COURS 2 : La monnaie et le financement de l’économie

Sommaire

Cette section a pour but de permettre la compréhension du système monétaire qui assure la circulation des biens et services et du système de financement des économies modernes. Pour cela, il faut distinguer ses deux pôles : la monnaie et la finance.

Section I : la monnaie et le crédit

La monnaie est l’actif qui sert à l’évaluation et au règlement des échanges et son étude porte sur tout ce qui concerne l’émission, la circulation et le contrôle des moyens de paiements dans l’économie. Elle s’intéresse donc aux diverses formes de monnaie, à la composition de la masse monétaire, aux mécanismes de création monétaire et à leur contrôle. L’étude du crédit revient à considérer les opérations dans lesquelles intervient un décalage temporel entre la mise à disposition d’un acteur économique d’une somme d’argent et le moment du remboursement. Le crédit est un mécanisme par lequel un débiteur obtient de la monnaie d’un créancier en échange de la promesse d’un paiement différé. Le crédit permet donc de disposer d’un bien produit par autrui avant d’en avoir produit soi-même l’équivalent. Parce qu’il rend effective une demande, jusque-là virtuelle, et anticipe une production à venir qu’il facilite, le crédit est un moyen essentiel de financement de l’économie.

A : Les fonctions de la monnaie et la mutation des formes monétaires

La monnaie est un actif liquide dont les formes varient selon les lieux et les époques selon les structures économiques et sociales et qui sert à l’évaluation et au règlement des échanges

I : les fonctions de la monnaie

a : les fonctions économiques

La monnaie est tellement présente dans nos économies qu’il parait simple de la définir dans une première approche par ses fonctions, son utilité. Un bien constitue de la monnaie si, et seulement si, il sert d’intermédiaire général dans les échanges, de réserve de valeur et d’unité de mesure. Les fonctions de la monnaie sont donc au nombre de trois et ces distinctions avaient déjà été opérées par les philosophes grecs dès l’Antiquité.

La monnaie est l’instrument des transactions. Dans une économie de troc, les biens s’échangent directement contre d’autres biens : un litre de lait équivaut à six œufs. En revanche, dans une économie monétaire, la monnaie sert d’intermédiaire dans les échanges. Ainsi, si l’on possède 50 €, on peut les échanger contre n’importe quel bien en vente sur le territoire, à condition que le prix ne dépasse pas les 50 €. On parle du phénomène de « double coïncidence des besoins ». La monnaie est une « créance sur l’économie » dans la mesure où elle permet d’acquérir tous les biens disponibles ; la monnaie peut être échangée contre n’importe quel bien, et c’est pour cette raison que sa liquidité est dite parfaite.

La monnaie est aussi une unité de compte et a une fonction de numération. Elle a été introduite pour exprimer la commensurabilité des objets d’échange ; elle sert à évaluer les biens et les services échangés et les revenus versés. Grâce à la monnaie, il est possible d’évaluer la valeur relative des différents biens, car le prix de ces derniers est exprimé à l’aide de la monnaie. C’est la monnaie, ici l’euro, qui permet d’établir cette comparaison de la valeur des différents biens. La monnaie joue le rôle de mesure et elle est cette référence à laquelle il est possible de comparer tous les autres biens. On parle de numéraire pour désigner cette fois de dénombrement.

Enfin, la monnaie est une réserve de valeur car, au lieu de dépenser immédiatement la monnaie dont on dispose, on peut décider de l’utiliser ultérieurement. Elle a une fonction de réserve de valeur parce qu’elle permet de transférer du pouvoir d’achat dans le temps et constitue à ce titre une partie des avoirs des agents économiques ; ils conservent de la monnaie pour des motifs de précaution, de transaction ou éviter des pertes en capital sur des biens dont la valeur peut baisser. L’idée de réserve intervient dès que l’on observe que les opérations d’échange sont disjointes dans le temps.

b : les fonctions modernes de la monnaie

b : 1 La monnaie est un phénomène socioculturel

Si l’introduction de la monnaie représente une étape essentielle dans l’organisation d’une économie marchande, elle remplit aussi certaines fonctions sociales. Elle constitue, au même titre que la culture, un moyen d’intégration à la société tout entière. M Godelier dans La Production des grands hommes, montre que la monnaie est fortement imbriquée dans les relations sociales. Chez les Baruyas de Nouvelle-Guinée, la fabrication de la monnaie sous forme de barres de sel implique la participation du groupe entier à la culture, à la récolte et à la fabrication. C’est le sel-monnaie créateur de liens qui a pouvoir symbolique et une fonction cérémonielle. C’est aussi, ailleurs, la monnaie libératrice par rapport à la terre qui fixait, dans la société agraire, l’individu au sol. Plus qu’un outil de mesure, l’argent, disait G. Simmel, est la manifestation de la société moderne car plus personne n’est lié de force à autrui. P. Vilar montre que le passage du féodalisme au capitalisme est le passage d’un système de relations sociales où le phénomène monétaire est secondaire à un système de relations sociales où l’argent joue un rôle majeur. C’est toute l’ambiguïté de la monnaie, qui favorise la rationalité calculatrice en transformant le monde en un problème arithmétique mais réduit aussi, les relations personnelles aux rapports monétaires. La monnaie masque un rapport social et ce qui représente le résultat d’un rapport de force.

b 2 : La monnaie est une institution

Si les individus acceptent d’utiliser telle ou telle monnaie, c’est parce qu’ils ont confiance dans sa capacité à assurer durablement ses fonctions. Cette confiance dans la valeur de la monnaie est garantie par le pouvoir politique. Déjà en 1877, G.F. Knapp écrit : « la monnaie est une création de la loi ». Depuis longtemps, le pouvoir d’émettre de la monnaie fait partie des prérogatives de l’Etat. La monnaie représente un lien social à l’origine duquel on trouve souvent un fait politique. « Battre monnaie » est un droit régalien. Mais quand la confiance dans le pouvoir s’émousse, la monnaie peut perdre ses fonctions.  L’hyperinflation dans certains pays d’Amérique latine dans les années 1980 (24 000% en 1984 en Bolivie) a provoqué dans certains cas la disparition de monnaies nationales au profit d’une dollarisation. Inversement la monnaie étant perçue par les Etats comme un élément essentiel de leur souveraineté nationale, elle peut rapprocher les peuples quand le pouvoir politique accepte un transfert de souveraineté. Les pays de la zone euro savent sans doute mieux que d’autres la nécessité d’une Europe politique. Au-delà de ses aspects économiques, la monnaie est un bien collectif et se définit, pour reprendre l’expression célèbre de M. Mauss, comme un « fait social total ».

