COURS 3 : Les contraintes auxquelles se heurtent les politiques économiques

Sommaire

Deux outils principaux sont à la disposition des autorités : le budget et la monnaie. Pour le budget, ils peuvent agir sur les dépenses publiques ou sur les prélèvements ; pour la monnaie agir sur les quantités (contrôler la quantité de monnaie, la masse monétaire) ou sur le prix de la monnaie, le taux d’intérêt. Dans l’après-guerre « keynésien », le modèle IS-LM permettait théoriquement de conseiller la politique économique en indiquant quand il valait mieux utiliser le budget ou la monnaie, voire les deux ensemble, bref de préciser les conditions du « policy mix ». La lecture « keynésienne » de l’après-guerre de la courbe de Phillips a généralisé la priorité à la lutte contre l'output gap et à l’utilisation de l’outil budgétaire. La « stagflation » des années 70 a amené à une remise en cause de cette lecture et a favorisé une lecture « friedmanienne » de la courbe de Phillips : la lutte contre le chômage structurel relève de politiques… structurelles. En conséquence, l’absence d’inflation devient l’objectif prioritaire de la politique conjoncturelle (on peut connaître le chômage naturel avec ou sans inflation, ce qui ne laisse guère le choix…) et la politique monétaire l’outil principal de lutte contre l’inflation.

La politique budgétaire reste un outil pour les gouvernements, mais les politiques budgétaire et monétaire peuvent être coordonnées ou non selon les périodes. Aux Etats-Unis, dans les années 1980, le policy mix combine une politique monétaire très restrictive pour combattre l’inflation  (Choc Volckerà-) et une politique budgétaire marquée par des déficits importants (baisses d’impôts et hausse des dépenses militaires de Reagan) qui soutiennent l’activité économique. Dans les années 1990, sous la présidence de Bill Clinton, c’est un policy mix inverse qui est réalisé aux Etats-Unis : le budget se rapproche de l’équilibre (grâce à une croissance économique très vigoureuse) tandis que la politique monétaire s’assouplit. En cas de crise brutale, les deux outils sont utilisés dans le même sens. Cela été le cas par exemple après la crise financière de 2008 ainsi qu’à la suite de la crise du COVID-19 même si les politiques monétaires se sont resserrées à cause la reprise forte de l’inflation.

La construction européenne a délégué à l’Europe la politique monétaire (au sein de la zone euro) et à réserver la politique budgétaire aux Etats (le budget européen est limité à 1,23 % du PIB). Cela aboutit à un policy mix qui déséquilibré et comporte le risque d’être non coopératif. La BCE cherchant à freiner l’économie pour éviter l’inflation alors que les gouvernements sont favorables à un soutien budgétaire à la croissance. Mais celui-ci a aussi ses avantages : chaque outil est adapté à un type de choc (la politique monétaire européenne en cas de choc symétrique qui touche toute la zone ; la politique budgétaire nationale en cas de choc asymétrique qui touche un pays de la zone). Chaque outil a également son objectif prioritaire : l’inflation pour la politique monétaire et le soutien à l’activité pour le budget, ce qui répond à la règle dite de Tinbergen qui conseille d’attribuer un unique outil à chaque objectif de politique économique et réciproquement. Le modèle de Mundell-Fleming montre par ailleurs qu’en théorie la politique monétaire est plus efficace en changes flottants et la politique budgétaire en changes fixes. Cela justifie donc le choix européen : la zone euro est en changes flottants par rapport au dollar ou à la livre (la politique monétaire est donc plus efficace) tandis que chaque pays au sein de la zone est en changes fixes vis-à-vis de ses partenaires (la politique budgétaire est plus efficace). Dans le cadre du passage à l’euro, les pays européens se sont soumis eux-mêmes à une double règle budgétaire : la limitation du déficit et de la dette publics. L’objectif de ces règles est d’éviter de trop grandes divergences dans les politiques budgétaires menées au sein de la zone euro. Dans sa version initiale, le PSC a pu paradoxalement être pro-cyclique : les Etats étaient contraints de limiter leurs déficits à 3% du PIB, mais sans être incités à aller plus loin en phase de croissance forte. La France a ainsi vu son déficit structurel devenir proche de 3% dans les années 2000. Au final, quand la conjoncture se dégrade et qu’il faudrait pouvoir laisser filer les déficits, les Etats atteignent déjà la limite autorisée et doivent donc mener des politiques de rigueur, aggravant le cycle au lieu de le combattre.

