L’accord Union européenne (UE)- Mercosur

Le 03 septembre 2025, la Commission européenne a validé le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Bolivie). Le Mercosur, qui représente plus de 80% du PIB de l’Amérique latine, est le quatrième bloc économique de libre-échange au monde (après le RCEP en Asie avec la Chine et 14 pays de la région Asie-Pacifique, l’ALENA avec les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, le troisième bloc étant constitué par l’Union européenne).  Cet accord, qui arrive après 25 ans de négociations, doit désormais être soumis aux votes des Etats membres et du Parlement européen. Si ceux-ci entérinent le projet, il permettra de constituer un espace commercial rassemblant plus de 700 millions de personnes, au moment où les rapports entre l’Union européenne et les Etats-Unis sont marqués par de nombreuses tensions commerciales. 

Alors que l’Union européenne souhaite obtenir un accès accru au marché sud-américain pour y promouvoir ses produits industriels, en particulier les automobiles, la machinerie et les produits pharmaceutiques, le Mercosur y voit une opportunité de développer ses exportations agroalimentaires et de minerais stratégiques. Au passage, cette perspective de promotion des produits issus de l’agriculture vers l’UE explique en partie l’hostilité de la France à l’accord, celle-ci étant particulièrement soucieuse de protéger son secteur agricole d’une concurrence jugée déloyale face aux producteurs du Mercosur (voir plus bas).

En l’état actuel des choses, comme on le voit dans le graphique ci-dessous, les exportations européennes vers le Mercosur s’élèvent à 55,18 milliards d’euros en 2024, et les importations en provenance de cette zone à 56,02 milliards d’euros. Et comme on le voit sur le graphique, les exportations européennes sont essentiellement de nature industrielle (équipements de transport, produits chimiques et produits manufacturés) et les importations essentiellement constituées d’animaux et alimentation animale, de matières premières et de minerais.

Les échanges commerciaux entre l’Union européenne et le Mercosur

Valeur des échanges de biens entre les pays de l’UE-27 et du Mercosur en 2024 (en milliards d’euros)

 

 

L’accord UE- Mercosur est d’autant plus important qu’il permet de prolonger les principes de la construction européenne, fondée sur la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux, et cela au moment où le multilatéralisme de l’OMC est en panne. Face à cette crise du multilatéralisme, les accords bilatéraux de libre-échange sont devenus centraux dans la stratégie commerciale européenne.

Voir la synthèse « La crise du commerce mondial amplifiée par le coronavirus »

Voir le fait d’actualité « L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur

Brève histoire de l’accord

Le  début des négociations pour un accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur a commencé en 1999, avant de buter sur de nombreux problèmes. Du côté de l’UE, il semblait difficile d’inclure les produits agricoles et agro-industriels (et notamment la question des subventions à l’agriculture) dans la négociation. Du côté du Mercosur, les difficultés portaient sur la baisse des droits de douane sur les produits industriels. D’autres questions comme les droits d’auteur, le secteur automobile, et les normes phytosanitaires bloquaient aussi l’avancée des négociations.

Par la suite, et cela malgré de nombreuses tentatives, les négociations sont restées dans l’impasse jusqu’au 28 juin 2019, où l’UE et le Mercosur annoncent être parvenus à un accord de principe. Mais le processus de ratification par les Etats membres et le Parlement européen est repoussé, en partie sous la pression des opinions publiques nationales, très sensibles à la question de l’impact environnemental, et cela tout particulièrement en Allemagne. Il est vrai que l’accord aurait entraîné en Amérique latine une augmentation de la déforestation provoquée par la création de pâturages pour accroître la production de bœuf, à un rythme de 5% pendant les six années suivant son application. De plus, les accords de Paris qui engagent les pays de l’UE portent sur la réduction des émissions de CO2 nationales et ne tiennent pas compte des émissions importées. L’Europe importerait donc de la viande qui émet davantage de CO2 que la production européenne, mais sans que ces émissions soient comptabilisées comme étant européennes. Et il faut signaler aussi que l’accord UE-Mercosur permettrait aux industriels européens de continuer à produire des véhicules à moteur thermique que l’UE a prévu d’interdire sur son sol pour les exporter vers le Mercosur. Dans ces conditions, au final,  le coût environnemental mesuré à partir des émissions de CO2 aurait pu être considéré comme plus élevé que les bénéfices économiques.