II : la mutation des formes monétaires

a : Les formes de la monnaie

Elles ont fortement varié selon les lieux et les époques. Au fil du temps, on est passé de formes archaïques de la monnaie (sel, barre de fer, bloc de thé, fèves de cacao) à des formes de plus en plus abstraites comme celle de la monnaie scripturale aujourd’hui. Au début du XIXe siècle, le système monétaire est encore fortement marqué par la domination des monnaies métalliques : les pièces d’or et d’argent circulent effectivement et valent leur « pesant d’or » ! Au XIXe siècle, les billets de banque sont doublement soumis à la domination de la monnaie métallique : ils sont convertibles en or et n’ont pas de valeur intrinsèque, mais leur valeur dérive de cette possibilité de conversion ; leur émission est liée, de façon plus ou moins stricte, à la quantité d’or détenue par la banque.

b : la dématérialisation de la monnaie

Depuis 150 ans, un processus de dématérialisation progressif de la monnaie s’est affirmé. Dès lors que l’on met en rapport les formes de la monnaie et les conditions économiques et sociales, on comprend mieux pourquoi telle ou telle forme de monnaie ou d’organisation du système monétaire s’impose à un moment. La dématérialisation de la monnaie ne s’explique pas uniquement par la plus grande commodité ou par l’efficacité de ces formes de monnaie mais par les exigences du développement du crédit qui accompagne l’essor du capitalisme. N. Kaldor remarque dans Le Fléau du monétarisme que, avec une monnaie purement métallique, l’offre de monnaie est donnée indépendante de la demande de crédit. Ainsi, la dématérialisation de la monnaie est l’abandon de la forme manuelle de la monnaie, qui ne peut plus être manipulée au sens propre du terme. La monnaie dématérialisée (immatérielle) est dite scripturale parce qu’elle n’existe qu’en vertu d’écritures passées dans la comptabilité d’institutions financières, dont les plus caractéristiques sont les banques. Le processus s’est réalisé en trois étapes : tout d’abord, la monnaie métallique a vu sa part régresser au profit du billet (monnaie fiduciaire de fides, confiance en latin); les pièces d’or et d’argent cessent de circuler après 1914. Dans un second temps, la dématérialisation prend la forme d’une régression de la circulation manuelle (pièces et billets) au profit de la monnaie scripturale et du développement de chèques comme moyens de paiement. La dernière étape se manifeste par la régression en termes relatifs de l’utilisation du chèque, qui suppose un transfert de papier, au profit de règlements automatisés qui ne nécessitent pas de tels transferts. La monnaie scripturale, mieux que toute autre, fait apparaître l’autre face de la monnaie, autrement dit la monnaie-passif. La monnaie est un actif, c’est-à-dire un avoir ou une créance, pour celui qui la détient. Mais elle est aussi un passif, c’est-à-dire une dette pour celui qui la crée. C’est pourquoi on dit que la monnaie est un actif-passif ou une créance-dette. Envisagée du point de vue de la banque qui l’émet, la monnaie est, en effet, un élément de son passif ou, si l’on préfère, une dette envers le créancier, qui est l’agent non financier titulaire de cette monnaie.

B : La masse monétaire

La masse monétaire est l’ensemble des actifs liquides et forme un stock mesuré par le biais d’agrégats monétaires (M1 M2 M3) qui servent aussi à la définition des objectifs de la politique monétaire (voir dossier documentaire). La création monétaire se réalise de deux façons principales :  lorsque les institutions financières mettent de la monnaie à la disposition d’un agent non financier résident en contrepartie d’acquisition de créances sur l’étranger et lorsqu’elles consentent aux agents non financiers résidents des financements nouveaux. Les agrégats monétaires de la zone euro ont pour base le bilan consolidé des institutions financières monétaires de la zone euro. Ils donnent une appréciation de la capacité de dépense des agents de l’économie. L’ensemble des agrégats permet de prendre conscience de l’importance des masses concernées par la politique monétaire. Celle-ci a pour objet d’adapter, en fonction de la conjoncture et à l’aide de moyens appropriés, la quantité des moyens de paiement disponibles aux besoins des agents économiques. Les proportions dans lesquelles se modifie d’une année sur l’autre la volume de ces agrégats appellent des explications ; elles renvoient aux mécanismes de la création monétaire.

C : la création monétaire

I : L’origine de la monnaie

La création monétaire est l’opération par laquelle un émetteur met en circulation de la monnaie qui n’a encore jamais circulé. On parle aussi d’émission monétaire. L’émetteur est un agent financier : établissement de crédit, Banque centrale. La Banque de France, créée en 1800, a obtenu en 1848 le monopole de l’émission des billets. La plus grande partie de la monnaie scripturale est émise par les établissements de crédit, principalement par les banques dites commerciales ou de second rang, rapport à la Banque centrale ou de premier rang. On recense aujourd'hui en France différents types d'établissements de crédit : les banques tout d’abord, les sociétés financières, les caisses de crédit municipal, les banques mutualistes ou coopératives et les institutions financières spécialisées. La loi bancaire de 1984 encadre l'activité des établissements de crédit.

L’émission consiste soit en une simple substitution d’une forme d’une monnaie à une autre, soit en une création de monnaie supplémentaire. Le premier cas peut être illustré par l’exemple d’un individu effectuant un dépôt de billets auprès de sa banque, qui crédite son compte du montant correspondant : de la monnaie scripturale (augmentation du solde créditeur du compte en banque de la personne) est alors substituée à la monnaie manuelle (les billets), retirée de la circulation. Le deuxième cas est toutefois plus important puisqu’il donne lieu à l’apparition d’un supplément de monnaie en circulation ; il se produit à l’occasion de l’opération dite de monétisation de créances. Le plus classique des opérations de monétisation de créances est l’escompte commercial.

