Trouillet, une PME à l'aise dans la mondialisation

PME du textile basée à Chaufailles en Bourgogne, Trouillet réalise un chiffre d'affaires de 17 millions d'euros. Comme beaucoup d'entreprises de l'industrie du textile-habillement, elle doit faire face à un contexte économique et social difficile. Depuis bientôt une quinzaine d'années, les importations de textile et d'habillement augmentent fortement en Europe et toutes les études prospectives montrent que l'avenir du textile traditionnel de masse se joue désormais dans les pays à bas coût de main-d'œuvre, et plus particulièrement en Asie. En cherchant à développer par différents moyens sa compétitivité-prix et hors-prix, et en faisant sans cesse le pari de l'anticipation et de la création de nouveaux produits, Trouillet parvient à tirer parti d'un marché mondial en pleine croissance.

Introduction

Trouillet est une PME du textile basée à Chaufailles en Bourgogne, fondée en 1910, comprenant aujourd'hui 80 personnes et spécialisée dans la création, la fabrication et la commercialisation de tissu sportswear. Elle réalise un chiffre d'affaires de 17 millions d'euros et sa production interne avoisine les 2 millions de mètres de tissu par an, dont 50 % pour l'import et 50 % pour l'export. Dans les années 1970, Trouillet s'est lancée dans la création, donnant ainsi naissance à ses premières collections de tissé-teint pour l'homme et l'enfant. Les lignes pour femmes ne sont apparues que ces dernières années. Comme beaucoup d'entreprises de l'industrie du textile-habillement, Trouillet doit faire face à un contexte économique et social difficile. Depuis bientôt une quinzaine d'années, on assiste en effet à une forte poussée des importations de textile et d'habillement en Europe et toutes les études prospectives montrent que l'avenir du textile traditionnel de masse se joue désormais dans les pays à bas coût de main-d'œuvre, et plus particulièrement en Asie. Les difficultés de l'industrie textile en Europe ont d'ailleurs été renforcées avec la fin des quotas à partir du 1er janvier 2005, qui a entraîné une entrée massive de produits à bas prix sur notre territoire et aussi dans l'ensemble des pays de l'Union. Néanmoins, en dépit de ces difficultés objectives, les industriels du textile en Europe peuvent saisir des opportunités sur un marché mondial qui demeure globalement en croissance, en renforçant leur capacité d'innovation et en se concentrant sur la création de textiles à forte valeur ajoutée. C'est ce que fait l'entreprise Trouillet en cherchant à développer par différents moyens sa compétitivité-prix et hors-prix, et aussi en faisant sans cesse le pari de l'anticipation et de la création de nouveaux produits.

L'Europe mise à nu

Une longue transition

Pendant longtemps, le marché européen du textile, au même titre d'ailleurs que le marché américain, a été protégé par des quotas qui relèvent de ce que l'on appelle le protectionnisme non tarifaire, c'est-à-dire une politique commerciale qui regroupe toutes les mesures destinées à dresser des obstacles aux importations autrement que par des droits de douane, et qui consistent concrètement à fixer la fraction de la demande observée sur un territoire donné pouvant être couverte par des importations. Ces dispositifs de contingentement quantitatifs ont été par exemple l'Accord à Long Terme Coton (1963), l'Accord Multifibres (depuis 1974) ou encore les Accords Autonomes (Chine, Taïwan, Vietnam, etc.)

A l'origine, ces mécanismes visaient à limiter les importations de produits textiles et d'habillement originaires de tous les pays tiers. C'est la philosophie qui animait les Accords Multifibres, qui étaient des accords commerciaux permettant aux pays développés à économie de marché d'imposer des contingents d'importation aux pays en développement exportateurs de produits textiles. Ainsi, dans un premier temps, l'Europe a donc cherché à protéger son industrie, non seulement contre les producteurs asiatiques mais aussi est-européens et méditerranéens, et même contre l'Espagne et le Portugal jusqu'à leur adhésion à la Communauté européenne. Progressivement, les importations originaires de Méditerranée (Maroc, Tunisie, Egypte) et d'Europe de l'Est ont été libéralisées, donnant aux producteurs de ces régions un avantage compétitif par rapport aux pays producteurs asiatiques (Chine, Hong-Kong, Vietnam, Malaisie, Inde, Pakistan, etc.) qui demeuraient contingentés du fait de l'Accord Multifibres, et aussi du fait de l'existence d'accords autonomes.