Cependant, en dépit de ces difficultés, , la Commission européenne a continué de mener les négociations et au prix de certaines modifications comportant notamment l’introduction de clauses environnementales, le 06 décembre 2024, l’UE et le Mercosur annoncent avoir à nouveau finalisé les négociations sur l’accord. Et en septembre 2025 la Commission européenne approuve cet accord. Il ne reste plus qu’à le faire entériner par le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen, et aussi les Parlements nationaux pour ce qui concerne les dispositions non commerciales de l’accord (voir plus bas les étapes à venir). 

Contenu de l’accord et objectif

Comme tout accord de libre-échange, l’objectif du traité est d’intensifier les échanges de biens et de services entre l’UE et les économies latino-américaines. En effet, en l’état actuel des choses, les entreprises européennes se heurtent à des barrières commerciales quand elles exportent vers le Mercosur. Le Mercosur de son côté applique des droits de douane de 27% sur le vin et de 35% sur les voitures et les vêtements importés depuis l’UE, sans compter les normes et les réglementations différentes imposées par les autorités des deux zones aux entreprises européennes et celles du Mercosur. Et cet intensification des échanges devrait produire un effet sur la croissance économique. D’après une analyse d’impact commandée par la Commission européenne, l’accord engendrerait 0,1% de croissance supplémentaire dans l’UE à l’horizon 2032, et 0,3% côté Mercosur.

Le traité commercial de 2019 comporte une baisse de 90%  des droits de douane entre les deux zones de manière progressive sur 10 ou 15 ans. Le marché européen s’ouvrira ainsi plus largement aux produits agricoles sud-américains, sur la base de quotas progressivement introduits. A terme, c’est ainsi 99000 tonnes de bœuf par an qui pourraient entrer en Europe à un taux préférentiel de 7,5% ainsi que 60000 tonnes de riz et 45000 tonnes de miel sans obstacles tarifaires. Les droits de douane du Mercosur seraient progressivement éliminés sur les voitures, les machines, la chimie, les vêtements, le vin, les fruits frais, ou encore le chocolat venus d’Europe.

Et entre l’accord de 2019 et la signature de décembre 2024, le traité a subi un certain nombre de modifications. Des mécanismes de sauvegarde bilatéraux ont été introduits, censés protéger les marchés en cas de préjudices graves apportés à l’économie. Cela s’applique particulièrement à la filière agricole, où un « filet de sécurité » d’un montant de 6,3 milliards d’euros devrait être ajouté au prochain budget à long terme de l’UE. Le Mercosur reconnaîtrait également 350 indications géographiques de l’UE qui protègent les produits européens de qualité de la contrefaçon. Le traité contient également des clauses dans lesquelles chaque partie s’engage à ouvrir ses marchés publics aux entreprises de l’autre continent, des engagements visant à garantir le respect des droits de propriété intellectuelle, et il est assorti de nouvelles clauses environnementales. C’est ainsi qu’il contient de nouvelles dispositions sur l’accord de Paris pour le climat. L’UE aurait désormais le droit de suspendre partiellement ou totalement ses relations commerciales avec un pays du Mercosur, dans le cas où ce dernier mettrait en péril l’accord sur le climat. Les deux parties se sont également engagées à mettre fin à la déforestation illégale d’ici 2030.

Les principales critiques

Le traité entre l’Union européenne et le Mercosur fait l’objet d’un certain nombre de critiques, qui s’inscrivent pour l’essentiel dans trois dimensions.

Le premier volet des critiques est le volet économique et social. Les détracteurs du Traité l’accusent de contribuer à augmenter les importations de produits agricoles dans l’Union européenne sans pour autant respecter les règles en vigueur dans cette zone économique. Certes, l’accord n’est pas sans prévoir des engagements en matière de droit du travail ou de conditions de travail décentes, mais il n’en reste pas moins que ces importations pourraient favoriser une concurrence déloyale (on définit la concurrence déloyale comme un ensemble de techniques ou de pratiques abusives utilisées par une entreprise ou un Etat, et qui nuisent à la concurrence) vis-à-vis des agriculteurs européens dans certains secteurs. En France tout particulièrement, de nombreux agriculteurs ont exprimé leur opposition au projet lors de manifestations au cours de l’année 2024.