Les banques ne sont pas les seules à être à l’origine de la création monétaire. Quand l’Etat demande des avances à la Banque centrale, cette dernière crée de la monnaie en contrepartie de l’acquisition d’une créance sur le Trésor public. Celui-ci est aussi à l’origine de la création de monnaie scripturale lorsqu’il crédite le compte de certains agents économiques sans diminuer le compte d’autres agents et sans prélever pour cela de fonds sous formes d’impôts ou d’emprunts obligataires.

II : Portée et limites de la création monétaire

Dans le cadre du modèle du multiplicateur de crédit, on suppose que les banques ont besoin de détenir au préalable une certaine quantité de réserves pour prêter. Au contraire dans le modèle du diviseur de crédit, les banques prêtent d'abord, puis se refinancent ensuite. Ainsi elles créent la quantité de monnaie correspondante à la demande de crédit qui leur est adressée, et la quantité de réserves (et donc la base monétaire) s'ajuste en conséquent. Ce modèle s'inscrit dans un schéma où la monnaie est endogène, c'est-à-dire que ce sont les agents économiques eux-mêmes qui déterminent la quantité de monnaie en circulation et non la banque centrale comme le modèle du multiplicateur le suppose implicitement.

a : Le multiplicateur de crédit

L’ampleur de la création monétaire ne peut toutefois être cernée à partir du seul comportement d’une banque, car il se produit des réactions en chaîne étant donné que tout crédit se traduit par un dépôt supplémentaire.  Si l’on suppose que la création monétaire est conditionnée par l’existence de réserves bancaires, ce dépôt supplémentaire constituera ensuite le support de nouveaux crédits par vague successives : Mais la création monétaire nouvelle sera de moindre ampleur que la précédente puisqu’il est nécessaire de conserver une partie du dépôt supplémentaire sous forme de monnaie centrale. Au terme de ce processus, le crédit consenti au départ aura permis la création de monnaie scripturale dont le montant est égal à plusieurs fois celui du crédit initialement accordé. On parle donc de multiplicateur de crédit qui résulte du constat que toute opération de crédit suscite simultanément un besoin de liquidités. Une augmentation de la base monétaire, c’est-à-dire de la monnaie centrale détenue par les banques (constituée de monnaie manuelle et de dépôts en compte courant auprès de la Banque centrale), entraîne une variation amplifiée de la masse monétaire. Le coefficient multiplicateur K est égal à 1/ r+b + rb, où r est le coefficient de réserves obligatoires (dépôts non rémunérés que les banques de second rang sont contraints de faire auprès de la Banque centrale) et b la proportion de monnaie scripturale dont les agents économiques demandent la conservation en billets. Donc plus r et b sont élevés, plus la valeur de K est faible.

La prise en compte des fuites en monnaie centrale permet de déterminer dans quelle proportion les banques commerciales sont susceptibles de créer de la monnaie scripturale. Si ∆M est la quantité de monnaie scripturale qu’une banque serait susceptible de créer à partir des crédits distribués par elle et ∆D les dépôts qu’elle reçoit, nous avons : ∆M = 1/1-r+b + rb. ∆D. En définitive, on voit qu’un dépôt initial en liquidités permet à la banque d’accorder un crédit d’un montant limité par les possibilités de fuite en monnaie scripturale. M. Friedman et A. Schwartz considèrent que la valeur du multiplicateur dépend des habitudes de paiement, c’est-à-dire de l’utilisation des espèces monétaires relativement aux dépôts à vue ainsi que des réserves que la Banque centrale impose aux banques commerciales à détenir auprès d’elle.

La critique que l’on peut faire de cette présentation est qu’elle minimise la considération du coût de la liquidité, or le taux d’intérêt intervient spontanément dans les décisions d’emprunt.

b : du multiplicateur au diviseur de crédit

Les économistes postkeynésiens ont un autre point de vue et s’opposent à l’analyse monétariste de Friedman. Les banques créent des crédits et des dépôts et ensuite font face au besoin de monnaie centrale en raison des demandes de leurs clients et des obligations de réserves obligatoires. Le multiplicateur est contesté dans son pouvoir explicatifs de la création monétaire car il suppose que la banque envisage de répondre à une demande de crédit raisonne plus en fonction de l’importance de ses dépôts qu’en termes de risque et de rentabilité. Le multiplicateur de crédit suppose que l’offre de monnaie soit déterminée de façon exogène par la Banque centrale et que les banques commerciales attendent de disposer de liquidités pour créer de la monnaie. Les banques seraient alors assurées d’un refinancement quasi automatique auprès le Banque centrale, dont la politique est dominée par la volonté de soutenir la croissance. Mais on peut se demandes si, à l’inverse, ce ne sont pas plutôt les banques qui demandent et obtiennent des liquidités auprès de la Banque centrale après avoir créé de manière autonome de la monnaie (création de monnaie dite ex nihilo). La différence d’approche est déterminante, nous dit le postkeynésien M. Lavoie : elle renvoie à l’opposition entre économie d’endettement (prédominance de l’intermédiation bancaire) et économie de marché financier, puisque que dans le premier cas le financement des crédits n’est possible que si l’Etat administre les taux d’intérêt réels en les maintenant artificiellement bas, alors que dans le second cas, le financement résulte de la mise en relation des agents à capacité de financement et des agents à besoin de financement sur le marché des capitaux à long terme.

L’évidence est que le pouvoir de création ne s’exerce pas sans limites. Dans les deux cas, on mesure l’effet régulateur opéré par l’action de recherche de la liquidité délivrée par la Banque centrale. Les banques de second rang ne sont pas totalement libres de leur création monétaire et on évoque à ce sujet les fuites monétaires de la banque. La banque crée de la monnaie scripturale certes, mais uniquement en son nom, et se trouve ainsi en concurrence avec les diverses monnaies scripturales des autres banques. S’il n’y a qu’une sorte de monnaie centrale, il y a autant de monnaies scripturales que de banques, toutes convertibles entre elles. Une banque pratiquant un certain laxisme sur le plan monétaire risquerait très vite d’être débitrice par rapport à l’ensemble du système bancaire. N’ayant pas la possibilité d’émettre des billets, celle se doit de surveiller la convertibilité de sa monnaie en monnaie centrale. On comprend la volonté d’autolimitation dans l’activité de crédit car le besoin de liquidités augmente en fonction de l’élévation du volume de création monétaire. Enfin, la politique monétaire agit sur la création de monnaie des banques en contrôlant l’accès de celles-ci aux refinancements, car sa mission est de défendre la valeur de la monnaie et donc de réguler la quantité monétaire en circulation.