Le Traité sur la Stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) signé en 2012 – on parle aussi de Pacte budgétaire – donne au contraire un objectif d’équilibre du solde structurel et de déficits conjoncturels limités à 3% du PIB. En contrepartie, un mécanisme de solidarité financière est mis en place entre les Etats européens. La nouvelle doxa en matière budgétaire rejoint donc celle relative aux politiques publiques en général : des règles budgétaires sont supposées être le meilleur moyen d’atteindre structurellement des budgets équilibrés. La relance budgétaire se fait mécaniquement par le jeu des stabilisateurs automatiques en cas de récession. En effet, les recettes de l’Etat dépendent largement du niveau d’activité économique, puisque c’est sur cette activité que les pouvoirs publics prélèvent une part pour se financer. Une récession diminue automatiquement ces recettes et creuse donc le déficit budgétaire, ce qui contribue à soutenir l’économie et favorise la relance. Dans la réalité, les Etats conservent la capacité de mener des politiques de relance discrétionnaires, comme en 2009 face à la crise économique la plus grave en France depuis celle de 1929. On parle de régle flexible pour qualifier ce type de politique économique. Dans le domaine monétaire également, l’orthodoxie monétariste n’empêche pas les banques centrales dans les situations de crises exceptionnelles de mettre en place des mesures elles aussi exceptionnelles.

Cependant, la mise en place du Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) en 1997 et du « Pacte budgétaire » à la suite de la crise des dettes souveraines en Europe a de fait déséquilibrer ce policy mix en limitant les marges de manœuvre budgétaires des Etats européens et en faisant peser sur les finances publiques des Etats les plus fragiles le poids de la régulation des chocs asymétriques et faisant peser sur la politique monétaire la question de la soutenabilité des dettes publiques, le niveau d’endettement n’étant soutenable que grâce au soutien de la BCE. De ce point de vue, le plan de relance européen qui instaure pour la première fois des formes d’endettement commun et met en avant des formes de solidarité budgétaires est une forme de réponse à ses limites. Les crises récentes ont ainsi permis des réformes mais celle du COVID-19 a clairement montré la nécessité de la réforme des dispositifs de coordination budgétaires qui est un chantier pour la zone euro actuellement, les règles étant considérées comme trop rigides et inopérantes.

La mondialisation a plusieurs composantes (commerciale, économique et financière)  qui chacune a des conséquences sur les politiques économiques. La mondialisation commerciale se traduit par une ouverture sans précédent des échanges de biens et de services, beaucoup plus rapide que celle du PIB mondial. Depuis 1980, le volume du commerce international a ainsi été multiplié par 6,8 alors que le PIB mondial, lui était multiplié par 3,5. Ceci a pour effet d’ouvrir les pays à la concurrence étrangère créant des défis de développement pour les pays en retard et pour les pays les plus avancés des questionnements sur la transformation du tissu productif notamment dans l’industrie manufacturière. L’industrie textile en France est une excellente illustration de cet état de fait puisqu’elle comptait un million d’emplois en 1960 alors qu’aujourd’hui elle en compte moins de 150 000. Mais au-delà de ces défis, la marge de manœuvre des politiques macroéconomiques est profondément limitée par l’augmentation des taux d’ouverture. Là où les politiques keynésiennes de relance pouvaient fonctionner et faisaient de l’Etat un « pilote », l’ouverture des économies diminue largement l’efficacité de ces politiques en diminuant la valeur du multiplicateur (partie 3 fiche 3). Une partie de la consommation va se porter sur des produits importés, relançant l’économie des pays exportateurs au détriment de la relance interne. L’exemple le plus frappant est ainsi l’échec de la relance à l’arrivée au pouvoir de F. Mitterrand en 1981 dont les effets ont été limités en France mais perceptible chez les pays partenaires commerciaux comme l’Allemagne voire le Japon.

