Manpower face aux mutations du marché du travail

Introduction

Manpower est un réseau d'agences d'intérim qui accompagne les entreprises dans leur développement en leur proposant des services adaptés. L'entreprise a été créée en 1948 aux Etats-Unis (à Milwaukee) puis s'est implantée à l'étranger. C'est en 1957 que la première agence a ouvert des portes en France, d'abord en proposant des offres d'emploi dans le secrétariat et la comptabilité puis dans le secteur industriel à partir des années 1960. Aujourd'hui, Manpower possède plus de 1000 agences sur le territoire français.

Pensé pour faciliter la recherche de la flexibilité quantitative du travail des entreprises, le travail intérimaire, souvent perçu comme un outil de précarisation, s'inscrit pour Manpower avant tout au service de la gestion des ressources humaines. Son engagement auprès des pouvoirs publics en fait d'ailleurs un partenaire efficace du service public de l'emploi.

Puisque la demande et l'offre de travail ne coïncident pas toujours géographiquement et puisque le phénomène de mobilité des talents s'accentue sans cesse, et tout particulièrement au sein de l'Union européenne, l'action de Manpower se développe de plus en plus en liaison avec les différentes filiales implantées en Europe, pour construire une offre d'emploi répondant aux besoins des entreprises.

Du marché français...

Un statut sous contrainte

Le travail intérimaire est une forme d'emploi flexible qui s'inscrit dans une relation triangulaire : des entreprises utilisatrices de main d'œuvre, des salariés intérimaires et des entreprises de travail temporaire qui servent d'intermédiaire entre les deux. En France, Manpower fait partie des trois grandes sociétés (avec Adecco et Randstad) qui cumulent 70 % du chiffre d'affaires du secteur, auxquelles s'ajoutent des structures plus petites.

Ce type d'emploi présente quelques caractéristiques bien précises en France. En premier lieu, si le stock d'emplois intérimaires parmi l'ensemble des emplois est peu important (en 2007, les intérimaires représentaient 3,6 % de l'ensemble des salariés du secteur marchand), les chiffres sont beaucoup plus conséquents dès lors que l'on raisonne en termes de flux : deux tiers des emplois créés dans le secteur marchand sont désormais des emplois intérimaires. Deuxième caractéristique : l'intérim en France concerne surtout l'industrie et, au sein de celle-ci, une population qui présente les particularités d'être jeune, masculine et aussi non qualifiée. En 2005, selon la Dares, 41,8 % des intérimaires étaient des ouvriers non qualifiés, 37,3 % des ouvriers qualifiés, 12,6 % des employés, 6,7 % de professions intermédiaires et 1,7 % seulement des cadres. L'augmentation du recours à l'intérim est valable pour l'ensemble des secteurs et on observe que la part des salariés travaillant en intérim a été multipliée par deux entre 1998 et 2004. Par ailleurs, si les cadres restent peu nombreux parmi l'ensemble des intérimaires, leur part a tendance à augmenter très rapidement. Enfin, troisième caractéristique, la réglementation du recours à l'intérim demeure assez stricte en France (par comparaison, à titre d'exemple, avec la Grande-Bretagne) ; la réglementation française porte notamment sur les motifs de recours à l'intérim (qui ne peuvent être que le remplacement d'un salarié, l'accroissement temporaire de l'activité, le caractère plus ou moins temporaire d'un emploi, l'apport d'un complément de formation et enfin l'insertion d'un salarié en situation d'exclusion), sur la durée (pas plus de 18 mois) et la rémunération (au moins égale à celle d'un salarié permanent de l'entreprise au même poste de travail).