Le mouvement des créations de monnaie scripturale (crédits accordés) et de destructions (remboursement des crédits) nous est donné par la croissance de la masse monétaire et ses variations témoignent que la quantité de monnaie répond aux besoins de transactions de l’activité économique.

C : La monnaie : objet de débat théorique

I : l’analyse dichotomique entre sphère réelle et sphère monétaire

Y-a-t-il une dichotomie entre la sphère réelle et la sphère monétaire ? Par exemple, la quantité de monnaie peut-elle interagir avec les agrégats économiques ? Certains assurent que la monnaie est parfaitement neutre, ce qui signifie qu’elle ne peut pas avoir d’effets sur l’économie réelle : cette analyse est soutenue par la plupart des classiques et des néoclassiques. L’analyse non dichotomique de la monnaie assure au contraire que la monnaie est active ; c’est ce que défend J.M. Keynes quand il affirme que la quantité de monnaie peut être demandée pour elle-même. D’autres courants se situent dans une position intermédiaire des deux premières analyses. Ainsi M. Friedman et F. Hayek considèrent que la monnaie est nocive : la quantité de monnaie ne peut influencer favorablement le niveau d’activité (sauf à court terme pour Friedman), mais elle peut être un facteur de récession ; il est donc nécessaire de la neutraliser.

Dans le Morning Chronicle en 1809, D. Ricardo défend déjà la thèse qu’il y a une infinité de prix relatifs dépendants des coûts de production mais un seul prix absolu (monétaire) lié à la quantité de monnaie émise. Pour les classiques et néoclassiques, la demande de monnaie correspond avant tout au motif de transaction. L’offre de monnaie dépend des décisions de la Banque centrale qui est supposée la contrôler totalement. Dans cette hypothèse, la monnaie est dite exogène car la quantité de monnaie émise n’est plus le produit direct du développement de la production et des échanges. La monnaie, définie ainsi est neutre car indépendante de la sphère réelle. La loi des débouchés de J.B. Say postule que la monnaie n’a pas de rôle réel et il affirme : « le voile monétaire ne fait que masquer la réalité des échanges et les produits s’échangent contre les produits puisqu’ils se servent mutuellement de débouchés. » Il rejoint Ricardo car le niveau des prix dépend de l’offre de monnaie. Si la masse monétaire s’accroit, les individus chercheront à utiliser le surplus de monnaie dont ils disposent en augmentant leur consommation, ce qui conduit en l’absence d’une hausse de la production à une augmentation du niveau général des prix, sans pour autant changer la structure des prix relatifs.

J. Bodin avait jeté les bases d’une relation entre l’offre de monnaie et le niveau des prix, lors de la célèbre controverse née de la publication des Paradoxes de Malestroit en 1566. A la suite de son affirmation que « la principale cause de la cherté est l’abondance d’or qui est en ce royaume plus grande qu’elle n’a été il y a quatre cents ans », la théorie quantitative considère que la hausse des prix s’explique par la hausse de la quantité de monnaie et qu’elle n’a aucun effet sur la sphère réelle. La théorie quantitative de la monnaie est formulée par l’équation d’I. Fisher en 1911 dans son ouvrage Le pouvoir d’achat de la monnaie, où M.v = P.T, où M est la quantité de monnaie en circulation, v est la vitesse de circulation de la monnaie, P représente le prix moyen des transactions et T est le volume des transactions effectuées. v et T étant considérées comme des variables indépendantes, toute augmentation de la quantité de monnaie se traduit par une augmentation des prix.

II : le rejet de l’approche dichotomique

Dans la Théorie générale, Keynes s’oppose à la vision dichotomique et décrit une « économie monétaire de production » : économie monétaire en ce sens que les décisions prises par les entreprises portent sur des grandeurs monétaires et non sur des grandeurs purement physiques et de production. Dans la théorie keynésienne, la demande de monnaie (c’est-à-dire la détention d’encaisses liquides) ne dépend pas uniquement du motif de transaction. Keynes reproche aux classiques le peu d’importance qu’ils accordent à la fonction de réserve de valeur de la monnaie. Il insiste au contraire sur cet aspect, expliquant que la monnaie peut être demandée pour elle-même, en raison de sa liquidité. Keynes estime que le taux d’intérêt est le prix de la monnaie et qu’il résulte de la confrontation de l’offre et de la demande de celle-ci. Ainsi, une hausse de l’offre de monnaie favorise la baisse des taux d’intérêt, ce qui stimule l’investissement. La monnaie est donc active vis-à-vis de la sphère réelle car dans la relation de Fisher, M (la masse monétaire) agit directement sur T. Keynes ne remet pas en cause l’équation de Fisher mais il refuse sa conclusion : « Un volume supérieur de monnaie achetant le même volume de transaction T peut augmenter sous l’effet d’un accroissement de M. La hausse de M ne provoquera pas d’inflation en situation de sous-emploi mais dopera l’investissement. En revanche, en situation de plein-emploi, la quantité de monnaie augmentant plus vite que l’activité économique, elle provoquera une hausse des prix. Une politique monétaire expansive est efficace pour relancer l’économie sauf en situation de plein emploi si les taux d’intérêt sont déjà si bas qu’intervient le phénomène de trappe à liquidité.

D : Les politiques monétaires d’après les théories économiques

I : Les classiques et les monétaristes

Pour les classiques, l’individu est confronté à un choix entre la consommation immédiate et l’épargne, définie comme une consommation différée dans le temps. L’individu ayant une préférence pour le présent, il ne choisit de reporter dans le futur sa consommation que s’il reçoit une compensation qui est le taux d’intérêt ; l’épargne dépend donc du taux d’intérêt.

