« 3 questions à » Mathieu Plane, économiste à l'OFCE

INTERVIEW "3 QUESTIONS A" MATHIEU PLANE ECONOMISTE A L’OBSERVATOIRE FRANÇAIS DES CONJONCTURES ECONOMIQUES (OFCE), DIRECTEUR ADJOINT - DEPARTEMENT ANALYSE ET PREVISION

Mathieu Plane

Interview réalisée par Vincent Barou, Professeur de SES au lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie (78)

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A QUOI SERT LA DEPENSE PUBLIQUE ?

La dépense publique contribue largement à la réduction des inégalités. Celle-ci s’effectue par le biais de l’aide sociale, des aides au logement, des allocations familiales et via la fiscalité.

En France, les prestations sociales en espèces (retraites, prestations familiales …) et les transferts en nature (santé, éducation…) en direction des ménages représentent 75 % de la dépense.

Ces deux postes représentent la moitié du revenu disponible des ménages au sens large. Réduire massivement le poids de la dépense publique ne peut donc se faire sans modifier le niveau de vie des ménages et la répartition des revenus. Mécaniquement, à efficacité donnée, un niveau plus bas de dépense publique se traduirait par moins de prélèvements sur l’économie mais aussi par moins de prestations et de services.

Les transferts opérés par la dépense publique sont un levier puissant de réduction des inégalités : près de 80 % de la réduction des inégalités en France se fait grâce à la dépense publique, dont 50 % grâce aux transferts en nature (c’est-à-dire l’éducation et la santé).

Elle constitue aussi un stabilisateur puissant de l'activité économique. La dépense publique, dont l’évolution repose principalement sur des facteurs structurels (démographie) et des choix politiques (nombre de fonctionnaires, âge de départ à la retraite, part des remboursements de santé, …), est décorrélée des cycles de l’économie marchande. Si elle peut être un frein en période de reprise, elle est en revanche un amortisseur économique et social en période de crise. La dépense publique constitue donc un levier puissant pour agir sur l’économie à court terme : 1) directement en tant que constituant de la demande globale, via la consommation publique et l’investissement public ; 2) mais aussi indirectement via le revenu des ménages, qui est impacté par l’emploi public et la masse salariale afférente, ainsi que par les transferts opérés dans la sphère sociale.

Réduire massivement le poids de la dépense publique ne peut donc se faire sans modifier le niveau de vie des ménages et la répartition des revenus. L'impact serait par ailleurs négatif à court-moyen terme pour l'activité économique. Le poids de la dépense publique dans l'économie renvoie avant tout à un choix de société.

La structure des dépenses publiques et le niveau des prélèvements obligatoires témoignent du degré d'implication de l'État dans la gestion des risques individuels et la lutte contre les inégalités par la redistribution. Le niveau à atteindre de la dépense publique ne peut donc se résumer à un débat comptable.

Aucune étude ne peut sérieusement définir le niveau optimal de dépense publique pour une économie sans définir un système de préférences collectives pour les biens publics et la distribution des revenus.

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Le 03/02/2021
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Y A-T-IL DE « BONNES » ET DE « MAUVAISES » DEPENSES PUBLIQUES ?

Répondre à la question du caractère « bon » ou « mauvais » d’un type de dépense publique revient pour un économiste à s’interroger sur les conséquences de la diminution de chaque type de dépense pris indépendamment sur l’activité économique. Plus les conséquences de la baisse d’une dépense sont fortes sur l’activité économique, moins il sera a priori opportun de la diminuer et plus il sera possible de conclure que celle-ci est « bonne ».

A l’OFCE (2017), nous présentons les effets d’une baisse uniforme de la dépense publique équivalente à 1 point de PIB sur l’économie française.  Les effets sont cependant dépendants de l’instrument choisi.

Globalement, l’emploi public et l’investissement public sont les instruments qui ont le plus d’impact à court terme sur l’activité économique.

Ces différences soulignent l’importance du choix des instruments de dépense publique au regard de leur impact différencié sur l’activité économique et compte tenu de l’impact plus ou moins important de chaque instrument sur la redistribution et les inégalités.

QUELLES SONT LES CONSEQUENCES, EN TERMES DE CROISSANCE ECONOMIQUE ET DE DEFICIT PUBLIC NOTAMMENT, DES ARBITRAGES DE LA DEPENSE PUBLIQUE ?

L’analyse de la politique budgétaire de 2019 à 2021 montre que celle-ci aura un effet positif sur la croissance essentiellement concentré sur 2019. Cette impulsion budgétaire positive provient donc essentiellement des mesures touchant au pouvoir d’achat des ménages, que ce soit par la suppression de la taxe d’habitation et par les mesures d’urgence prises pour éteindre le mouvement des Gilets jaunes ou instituées à l’issue du Grand Débat (baisse de la première tranche d’impôt sur le revenu, ré-indexation des retraites jusqu’à 2 000 euros), et ce malgré la hausse des prix du tabac.

Au final, la politique budgétaire contribuerait à la croissance du PIB à hauteur de 0,45 point en 2019, expliquant en grande partie la résilience de l’activité française.

Selon nos prévisions, le pouvoir d’achat par ménage augmenterait de 800 euros en 2019 et de 310 euros en 2020 (après 220 euros en 2018).

Malgré une croissance de la demande adressée à la France toujours atone (1,2 %), la croissance du PIB se maintiendrait à 1,3 % en 2020, soutenue encore par la politique budgétaire plus accommodante que ce que nécessiterait le respect de nos engagements budgétaires européens.

Pour 2021 de nouvelles baisses de fiscalité sont attendues, toujours majoritairement en faveur des ménages, mais d’une ampleur plus limitée à celles de 2019-2020. Toutefois, nous tablons sur la maîtrise de la dépense publique totale.

Ainsi, le déficit devrait atteindre 2,0 points de PIB en 2021, son plus bas niveau depuis vingt ans.

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