Un outil à fort potentiel

Très hétérogène, le travail intérimaire est difficile à analyser. Pour reprendre la formule de Dominique Glaymann ( L'intérim , Paris, La Découverte, 2007), il constitue est « une force de sous-emploi visible et invisible ». Même s'ils travaillent à temps plein pendant leur mission, les intérimaires ne travaillent pas majoritairement toute l'année autant qu'ils le souhaiteraient (c'est ce que le Bureau international du travail appelle le sous-emploi visible). En outre, les intérimaires sont surqualifiés par rapport aux missions proposées et sont donc sous-payés par rapport à leur qualification personnelle (c'est ce que le Bureau international du travail appelle le sous-emploi invisible). Un deuxième argument qui va dans le sens de la dévalorisation du travail intérimaire est la rareté des perspectives d'avenir : globalement, les personnes employées en intérim le restent, à tel point que l'on peut parler de « permanents de l'intérim ». Un troisième élément de dévalorisation est le vécu des travailleurs intérimaires : pour ceux-ci, la précarité de l'emploi se double d'une précarité du travail qui se définit, selon Serge Paugam ( Le salarié de la précarité , Paris, PUF, 2000), comme le sentiment d'un travail sans intérêt et dévalorisé. Pour Paugam, ce deux précarités ont des conséquences très négatives sur l'insertion sociale des individus (acquisition d'un logement, constitution d'une famille, etc.)

Mais l'intérim peut également constituer un « tremplin pour l'emploi ». C'est le cas pour les jeunes qui étoffent ainsi leur expérience et leur réseau relationnel, ou pour les femmes au foyer qui veulent se réinsérer dans la vie active. Il existe d'ailleurs déjà des entreprises de travail temporaire d'insertion qui bénéficient d'aides publiques et qui apportent par leur existence la démonstration de l'intérêt du travail temporaire dans l'objectif d'insertion sociale et professionnelle des individus. Au-delà de ces entreprises de travail temporaire d'insertion qui, il est vrai, ne représentent que 1 % des entreprises de travail temporaire, les agences d'intérim comme Manpower peuvent devenir des partenaires du service public de l'emploi. Depuis la loi Borloo de 2005, qui met fin au monopole de l'Anpe, le rôle de placement, d'insertion et de formation des demandeurs d'emploi peut être confié à des entreprises privées et c'est dans ce nouveau cadre législatif que l'Unedic, l'organisme public chargé de l'assurance-chômage, a lancé des appels d'offre pour le placement des chômeurs. Un certain nombre d'entreprises privées, dont Manpower, sont donc sollicitées par l'organisme public pour cette tâche. Ce recours à des prestations privées peut indiscutablement améliorer l'insertion des chômeurs sur le marché du travail. Cette « privatisation » du service public de l'emploi est critiquée mais courante dans de nombreux pays, tels les Pays-Bas, pour les chômeurs de longue durée, ou encore l'Australie qui est le pays qui a mené le plus loin l'appel à des organismes privés pour assurer de tels services.

Un autre rôle important pour les entreprises de travail temporaire est de développer leur expertise dans les fonctions classiques de la gestion des ressources humaines : prospection, sélection, formation, définition des postes de travail. Dans cet objectif, Manpower, comme de nombreuses autres entreprises de travail temporaire, cherche à fidéliser les travailleurs intérimaires en constituant un « vivier de collaborateurs ». Le fonctionnement de l'agence d'intérim se rapproche alors du modèle des sociétés de service en ingénierie informatique (SSII) qui fournissent des services informatiques aux entreprises et qui disposent pour cela de salariés utilisés pour les diverses missions à assurer. L'intérêt de cette autre externalisation, différente de la première puisqu'elle ne concerne plus seulement le placement des travailleurs mais bien toute une partie de la fonction gestion des ressources humaines des entreprises privées, est pour les sociétés concernées de pouvoir bénéficier de l'expertise des entreprises d'emploi temporaire. Pour les travailleurs intérimaires, l'intérêt est aussi évident puisqu'ils peuvent profiter d'un meilleur suivi après l'exercice de leur mission, ce qui rend le statut d'intérimaire dès lors plus confortable que celui de salarié en CDD.

