Le traité de libre-échange Europe-Canada

Introduction

L’Accord Economique et Commercial Global (AECG) ou Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) est un traité international conclu entre l’Union européenne et le Canada. L’AECG est le premier accord commercial entre l’Union européenne et l’une des principales puissances économiques mondiales, accord bilatéral négocié en dehors de l’OMC, et résultant d’un relatif échec des négociations multilatérales.

Cet accord est important en raison du volume des échanges entre l’Union européenne et le Canada.

Le Canada est le treizième partenaire commercial de l’Union européenne, et l’Union européenne réciproquement est le deuxième partenaire commercial du Canada après les Etats-Unis, représentant près de 10% de son commerce extérieur. Le commerce des biens et des services entre les deux partenaires s’élève à peu près à 60 milliards d’euros (voir le graphique d’actualité Echanges commerciaux entre l’Union européenne et le Canada : quel bilan ?). Les investissements sont également un volet important des relations entre l’Union européenne et le Canada. L’Union européenne est le deuxième investisseur étranger au Canada, et le Canada est le quatrième investisseur étranger dans l’Union européenne.

L’AECG  a pour enjeu majeur de créer de nombreux débouchés dans tous les secteurs de l’économie. On estime que l’accord devrait accroître de 25% le commerce des biens et services entre les deux zones, et qu’il devrait aussi accroître le PIB de l’Union européenne de plusieurs milliards d’euros chaque année.

 

I- Présentation du CETA

A- Son contenu

Le CETA prévoit de supprimer plus de 99% des droits de douane entre l’Union européenne et le Canada. Le montant de ces droits de douane est estimé à 500 millions d’euros selon la Commission européenne. Les quelques exceptions qui subsistent concernent les produits agricoles, comme les viandes bovines et porcines, qui sont toujours soumises à des quotas dans le sens Canada- Union européenne. L’accord fournit aussi une protection supplémentaire à 143 origines géographiques spécifiques, dont beaucoup sont françaises (comme le Roquefort, le Saint-nectaire, ou les Pruneaux d’Agen,…).

Cet accord, qui concerne plus de 500 millions d’européens et 35 millions de canadiens, ne modifie en rien les règles européennes sur la sécurité alimentaire ou la protection de l’environnement, et vise au contraire à améliorer la coopération entre les organismes européens et canadiens sur ces normes. En l’état actuel des choses, les produits canadiens ne peuvent être importés dans l’Union européenne qu’à la condition de respecter les règles en vigueur (Exemple : l’interdiction du bœuf aux hormones).

Le point le plus sensible est relatif au système de règlement des différends. Idéalement, tous les investisseurs et opérateurs devraient être traités de manière égale par l’ensemble des pays et des territoires. Mais il arrive qu’un Etat d’accueil applique des décisions discriminatoires à l’égard de producteurs étrangers. Par exemple, il peut autoriser une entreprise nationale à fabriquer un produit tout en l’interdisant à un établissement détenu par une entreprise étrangère. Il arrive aussi que des autorités refusent à un investisseur de faire appel, ce qui constitue une violation d’un droit fondamental. Pour remédier à de telles situations, un système de règlement des différends en matière d’investissements est prévu. Ces dernières années, les Etats membres de l’Union européenne ont signé environ 1400 accords de ce type avec de nombreux pays du monde. Il en va de même pour les Etats-Unis avec ses partenaires commerciaux, dans le cadre par exemple de l’accord conclu en 1999 avec le Canada, ou dans le cadre des accords avec l’Amérique du Sud. C’est ainsi que Philip Morris a pu attaquer l’Uruguay pour sa politique anti-tabac, ou que Oceanagold a pu poursuivre le Salvador pour lui avoir refusé un permis d’exploitation au nom de raisons environnementales.

Par rapport aux systèmes d’arbitrage existants, l’AECG innove en créant un tribunal permanent composé de 15 juges professionnels nommés par l’Union européenne et le Canada. Grâce à ce système, les dispositions de l’AECG remplacent les 8 accords bilatéraux d’investissement en vigueur entre les Etats membres de l’Union européenne et le Canada. Une série unique de règles clarifie la situation pour les investisseurs et l’Etat, et introduit également des règles supplémentaires contre les risques d’exploitation abusive du système. En effet, les entreprises ne pourront pas poursuivre un Etat simplement parce qu’elles craignent pour leurs bénéfices. Elles ne pourront introduire une plainte que dans un nombre défini de cas d’infractions à l’AECG et de discrimination à l’encontre d’investisseurs en raison de leur nationalité.