La nouvelle donne apparaît avec la conférence de Marrakech en 1994 où l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en entérinant l'accord sur le démantèlement des Accords Multifibres qui était, au passage, programmé dès les négociations de l'Uruguay Round (entamées en 1986 à Punta del Este en Uruguay et achevés en 1993 à Genève), décide de supprimer en dix ans toutes les restrictions quantitatives imposées aux pays signataires. Ce démantèlement s'effectue en 4 étapes : le commerce du textile-habillement est libéralisé successivement de 16 % en 1995, de 17 % en 1998 et 18 % en 2002, pour arriver à la libéralisation finale de tous les produits contingentés. Simultanément, les quotas qui subsistaient ont été augmentés et les droits de douane réduits. Dès 1995, on assiste donc à une forte poussée des importations de textile-habillement en Europe, du fait de cette libéralisation. Cependant, alors que les trois premières étapes de libéralisation n'ont touché que des produits peu sensibles, puisque les pays occidentaux ont retardé au maximum l'ouverture de leurs frontières en établissant un calendrier de démantèlement commençant par l'élimination de quotas non réglementés pour conserver le plus longtemps possible ceux qui étaient efficaces, la dernière étape du 1er janvier 2005 voit la libéralisation totale des 50 % restants, c'est-à-dire de tous les produits sensibles : pantalons, vestes, jupes, robes, manteaux, chemises, pulls, etc. Tous les pays asiatiques ont désormais accès libre au marché européen et seuls subsistent quelques droits de douane réduits, et aussi quelques clauses de sauvegarde qui ont une portée économique limitée.

Dès le début de l'année 2005, la fédération européenne des professionnels du textile (Euratex) a dénoncé la « déferlante » de produits chinois favorisée par des pratiques qu'elle identifiait au dumping – pratique commerciale consistant à vendre un produit à un prix inférieur à son coût de production. Euratex faisait alors état, en se fondant sur les statistiques officielles chinoises, d'une augmentation des exportations textiles de la Chine en janvier-février 2005 de 73 % par rapport à ce qu'elles étaient un an auparavant (dont + 893 % pour les pull-over, 210 % pour les pantalons, 542 % pour les robes, 1 400 % pour les bas et collants). Toujours selon Euratex, l'industrie textile de l'Union européenne perdait alors près de 1 000 emplois par jour depuis le début de l'année 2005. La Commission européenne ne pouvait alors rester sans réagir, tout en respectant les engagements pris à l'OMC, puisque, si le règlement prévoit la disparition des quotas au 1/1/2005, il prévoit aussi un système de surveillance statistique afin de détecter les perturbations importantes des marchés qui pourraient résulter d'un afflux massif de produits importés, pouvant déboucher sur des mesures correctrices (dont l'application d'une clause de sauvegarde autorisée par l'OMC jusqu'en 2008, permettant de restreindre les importations). Et, de fait, dès le mois de juin 2005, après quelques péripéties, l'Union européenne et la Chine signent un accord permettant le rétablissement de quotas sur les importations de textile en provenance de la Chine. Cet accord a été maintenu jusqu'au 1er janvier 2008, date à laquelle il a été remplacé par la mise en place d'un système de double surveillance des importations de textile en provenance de la Chine, portant à la fois sur les licences d'exportation émises en Chine et sur les licences d'importation émises en Europe. Cette mesure, qui couvre les huit catégories de textile les plus sensibles (t-shirts, pantalons, etc.) a pris fin le 1er janvier 2009, date à laquelle l'ouverture du marché du textile est devenue totale.

Vices et vertus de la concurrence

Quelle sont les conséquences exactes du démantèlement des quotas d'importation du textile ? Globalement, on estime que l'impact volumétrique sera limité, puisque l'élasticité de la consommation vestimentaire des européens est faible (quand le prix des vêtements baisse, on n'assiste pas à une augmentation massive des achats de ce type de produits). Et, en effet, sur la plupart des textiles, on constate que la présence chinoise ne s'est pas traduite par une augmentation des quantités globalement importées, mais qu'elle s'est faite au détriment des autres exportations. En revanche, la concurrence chinoise s'est soldée par une forte diminution de la valeur unitaire des produits, de sorte que la valeur globale des importations européennes de textile-habillement diminue. Les statistiques de l'année 2009 en Europe et en France confirment cette tendance : à la fin du mois d'avril 2009, les importations européennes de textile-habillement sont en baisse de 2,2 % par rapport aux quatre premiers mois de 2008, et les importations françaises de textile se replient de 26 % en valeur au cours du premier mois de l'année 2009 (par rapport à janvier 2008) . Simultanément, les importations en provenance de la Chine ont augmenté de 12,7 % en Europe, et la part de la Chine dans l'ensemble des importations européennes de textile est maintenant de 39,7 % (34,5 % en 2008).