Les monétaristes ont reformulé la théorie quantitative et donnent ainsi un objectif prioritaire à la politique monétaire. Dans sa présentation, Friedman s’appuie sur une reformulation de la fonction de demande de monnaie qui dépend de différentes variables mais qui n’en est pas moins stable pour autant. Trois variables sont à distinguer : la demande de monnaie évolue positivement en fonction du revenu non plus courant mais permanent : celui-ci représente la projection à long terme du revenu qui est la somme qu’un consommateur peut consommer en maintenant constante la valeur de son capital. La demande de monnaie est négativement liée au coût d’opportunité de détention de la monnaie, mesuré par les rendements obtenus sur les placements effectués en actifs financiers. Troisièmement, cette demande sera d’autant plus forte que les politiques sont conduites par les pouvoirs publics et que les agents économiques anticipent l’inflation. Tout va dépendre ensuite de la réaction de la Banque centrale en matière d’offre de monnaie. Celle-ci peut répondre à la demande, valider les anticipations à la hausse et favoriser l’inflation. L’action discrétionnaire des autorités monétaires est, de la sorte, à l’origine de perturbations sur les prix. Donc pour les monétaristes, la lutte contre l’inflation constitue l’objectif premier de la politique monétaire et le meilleur moyen de la combattre consiste à agir sur la création de monnaie.

II : la position des keynésiens

Pour les keynésiens, la politique monétaire doit faire varier le niveau de l’activité économique par l’intermédiaire du taux d’intérêt. L’objectif final sera la relance, si l’activité économique est déprimée, soit la rigueur si la croissance s’accompagne de tensions inflationnistes. L’objectif que l’on peut qualifier intermédiaire est le taux d’intérêt, car ses variations sont susceptibles de modifier la stratégie d’investissement et donc le niveau d’emploi. La politique monétaire ne peut être envisagée uniquement par rapport à la stabilité des prix car la masse monétaire a une influence sur les grandeurs réelles de l’économie.

 

A : L’évolution historique des systèmes financiers

I : le développement des fonctions bancaires

Avant la révolution industrielle, les activités bancaires embryonnaires se sont moulées sur la structure et les échanges du commerce international. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’activité bancaire était plus le fait de banquiers que de banques. Puis apparaissent les grandes banques tournées vers le financement des nouvelles industries lourdes. La bancarisation des ménages dans les pays industrialisés se fait surtout avec l’arrivée de la société de consommation et les virements automatiques des salaires sur les comptes bancaires. On assiste alors à des vagues de concentration qui donnent naissance à des groupes bancaires de plus en plus puissants. En 1967, les pouvoirs publics français font fusionner la BNCI et le Comptoir national d’escompte de Paris, ensemble qui donnera naissance à la BNP. Aux Etats-Unis, est créé la Citicorp et en Angleterre la Barclays Bank. Le mouvement s’accélère dans les années 1990. En 2000, la Chase Manhattan a absorbé la JP Morgan ; en 2007, l’ABN Amro (NL) subit une OPA du consortium Fortis RBS et Santander et HBOS est absorbée par la Lloyds. Les banques se spécialisent et s’internationalisent avec le poids croissant du commerce international et la naissance du marché des eurodevises. L’endettement des PED dans les années 1970-1980, le recyclage des pétrodollars, l’aggravation des déficits des paiements courants, la volonté d’échapper aux réglementations monétaires nationales et les opportunités nouvelles de spéculation sur les monnaies avec la généralisation d’un SMI de changes flexibles accentuent encore davantage l’internationalisation des banques.

II : La hiérarchisation des banques et la création des Banques centrales

Une centralisation ou une monopolisation du pouvoir démission de monnaie devient nécessaire au XIXe siècle : c’est ainsi qu’est crée l’institution financière de premier rang au sein d’un système bancaire hiérarchisé. Sa fonction principale a été tout d’abord d’émettre de la monnaie fiduciaire et pour l’acquérir, les autres banques ouvrent des comptes auprès de la Banque centrale, ce qui fait de celle-ci la banque des banques. Cette dépendance des banques commerciales en manque de liquidités permet à la Banque centrale de contrôler la monnaie scripturale des banques en agissant sur le coût du refinancement, c’est-à-dire sur le taux d’intérêt qu’elle exige lorsque l’on s’adresse à elle en cédant des effets de commerce déjà escomptés. On parle ainsi de réescompte.

La faillite d’une banque peut avoir des effets beaucoup plus graves que ceux d’une autre entreprise : elle entraîne des pertes et provoque la méfiance des déposants et des autres créanciers, pouvant engendrer des faillites en chaîne. On parle aujourd’hui de risque système et on utilise l’expression américaine « too big to fail » (trop grosses pour défaillir). Ce fut le cas avec le système de Law au XVIIIe siècle, les assignats pendant la révolution. Le prêteur en dernier ressort n’est pas l’organisme financier qui prêtera systématiquement en période de crise, mais celui qui, en cas de faillite bancaire, assure la survie de la banque. Le prêteur en dernier ressort, la Banque centrale, a ainsi pour vocation d’éviter qu’une crise localisée ne se traduise par une crise de l’ensemble du système financier. Toutefois, la nécessité d’un prêteur en dernier ressort ne signifie pas la fin de l’aléa moral ; ici le danger consiste à voir les banques prendre des risques qu’elles ne prendraient pas si elles n’étaient pas assurées d’avoir derrière elle cette autorité monétaire ! De façon paradoxale, l’assurance peut accroître ainsi les risques. L’Etat américain a dû en 2007 renflouer les fonds des banques Merrill Lynch et Bear Stearns qui avaient vu leurs cours boursiers s’effondrer en raison de leur excès de créances douteuses.

Si historiquement, l’idée d’un monopole d’émission accordé à une banque a fini par s’imposer, elle a été longtemps controversée. Encore au début du XIXe siècle, en Angleterre, les partisans de la banque libre (free banking) estiment que les principes et les avantages de l’économie concurrentielle et du libre- échange doivent s’appliquer au système bancaire, et n’ont pas confiance dans la gestion de la monnaie par un organisme dépendant de l’Etat.

