L'implantation d'Air Liquide en Indonésie

Située entre l'océan Indien et la mer de Chine, l'Indonésie, constituée de plus de 13 000 îles, couvre une superficie de 1 913 000 km2, soit près de 4 fois la France. Cette république, dont la capitale est Jakarta, compte environ 210 millions d'habitants avec plus de 350 ethnies réparties dans tout l'archipel.

Kaléidoscope géographique et humain, l'Indonésie est une terre de contrastes : les gratte-ciel flambants neufs à Java et Sumatra côtoient plus de 400 volcans "sacrés"  dont 70 encore en activité, les zones industrielles peuvent être situées non loin des réserves de tigres. L'archipel est marqué à la fois par son riche passé et par lde développement des technologies modernes.

L'île de Java génère aujourd'hui 60% du PIB (Produit Intérieur Brut) indonésien et concentre près des ¾ de la production manufacturière du pays ( hors hydrocarbures et dérivés)

En 2000, le PIB de l'Indonésie était d'environ 150 milliards de dollars, soit 1,3 fois celui de la Grèce, 1,5 fois celui du Portugal ou 11% du P.I.B français.
 

La situation économique de l'Indonésie au début des années 1990

Un décollage économique qui s'appuie sur la diversification industrielle


Grâce à l'abondance de ses ressources naturelles, l'Indonésie est, dans la première moitié des années 1990, une des économies les plus prospères du Sud-Est asiatique. Dans le domaine agricole, ses cultures vivrières, et notamment la production de riz, garantissent l'autosuffisance alimentaire. L'Indonésie possède, en outre, la seconde réserve forestière du monde après le Brésil. Elle est aussi le 2ème producteur mondial de caoutchouc, d'huile de palme, le 3ème de café et le 4ème de cacao. Le pays est également bien doté dans les domaines énergétique et minier. Les réserves pétrolières potentielles sont estimées à 50 millions de barils. Il dispose par ailleurs d'abondantes réserves de gaz naturel ainsi que de gisements d'or et de cuivre.

La mise en œuvre d'une politique nationale de développement économique a permis une robuste croissance du PIB qui a été multiplié par plus de 7 en une trentaine d'années, avec un taux de croissance annuel moyen de l'ordre de 7%. Dans le même temps, le nombre d'habitants vivant en dessous du seuil de pauvreté est passé de 60% dans les années 1970 à 15% aujourd'hui. Avec un taux annuel de croissance de 6 à 7% par an du revenu moyen par tête, on assiste à l'émergence d'une classe moyenne dans les zones urbaines.

Cette expansion économique s'est appuyée sur une diversification des structures industrielles indonésiennes et une insertion croissante dans le commerce international. En 1970, l'Indonésie restait très dépendante des ventes d'hydrocarbures, qui représentaient 20% du PIB et 75% des exportations. Aujourd'hui, la croissance repose sur le dynamisme de l'ensemble du secteur industriel. La situation reste néanmoins contrastée selon les secteurs. Le textile souffre ainsi de la concurrence de la Chine et doit se restructurer. En revanche, les industries de la chaussure, du jouet et la chimie se portent bien. 

Si l'Indonésie est considérée comme attractive au sein de l'Asie du Sud Est, du fait de sa taille et de la croissance de son marché intérieur, les échanges commerciaux entre l'Indonésie et la France restent modestes, stabilisant la part de marché de la France dans le pays autour de 2 à 3%. Cette discrétion se retrouve dans les implantations de sociétés françaises : la France se situe au 12ème rang mondial pour les investissements en Indonésie, loin derrière le Japon, Hong Kong et Taiwan, mais aussi le Royaume Uni et les Etats Unis.
 

 

L'implantation indonésienne d'Air Liquide

 

 

L'internationalisation précoce d'Air Liquide

 

Le groupe Air Liquide, créé en 1902, s'est implanté dès 1907 au Japon, avant de poursuivre son développement au Canada (1911) et aux Etats-Unis (1916). Cette internationalisation s'explique par des contraintes techniques : en raison de coûts de transport et de conditionnement élevés, il est beaucoup plus avantageux de fabriquer l'oxygène à proximité immédiate des centres de consommation. L'implantation d'Air Liquide à l'étranger au début du XXe siècle comportait ainsi nombre de caractéristiques associées à la phase actuelle de mondialisation :
 

·    Recherche d'une clientèle locale

·    Mise en œuvre de partenariats locaux ( financiers et techniques)

·    Apport de technologie et savoir-faire

·    Apport de capital


L'entrée du groupe sur le marché indonésien s'est fait sur ce même modèle. Au début des années 1990, la direction régionale d'Air Liquide basée à Singapour prend la décision d'investir dans les pays d'Asie du Sud Est à haut potentiel de croissance (Indonésie, Philippines, Vietnam). Les équipes de prospection s'attachent alors à trouver des partenaires locaux ainsi qu'un client majeur pouvant permettre le développement de l'ensemble des activités du groupe. L'implantation d'Air Liquide en Indonésie est réellement lancée quand le groupe s'associe à un entrepreneur local afin de décrocher un contrat de fourniture d'oxygène gazeux à l'aciérie nationale Krakatau Steel.

 

La coopération avec Krakatau Steel, base d'un ancrage régional solide

 

L'entreprise Krakatau Steel est installée sur une zone de développement industriel à l'extrême ouest de l'île de Java : la zone de Cilegon. Elle fabrique des produits longs (billettes) et plats (brames) pour une production totale de l'ordre de 2 millions de tonne d'acier par an, soit 60% de la production d'acier indonésienne. Aux débuts des années 1990, Krakatau Steel envisage d'augmenter sa capacité de production de plus de 70%. La vieille usine de séparation des gaz de l'air détenue en propre par l'aciérie ne pourra assurer l'accroissement des besoins en oxygène, ce qui conduit l'entreprise à rechercher des partenaires internationaux.

