au cours de son cycle de vie.

En tout état de cause, la réduction de l’inégalité des chances ne suffit plus à justifier des droits de succession conséquents. Selon André Masson, il faut donc lui adjoindre une vocation complémentaire, un peu à l’image de l’exonération de l’impôt des legs caritatifs pratiquée aux Etats-Unis des années 1930 aux années 1980, qui permettait à la fortune de ruisseler vers le bas (trickle down) au bénéfice de la collectivité.

Voir la synthèse « L’impôt de solidarité sur la fortune contribue-t-il à réduire les inégalités patrimoniales ? »

III- Réformer l’héritage

Le poids de l’héritage dans la société contemporaine exprime une véritable urgence socio-économique. L’envolée des flux annuels de transmissions patrimoniales, passé en France de 8,5% du revenu disponible des ménages en 1980 à plus de 20% aujourd’hui, a déjà eu des répercussions macroéconomiques et sociales notables, révélant l’émergence et la reproduction d’une société de « gérontocratie patrimoniale ». Et dans les années à venir, le processus va s’accélérer. Sur les deux prochaines décennies, la disparition d’une bonne part des générations du baby-boom va engendrer dans les pays développés un transfert intergénérationnel sans précédent, déjà qualifié par la presse et la littérature anglo-saxonnes de Great Wealth Transfer. Aux Etats-Unis, le montant global de ce transfert, en provenance des Américains âgés de 60 à 80 ans aujourd’hui, a été évalué à 30000 milliards de dollars. En proportion, il sera plus important encore en France, le montant annuel des seules transmissions en ligne directe étant appelé à atteindre ou dépasser celui des retraites. La fortune va ruisseler entre les générations de familles aisées ou fortunées, bénéficiant à des enfants à la fin de la cinquantaine ou déjà sexagénaires, sans qu’aucun travail n’ait été fourni en échange. Un tel choc aura des conséquences importantes sur les inégalités économiques et sociales, mais aussi sur les marchés financier, du logement, du travail…. Ce Grand Transfert exprime parfaitement la sentence de Thomas Piketty dans Le capital au XXIème siècle : « le passé dévore l’avenir ».

Cette situation est d’autant plus regrettable que nos sociétés ont, de fait, dans les années qui viennent, des besoins massifs d’investissements d’avenir dont les coûts sont énormes. Il s’agit d’investissements productifs (infrastructures, R&D, digitalisation de l’économie, …), d’investissements écologiques (financement de la transition énergétique), d’investissements sociaux (éducation, santé, logement social, )...).

Dans ces conditions, et partant du principe que la voie redistributive consistant à détourner hors des lignées familiales une part importante des sommes transmises à des fins de redistribution ou d’investissements collectifs est peu réaliste (elle serait d’une part assimilée à une spoliation, et d’autre part difficile à mettre en œuvre sans une coordination des fiscalités du capital au niveau international), André Masson propose de donner à l’impôt successoral une vocation complémentaire, en plus de la réduction de l’inégalité des chances au plan patrimonial : il s’agirait de réorienter l’épargne des ménages seniors vers le long terme afin qu’elle permette le financement des investissements d’avenir que l’on vient d’évoquer. La justification de cette réforme repose sur trois éléments : seule l’épargne financière des ménages peut financer de tels investissements (le recours à l’emprunt public étant limité) ; actuellement, l’épargne des ménages est certes abondante, mais essentiellement immobilière et sa composante financière est peu risquée (alors que les investissements d’avenir sont par définition risqués) ; et enfin, pour financer des investissements de long terme, il faut solliciter une épargne longue, ce qui est le cas de l’épargne des seniors. En bref, il s’agit de transformer la motivation de cette épargne des plus âgés : passer d’une épargne de précaution ou d’une épargne de thésaurisation à une épargne productive pour l’économie.

Voir la note de lecture du livre de Patrick Artus et Marie-Paule Virard « Quelle France en 2050 ? Face aux grands défis en Europe et dans le monde.

Quatrième de couverture

Dans nos sociétés modernes, l’héritage n’est plus réservé aux riches. Transmettre est devenu une norme socioculturelle au sein des familles des classes moyennes. D’où ce paradoxe en France : l’impôt sur la fortune (ex-ISF) demeure l’impôt le plus populaire, mais les droits de succession sont l’impôt le plus impopulaire.

Alors, faut-il supprimer les droits de succession comme l’ont fait d’autres pays européens ? Ou faut-il au contraire les augmenter fortement alors que l’héritage est devenu une composante majeure de l’enrichissement individuel ?

Pour répondre de manière précise et argumentée à ces interrogations, André Masson a conçu son livre comme un vade mecum destiné aux membres d’une convention citoyenne sur l’héritage. En 50 questions, il explore toutes les dimensions du sujet, des polémiques du XIXème siècle sur l’abolition de l’héritage (Marx était contre ! ) à ses différents aspects familiaux, de l’efficacité de l’impôt successoral (l’héritage constitue-t-il une rente indue ?) à ses propositions de réforme. Il argumente finalement pour un dispositif successoral inédit qui favoriserait les investissements de long terme bénéfiques à notre pays. Une bible !

L’auteur

André Masson est directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS. Il est chercheur à l’Ecole d’économie de Paris (PSE). Ses travaux portent sur le patrimoine des Français, les liens entre générations et la rationalité de l’épargnant. Il est notamment l’auteur de Nos sociétés du vieillissement entre guerre et paix (Editions L’Autreface, 2020) et Chronique d’un impôt sur l’héritage en perdition (PUF, 2023).

Questions pour vérifier l’acquis et vous entraîner sur le thème

1) Assiste-t-on de nos jours à un retour à une société balzacienne ?

2) Doit-on considérer l’héritage comme une rente ?

3) La réduction de l’inégalité des chances suffit-elle à justifier les droits de succession ?

4) Les transformations de l’héritage depuis le XIXème siècle

5) Le poids de l’héritage dans la société actuelle peut-il conduire à affirmer que « le passé dévore l’avenir » ?

Newsletter

Suivre toute l'actualité de Melchior et être invité aux événements