BNP Paribas en Chine et à Hong-Kong

BNP et la Chine

BNP Paribas est aujourd'hui une banque pleinement mondiale, par sa taille et sa présence dans 87 pays. Le fait de travailler avec une devise internationale, l'euro, lui offre en outre un avantage comparatif important. Le groupe ne pouvait alors pas se désintéresser du marché chinois, qui s'impose de plus en plus comme une destination incontournable pour les investisseurs et les grands groupes industriels internationaux.

Le développement des activités de BNP Paribas en Chine répond à deux objectifs principaux : d'une part, assurer la continuité de service auprès des clients qui partent s'y implanter; D'autre part, cibler directement les particuliers et les entreprises chinois, en profitant de la libéralisation en cours du secteur bancaire. Les réformes économiques, accélérées avec l'entrée de la Chine, dans l'OMC ouvre en effet des perspectives importantes de croissance pour les banques étrangères. BNP Paribas a ainsi considérablement renforcé sa présence en Chine au cours de ces dernières années, notamment en recourant au partenariat avec des banques locales. Les obstacles réglementaires et l'incertitude quant à la poursuite des réformes limitent cependant la pénétration des acteurs bancaires internationaux sur le marché chinois.

La "Grande Chine" [1] , un marché incontournable pour BNP Paribas

La région Asie Pacifique constitue le plus vaste marché de BNP Paribas après l'Europe. La banque est présente dans 14 pays d'Asie outre le Japon et elle emploie quelque 5 000 collaborateurs dans la région. Cette présence est déjà ancienne : BNP s'est implantée à Hong Kong en 1958, puis à Pékin dès 1980. Aujourd'hui, BNP Paribas dispose de bureaux dans les grands centres économiques de la "Grande Chine", à Pékin, Shanghai, Hong Kong et Taipei.

Même si le marché chinois est loin d'être homogène [2] , il est aujourd'hui très attractif en raison de sa taille, de faibles coûts de production et des perspectives de croissance des échanges commerciaux.

L'impact de l'entrée de la Chine dans l'OMC

L'intégration de la Chine dans l'économie mondiale s'est accélérée avec son entrée dans l'OMC. Cette entrée s'inscrit dans la continuité du processus de libéralisation lancé par Pékin à la fin des années 70. A l'inverse de la plupart des autres pays en transition, le gouvernement chinois a adopté une approche de libéralisation graduelle, avec un abaissement progressif des tarifs douaniers et une ouverture sélective des secteurs économiques. Les récents engagements de la Chine portent sur une ouverture globale de son marché intérieur avec une réduction des barrières tarifaires (droits de douanes) et non-tarifaires ainsi que sur l'ouverture du secteur des services.

Ces accords permettront en retour à la Chine d'accéder dans des conditions beaucoup plus favorables aux marchés extérieurs. Les exportations chinoises vont ainsi bénéficier du traitement de la nation la plus favorisée de la part de tous les pays membres de l'OMC. La plupart des grands partenaires commerciaux de la Chine lui accordaient déjà ce statut. Mais certains pays en Asie (comme la Malaisie et la Thailande) et ailleurs (Pologne, Hongrie, Turquie et Argentine) vont devoir réduire un peu plus leurs droits de douanes et subir les effets de la concurrence chinoise sur leurs industries de main-d'œuvre.

De plus, en tant que membre de l'OMC, la Chine profitera de l'élimination en 2005 des quotas sur le commerce mondial des produits textiles qui limitent les exportations des pays en développement vers les grands marchés américains et européens [3] . Par conséquent, ses parts de marchés mondiales dans ce secteur devraient s'accroître rapidement. Selon les estimations de la Banque Mondiale, les exportations chinoises dans le textile pourraient représenter près de la moitié des exportations mondiales en 2005 (contre moins de 20% en 1995).

Ce fort potentiel de développement intéresse de nombreux investisseurs étrangers, comme en témoigne l'entrée massive de capitaux étrangers [4]   et l'augmentation du nombre de firmes étrangères implantées en Chine (FIE, entreprises à capitaux étrangers).

L'accompagnement des clients en Chine

Le développement du commerce extérieur de la Chine accroît mécaniquement la demande d'opérations de support financier, le trade finance. Ces opérations sont traditionnellement parmi les premières missions d'une banque, qui agit comme intermédiaire pour permettre de réaliser des investissements dont le retour financier est, par définition, risqué et différé dans le temps. Pendant longtemps, les activités de trade finance et de règlements internationaux étaient réservées aux banques domestiques chinoises, tant que les activités de commerce extérieur restaient dominées par les entreprises d'Etat. Mais la croissance des FIE, qui représentent aujourd'hui 50% des exportations totales, élargit considérablement les perspectives des banques étrangères installées en Chine. Ces dernières disposent en effet d'une gamme de produits et services plus sophistiqués et plus adaptés aux besoins des firmes à capitaux étrangers. Leur part de marché, même après une dizaine d'années d'ouverture, reste cependant limitée. Les banques étrangères représentent ainsi seulement 2.6% des actifs gérés et 1,4% des prêts accordés.

