Les grands courants de la pensée sociologique depuis le XIXème siècle - Grands auteurs

Sommaire

Bronislaw Malinowski (1884 – 1942) est anthropologue américain fondateur du courant fonctionnaliste. Il est le père de l’observation participante à l’origine de son ouvrage le plus célèbre : Les Argonautes du Pacifique occidental (1922). Dans cet ouvrage il énonce les principes d’un nouveau courant en sciences sociales : le fonctionnalisme. C’est une approche holiste qui considère l’interdépendance des fonctions sociales en charge de répondre aux besoins primaires et aux besoins culturels. Les trois postulats du fonctionnalisme de Malinowski sont :  l’unité fonctionnelle qui dit que tout élément d’un système est fonctionnel pour le système social tout entier ; le fonctionnalisme universel c’est-à-dire que chaque élément social et culturel remplit une fonction dans le système ; et le postulat de nécessité, chaque élément étant indispensable au système.

Ruth  Benedict (1887 – 1948)  est une anthropologue américaine qui participe au courant culturaliste. Elle développe plus particulièrement le concept de pattern of culture, c’est-à-dire l’existence d’un style de vie propre à chaque société.Il existe alors deux grands types de civilisation :  d’une part les civilisations Apolliniennes qui recherchent l’équilibre, la tempérance, la paix, et d’autre part, les civilisations Dyonésiennes qui représentent le chaos, la violence, les excès.

Margareth Mead  (1901 – 1978) cherchent à comprendre comment l’éducation transmet les modèles culturels aux enfants. Plusieurs voyages ( les iles Samoa en 1925, les iles de l’Amirauté en 1928 et 1939) lui permettent de publier plusieurs études dont Adolescence à Samoa (1928) et Sexe et tempérament dans trois sociétés primitives (1935). Sa thèse principale est de montrer que des comportements jugés comme naturels, typiquement masculins ou féminins, sont en réalité des comportements culturels (l’instinct maternelle, l’adolescence rebelle, la sexualité). Ses travaux ont influencé le mouvement féministe et contribué à la naissance de la théorie du genre.

Raymond Boudon (1934-2013) est l’un des sociologues important de la seconde moitié du XXème siècle, représentant en France de l’individualisme méthodologique. Pour lui, les phénomènes sociaux doivent être analysés comme l’agrégation d’actions individuelles. Il faut reconstruire les motivations des individus pour comprendre un phénomène social. En toutes circonstances, l’individu est considéré comme un acteur rationnel, c’est-à-dire qu’il a toujours de « bonnes raisons » d’agir comme il le fait. Contrairement à la critique fréquemment adressée à la sociologie de Raymond Boudon, il ne réduit pas l’acteur social à sa nature d’homo oeconomicus, en adoptant une vision élargie de la rationalité (voir article rationalité). Les phénomènes sociaux sont donc produits par les individus sans pour autant entrer dans leurs objectifs. Il s’agit de phénomènes émergents par l’agrégation des comportements, et sont souvent des effets pervers dont les manifestations n’ont été désirées par personne. Si son analyse de l’inégalité des chances est souvent présentée à juste titre pour illustrer l’individualisme méthodologique, sa sociologie est avant tout une sociologie de la connaissance  qui vise à comprendre comment se diffuse les idées. 

Erwing Goffman (1922-1982) a joué un rôle essentiel dans le développement de l’interactionnisme au sein de la seconde école de Chicago. En 1973, il publie La mise en scène de la vie quotidienne. Il explique dans cet ouvrage que la communication entre les individus se réalise, grâce à des interactions verbales ritualisées, avec des phrases types et interactions non verbales, ritualisées par des gestes et mimiques instantanément comprises. Ainsi, dans la vie sociale, les individus sont des acteurs qui interprètent des rôles dont le contenu varie en fonction de la situation ( professionnelle, familiale, publiques, privées). Leur but est de « ne pas perdre la face » et de faire  « bonne figure ».  Erwing Goffman privilégie l’observation participante. Pour écrire Asiles (1961), il endosse le rôle d’assistant du directeur d’un hôpital pour comprendre le fonctionnement d’une institution « totalitaire » qui contraint les individus  à chaque instant, les enferme dans leur condition de malade. Malgré cela, il comprend que les individus préservent toujours une possibilité d’échapper à l’institution en agissant entre eux hors des règles. Ils gardent alors une certaine distance vis-à-vis de l’institution. Cela remet en cause la vision fonctionnaliste de l’individu hyper socialisé puisque, y compris dans ce cas extrême, celui -ci dispose pendant l’interaction d’une marge de manœuvre en jouant  avec ses identités.  On retrouve d’ailleurs ce jeu chez toutes les personnes porteuses d‘un stigmate, c’est-à-dire d’un attribut qui fait une différence entre l’identité virtuelle et leur identité réelle. Comment vont-ils utiliser ce stigmate pendant l’interaction ?  Le dissimuler, l’utiliser, le combattre. Goffman comme tous les interactionnistes défend l’idée que le fait social n’est pas une donnée mais un processus qui se construit dans le cadre de situations concrètes.