Les conséquences sont en revanche importantes sur les phénomènes de transfert de production, puisque le démantèlement des quotas a un impact négatif sur les nouveaux membres de l'Union européenne (pays de l'Europe centrale et orientale) et également sur les fournisseurs méditerranéens. Les importations des quatre principaux fournisseurs méditerranéens (Turquie, Tunisie, Maroc, Egypte) sont ainsi passées de 24 % à la fin du mois d'avril 2008 à 20,6 % pour les quatre premiers mois de 2009, soit une chute de 14,2 %. Les conséquences sont aussi importantes sur les prix et les marges : comme on vient de le voir, si l'effet volume est limité, on peut tout de même penser que l'abaissement relatif du prix du textile profitera aux consommateurs européens, qui pourront renouveler plus fréquemment leurs achats, à défaut de les augmenter instantanément. En revanche, pour les producteurs, la situation sera plus difficile puisque les prix chinois vont devenir progressivement la norme du marché, ce qui provoquera une pression à la baisse des marges. Un autre effet significatif est celui qui va porter sur la structure de la production et de la distribution mondiale ; globalement, la stratégie de sourcing – action de rechercher des fournisseurs pour optimiser les coûts de production – des grandes enseignes du textile va se déplacer vers l'Asie ; de plus, dans bon nombre de pays du monde, aussi bien en Europe qu'en Méditerranée et en Asie, la stratégie marketing va aussi évoluer puisque le rôle de sous-traitant – une entreprise sous-traitante exécute pour le compte d'une firme donneuse d'ordre des activités que celle-ci aurait pu prendre en charge, mais qu'elle préfère externaliser – ne sera plus tenable face à la concurrence chinoise. Il faudra donc s'orienter résolument vers les produits finis et les marques. C'est ainsi par exemple que le gouvernement thaïlandais a créé un grand centre technologique à Bangkok dans la perspective de développer des marques autonomes et de faire en sorte que les entreprises du pays ne soient plus de simples « poseurs d'étiquette ». A terme, la concurrence risque donc de devenir très vive entre les marques issues des différentes zones géographiques.

Comment résister ?

Développer la compétitivité prix et hors-prix

La compétitivité se définit comme la capacité à résister à la concurrence. Il existe deux moyens de supporter la concurrence : vendre moins cher que les concurrents des produits similaires (compétitivité-prix) ou vendre des produits de meilleure qualité (compétitivité hors-prix) – la qualité pouvant signifier au sens courant qu'au même prix le produit est préféré à un autre, mais aussi une meilleure adaptation aux goûts des consommateurs (qui permet de pratiquer des prix plus élevés que la concurrence), ou encore des délais plus courts, la fourniture de services annexes, etc.

Pour développer la compétitivité hors-prix, Trouillet mise sur l'innovation de produit qui consiste à mettre à la disposition du consommateur un nouveau produit, ou un produit amélioré. Au niveau du textile, l'innovation de produit passe par une innovation liée au style permettant d'être sans cesse dans une logique de différenciation. Il s'agit de saisir les tendances de la mode pour fournir le bon produit au bon moment. D'après l'Organisation Mondiale de la Propriété Industrielle (OMPI), « une utilisation efficace des dessins et des modèles permet d'ajouter de la valeur à un produit en créant une variété parmi les marchandises », ce qui engendre la confiance et la fidélité des consommateurs, et donc des gains de parts de marché et aussi de plus grands bénéfices. Trouillet s'investit pleinement dans cette logique pour arriver à mettre à disposition des consommateurs une offre construite avec une qualité stylistique, et pas seulement un outil industriel où prime la réduction des coûts de production. Cette exigence impose à Trouiller de se tourner vers les tissus techniques innovants, ce qui suppose d'accentuer les efforts de recherche / développement et aussi de se positionner sur un marché qui n'est plus seulement un marché de tissus mais aussi un marché de vêtements. Un autre axe de développement de la compétitivité hors-prix est l'instauration d'une organisation qui répond le plus vite possible aux besoins des clients : au même titre que le succès de la marque de prêt-à-porter Zara repose sur le raccourcissement du cycle de production (période allant de la détermination d'une nouvelle tendance à la livraison du produit fini), Trouillet adapte son organisation productive pour réduire les délais et montrer aux clients de nouveaux produits à une fréquence élevée (tous les quinze jours). Cela suppose la mise en place d'une organisation productive à flux tendus, intégrant la logique toyotiste du « zéro stock » et impliquant une régulation efficace des « flux amont et aval », ce qui sous-entend un management de la chaîne logistique globale (« supply chain management »).