B : Financement indirect et direct

Au début de la révolution industrielle, le financement de la croissance des entreprises était essentiellement assuré par l’autofinancement car les investissements étaient peu coûteux : l’historien E. Labrousse qualifie les machines textiles de « jouets mécaniques », expression qui suggère que les besoins des entreprises étaient faibles. L’épargnant et l’investisseurs sont en fait la même personne. Mais avec le développement des industries lourdes, il est nécessaire d’encourager la création de sociétés de capitaux car les besoins de financement sont de plus en plus à long terme. C’est avec la loi autorisant les sociétés anonymes que les entreprises disposent véritablement de moyens de drainer l’épargne des ménages. Toutefois, au début du XXe siècle, même si les marchés de capitaux parviennent à collecter une masse croissante de fonds, l’activité des bourses de valeur reste très concentrée sur les obligations d’Etat. L’Angleterre finance encore à cette époque les trois quarts des investissements nouveaux par les profits antérieurs. Jusqu’aux années 1930, les marchés financiers apportent l’essentiel des ressources longues car la bancarisation est faible. D’après la théorie de Gurley et Shaw, le financement d’une économie moderne nécessite deux grands modes de financement : sur ressources propres ou autofinancement et sur appel aux fonds extérieurs. Dans ce dernier cas, les agents économiques disposent de deux techniques pour obtenir des ressources, la première est d’emprunter auprès des intermédiaires bancaires ou non bancaires (intermédiation), la deuxième est d’émettre des actions et des obligations sur le marché financier (désintermédiation).

II : Le financement indirect

L’activité de production des entreprises suscite des besoins de financement très importants, leurs investissements productifs devant être amortis sur parfois deux décennies et même davantage. Les entreprises ont donc des besoins de financement à long terme qu’elles ne peuvent satisfaire uniquement par leurs propres résultats ; l’épargne brute, est, au niveau macroéconomique, généralement inférieure aux investissements nécessaires. L’entreprise vit donc d’emprunts. Au début du XIXe siècle, il s’agissait plutôt d’avances en compte courant effectuées par les banques, car les besoins en capital circulant étaient plus élevés dans la mesure où les bâtiments d’exploitation étaient modestes alors qu’il fallait par contre financer le paiement des salaires et les achats de biens intermédiaires. Plus tard, le recours à des infrastructures industrielles onéreuses et le développement d’activités nouvelles imposent un système bancaire qui se structure autour du financement à long terme de la croissance économique. Au niveau macroéconomique, la rencontre entre des agents qui souhaitent emprunter, les entreprises essentiellement, et ceux qui souhaitent prêter engendre des coûts de transaction qu’il faut tenter de réduire au mieux. De ce fait, l’intermédiation financière est donc un dispositif institutionnel entraînant une réduction ces coûts. Plutôt que de se fier à une simple coordination par l’intermédiaire du marché, l’Etat a facilité la création de plusieurs types d’intermédiations financières. Certains organismes financiers collectent l’épargne des agents en contrepartie de titres et utilisent les sommes collectées pour accorder des crédits aux agents à besoin de financement ; d’autres institutions collectent l’épargne sous forme de dépôts et prêtent ensuite l’argent collecté ; enfin les banques créent de la monnaie en plus des opérations citées.

II : Le financement direct

Si dans le financement indirect, des intermédiaires financiers sont créanciers des agents à qui ils prêtent et débiteurs de ceux qui placent des fonds chez eux, dans le financement direct, l’emprunteur et le prêteur sont en relation directe. Par exemple, une entreprise émet des obligations sur le marché financier, qui sont souscrites par des ménages ; le taux d’intérêt est payé par l’emprunteur au prêteur. L’étude du financement direct passe par la description des deux grands marchés classiques, le marché monétaire et le marché financier qui est la Bourse des valeurs.

Le marché monétaire est la grande composante du marché des capitaux sur lequel s’échangent des titres courts contre des liquidités et qui constitue un point d’application de la politique monétaire. Le marché monétaire est un lieu privilégié de régulation de la création de monnaie. Le marché financier, seconde composante du marché des capitaux, est le lieu d’émission et d’échange des valeurs mobilières, principalement les actions et les obligations. La Bourse concilie deux exigences a priori contradictoires : la liquidité du placement pour les épargnants ou pour les organismes financiers, et l’obtention de capitaux à long terme pour les emprunteurs. Elle est à la fois un système de préservation de l’épargne, de restructuration du capital et de distribution de ressources financières dans les entreprises jugées plus profitables. Véritable « état-major du capitalisme », selon l’expression de J. Schumpeter, la Bourse est vue comme le grand moyen de faire un usage plus productif des ressources disponibles en assurant une réallocation des actifs entre les entreprises en fonction de leurs perspectives de développement.

C : les tendances récentes du financement de l’économie

Au cours des années 1970, J. Hicks s’interrogeant sur les limites du discours keynésien, introduit une distinction entre les systèmes financiers que l’on qualifie d’économie d’endettement et ceux que l’on qualifie d’économie de marché financier.

I : Le passage de l’économie d’endettement à l’économie de marché financier

a : deux modes de financement de l’économie

Dans une économie d’endettement, les entreprises dépendent essentiellement des crédits bancaires pour financier leurs investissements ; en cas de hausse des prix, la Banque centrale ne peut agir sur le refinancement des banques en faisant croître les taux d’intérêt, car les conséquences sur l’emploi seraient néfastes. C’est pourquoi, les politiques monétaires privilégient le contrôle quantitatif du volume des crédits. Dans l’économie de marché financier, le financement s’opère de façon prépondérante par émission de titres en Bourse ; les taux d’intérêt, flexibles, résultent de la rencontre entre une offre et une demande, et les banques ne sont pas assurées de pouvoir se refinancer auprès de la Banque centrale. Celle-ci peut donc influer sur la création monétaire des banques. L’endettement auprès du système bancaire ne jouant qu’un rôle marginal, on retrouve alors le schéma traditionnel du multiplicateur de crédit. L’offre de monnaie étant contrôlée par la Banque centrale, les banques ne peuvent créer de la monnaie scripturale qu’en proportion de la monnaie centrale. Au-delà de la description des deux systèmes financiers, l’enjeu est théorique car une approche en termes d’économie d’endettement met l’accent sur le caractère endogène de la monnaie, alors qu’une approche en termes de marché financier met l’accent sur le caractère exogène de la monnaie.

b : déréglementation, désintermédiation et décloisonnement financiers

Que ce soit à l’échelle nationale ou mondiale, le monde de la finance a connu depuis une quarantaine d’années de vastes mutations ; on peut noter deux changements radicaux : la déréglementation et la désintermédiation, le troisième changement étant amorcé dès les années 1960. L’expression des « 3D » ou théorie des 3D a été inventée par H. Bourguinat dans son livre Les Vertiges de la finance internationale et a été particulièrement en vogue dans les années 1980 et 1990. Les « 3D », déréglementation, désintermédiationdécloisonnement, sont à la racine du phénomène de globalisation financière. On peut a posteriori y ajouter un 4ème D : Dématérialisation, par l'intermédiaire du développement rapide des technologies de l'information dans les années 1990.