Norbert Elias (1897 -1990) est élève d’Alfred Weber puis de Karl Mannheim l’un des fondateurs de l’école de Francfort. Sa thèse de doctorat est consacrée à la société de cour, elle constitue la première étape de son travail sur le processus de civilisation. Ce travail vise à dépasser les oppositions traditionnelles en sociologie entre le holisme et l’individualisme. Selon lui, les transformations entre, d’une part, l’individu et ses représentations psychiques, et d’autre part,  les institutions, l’Etat , les modes de gouvernement, sont interdépendantes et inscrites dans le temps long. Il constate ainsi (La société des individus, 1987) un processus d’individuation des sociétés occidentales depuis la Renaissance, qui est à la fois le développement de la conscience et du contrôle de soi, l’évolution politique et technique des sociétés, le développement de l’éducation, la recherche du progrès à long terme.

Talcott Parsons (1902 – 1979) est un sociologue américain, père du structuro – fonctionnalisme, en réaction à la domination aux Etats – unis du courant culturaliste et du fonctionnalisme de Malinowski, qui ont en commun de se construire sur des enquêtes de terrain. L’ambition de Parsons est d’édifier  une théorie globale de la société pour répondre à la question qu’il qualifie de « hobbesienne » : comment faire en sorte que les hommes acceptent de vivre ensemble, alors qu’à l’état de nature chacun est un loup pour l’autre ? Or , ne croyant ni à une réponse fondée sur un pouvoir fort, ni à une réponse fondée sur le contrat, il cherche à montrer que la société existe aussi comme un système culturel, un système de valeurs et de normes qui permet l’harmonisation des comportements individuels. Partant de là, il va alors construire une théorie générale de la société (The social system,1951). La stabilité de la société suppose la réponse à plusieurs fonctions : l’adaptation à l’environnement (adaptation) qui assure la survie de la société ; la poursuite d’objectifs, car un système ne fonctionne que s’il est orienté vers un but ; l’intégration des membres au groupe ; et enfin le maintien des modèles et des normes. Chacune d’elle est rempli par un sous système du système social ( économique, politique, social et culturel). Cette théorie vise à comprendre les institutions américaines et leur évolution pour montrer que la liberté des individus est compatible avec un ordre social stable.

Robert Merton (1910 – 2003) est un sociologue à l’origine du fonctionnalisme de moyenne portée dont le but n’est pas une explication globale du fonctionnement de la société. Cela le conduit à revisiter le concept Durkheimien d’anomie, en l’expliquant comme la conséquence des tensions sociales provoquées par l’écart entre les espérances de chacun et la réalité qu’il vit, qui peuvent l’amener à adopter un comportement déviant. Il est aussi à l’origine du concept de dysfonction sociale. Elle survient quand les conséquences d’un fait social empêchent le système de s’adapter et rendent difficile son maintien.

Alain Touraine ( né en 1925) : il est reçu à l’agrégation d’histoire en 1950 à la sortir de l’École normale supérieure. Trois axes majeurs structurent sa sociologie :  la sociologie de l’action,  l’étude des mouvements sociaux, et la fin des sociétés.  Dans la première période, il étudie la conscience ouvrière, ce qui le conduit à sa propre définition de la conscience de classe comme tension entre l’organisation du travail et une volonté d’autonomie. Les événements de mai 1968 lui semblent confirmer son approche, en tant que premiers signaux d’une nouvelle lutte des classes attachées à la société post industrielle. Il conclut cette période par l’écriture de Production de la société (1973). Pour lui, si la société est bien le produit de ses conflits, l’enjeu de ces conflits est de prendre la main sur son historicité, c’est-à-dire sur ses orientations à long terme. Une seconde période commence dans les années soixante dix. Il étudie les mouvements sociaux et développe le principe de l’intervention sociologique.  Les mouvements sociaux étudiés sont diverses : grèves étudiantes, actions anti nucléaires, mouvements féministes. L’intervention sociologique vise pour le sociologue et son équipe à entrer en relation avec les acteurs pour évaluer la nature de ces mouvements, plus particulièrement évaluer s’ils sont en mesure, de prendre la place dans la société post industrielle, qu’occupait le mouvement ouvrier dans la société industrielle. À partir des années quatre vingt, Alain Touraine entame un nouveau virage avec la publication du Retour de l’acteur (1984), qui convient que cet acteur n’est pas un mouvement social homogène comme a pu l’être le mouvement ouvrier. Son analyse de la modernité le conduit à une position radicale décrétant La fin des sociétés (2013). Si la société est en effet caractérisée par la réalisation d’une intégration, il apparaît que cela ne correspond à ce que nous vivons, en témoigne la crise des instances de socialisation justement en charge de transmettre ce qui est commun et nécessaire pour faire société.  Aujourd’hui, face à un pouvoir économique diffus, les conflits sociaux traditionnels cèdent la place à un face à face entre un système « non social » et des acteurs qui revendiquent les droits nécessaires pour êtres des sujets autonomes.

