Quelles politiques d’emploi pour les jeunes ?

Pierre Cahuc Jérémy Hervelin

Mots-clés :  Chômage, Politiques actives de l’emploi, Système éducatif

 

Résumé

Les évaluations des politiques d’emploi ciblées sur les jeunes aboutissent à un constat assez décevant. Face à ce constat, les auteurs insistent sur trois leviers pour réduire le chômage des jeunes : l’amélioration d’ensemble du marché du travail (et notamment de sa segmentation), l’action sur l’orientation en rapprochant le système éducatif et le monde du travail, et l’accompagnement des jeunes pendant leurs études par le service  public de l’emploi.

L’ouvrage

En 1982, le rapport Schwartz, établi à la demande de Pierre Mauroy, Premier ministre de l’époque, à la suite du constat des difficultés d’entrée des jeunes dans la vie active, soulignait la nécessité d’instituer une organisation administrative cohérente pour coordonner les politiques actives en faveur des jeunes. Il proposait alors d’établir des « missions locales » spécifiquement dédiées à l’accompagnement de ces derniers. Ces missions, créées par ordonnance en 1982, et qui devaient être temporaires, existent toujours. Depuis leur création, elles ont déployé de nombreux dispositifs, comme les TUC (travaux d’utilité collective, 1987-1989), les CES  (contrat emploi solidarité, 1989-1992), le TRACE (trajet d’accès à l’emploi), les emplois d’avenir (2013-2017), la Garantie jeunes (2014-2022) et le CEJ (contrat d’engagement jeunes ) depuis 2022. Mais ces dispositifs n’ont par réussi à endiguer le chômage des jeunes. Cette situation est d’autant plus préoccupante que le chômage des jeunes amplifie la reproduction des inégalités sociales liées au système éducatif, particulièrement marquée en France.

Mais la France n’est pas la seule à être confrontée au problème du chômage des jeunes. Dans tous les pays, il est plus élevé que celui des adultes. Les comparaisons internationales révèlent que le chômage des jeunes est très corrélé à celui des adultes. En moyenne, parmi les 39 pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), un point de taux de chômage supplémentaire des adultes (de 25 à 64 ans) se traduit par 2,4 points supplémentaires de taux de chômage des jeunes.

Cependant, le chômage des jeunes est néanmoins imparfaitement corrélé à celui des adultes. Le ratio entre le taux de chômage des jeunes et celui des adultes diffère selon les pays. Il varie entre 1,7 au Japon et 4,2 au Portugal. Les pays comme la Suisse, l’Autriche et l’Allemagne, dotés d’un système d’apprentissage dual dans lequel les entreprise jouent un rôle clé, ont des ratios faibles. Mais d’autres pays, comme le Japon, les Etats-Unis et le Canada,  où l’apprentissage est très peu développé, ont aussi des ratios faibles, ce qui suggère que les causes du chômage sont multiples, liées au fonctionnement du marché du travail mais aussi au système éducatif et aux dispositifs ciblés sur les jeunes. Quant à la performance de la France, elle est plutôt médiocre, puisque le ratio défini plus haut est de 2,8, supérieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE, qui s’élève à 2,4.

Pour éclairer ce phénomène, l’ouvrage présente l’état des connaissances sur les politiques d’emploi ciblées sur les jeunes.

La première partie évoque les politiques « actives », qui concernent les jeunes hors du système éducatif. Déployées dans de nombreux pays, elles comprennent des dispositifs d’aide à la recherche d’emploi, des formations professionnelles et des contrats aidés dans les secteurs marchand et non-marchand. La présentation des évaluations de ces politiques actives d’emploi ciblées sur les jeunes constitue l’objet de cette première partie.

La deuxième partie présente l’analyse des politiques visant à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes en intervenant avant et au moment de leur sortie du système éducatif. Les évaluations disponibles mettent en évidence l’importance des dispositifs d’orientation des élèves dans le choix de filière, et soulignent aussi le rôle primordial des relations entre les employeurs et le système éducatif, notamment pour faciliter les appariements entre les jeunes entrant sur le marché du travail et les offres d’emploi. Sur ces points, la France a accumulé un retard considérable.

Voir la présentation des résultats de l’enquête génération n°3- Céreq (décembre 2022)

I-  Les politiques ciblées sur les jeunes hors du système éducatif

Depuis plusieurs décennies, les politiques publiques se succèdent pour aider les jeunes à trouver un emploi : TRACE, CIVIS, RCA, AIJ, GJ, CEJ, clubs jeunes chercheurs d’emploi, etc. Les évaluations disponibles font apparaître, et cela dans plusieurs pays, un effet mitigé de toutes ces mesures, avec un impact incertain sur l’accès à l’emploi. Cependant, les travaux récents sur le sujet montrent que les effets de l’accompagnement des jeunes vers l’emploi dépendent en grande partie de l’efficacité des conseillers, qui est très hétérogène. Mais même s’il y a un aspect positif de l’accompagnement, il n’en reste pas moins qu’on observe des effets d’éviction significatifs sur les non-bénéficiaires du dispositif, ce qui limite son effet sur l’emploi de l’ensemble des jeunes. Il fait donc se tourner vers d’autres politiques ciblant l’offre d’emploi des jeunes et leurs compétences.