Par ailleurs, l'afflux d'investissements directs étrangers (IDE) et la multiplication des FIE augmentent les besoins de financement en devises. Les entreprises à capitaux étrangers peuvent en effet difficilement emprunter en monnaie locale en raison de contraintes réglementaires et de la priorité accordée aux entreprises publiques pour l'accès au crédit. Cette situation conduit les FIE à se tourner vers les banques étrangères pour emprunter en devises.

Les opportunités sur les marchés financiers domestiques

La clientèle des résidents est restée pendant longtemps hors d'atteinte des banques étrangères en raison du système très strict de contrôle de change et de capitaux. Les banques n'étaient autorisées à travailler qu'en devises et avec les seules sociétés étrangères ou mixtes. L'entrée de la Chine dans l'OMC a changé la donne. Les accords prévoient en effet d'accorder progressivement aux banques étrangères, sous certaines conditions [5] , l'accès au marché en monnaie locale, dès décembre 2003 pour les entreprises et en décembre 2006 pour les ménages.

Par ailleurs, la non-convertibilité de la monnaie chinoise a eu jusqu'ici pour corollaire l'exclusion des opérateurs étrangers des marchés financiers chinois. Ces marchés financiers se sont considérablement développés au cours des dernières années. La capitalisation des places financières de Shanghai et de Shenzhen réunies se situerait ainsi en deuxième position en Asie, derrière la bourse de Tokyo et avant celle de Hong-Kong. Etant donné l'abondance d'un capital bon marché en Chine et les difficultés d'accès au crédit bancaire, un nombre croissant d'entreprises privées envisage de solliciter les marchés financiers locaux plutôt que les places étrangères. Cette tendance et l'assouplissement de la réglementation financière chinoise devrait ouvrir des marchés aux banques d'affaires internationales, comme BNP Paribas Peregrine.

Une dernière réforme majeure concerne l'achat d'actions sur les marchés financiers chinois. Jusqu'à présent, les investisseurs internationaux (banques d'investissement, compagnies d'assurance, fonds de pension) n'étaient autorisés à effectuer des transactions que sur le marché d'actions en devises, qui représente moins de 5% de la capitalisation boursière totale. Désormais, ils vont aussi pouvoir acquérir des actions en monnaie locale. Cette évolution devrait permettre aux acteurs financiers internationaux de diversifier leur portefeuille d'actifs et de profiter de la croissance économique chinoise.

Les bénéfices pour la Chine de l'implantation de firmes étrangères

Création d'emploi et croissance

L'afflux massif d'investissements contribue au dynamisme de l'économie chinoise, notamment dans les secteurs exportateurs. Les entreprises à capitaux étrangers produisent aujourd'hui 15% de la valeur ajoutée totale. Cette part s'élève à 30% quand on y inclut les entreprises avec un financement partiel ou total venant de Hong-Kong, Taiwan ou Macau.

La libéralisation des échanges devrait renforcer la spécialisation de la Chine dans les secteurs où elle dispose d'un avantage comparatif, à savoir les industries à forte composante de main-d'œuvre. A terme, cette spécialisation accrue dans les industries de main-d'œuvre devrait permettre de générer suffisamment d'emplois pour contrebalancer les coûts sociaux des restructurations induites par l'ouverture et la libéralisation. Le poids des entreprises à capitaux étrangers dans l'emploi total reste cependant encore relativement faible, de l'ordre de 7% de l'emploi urbain en Chine. L'arrivée d'entreprises étrangères a toutefois d'ores et déjà profité à certaines régions et à certaines catégories de la population. Les travailleurs qualifiés ont ainsi bénéficié de la concurrence entre employeurs qui a poussé leurs rémunérations à la hausse.

Transfert technologique, savoir-faire et innovation

Le risque théorique d'une spécialisation dans les industries de main-d'œuvre est qu'elle conduirait à une moindre mobilisation des ressources pour les secteurs à forte intensité capitalistique et à un déclin de la base industrielle du pays. En fait, cette crainte n'est probablement pas justifiée. Certes, la majeure partie des investissements directs en Chine concerne des délocalisations de production à faible valeur ajoutée. Néanmoins, une part non-négligeable des nouvelles implantations, par exemple dans le secteur de la chimie ou de l'électronique grand public, intègre des transferts importants de technologie. Certaines grandes firmes ont prévu ou disposent déjà de centres de recherche et développement en Chine. Les transferts technologiques qui en découleront bénéficieront à l'ensemble de l'économie par le phénomène de diffusion. Les firmes étrangères sont aussi susceptibles d'apporter un savoir-faire et une capacité d'innovation qui permettront d'enrichir la gamme de produits et de services disponibles pour le consommateur chinois.