La déréglementation est la suppression des règlements et contrôles sur les prix des services bancaires afin de faciliter une circulation plus fluide des flux financiers. Elle a historiquement débuté aux États-Unis avant de gagner le reste du monde. Hormis les harmonisations des systèmes financiers et les suppressions de frais de transferts, les innovations majeures dans ce domaine sont liées au décloisonnement. Le contrôle des changes disparait vers la fin des années 1970-1980. On libéralise les achats-Ventes de devises sur le marché à terme. Les cours des changes se fixent sur le marché financier aussi. En 1986 sont créés des organismes tel la MATIF qui développe les produits dérivés de taux, et en 1987 la MONEP, où se négocient les options sur actions. Tout ceci est l'effet majeur de l'évolution de l'électronique, l'informatique, mais globalement des nouvelles technologies de l'information et de la communication nées vers la même époque (1980).

La désintermédiation, c’est l'accès direct des entreprises aux financements par émission de titres plutôt que par endettement auprès des investisseurs institutionnels. Cet accès direct est historiquement apparu à une période (début des années 1980) où les créances douteuses (crédit hypothécaire, renégociés ou au PED...), ou sans grand espoir d’être recouvrées s’accumulaient. Ainsi pour assainir leur bilan, les banques ont transformé les prêts que l’on avait contractés auprès d’elles en produits financiers qu’elles revendent à des particuliers, à des fonds de pension… Ainsi la désintermédiation répond selon Bourguinat à trois grands principes : la répartition des emprunts en petits titres de faible valeur (notamment pour des fonds ou des investisseurs individuels), un renouvellement régulier afin d'assurer des emprunts en période longue, se borner au rôle d’intermédiaire, quitte à reprendre le papier émis si elle ne trouve pas d’acquéreur (c’est-à-dire en cas d’insuffisante liquidité du marché). Ce redéploiement de l'activité bancaire modifiera profondément le bilan des banques. En France par exemple on note de la part des banques une forte diminution du rôle du crédit. À titre d'exemple, la part du crédit bancaire en France et en Allemagne est passée de deux tiers à la fin des années 1970 à 50 % de nos jours. Cela entraîne donc une baisse d’activité des acteurs institutionnels, d’où le 3e « D ».

Quant au décloisonnement, la division classique entre compte courant et compte à terme, est supprimée ; la condition est de laisser une somme minimale sur le compte, entre banques et assurances, entre marché de long et court terme (qui était avant 1986 en France réservé à certaines entreprises. Jusqu'en 1985, il s'agissait de la SNCF, la Sécurité Sociale, ou de la chambre syndicale des agents de change, ayant accès au marché monétaire), du crédit en monnaie nationale au crédit en devise. Il y a ainsi concentration et repositionnement des acteurs traditionnels. Au niveau international, cela se traduit par la libre circulation des capitaux permis par l’abolition du contrôle des changes (effectif en Europe depuis 1990). C'est pour cela qu'il a fallu restructurer le système bancaire. Cela consiste, aux USA à abroger le McFadden Act (1927) qui empêchait jusque-là qu'une banque soit présente dans plus de deux États à la fois. Plus tard, l’obligation d’être séparées pour les banques commerciale et d'investissement est annulée. En France on devra attendre les années 1984-1986 pour voir être libéralisé le marché financier.

II : Les systèmes de financement en recomposition

a : Vers une généralisation de la marchéisation financière

S’il y a bien un phénomène marquant dans l’histoire économique récente, c’est le processus de mondialisation financière qui se manifeste par l’internationalisation des marchés de capitaux. La marchéisation est un néologisme signifiant qu'un secteur devient soumis aux lois des marchés financiers. Pour se financer, les banques font traditionnellement appel aux banquiers. Si elles préfèrent se financer sur les marchés des capitaux, car les taux pratiqués y sont inférieurs, on dit qu'il s'agit d'une marchéisation du crédit. Depuis la désintermédiation de l'économie, les emprunteurs sont libres de choisir leur type de financement. Et comme les taux pratiqués sont publics, les banques sont en concurrence entre elles, mais aussi avec toutes les autres sources de financement possible.

Au sortir de la Seconde guerre mondiale, les pays occidentaux ont fait le choix d’une architecture réglementée reposant sur l’endettement. Les limites de ce système et son incompatibilité croissante avec les évolutions économiques ont poussé les Etats à entamer des politiques de libéralisation dans les années 1970-1980, visant à transformer les modes de mobilisation des ressources nécessaires à l’économie. A une échelle régionale, la poursuite de la construction européenne a ouvert la voie à l’unification de l’espace financier au sein de la zone euro. Sans qu’on puisse vraiment parler d’une économie de marchés financiers mondiale et unifiée, on doit reconnaître que ces derniers jouent aujourd’hui un rôle de premier plan dans la mise en relation entre offreurs et demandeurs de liquidités et qu’ils ignorent de plus en plus les frontières notamment au sein de l’UEM. On dit souvent que les Etats-Unis constituent durant les Trente Glorieuses un exemple d’économie de marché financier alors que, sur la même période, la France ou l’Allemagne sont des économies d’endettement. Il est vrai qu’en France notamment, l’Etat a joué un rôle majeur dans le financement de la reconstruction Dans cet objectif, l’Etat crée successivement ou simultanément entre 1948 et 1955, différents fonds sous la forme de comptes spéciaux du Trésor, destinés à financer le secteur public et privé. Après l’échec des politiques interventionnistes menées au début des années 1980 dans une économie de plus en plus ouverte, les pouvoirs publics vont impulser un profond remaniement du système financier dont l’objectif est de promouvoir une libéralisation et une croissance accrue. Parallèlement, la faiblesse de la croissance et la restauration des marges des entreprises diminuent le besoin en financement de celles-ci. La situation économique dégradée conduit également à un ralentissement des crédit accordés aux ménages. L’action des gouvernements conjuguée à ce contexte économique favorise le recul des financements intermédiés et le développement des marchés de capitaux. Si divers éléments invitent à penser que le système français passe à une économie de marchéisation financière, il convient de relativiser cette affirmation car les banques ont accru leurs interventions sur les marchés ; d’autre part, le développement des marchés bénéficie pour l’essentiel à l’Etat et aux grandes entreprises.