... au marché européen

Début de convergence

Bien que les pays de l'Union européenne connaissent des conjonctures et des arrangements institutionnels très différents et que les politiques de l'emploi en Europe, tout comme les politiques sociales, demeurent de compétence nationale en vertu du principe de subsidiarité, les marchés du travail européens commencent à présenter des similitudes, d'une part sous l'influence de la Stratégie européenne pour l'emploi (SEE) qui vise à faire en sorte que les politiques nationales d'emploi s'organisent selon des principes communs pour augmenter la compétitivité des économies, d'autre part grâce à la coordination des politiques de gestion des flux migratoires intercommunautaires destinée à remédier aux tensions de certains secteurs du marché du travail européen.

Le premier enjeu capital est ainsi d'accroître la compétitivité globale des économies. Depuis le sommet européen du Luxembourg en 1997, l'emploi a été déclaré une question d'intérêt commun, faisant l'objet à ce titre de fixation d'objectifs partagés dans le cadre de la SEE. Les objectifs de la SEE sont de viser le plein-emploi que l'on définit comme un taux d'emploi global de 70 %, un taux d'emploi des femmes de 60 % et un taux d'emploi des seniors de 50 %, d'augmenter la flexibilité et la sécurité sur le marché du travail (en s'inspirant du modèle de flexibilité danois ) et d'améliorer la qualité de l'emploi. Pour parvenir à ces objectifs, la SEE, tout en respectant la souveraineté des Etats dans le domaine de l'emploi, s'appuie sur des éléments communs qui sont les « lignes directrices pour l'emploi ». L'application de ce processus de coordination non contraignant a permis de faire émerger trois tendances communes centrales dans les différents pays, qui sont le changement des modes de gouvernance des politiques de l'emploi (avec la privatisation de certains services d'aide aux chômeurs grâce à la sollicitation d'entreprises de travail temporaire comme Manpower), l' « activation » des dépenses pour l'emploi en privilégiant les politiques d'incitation au travail ( welfare to work ) et l'intégration sur le marché du travail des catégories caractérisées par un faible taux d'emploi (femmes, seniors).

Le deuxième enjeu est de remédier aux pénuries de compétences dans certains secteurs (BTP, informatique, hôtellerie-restauration, santé) alors que d'autres secteurs connaissent des taux de chômage particulièrement élevés. Les pénuries de compétences sont, par exemple, actuellement très fortes dans les Pays d'Europe centrale et orientale (PECO) du fait de l'exportation importante d'une partie de la main-d'œuvre qualifiée : c'est ainsi qu'en 2008, 73 % des entreprises roumaines interrogées dans le cadre de l'enquête Manpower ("Talent Shortage Survey", 2008 Global Results, avril 2008) déclaraient éprouver des difficultés de recrutement en 2008. Pour remédier à ces difficultés, les flux de main d'œuvre font l'objet d'une coordination des politiques nationales visant à régler les déplacements des travailleurs en fonction des deux grandes origines de ceux-ci, à savoir la volonté des ressortissants de l'Union européenne de s'installer dans un autre Etat membre, et les déplacements temporaires des personnels des entreprises dans le cadre de prestations transfrontalières. Concernant la première origine, le principe est désormais celui de la libre circulation. Même si cette liberté est parfois limitée, par exemple pour les PECO lors des phases d'élargissement de 2004 et 2007, les mesures de protection de l'Union européenne à 15 ont été progressivement levées, d'abord pour les métiers en tension, puis pour toutes les activités salariées (seuls les ressortissants bulgares et roumains demeurent soumis à des procédures d'introduction jusqu'en 2014).

Concernant la deuxième origine, si la Commission européenne a dû renoncer au principe du pays d'origine qui figurait dans la directive Bolkenstein sur les services (principe qui énonçait qu'un prestataire de services est exclusivement soumis à la loi du pays où il est établi et non à la loi du pays où il fournit le service), ce qui fait que, pour un socle de droits fondamentaux (temps de travail, congés, salaires), le droit du travail applicable est celui où le salarié exerce son activité, il n'en demeure pas moins que , pour des droits jugés moins importants (modalités d'action collective, conventions collectives de branches), les juges peuvent désormais mettre en balance au cas par cas les coûts et avantages de ces mesures qui ne doivent pas constituer une entrave injustifiée à la prestation de services dans l'Union.