B- Son calendrier

Les négociations sur l’AECG ont été achevées en août 2014. La première version du CETA dévoilée en septembre 2014 ayant subi de vives critiques, l’Europe et le Canada l’ont réécrit pour présenter en février 2016 une version définitive qui a été adoptée en juillet 2016 par la Commission européenne. Conformément à la procédure conduisant à l’adoption des traités en Europe, l’accord de libre-échange doit ensuite être approuvé par le Conseil européen, puis par le Parlement européen. Enfin, puisque le CETA touche à la fois aux compétences de l’Union européenne et des Etats membres (c’est ce qu’on appelle un accord mixte), la ratification ne sera terminée qu’après l’approbation des 38 parlements nationaux et régionaux de l’Union européenne (dont l’Assemblée nationale et le Sénat en France), ce qui pose un double problème : le processus sera long, mais surtout on ne sait pas ce qui pourrait arriver si des parlements venaient à s’opposer au Traité, ce qui jusqu’à présent ne s’est jamais produit. Toutefois, pour gagner du temps, il est d’usage d’appliquer progressivement une partie des accords commerciaux après l’approbation du Parlement européen, sans attendre celle des parlements nationaux (ce qui au passage constitue une anomalie dans le fonctionnement démocratique, puisque cela revient à faire entrer en vigueur un CETA qui n’a pas encore été approuvé par les représentants des peuples).

Dans un premier temps donc, le Traité a été soumis au Conseil européen. La première étape de la ratification devait intervenir le 18 octobre à Luxembourg, avec l’approbation formelle du CETA par les 28 ministres du commerce européens. Cette première étape a néanmoins été plus longue que prévu en raison de l’opposition du gouvernement belge (plus précisément de la Wallonie, car dans le système belge les régions disposent d’un droit de blocage) et de la Roumanie et de la Bulgarie qui continuaient à émettre des réserves tant que la question de la libéralisation des visas de leurs ressortissants vers le Canada n’était pas réglée (accord finalement trouvé assez vite).

L’objection de la Wallonie portait sur le fait que le CETA pouvait représenter un danger pour l’économie et les standards sociaux de la région. Les Wallons craignaient notamment que les importations de produits agricoles du Canada perturbent trop ce secteur d’activité sur leur territoire, et craignaient aussi que leur système de protection sociale soit affecté par le Traité. Après une semaine de négociations ininterrompues entre la Commission européenne et le gouvernement canadien, le Parlement et le ministre-président de la Wallonie, Mr Paul Magnette, ont estimé avoir obtenu un accord « honorable » tenant en une dizaine de pages d’amendements. Le CETA a donc été approuvé par les 28 membres de l’Union européenne le 30 octobre 2016, et sera suivi de sa signature officielle par l’Union européenne  et le Canada, initialement prévue le 27 octobre. Sa prochaine étape sera la ratification au Parlement européen dans le début de l’année 2017.

 

II- Discussion du CETA

A- Quelques inconvénients supposés

Une bonne partie de l’opinion publique européenne est farouchement opposée au CETA.

Les critiques du CETA portent d’abord sur l’agriculture. Il est vrai que la question agricole a été une des cordes sensibles des négociations entre l’Union européenne et le Canada, puisque le CETA prévoit dès son entrée en vigueur la suppression de 92,2% des droits de douane agricoles, et de 94% dans 7 ans, à l’exception de quelques produits sensibles (voir plus haut). Pour les opposants au Traité, l’explosion de la concurrence risque de menacer les petits producteurs au profit exclusif des industries agro-alimentaires.

Une autre critique vise le respect de l’environnement et des engagements sur le climat. En effet, le CETA a été signé en 2009, soit bien avant la COP21  et les engagements pris par l’Union européenne et le Canada sur la réduction des gaz à effet de serre. Il ne mentionne donc pas cet accord historique, que les deux parties ont pourtant ratifié. L’inquiétude de certains militants écologistes est que l’entrée en application du CETA  induise une augmentation de l’émission de gaz à effet de serre, notamment à cause de l’importation en Europe d’énergie fossile sous la forme de pétrole de sables bitumineux et de gaz de schiste.

Une troisième critique concerne l’ouverture des marchés publics. Le CETA prévoit en effet que les entreprises de l’Union européenne pourront participer aux appels d’offre pour la fourniture de biens et de services (et réciproquement pour les entreprises canadiennes en Europe), non seulement au niveau fédéral, mais aussi au niveau des provinces et des municipalités du Canada. Un tel accord remet en cause la protection des marchés publics canadiens, au détriment du développement local selon ses détracteurs, et au profit des firmes multinationales européennes.

La dernière critique, et celle que l’on peut considérer comme la principale, a pour objet le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs, qui comme on l’a vu a été en grande partie la source de l’opposition au CETA enregistrée dans la région wallonne en Belgique. Le système judiciaire sur l’investissement (Investment Court System, ou ICS) permettra aux multinationales d’attaquer les Etats si elles se sentent lésées, sans que les Etats puissent en retour attaquer les investisseurs. Selon les opposants au Traité, le tribunal permanent du CETA donne des droits exceptionnels aux investisseurs étrangers. L’investisseur canadien en France pourra ainsi choisir entre une procédure nationale et une justice internationale, en retenant celle qui lui donne le plus souvent raison. Les frais juridiques élevés, et les milliards de dommages et intérêts prélevés sur les budgets publics en cas de défaite peuvent dissuader les Etats de mettre en place des mesures réglementaires pour le bien de l’intérêt public.