Les contrats aidés occupent une part importante dans les politiques actives d’emploi dans de nombreux pays. Dans le secteur marchand, ils prennent généralement la forme de subventions, dont le montant dépend du salaire. Dans le secteur non marchand, leurs formes sont plus diverses, mais ils concernent des emplois bénéficiant de subventions à l’embauche depuis 2010 et tendent à être réservés à un public éloigné de l’emploi. Il est difficile d’évaluer les contrats aidés car ceux-ci ont des finalités très différentes : socialisation de publics en difficulté, acquisition de compétences transférables, insertion dans l’emploi durable, réduction du chômage en période de ralentissement économique, voire pré-électorale. Cependant, si on s’en tient aux effets sur l’emploi, les évaluations de ces dispositifs montrent un effet au mieux positif sur l’accès à l’emploi non aidé lorsque le contexte économique est favorable dans le secteur marchand, et un effet globalement négatif sur l’accès à l’emploi non aidé dans le secteur non marchand. Les causes de cette absence d’efficacité tiennent au fait que les bénéficiaires sont initialement trop éloignés du marché du travail et que les compétences acquises ne sont pas toujours valorisées par les entreprises. 

A première vue, la formation professionnelle semble être la voie la plus naturelle pour insérer les jeunes peu qualifiés en emploi, car au-delà d’un problème de réseaux et d’accompagnement, leurs difficultés à se faire embaucher sont la conséquence d’un déficit de compétences. Néanmoins, dès les années 1970, les premières évaluations réalisées aux Etats-Unis concluaient que la formation professionnelle pour les jeunes peu qualifiés, ayant subi des échecs scolaires, avait très peu d’effet sur les revenus et l’accès à l’emploi. Depuis, de nouvelles méthodes d’évaluation ont permis de montrer que les effets diffèrent selon l’horizon temporel. On peut noter observer des effets sur le long terme, et aussi des effets bénéfiques sur d’autres aspects comme l’éducation ou encore le civisme. Mais globalement le bilan des formations demeure contrasté. Si des formations longues, certifiantes et intensives permettent un accès durable à l’emploi, au total ces formations professionnelles sont coûteuses et leurs bénéfices nets restent le plus souvent inconnus. De nombreuses questions demeurent en suspens : quelle est la durée optimale d’une formation ? quel est le meilleur moment pour entrer en formation après avoir quitté l’école sans diplôme ou être entré au chômage ? comment coupler un dispositif de formation à celui d’un accompagnement personnalisé ? 

Dans l’ensemble, les évaluations d’impact de la formation professionnelle, des aides à l’emploi et des contrats aidés montrent qu’il est très difficile et coûteux d’améliorer l’accès à l’emploi des jeunes sortis du système éducatif avec un faible niveau de formation. En moyenne, les effets sur l’emploi et les rémunérations sont très faibles et pas toujours positifs. Ce constat amène à étudier l’impact des dispositifs ciblés sur le système éducatif.

Voir la note de lecture du livre de Christine Erhel « Les politiques de l’emploi »

II- Les politiques ciblées sur le système éducatif

Trois niveaux  sont examinés ici successivement : l’offre de formation, la formation en alternance, et l’orientation scolaire.

En France, l’offre de formation n’est pas bien ajustée aux besoins des entreprises. Ceci est particulièrement vrai pour l’enseignement professionnel où, comme le note un rapport de l’Inspection générale de l’Education nationale publié en 2016, « tout se passe comme si un haut niveau de culture générale (obtenu à l’école), moyennant une mise à niveau « technique » (obtenue en entreprise) permettait de faire face, notamment en période d’incertitude économique aux besoins d’adaptabilité exprimés par le monde professionnel ». S’il est vrai que le diplôme joue un rôle primordial, la relation entre le parcours scolaire et l’insertion professionnelle dépend du parcours de l’élève : il faut prendre en considération la spécialité du diplôme, le type d’établissement fréquenté… Pour un certain nombre de parcours, l’accroissement du nombre d’années d’études n’est pas systématiquement souhaitable, et il y a même des cas où les décrocheurs réussissent mieux que les diplômés. C’est la raison pour laquelle il est urgent de combler le déficit d’information sur le devenir des sortants du système d’enseignement professionnel et général. En effet, faute de savoir ce que deviennent les élèves, l’offre de formation est pilotée à l’aveugle. Pour l’ajuster à son environnement, il est primordial de disposer d’une information cohérente afin de savoir ce que deviennent tous les jeunes qui sortent du système. C’est une condition sine qua non pour évaluer l’apport de chaque formation et la faire évoluer sur la base d’indicateurs d’insertion dans l’emploi et de réussite dans l’enseignement supérieur.