La deuxième composante de cette mondialisation est la globalisation financière qui se traduit par une accélération des mouvements de capitaux entre les pays, et une multiplication des firmes transnationales. Ces éléments ont des conséquences et contraignent les politiques économiques qu’elles soient conjoncturelles ou structurelles. Avec le développement financier mondial, le financement des politiques économiques peut certes se faire à un coût moindre mais ceci contraint également ces politiques conjoncturelles qui voient les entrées et sorties de capitaux être facilitées. Comme l’illustre le triangle d’incompatibilité de Mundell (et plus largement le modèle IS/LM/BP), l’autonomie des politiques conjoncturelles notamment monétaire n’est pas possible à réaliser simultanément avec des changes fixes et une mobilité parfaite des capitaux.

De même, avec le développement des flux de capitaux et des chaines de valeurs mondiales, la concurrence entre les différents appareils productifs est de plus en plus forte. L’action publique doit donc permettre aux structures de l’économie de répondre aux problèmes d’offre et de compétitivité. Ceci explique notamment qu’à partir de la fin des années  1970, certains pays comme la Grande-Bretagne puis les États-Unis,  modifient radicalement leurs politiques économiques et favorisent la libéralisation des économies,  et la concurrence (la diminution des droits de Douane sous l’égide du GATT puis de l’OMC y a largement contribué) exerçant une contrainte sur tous les autres Etats dans l’obligation d’adopter des politiques qui s’en inspirent à des degrés divers.

 

Pour autant, tous ces phénomènes impliquent-ils la fin des politiques économiques ? Si la mondialisation influence et transforme l’action publique, elle peut aussi être un atout en facilitant le financement des institutions publiques et en s’appuyant sur des instances supranationales pour gagner en efficacité. La mondialisation transforme les objectifs et les instruments des politiques économiques. En effet, les pouvoirs publics ont, depuis les années 1980, modifié leurs objectifs de politiques conjoncturelles : c'est la lutte contre l'inflation et le retour à l'équilibre extérieur qui sont désormais prioritaires. Les autres éléments du carré magique ne peuvent (pour toutes les raisons énoncées plus haut) être atteints par la seule action d’un Etat isolé. De même, au vu de l’échec des politiques de relance keynésienne et des problèmes de compétitivité dans un contexte de concurrence accrue, les politiques de désinflation compétitive ainsi que celles privilégiant l’offre et l’équilibre budgétaire vont redonner une importance capitale à la politique monétaire dont l’efficacité et le rôle avaient été jusque-là limités.

Cependant, certains pays comme les Etats-Unis tout en accordant une importance forte à la politique monétaire ont mené de manière plus ou moins explicite des politiques budgétaires de relance notamment en privilégiant l’investissement. Le rôle de l'État dans l'activité économique et le développement ne disparaît donc pas mais se transforme en visant à maintenir la compétitivité du pays, et la croissance de long terme. Plus largement, la mondialisation en générant des problèmes qui nécessite des formes de régulations mondiales (crise systémique du système financier, problème du réchauffement climatique par exemple) interrogent et poussent les Etats à inventer des formes de coordination mondiales qui émergent lentement et non sans difficulté. La COP21 ainsi que les tentatives de régulation de la sphère financière après 2008 en sont des exemples.

Par ailleurs, un des changements majeurs entrainés ou du moins largement favorisés par la mondialisation est le changement d’échelle de l’action publique notamment dans le contexte européen. La construction européenne avec notamment la création de l’Euro et l’approfondissement des compétences supranationales de l’UE ont conduit à la délégation des décisions de politiques économiques notamment conjoncturelles (la politique monétaire notamment).

Certaines de ces politiques peuvent (re)devenir plus efficaces et autonomes (politique monétaire comme le montre le triangle d’incompatibilité de Mundell) mais perdent de leur caractère discrétionnaire notamment pour la politique budgétaire. En Europe par exemple, la limitation des déficits publics par les règles (Pacte de Stabilité et de Croissance et Pacte budgétaire) a conduit à une transformation de l’action publique en matière conjoncturelle. Les politiques budgétaires ont été largement limitées par la faiblesse du budget européen et par ces règles de limitation des déficits au profit de la politique monétaire.

Plus largement, la mondialisation pose des défis sans précédent notamment aux Etats européens car comme le montre le trilemme de Rodrik (triangle d’incompatibilité de Rodrik), il est impossible d’avoir simultanément une intégration économique poussée, des États souverains et la démocratie. Ceci explique les réflexions actuelles sur la manière de faire face au déficit démocratique de l’UE.

 

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