Le mois d’octobre a été marqué par une actualité forte autour de la question des terres rares : elles ont été au cœur des négociations commerciales entre la Chine et les États-Unis, l’un des enjeux de l’accord commercial signé entre les États-Unis et le Japon et un plan européen pour réduire sa dépendance par rapport aux « métaux critiques » a été annoncé par Ursula von der Leyen dans une conférence organisée à Berlin à la fin du mois.
1/ Les terres rares, essentielles pour les technologies vertes et de nombreux secteurs...
Les terres rares sont 17 métaux parmi lesquels on retrouve le scandium, l’europium, l’erbium, le néodyme… Ces métaux sont « rares » dans le sens où ils n’existent pas sous la forme de gisements dans lesquels on peut prélever de relatives grandes quantités (comme pour l’argent par exemple). Cependant, tous ne sont pas « rares » dans le sens où il n’y aurait qu’un faible stock sur la planète de ces métaux.
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Ces métaux sont peu connus, mais ils sont présents dans de très nombreux produits du quotidien, dont les smartphones, les écrans, les disques durs. Ils sont aussi utilisés pour la production d’éoliennes, de véhicules électriques, de machines d’imagerie médicale.
… Cette brève liste montre un enjeu important de l’accès à ces terres rares : ils sont au cœur de la transition écologique et de la stratégie de nombreuses entreprises.
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Ils font partie des « matières premières critiques », tels qu’ils ont été définis dans le Critical Material Raw Act de l’UE, voté en 2024 : ce sont « des matières premières non énergétiques et non agricoles qui sont jugées critiques, en raison de leur grande importance économique et du risque élevé de pénurie que présente leur approvisionnement, souvent lié à la forte concentration de l’offre dans un petit nombre de pays tiers ». Cette concentration peut être liée à la répartition de ces métaux dans le sol des différents pays, à des stratégies de contrôle de ces ressources ou encore au coût environnemental de l’extraction de ces métaux, qui fait que certains pays ne les extraient pas de leur sous-sol.
2/ … sont marquées par une position dominante de la Chine au niveau mondial...
L’agence internationale de l’énergie montre que l’usage des terres rares est en forte augmentation : on l’estime à 50 kilotonnes (kT) en 2014, et à 91 kT en 2024, soit seulement 10 ans plus tard. L’AIE estime que la demande pour ces produits devrait continuer à connaître une forte croissance pour atteindre environ 150 kT en 2040. Les données compilées par l’AIE montrent que le recyclage de ces terres rares reste trop faible pour répondre à l’augmentation de la demande au niveau mondial. Il semble alors nécessaire de continuer à extraire des terres rares pour continuer à produire et faire fonctionner les nombreux biens qui les utilisent. C’est d’autant plus important que la généralisation de l’utilisation de l’intelligence artificielle est, par exemple, un facteur d’augmentation de la demande de terres rares.
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La production de ces terres rares est très concentrée au niveau mondial. Le rapport de l’US Geological Survey sur les terres rares donne des informations sur l’utilisation des terres rares aux États-Unis. Le pays a produit pour 45 kT de terres rares en 2024 et en a importé plus de 8 kT pour une valeur totale de 170 millions de dollars. Le pays ne semble donc pas dans une situation de dépendance concernant ces produits. Cependant, le rapport montre l’importance des importations pour les aimants. Surtout, il montre que les importations du pays proviennent à 70 % de Chine, alors que le 2e fournisseur est la Malaisie (13%), devant le Japon (6%).
Cette situation est emblématique de la forte concentration de la production des terres rares en Chine : selon les estimations de l’US Geological Survey, la production mondiale de terres rares a été d’environ 390 kT en 2024, dont une production d’environ 270 kT de la Chine soit près de 70 % de la production mondiale. Dans le même ordre d’idées l’AIE estime qu’en 2030, les trois-quarts des capacités de raffinage de terres rares seront en Chine, le raffinage étant la transformation de la terre rare en une ressource pouvant être incorporée dans la production d’une entreprise.
3/ … ce qui les place au cœur de la guerre commerciale...