Bilan de l'implantation de BNP Paribas en Chine

Les facteurs de succès

L'entrée de BNP Paribas sur le marché chinois a été grandement facilitée par sa présence depuis 45 ans à Hong Kong. Au-delà, l'implantation doit son succès à la fois à la politique commerciale et à la politique stratégique.

D'abord, le développement d'activités à faible consommation de capital et à rentabilité récurrente a permis d'atténuer le caractère procyclique des résultats de la banque d'investissement. La vente croisée, par exemple entre la banque de gros et la banque de détail à Hong Kong, a aussi permis de diminuer les coûts de prospection.

Ensuite, BNP Paribas a su étendre sa présence en s'appuyant sur des partenaires locaux. Cette stratégie de croissance externe a pris la forme de rachat d'institutions financières : Prime East en 1996, Oakridge en 1998, et surtout la banque d'affaire de Hong Kong Peregrine en 1998. Elle est aussi passée par la création de joint-ventures avec des partenaires chinois. En 1992, BNP s'est alliée avec l'Industrial and Commercial Bank of China pour créer une banque commerciale, l'International Bank of Paris and Shanghai (IBPS). Deux autres joint-ventures sont aujourd'hui en développement, pour créer une banque d'investissement et une société de gestion d'actifs. Dans chaque cas, BNP Paribas procède à un transfert de technologie, de savoir-faire et de personnel qui bénéficie au partenaire chinois.

Les difficultés rencontrées

La rigidité des partenariats

Le modèle de développement par joint-venture, promu par les autorités chinoises, est en partie contraint. Certes, le partenaire chinois apporte les capacités de distribution qui font défaut au partenaire étranger, ainsi que sa connaissance du marché local. Mais les contraintes liées au cadre du partenariat ne sont pas négligeables : divergence partielle d'objectifs, y compris financiers, inertie et lenteur du processus de décision, etc.

Les obstacles culturels

La Chine est un marché très particulier en raison d'une forte identité linguistique et culturelle et d'une pratique des affaires éloignée du modèle occidentale. Le succès de l'intégration repose alors beaucoup sur la capacité à animer des équipes locales multiculturelles et à tisser des liens avec les acteurs locaux. A cet égard, la présence ancienne de BNP Paribas en Chine a été un atout considérable.

Les contraintes institutionnelles et juridiques

L'absence d'un véritable Etat de droit, qui peut se traduire aussi bien par une hyper-réglementation que par une "sous-réglementation" (vide juridique), est une difficulté majeure pour les entreprises étrangères qui s'installent en Chine. Cette situation explique l'attractivité persistante de Hong Kong, doté d'un cadre juridique transparent et d'organes de régulations efficaces et impartiaux. Ainsi, le siège régional de BNP Paribas demeure à Hong Kong malgré le développement de son activité en Chine continentale.

Une ouverture sous contrôle

Les concessions consenties par la Chine dans le cadre de l'OMC ont en partie été remises en cause par la mise en place de nouvelles règles plus restrictives. Ainsi, l'ouverture des marchés financiers chinois aux investisseurs internationaux s'est accompagnée de nouvelles réglementations destinées à limiter le risque d'une prise de contrôle des entreprises publiques par des acteurs étrangers. Le mécanisme du "Qualified Foreign Insitutionnal Investors" (QFII) permet par exemple aux autorités de régulation chinoises de limiter le nombre d'investisseurs institutionnels étrangers habilités à effectuer des transactions sur les places de Shanghai et Shenzhen. Les investisseurs doivent en effet présenter leur candidature à la fois à la Commission de Régulation des Marchés Financiers (CSRC) qui délivrera un permis d'activité d'investissement en actions et à l'Administration des Changes (SAFE) qui fixera un plafond d'investissement Pour les autorités chinoises, l'avantage du système de QFII est qu'il est graduel, réversible et adaptable aux conditions du moment. Les régulateurs restent en effet les maîtres du jeu puisqu'ils peuvent refuser les autorisations et fixer arbitrairement les plafonds d'investissement individuels.

En ce qui concerne le marché bancaire, le nouveau dispositif réglementaire, publié en janvier 2002, multiplie les barrières non tarifaires. Les banques étrangères seront tenues de réinjecter des fonds propres à des montants assez dissuasifs qui varient selon la gamme de métiers et le segments de clientèles (chinois ou étrangers). Après 2007, pour faire des opérations en devises étrangères et en monnaie locale avec les deux clientèles, une banque étrangère devra recapitaliser chaque succursale à hauteur de 72 millions de $ et se soumettre à des ratios prudentiels relativement élevés. La mise en place de telles barrières de protection répond à la crainte des autorités chinoises devant les risques qu'une libéralisation économique et financière, même graduelle, peut faire peser sur l'économie chinoise.