Le deuxième type de critiques relève du point de vue écologique. Les opposants au traité UE-Mercosur (très présents en Allemagne par exemple) soulignent que l’intensification des flux commerciaux contribue à augmenter les émissions de gaz à effet de serre. Ils évoquent aussi les écarts entre l’UE et le Mercosur en matière de normes environnementales (comme cela a par exemple été évoqué plus haut sur la question de la déforestation en Amazonie).

Le dernier type de critiques porte sur la dimension sanitaire. Les produits agricoles sud-américains sont généralement soumis à des normes moins strictes qu’en Europe en matière de pesticides et d’antibiotiques. Bien que les produits importés soient censés respecter les normes de l’UE, le contrôle et la traçabilité des produits comportent des lacunes. C’est ainsi qu’au sein de l’UE les contrôles sanitaires et phytosanitaires restent sous la responsabilité des Etats membres, ce qui soulève des interrogations quant à leur uniformité et leur efficacité.

Les étapes à venir

Validé par la Commission européenne, le texte doit maintenant être proposé au Conseil de l’Union européenne, qui doit l’adopter à la majorité qualifiée (pour être adopté, un texte doit recueillir au moins 15 votes sur 27, représentant au moins 65% de la population totale de l’UE), et au Parlement européen, où son adoption exige la majorité simple.

Cette étape est loin d’être acquise car si le Mercosur compte de nombreux partisans en Europe (et tout particulièrement en Allemagne qui, malgré sa sensibilité sur la question écologique, veut offrir de nombreux débouchés à ses entreprises industrielles), plusieurs Etats membres (dont la France, la Pologne, l’Italie, les Pays-Bas et l’Autriche) ont exprimé leur volonté de bloquer l’accord au Conseil . Cette volonté ne fait d’ailleurs que refléter l’état des opinions publiques, comme le montrent les résultats ci-dessous réalisé par l’institut Polling Europe.

 

Opinion des habitants de l’Union européenne vis-à-vis de l’accord de libre-échange avec le Mercosur

 

L’accord doit aussi être soumis au vote des parlements nationaux, au moins pour partie. En effet, étant considéré comme un accord « mixte », certaines de ses dispositions (non commerciales) relèvent d’un tel vote. Toutefois, la Commission européenne a décidé de scinder l’accord en deux volets, comme elle l’a fait précédemment pour le traité UE-Canada (CETA). Cela signifie que la partie commerciale de l’accord pourrait adopter des textes dès lors que les Etats membres du Conseil l’approuvent à la majorité qualifiée et le Parlement européen à la majorité simple, alors que seul le volet politique restera soumis au vote des parlements nationaux.

Voir le fait d’actualité :

Questions sur le fait d’actualité

1. Quelle est la nature actuelle des échanges entre l’UE et le Mercosur ?

2. Quels sont les éléments qui expliquent la difficulté à parvenir à un accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur ?

3. Quels sont les bénéfices attendus de l’accord de libre-échange UE-Mercosur ?

4. Quelles sont les principales dispositions prévues par cet accord ?

5. Quelles sont les principales modifications introduites entre l’accord de 2019 et sa signature en décembre 2024 ?

6. Pourquoi les agriculteurs européens parlent-ils de « concurrence déloyale » concernant l’importation de produits agricoles sud-américains ?

7. En quoi le traité UE-Mercosur s’éloigne-t-il des objectifs de l’accord de Paris ?

8. Pourquoi les opinions des habitants des différents pays de l’UE sont-elles si différentes vis-à-vis de l’accord UE-Mercosur ?

9. Retracez les différentes étapes pour l’adoption définitive du traité UE- Mercosur

10. Peut-on dire que l’accord UE-Mercosur prolonge les principes de la construction européenne ?

 

Et pour terminer une question plus générale (dissertation)

Les accords bilatéraux de libre-échange peuvent-ils permettre de surmonter la crise du multilatéralisme ?

Newsletter

Suivre toute l'actualité de Melchior et être invité aux événements