La position dominante de la Chine dans la production des terres rares est, pour elle, un atout dans les négociations commerciales. Elle a ainsi riposté aux augmentations des droits de douane qui l’ont visée en contrôlant et limitant ses exportations de terres rares. Dès le mois d’avril, elle a mis en place des restrictions à l’exportation pour 7 terres rares. Le 9 octobre, la Chine a annoncé renforcer ces restrictions, avec des règles prévues pour entrer en vigueur le 8 novembre. Ces restrictions correspondent principalement au fait que les acheteurs doivent obtenir une licence pour pouvoir acheter les terres rares, licence qui est émise au bout de 40 à 60 jours et qui n’est autorisée que sous condition que les terres rares soient utilisées pour la production d’un bien précis, déclaré à l’administration chinoise. Les industriels doivent alors fournir des explications détaillées sur les produits incorporant les terres rares, ce qui revient en partie à révéler des éléments stratégiques.
Les restrictions devaient concerner 12 terres rares différentes et s’appliquer pour tous les produits qui comprennent au moins 0,1 % de terres rares provenant de Chine, la rencontre entre Donald Trump et XI Jinping en Corée du sud, le 30 octobre, a, a priori, permis de repousser d’un an l’application de cette mesure, mais au prix de concessions des Etats-Unis sur les tarifs douaniers. Les terres rares et la dépendance du monde entier vis-à-vis de la Chine sont donc un outil central de négociation pour la puissance commerciale asiatique.
Face au risque de dépendance, les Etats-Unis cherchent à relancer la production nationale, en la subventionnant largement (les entreprises locales ont du mal à s’aligner sur les tarifs chinois) et à signer des accords. Le 28 octobre, un accord a ainsi été trouvé avec le Japon et sa nouvelle première ministre Sanae Takaichi, pour une coopération entre les deux pays concenrnant la production et l’approvisionnement en terres rares. Le pays cherche aussi à faire des réserves stratégiques. Le pays a par exemple signé un accord avec l’Ukraine conditionnant son aide à l’accès à certaines des ressources du pays. La « bataille » pour les terres rares conduit donc à la multiplication de mesures protectionnistes, allant dans le sens de ce que l’économiste Arnaud Orain qualifie de « capitalisme de la finitude ».
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4/ … au cœur de laquelle l’Union européenne cherche à réduire sa dépendance aux importations depuis la Chine
Dans ce contexte de courses aux terres rares et de guerre commerciale, l’Union européenne poursuit son objectif d’autonomie stratégique ouverte. En 2023, cela s’est traduit par l’adoption du Cricital Material Raw Act, qui ne concerne pas que les terres rares, mais l’ensemble des « matières premières critiques », celles pour lesquelles le risque de dépendance est élevé. Il s’agit notamment d’un plan d’action pour atteindre des objectifs chiffrés à l’horizon 2030. L’objectif est que 30 % des métaux critiques consommés dans l’UE soient extraits dans l’Union, que 40 % soient raffinés localement et que 25 % des besoins soient couverts par le recyclage. Sur cet horizon de court terme, les objectifs seront sans doute difficiles à tenir, mais ils permettent de donner une direction commune aux pays européens.
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Ce mois-ci, en réaction aux annonces chinoises, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a présenté les grandes lignes du futur plan RESourceEU, qui s’inspire du plan REPowerEU, créé suite à la guerre en Ukraine pour assurer l’indépendance énergétique du pays (https://fr.euronews.com/video/2025/10/26/lue-souhaite-rompre-sa-dependance-vis-a-vis-de-la-chine-pour-lapprovisionnement-en-metaux-). Il s’agit d’abord de poursuivre la stratégie de signatures d’accords avec d’autres pays (comme cela a été fait avec l’Indonésie durant l’été, pour « dérisquer » l’approvisionnement. L’objectif est aussi de faciliter l’extraction des terres rares sur le territoire européen et renforcer les capacités de recyclage et de raffinage. Le plan prévoit aussi une augmentation des capacités de stockage et des achats groupés, la somme des pays européens étant vue comme un groupe plus puissant sur les marchés mondiaux que l’ensemble de ses parties.
A suivre
* dès les premiers jours de novembre, la teneur de l’accord entre la Chine et les Etats-Unis sera précisée. Il sera intéressant de voir à quel point, et jusqu’à quand, la Chine renonce à renforcer son contrôle sur les terres rares
* les difficultés budgétaires aux États-Unis (« shutdown budgétaire ») et dans plusieurs pays européens, notamment la France, interrogent sur la capacité des États à financer des plans ambitieux de production, raffinage et recyclage des terres rares
* le plan européen devra trouver des applications concrètes et des financements