Une transition difficile

D'un système à l'autre

La libéralisation n'est pas sans risque pour l'économie chinoise. Cette dernière est encore caractérisée par une structure duale : d'une part un secteur exportateur dynamique dominé par les entreprises à capitaux étrangers ; d'autre part, un secteur industriel d'Etat et un secteur agricole peu efficaces en raison de surcapacités massives. Les entreprises publiques sont ainsi caractérisées par une faible rentabilité et un endettement élevé qui a été facilité par un accès privilégié au financement bancaire. La réduction des barrières tarifaires et la diminution du soutien de l'Etat devraient donc avoir un impact considérable sur les secteurs "protégés". Les secteurs industriels les plus touchés seront la métallurgie, la chimie, l'équipement de transport, l'agroalimentaire et l'industrie automobile.

Pourtant, s'il est vrai que la faiblesse des entreprises publiques, endettées massivement auprès des banques d'Etat, fragilise l'ensemble du système bancaire chinois, c'est bien l'économie administrée, et non la "ibéralisation", qui est à la source de ce problème.. Les banques publiques chinoises, qui gèrent encore plus de 75% des actifs, sont en effet grevées par des créances douteuses provenant pour la plupart des entreprises publiques. Selon diverses estimations, le montant total de ces créances douteuses représenterait entre 30% et 60% du total de l'encours de crédit.

Nécessité économique et difficulté politique des réformes structurelles

Depuis quelques années, le gouvernement a pris des mesures pour assainir le système bancaire, avec la fermeture des entités financières insolvables et une recapitalisation des banques d'Etat. Une partie des créances douteuses a été transférée vers des organismes spécialisés : les organismes de défaisance (Asset Management Companies ou AMC). En 1999, quatre AMC ont été créées pour traiter les créances douteuses provenant des quatre banques commerciales d'Etat pour un montant total de 1400 milliards de renminbi (soit 17% du PIB). Mais depuis ce transfert, le traitement des créances douteuses a été lent et peu efficace. A la fin de 2002, il restait encore dans les AMC 1200 milliards de renminbi de créances douteuses non traitées.

De plus, la croissance du crédit domestique reste toujours élevée. En l'absence d'amélioration notable dans la politique d'attribution de crédit, encore largement influencée par les directives de l'Etat, la qualité des crédits peut difficilement s'améliorer. Pour être complète et efficace, une réforme du secteur bancaire devrait donc aussi s'accompagner d'un plan de restructuration des entreprises publiques. Une telle réforme se heurte cependant à la montée de pression sociale. Les réformes des entreprises d'Etat sont retardées en raison du coût social qui pourrait en découler, alors que le chômage réel serait déjà compris entre 10% à 15% de la population active.

Conclusion

Si la Chine est souvent regardée comme un eldorado par les investisseurs étrangers, les obstacles au développement des firmes multinationales sur le marché chinois demeurent donc bien réels. BNP Paribas est certes désormais solidement implantée en Chine, où elle a su mettre en place des partenariats fructueux avec des partenaires locaux. Il reste que les dirigeants de la banque s'inquiètent des nouvelles réglementations mises en place par les autorités chinoises, notamment la nécessité de recapitaliser massivement les filiales après 2007. Didier Balme, directeur de territoire de BNP Paribas pour la Chine et Hong Kong, estime ainsi qu' "avec une profitabilité plutôt faible (moins de 5%), il sera difficile de justifier auprès des actionnaires une telle augmentation" . La capacité des autorités chinoises à retenir les investisseurs internationaux tout en rassurant la population sera un enjeu majeur des années à venir.
 

 

 

notes 1à5

[1]  Chine continentale, Hong Kong, Taiwan.
[2]  A cause des disparités régionales en terme de revenus et de la fragmentation persistante des réseaux de distribution.
[3]  Toutefois, jusqu'en 2008, les pays membres se réservent la possibilité de faire jouer les mécanismes de sauvegarde contre les exportations textiles chinoises si celles-ci menaçaient leur marché.
[4]  Le flux annuel d'investissement direct étranger (IDE) est en moyenne de 40 milliards de $ depuis 1995.
[5]  Notamment une présence en Chine depuis au moins 3 ans et deux années consécutives de bénéfices.

 

Etude de cas

L'étude de cas proposée ici est la synthèse d'une étude réalisée par Dominique Kalus et Sylvie Péricouche, et présentée dans le cadre des Entretiens Louis le Grand 2003 consacrés au thème "Les entreprises dans la mondialisation". Le texte complet et le PowerPoint associés sont disponibles sur le site de l'Institut de l'entreprise .

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