B- Mais surtout de nombreux avantages

Le CETA peut stimuler considérablement la croissance et l’emploi en Europe, à l’image des autres accords de libre-échange conclus récemment par l’Union européenne. Par exemple, dans les 4 années qui ont suivi l’entrée en vigueur de l’accord avec la Corée du Sud, les exportations de l’Union européenne vers ce pays ont augmenté rapidement, de 55% pour les marchandises et de plus de 40% pour les services. Or, chaque milliard d’exportations de l’Union européenne soutient en moyenne 14000 emplois, qui sont des emplois globalement mieux payés que ceux qui ne reposent pas sur les exportations. On estime que le CETA offrira de nouvelles possibilités aux entreprises européennes en ouvrant les marchés dans des secteurs clés comme les services financiers, les télécommunications, l’énergie et le transport. Globalement, le PIB de l’Union européenne pourrait augmenter de 5,8 milliards d’euros une fois que l’accord sera totalement mis en œuvre. Les bénéfices attendus concernent aussi le secteur agricole. En tant que producteur de denrées alimentaires de qualité, l’Union européenne bénéficiera d’un meilleur accès au marché d’un pays à hauts revenus comme le Canada. Les résultats des négociations sont particulièrement prometteurs pour les produits agricoles transformés, qui font partie des principales exportations de l’Union. Au niveau des importations, les importateurs européens pourront profiter de la baisse du coût des pièces, des composants et des éléments entrant dans la fabrication de leurs produits, ce qui leur permettra de gagner en compétitivité. Par exemple, grâce à la suppression des droits de douane, l’Union européenne bénéficiera d’un meilleur accès au marché des poissons canadiens. Quant aux produits sensibles (viande de bœuf et de porc, maïs doux pour l’Union européenne, et produits laitiers pour le Canada), l’accès préférentiel sera toujours soumis à des quotas, et certains marchés ne seront pas libéralisés (marchés des volailles et des œufs notamment).

Le CETA permettra aussi un certain nombre d’avancées en matière de normes et de règlements. A titre d’illustration, au niveau des certificats d’évaluation de la conformité, qui prouvent qu’un produit a été soumis à des essais et qu’il satisfait aux règles et aux normes applicables en matière de santé, de protection des consommateurs et d’environnement, le CETA prévoit que l’Union européenne et le Canada acceptent réciproquement leurs certificats. Ainsi, une entreprise européenne qui veut vendre un jouet au Canada ne soumettra qu’une seule fois son produit à des essais en Europe. Elle économisera de la sorte du temps et de l’argent. De même, le CETA protégera les innovations en harmonisant les règles en matière de droits de propriété intellectuelle. Il veillera ainsi à  ce que les entreprises innovantes, les musiciens et les acteurs de la création artistique soient correctement rétribués pour leur travail. Toujours au niveau de la réglementation, le CETA permettra aussi aux professionnels européens d’élargir leurs perspectives d’emploi en organisant la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles. Il protégera également davantage les droits des personnes au travail et l’environnement par l’engagement à respecter les règles internationales en la matière.

Au niveau des marchés publics, si comme on l’a dit dans la partie précédente les entreprises locales peuvent être menacées, il n’en demeure pas moins que chaque année le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités du Canada achètent pour plus de 30 milliards d’euros de biens et de services à des entreprises privées, et que les entreprises européennes vont maintenant pouvoir pénétrer ces marchés compte-tenu de leur forte compétitivité dans des secteurs comme la construction et la modernisation des infrastructures routières ou portuaires.

Enfin, en matière d’investissements, la protection envisagée par la création d’un tribunal permanent pour régler les différends, même si elle a pu susciter quelques inquiétudes, stimulera indiscutablement ceux-ci. Les entreprises canadiennes investissent déjà beaucoup dans l’Union européenne (14 milliards d’euros en 2014). Le CETA  favorisera la multiplication des investissements créateurs d’emplois en Europe en permettant aussi aux entreprises canadiennes de transférer plus facilement leur personnel. Symétriquement, il offrira les mêmes opportunités pour les entreprises européennes qui choisissent de s’établir au Canada.

 

Conclusion

L’AECG est un accord historique qui peut aider les entreprises européennes à prospérer sur le marché transatlantique afin de générer croissance et emplois. Cet accord peut permettre de tirer des enseignements pour les négociateurs européens qui travaillent actuellement avec les Etats-Unis en vue d’aboutir à un accord transatlantique pour créer le plus vaste marché du monde (projet TAFTA- Transatlantic Trade and Investment Partnership), ou TIPP- Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement), en démantelant les droits de douane et en s’attaquant aux normes et réglementations en vigueur.

Toutefois, si à un niveau très général la philosophie de ces deux traités est d’éliminer toutes les barrières commerciales, tarifaires et non tarifaires, qui limitent encore les échanges entre les deux zones atlantiques, l’AECG et le TIPP relèvent de négociations distinctes avec des partenaires différents. Les relations économiques que l’Europe entretient avec les Etats-Unis sont différentes de celles que l’Europe entretient avec le Canada, et la taille du marché ainsi que sa dynamique sont aussi différentes. En tout cas, l’AECG montre qu’un accord constructif entre des partenaires de niveau de développement analogue est possible.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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