Raymond Boudon (1934-2013) est l’un des sociologues important de la seconde moitié du XXème siècle, représentant en France de l’individualisme méthodologique. Pour lui, les phénomènes sociaux doivent être analysés comme l’agrégation d’actions individuelles. Il faut reconstruire les motivations des individus pour comprendre un phénomène social. En toutes circonstances, l’individu est considéré comme un acteur rationnel, c’est-à-dire qu’il a toujours de « bonnes raisons » d’agir comme il le fait. Contrairement à la critique fréquemment adressée à la sociologie de Raymond Boudon, il ne réduit pas l’acteur social à sa nature d’homo oeconomicus, en adoptant une vision élargie de la rationalité (voir article rationalité). Les phénomènes sociaux sont donc produits par les individus sans pour autant entrer dans leurs objectifs. Il s’agit de phénomènes émergents par l’agrégation des comportements, et sont souvent des effets pervers dont les manifestations n’ont été désirées par personne. Si son analyse de l’inégalité des chances est souvent présentée à juste titre pour illustrer l’individualisme méthodologique, sa sociologie est avant tout une sociologie de la connaissance  qui vise à comprendre comment se diffuse les idées. 

Howard Becker ( né en 1928) : Il est avec Erwing Goffman le principal animateur du courant interactionniste. Lui aussi privilégie l’observation participante grâce à laquelle il étudie la déviance comme processus social. Il définit la sociologie comme «  l’étude de la manière dont les gens font des choses ensemble », ce qui signifie que c’est dans l’interaction que se définit la situation dans laquelle les individus se trouvent. Selon lui, les individus ne sont pas déviants par nature, c’est la société qui les désigne comme tels. Dans son ouvrage le plus important (Outsiders,1963), il a montré que l’acte déviant est construit socialement par des entrepreneurs de morale qui procèdent à un étiquetage (labelling). Cet étiquetage enferme les individus désignés dans une carrière déviante ( comportements, fréquentation de personnes et de lieux) avec d’autant plus d’efficacité que l’individu appartient déjà à une sous culture ( par exemple les musiciens de jazz). Ce travail  contribue à expliquer le changement de normes. Pourquoi un acte peut devenir déviant alors qu’il ne l’était pas ( fumer dans un lieu public par exemple), et inversement ne plus l’être alors qu’il l’était auparavant ( la cohabitation hors mariage par exemple). 

Michel Crozier (1922-2013) est le  fondateur en 1962 du Centre de sociologie des organisations,  où il analyse le fonctionnement des organisations bureaucratiques en France.  En 1963, il publie Le phénomène bureaucratique, grâce à son expérience au sein du monopole public de la SEITA (Société d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes) et à son étude de la CRAM ( Caisse régionale d’assurance maladie), dans lequel il décrit comment les relations réelles de pouvoir au sein des organisations sont source d’inefficacité et d’immobilisme. L’organisation bureaucratique ne se corrige pas en fonction de ses erreurs. Dans L’acteur et le système (1977), il analyse avec Erhard Friedberg, les systèmes d’action concret dans les organisations, c’est-à-dire comment la rationalité limitée des acteurs les amènent à exploiter à leur profit, l’écart entre les règles et la pratique, et pourquoi toute production de règles supplémentaires, ne fait que renforcer cette stratégie des acteurs et fait naître un cercle vicieux bureaucratique. Dés lors, il est impossible  de réformer une organisation par le haut, c’est-à-dire à dire sans tenir compte de son système d’action concret.

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