La formation initiale en alternance, appelée en France l’apprentissage, est souvent considérée comme « la » solution pour favoriser l’accès à l’emploi des jeunes, en particulier les moins qualifiés. L’Allemagne, l’Autriche et la Suisse, où l’apprentissage est très développé et où le ratio entre le taux de chômage des jeunes de 15-24 ans et celui des adultes de 15-64 ans est inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE, sont fréquemment cités en exemple. L’évolution récente de l’apprentissage en France est révélatrice de cet état d’esprit : depuis 2018, le nombre d’entrées annuelles en apprentissage ne cesse d’augmenter, pour atteindre 732000 en 2021. Indéniablement, les apprentis s’insèrent généralement mieux dans l’emploi que les élèves de lycée professionnel. Mais les performances des CFA (Centre de formation d’apprentis) sont hétérogènes, et ces CFA n’obtiennent pas toujours de meilleurs résultats que la voie scolaire professionnelle. La priorité n’est donc pas pour améliorer l’insertion des jeunes d’arbitrer entre apprentissage et voie scolaire professionnelle, mais de piloter l’ensemble du système avec précision en s’appuyant là aussi sur les trajectoires des jeunes de façon à adapter chaque formation dans chaque établissement.

L’orientation a un impact crucial non seulement pendant les études, mais aussi au moment de l’entrée sur le marché du travail. Tant pour l’orientation dans le système éducatif que pour l’insertion professionnelle, les choix individuels sont souvent très mal éclairés et source importante d’inégalités, surtout aux dépens des jeunes issus d’un milieu modeste. Dans ce contexte, aider les élèves à s’orienter dans le système éducatif avec comme point de mire la carrière professionnelle peut constituer un levier efficace. Mais, pour être couronné de succès, l’accompagnement doit être intensif et couvrir, de façon intégrée, la totalité du parcours. Les expériences étrangères montrent qu’un accompagnement des jeunes pendant leur parcours dans le système éducatif et jusqu’au début de leur carrière professionnelle peut considérablement améliorer leur accès à l’emploi et à des emplois de meilleure qualité, en adéquation avec leurs compétences et leurs aspirations. Organiser l’orientation dans l’enseignement professionnel en lien avec le service public de l’emploi , sur la base d’un système d’information fiable qui permette de savoir ce que devient chaque jeune, devrait être une priorité pour améliorer l’insertion des jeunes sur le marché du travail.

 

III- Conclusion

Face au constat d’efficacité limitée et incertaine des politiques d’emploi ciblées sur les jeunes, il est primordial d’actionner trois leviers pour réduire leur chômage.

Le premier levier consiste à améliorer le fonctionnement d’ensemble du marché du travail. Pour les jeunes qui entrent sur le marché du travail, comme pour toute personne à la recherche d’un emploi, la segmentation du marché du travail entre CDI et CDD, un coût élevé du travail lié à des rigidités salariales, un système de formation professionnelle et un service public de l’emploi peu performant, constituent des obstacles pour accéder à l’emploi. 

Le deuxième levier concerne la préparation à l’entrée sur le marché du travail par le système éducatif. Actuellement, en France, la déconnexion entre le système éducatif et le marché du travail est telle que les débouchés professionnels des élèves sont inconnus, même pour les établissements dont les formations ont une vocation purement professionnelle. Pour mieux adapter les formations aux évolutions du marché du travail, il faut disposer d’une information exhaustive sur les trajectoires individuelles pendant et après les années d’éducation.

Le troisième levier est de créer un lien entre le système d’enseignement professionnel et les opérateurs qui accompagnent les jeunes vers l’emploi. Actuellement, la déconnexion quasi-totale entre le service public de l’emploi et le système d’enseignement professionnel implique que la plupart des jeunes sont laissées à eux-mêmes lorsqu’ils arrêtent leurs études après leur CAP, leur bac pro ou leur BTS. Il est primordial de garder un contact ininterrompu avec eux, surtout pour ceux de milieu modeste, afin de les aider à trouver un emploi ou une formation complémentaire.

Quatrième de couverture

En France, plus de 15% des jeunes sont au chômage. Ce taux s’élève à 50% pour ceux qui, à 20 ans, ne détiennent au mieux que le brevet des collèges ; il est toujours de 25% lorsqu’ils atteignent la trentaine.

Les dispositifs pour y remédier n’ont pourtant pas manqué depuis quarante ans. En retraçant leurs différentes évaluations, les auteurs montrent que, malgré leur coût, la plupart de ces dispositifs agissent très marginalement sur l’insertion professionnelle des jeunes sortis prématurément du système éducatif. Ils relèvent, a contrario, l’efficacité de certains leviers actionnés dans d’autres pays. L’un deux, primordial, est l’orientation et la préparation des jeunes pendant leurs études par des conseillers qui les accompagnent jusqu’à  l’obtention d’un emploi.

Les auteurs

Pierre Cahuc est professeur d’économie à Sciences Po Paris et membre de l’Institut universitaire de France. Il est directeur du programme à l’Institute of Labor Economics, à Bonn, et felow du Center for Economic Policy Research, à Londres.

 

Jérémy Hervelin est enseignant-chercheur en économie au THEMA, centre de recherche associé à CY Cergy Paris Université.

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