Résistances nationales

D'une manière générale, il est faux de parler d'un modèle européen de l'emploi, sauf au travers de la description de deux idéaux-types de régulation du marché du travail, qui sont le marché du travail américain (qui semble plutôt fonctionner conformément aux enseignements de la théorie néoclassique : modèle de flexibilité) et le marché du travail européen, (semblant obéir à une logique plutôt keynésienne : modèle de protection de l'emploi). En réalité, les traditions nationales sont encore très fortes en Europe et on peut repérer trois grandes familles de régulation de l'emploi selon la typologie construite par le sociologue danois Gosta Esping-Andersen ( Les trois mondes de l'Etat-Providence, Essai sur le capitalisme moderne , Paris, PUF, 1990) qui sont le modèle social démocrate (qui comprend le modèle danois de flexisécurité), le modèle libéral très proche du modèle américain (Grande-Bretagne, Irlande) et le modèle corporatiste construit sur l'exemple de la protection sociale bismarckienne (présent en Allemagne, en France, en Italie).

De façon plus précise, trois facteurs contribuent à l'inachèvement du marché du travail européen : 

  • le premier facteur est la faible mobilité des travailleurs, alimentée par les différences de langue et de modèle social ; aujourd'hui encore, bien que les flux de main d'œuvre à l'intérieur de l'Union européenne soient en augmentation, ils demeurent moins dynamiques que les flux en provenance du reste du monde et sont, de toute manière, sans commune mesure avec ceux que l'on trouve aux Etats-Unis ;
  • le deuxième facteur est le droit du travail des Etats membres, qui reste marqué par de nombreuses particularités nationales : les différences institutionnelles et de relations sociales se répercutent sur les types de contrats, les modalités de recours aux CDD et à l'intérim, la législation protectrice de l'emploi ;
  • enfin, les pratiques d'évaluation des personnels et de formation du capital humain sont encore loin d'être harmonisées : en l'absence d'un référentiel unifié, le recrutement à l'étranger se heurte toujours à la difficulté d'évaluer les compétences et les qualifications des travailleurs ; sur ce dernier point toutefois, il convient de signaler qu'un cadre européen des certifications voit le jour progressivement, selon une logique basée sur la compétence qui, si elle est fort éloignée de la logique bien française qui fait correspondre un niveau de salaire à un niveau de diplôme, se rapproche cependant assez des évaluations des personnels que des entreprises comme Manpower ont l'habitude de mettre en œuvre.

Conclusion

Toutes les évolutions que l'on vient d'évoquer impliquent une profonde transformation des modalités d'action et de gestion des entreprises de travail temporaire, et tout particulièrement de Manpower. Du fait du changement de la nature du travail temporaire, Manpower ne se contente plus de fournir de la main d'œuvre pour accroître la flexibilité quantitative des entreprises mais se pose au contraire maintenant comme un pourvoyeur de compétences, ce qui implique un travail fin de sélection et d'évaluation des personnels et aussi de formation et d'accompagnement dans le cadre d'une véritable gestion des ressources humaines. Une autre mission fondamentale d'une entreprise comme Manpower, implantée dans les différents pays européens, est de contribuer à fluidifier le marché du travail en recrutant dans les différents Etats membres et en s'appuyant sur la coordination des politiques nationales en matière des déplacements de main d'œuvre. Cela suppose que l'entreprise relève quelques défis importants, qui sont d'adapter les travailleurs aux spécificités en vigueur dans chaque pays, de faciliter l'intégration de ces travailleurs par la maîtrise correcte des langues et par l'allongement des durées de mission, et d'intervenir auprès des entreprises utilisatrices pour faciliter l'insertion de la main d'œuvre d'origine étrangère dans les collectifs de travail.

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