Si la compétitivité hors-prix est importante dans le secteur du textile, puisqu'il s'agit de s'inscrire dans une logique de consommation qui, si elle est bien évidemment standardisée, n'en demeure pas moins ostentatoire (on s'habille à la fois pour ressembler à autrui et en même temps pour mieux s'en différencier), la maîtrise des coûts de production ne peut cependant pas être négligée. Pour rester dans la course au niveau de la compétitivité-prix, Trouillet pratique à la fois le « converting » – la production est sous-traitée mais la création, la vente et le suivi logistique restent maîtrisés par l'entreprise – depuis 1996 et le « sourcing » afin de repérer les fournisseurs qui offrent les conditions les plus attrayantes. A cet égard, les questions monétaires sont bien souvent décisives : alors qu'avant l'introduction de l'euro, tous les fournisseurs de Trouillet étaient français, aujourd'hui ce n'est plus le cas et deux pays apparaissent très intéressants, à savoir la Chine et la Turquie, parce-qu'ils bénéficient de monnaies plus faibles et donc de produits moins chers. Dans le cas de la Chine, on peut même parler de dumping monétaire, pratique qui consiste à prendre des mesures destinées à provoquer une sous-évaluation systématique du taux de change de la monnaie nationale pour doper la compétitivité des firmes installées sur son territoire. La recherche de la compétitivité-prix amène également Trouillet à créer des liens avec des entreprises sous-traitantes, qu'elles soient françaises ou étrangères. Ce partenariat a pris la forme d'une société commune (« joint venture ») en Chine, et d'accords avec 4 ou 5 sociétés en Turquie.

Protéger ses modèles

La contrefaçon, qui consiste à reproduire par copie ou imitation une œuvre industrielle, artistique ou littéraire au préjudice de son auteur ou inventeur, est une atteinte portée aux droits garantis par la propriété intellectuelle. Cette contrefaçon existe pour une entreprise comme Trouillet qui a déjà connu plusieurs litiges importants avec des distributeurs nationaux qui ont été résolus par voie transactionnelle plutôt que par l'action judiciaire. Mais elle est, de manière générale, très répandue dans le textile puisqu'on estime qu'elle représente entre 5 % et 9 % du commerce mondial, avec une part significative portant sur l'habillement, les accessoires de mode, et surtout les vêtements et chaussures de sport. Et dans ce domaine la Chine est championne du monde puisque, sur 30 millions de produits textiles et habillement saisis en 2006, 85 % proviennent de ce pays. Pour lutter contre ce fléau, les PME comme Trouillet ont souvent recours au dépôt devant notaire pour dater de manière certaine les créations. Mais cela n'empêche pas toujours les fraudes et l'Union Internationale du Textile (UIT) recommande une autre solution qui est de recourir aux services de l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) et de l'Office de l'Harmonisation du Marché Intérieur (OHMI), même si les formalités effectuées auprès de ces services présentent des coûts. A terme, la transposition de la directive européenne du 29 avril 2004 dans l'ensemble des 27 pays de l'Union devrait assurer un niveau équivalent de protection de la propriété industrielle au sein du marché intérieur.

Conclusion

Si, indiscutablement, la levée des quotas depuis le 1er janvier 2005 n'a pas facilité la vie aux industriels de la filière textile-habillement des pays développés (mais aussi des pays du pourtour méditerranée, comme le Maroc, la Tunisie, l'Egypte, la Turquie, etc.), les pays comme la Chine sont certes des concurrents, mais constituent aussi un vaste marché sur lequel les industriels européens peuvent saisir des opportunités. Dans cette compétition internationale, les acteurs de la filière textile doivent poursuivre les efforts d'innovation pour réaliser des produits à forte valeur ajoutée (textiles techniques, textiles fonctionnels en général) afin de se démarquer des produits d'importation les plus courants et fabriqués en grande série. L'exemple d'une PME comme Trouillet montre qu'une délocalisation totale de la production textile n'est pas une fatalité. Certes, la production a lieu partiellement à l'étranger mais les activités conservées en France se rattachent davantage qu'avant à la conception, à la gestion et à la commercialisation, et on peut même considérer que la proximité géographique des clients, la capacité à répondre rapidement à leurs besoins grâce à une organisation réactive porteuse d'innovations de produits, constituent non seulement des facteurs de survie mais aussi de développement des entreprises. Il n'en demeure pas moins que leur action doit être relayée par celle des pouvoirs publics, que ce soit au plan national – la France encourage la recherche-développement par la création de pôles de compétitivité ; trois pôles nationaux du textile ont été labellisés, à savoir le pôle Up-Tex traitant des textiles haute performance dans la région Nord-Pas-de-Calais, le pôle Techtera concernant les textiles techniques en région Rhône-Alpes, le pôle Fibres naturelles en région Alsace et Lorraine – ou au plan européen – pour lutter efficacement contre la contrefaçon, l'Union doit harmoniser la réglementation en matière de protection de la production industrielle.

Newsletter

Suivre toute l'actualité de Melchior et être invité aux événements