b : nouveaux acteurs et nouveaux enjeux

 

Pareilles transformations ont mis en avant de nouveaux acteurs. D’une part, le développement des marchés de capitaux a favorisé l’émergence d’organisations spécialisées dans l’intermédiation de marché et la fourniture de nouveaux services, les investisseurs institutionnels ; d’autre part, il a appuyé l’essor des métiers centrés sur le contrôle de l’information financière. C’est le cas des agences de notation qui évaluent la solvabilité des émetteurs de titres et qui participent à l’amélioration de l’information sur les marchés. Ces bouleversements ont également suscité de nouveaux enjeux. Malgré ses aspects positifs, le développement des flux de capitaux, soumet les économies à des menaces inédites et fait naître un certain nombre d’inquiétudes. Les retournements des marchés financiers sont rarement progressifs et induisent souvent des crises économiques et sociales sévères. Les crises financières récurrentes (Pourquoi les crises reviennent toujours de P. Krugman) témoignent du caractère intrinsèquement instable des systèmes actuels. Depuis 1987, date du premier krach, des crises de plus en plus graves se sont succédé. Celle de 2008 a mené le système financier au bord de l’effondrement et engendré une récession dans les économies capitalistes. La série de scandales initiée par la faillite d’Enron a posé la question de la sécurité des agents économiques victimes de conflit d’intérêt. La distorsion entre l’économie réelle et la sphère financière pousse les entreprises à rechercher une rentabilité des fonds propres supérieure à leur taux de croissance. Pour réduire leurs besoins en capital propre, les entreprises augmentent le recours à l’endettement financier. Tant que la rentabilité économique est supérieure au coût réel de l’argent, l’entreprise bénéficie d’un effet de levier financier positif. Mais ce dernier devient négatif quand la rentabilité économique baisse. L’entreprise tente de dissimuler cette faille financière à ses actionnaires à travers des « montages déconsolidant » une partie de la dette. Et quand les montages prennent un tour frauduleux, on aboutit à l’affaire Enron (2001) ou le scandale Wirecard (2019), version allemande.

La problématique de la régulation, qu’elle concerne le système financier dans son ensemble ou ses différents acteurs, est donc plus que jamais d’actualité. A court terme, c’est bien l’environnement financier qui commande l’évolution de l’économie réelle, jusqu’à ce que les forces de rappel créées par les déséquilibres de l’économie réelle corrigent les excès commis par la sphère financière. La régulation se heurte à deux principaux dysfonctionnements : l’asymétrie de l’information dont pâtissent les épargnants, et les externalités négatives consécutives aux catastrophes financières. Au lendemain du krach de l’an 2000, de nouvelles législations sont apparues (loi Sarbanes-Oxley aux Etats-Unis en 2002, la loi de Sécurité financière en France (LSF) de F. Mer en 2003) afin de garantir une information aussi exacte que possible, seule garante d’un système financier sain et durable.
Démarrée en 2007, la crise financière globale a jeté en revanche un sévère discrédit sur l'ensemble des Autorités nationales ou mondiales chargées de prévoir, contrôler et gérer les évolutions financières.

c : Leçons de la crise, réformes d’après-crise et interrogations actuelles

 

Pendant trois décennies, les Banques centrales ont adopté une politique monétaire dite de ciblage d'inflation. Cette orientation reposait sur le postulat selon lequel l'absence d'inflation assurerait d'elle-même la stabilité du système financier. L'expérience a montré au contraire que dans la finance libéralisée, la stabilité des prix peut fort bien aller de pair avec de fortes hausses des prix d'actifs (immobiliers, boursiers), alimentées par une expansion excessive du crédit, elle-même dopée par l'approvisionnement généreux en liquidités à faible coût par les Banques centrales. La crise depuis 2008 a montré que la politique monétaire doit intégrer un objectif de stabilité financière. Les politiques ont aussi compris que les institutions d’importance systémique doivent être identifiées et surveillées.
La fonction de prêteur en dernier ressort a connu des mutations importantes et surtout celle des instances d’intervention, car un partage des rôles est instauré entre les Etats, intervenant désormais dans des opérations de recapitalisation, et le Banques centrales qui assurent la liquidité.
Il est à noter aussi que les Autorités ont dû, lors de la crise, constater l'absence d'un système de résolution des faillites individuelles. Cette lacune a conduit les Pouvoirs publics à intervenir dans l'urgence, occasionnant un aléa moral et des pertes pour les contribuables. Un système de résolution des crises est destiné à éviter, lors d'une défaillance bancaire, le déclenchement d'une crise de système, tout en protégeant le contribuable et en respectant la hiérarchie entre les créanciers.  
Une réforme d'ensemble du système financier a été décidée par le G20 en 2008. Celle-ci est fondée sur plusieurs principes : promouvoir une réglementation saine et l'intégrité des marchés, renforcer la coopération internationale, réformer les institutions financières mondiales. Le programme d'action est confié au Conseil de stabilité financière (CSF) qui assure, avec le FMI, la coordination du travail effectué par les instances de régulation sectorielles BRI, Comité de Bâle, etc.

Si l'on discerne bien la logique et l'orientation de ce nouveau modèle prudentiel, on ne peut manquer pour autant de s'interroger sur les limites et les risques du processus en cours. La volonté de mener à son terme le programme du G20 n'est sans doute pas également partagée par tous les pays. De ce point de vue, la lenteur de la réforme financière Dodd-Frank aux Etats-Unis risque de créer une situation de concurrence réglementaire pouvant freiner la réforme globale. Par ailleurs, les nouvelles règles bancaires (Bâle III) pourraient entraîner nombre d'effets pervers. Ces risques, peuvent porter sur les conditions de financement de l'économie ou sur les menaces du système bancaire parallèle (shadow banking ou Banque de l’ombre).

 

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