Air Liquide propose une solution permettant le maintien de l'autoproduction de gaz industriels de Krakatau Steel. Elle s'appuie sur la construction d'une unité pouvant fournir 250 tonnes d'oxygène gazeux par jour, afin d'assurer les besoins nouveaux créés par l'extension de l'aciérie (150 T/j d'oxygène) et le "secours" de l'unité Krakatau Steel en cas de panne ou d'arrêt maintenance de celle-ci (100 T/j d'oxygène). Air Liquide en assurerait l'investissement, le montage et l'exploitation dans le cadre d'un contrat de longue durée (15 à 20 ans). L'oxygène produit serait acheminé par canalisation du site de production AL à l'aciérie et vendu au "m3 consommé".

S'engage alors une difficile négociation commerciale. La concurrence est rude, internationale (offres américaines, anglaises, françaises) et implique des rounds de négociations successifs avec la direction de l'aciérie. Les semaines puis les mois passent, un lobbying intense est réalisé par les protagonistes de l'affaire à tous les niveaux, tant industriel que politique, pour remporter le contrat.

Air Liquide, en possession d'une simple lettre d'intention signée par le client, décide pourtant de lancer la construction de l'unité. Elle sera réalisée par le département ingénierie d'AL Japon. Ce pari sur l'avenir s'avère payant : l'anticipation de la signature définitive du contrat permet de gagner de précieux mois sur la date de démarrage de l'unité. Krakatau Steel justifiera le choix final de la solution Air Liquide par la nécessité d'une mise en service rapide de nouveaux fours de l'aciérie.

L'unité Krakatau I démarre en 1994 après une phase de chantier associant AL Japon et des entreprise locales pour le génie civil, les amenées d'eau et d'électricité et le montage de l'appareil. Une équipe d'opérateurs indonésiens chargés de l'exploitation de l'usine est recrutée et formée par les experts du département ingénierie. Initialement dédiée à un unique client, l'usine se révèle rapidement idéalement positionnée pour alimenter tout le bassin industriel. 

 

 

1998 : La Crise asiatique et l'adaptation d'AL Indonésie à la nouvelle donne

Entre novembre 1997 et janvier 1998, le cours de la roupie indonésienne par rapport au dollar est divisé par 3. L'inflation s'emballe pour atteindre un rythme annuel supérieur à 80%. La crise casse brutalement la dynamique de croissance économique et provoque des faillites en cascade. La défiance des investisseurs à l'égard de l'ensemble de l'Asie émergente provoque des sorties massives de capitaux. Les autorités monétaires indonésiennes cherchent à étouffer l'hyper-inflation en relevant fortement les taux d'intérêt : les taux courts atteindront plus de 70% au plus fort de la crise  En 1998, la déstabilisation économique engendre des graves troubles sociaux, liés en particulier à la forte hausse de produits alimentaires de première nécessité tels que le riz et une contraction du PIB de plus de 13%. Le pourcentage de personnes vivant sous le seuil de pauvreté s'accroît fortement en 1999 et en 2000.
 

 

L'impact limité de la crise de change sur les activités principales d'AL Indonésie

 

Les gaz industriels et médicaux de la filiale indonésienne ne s'exportent pas. L'immense majorité des opérations (ventes, coûts, achats et endettement) se font donc en roupie indonésienne. Pour de nombreux contrats, la monnaie en vigueur est le dollar, ce qui limite les risques liés à la dévaluation de la monnaie locale et permet d'assurer un retour sur investissement de l'usine (investissement en Yen ou en € suivant son ingénierie Air Liquide d'origine). En conséquence, l'impact des variations monétaires sur les niveaux d'activité et de résultat est limité aux effets de la consolidation comptable en euros des états financiers d'AL Indonésie. Les variations de coût, en particulier des coûts du gaz naturel ou d'électricité sont répercutées aux clients à travers des clauses d'indexation intégrées dans les contrats de longue durée signés par AL Indonésie et les utilisateurs de gaz.

Air Liquide Indonésie a aussi cherché à limiter l'impact de la crise sur ses activités en adaptant les conditions de fourniture de gaz à la situation économique de ses clients. Ainsi, les baisses de consommation et la négociation d'accords temporaires avec les clients historiques ont été partiellement contrebalancées par l'augmentation des consommations liée aux signatures de nouveaux clients. Le contrat avec Krakatau Steel, confronté à un pincement de ses marges, a été renégocié : au plus fort de la crise : AL Indonésie consent à une forfaitisation temporaire de la facturation mensuelle, puis propose une révision globale du contrat, dans le sens d'une déconnexion entre les tarifs et le cours du dollar.
 

Les dégâts collatéraux de la crise

 


Si le dialogue avec les clients principaux d'AL Indonésie a permis de limiter l'impact de la crise, l'exposition au risque reste cependant bien réelle. En effet, les contrats ne suffisent pas pour protéger la filiale en cas de nouvelle dégradation de la situation économique, le changement de politique économique constituant une clause de force majeure. De plus, la bonne connaissance historique des circuits politiques et juridiques locaux par de nombreux clients limite la portée des contrats en cas d'arbitrage ou de procédure juridique.

Les faillites des PME affectent également l'activité d'Air Liquide. Les clients d'AL Indonésie sont souvent des distributeurs qui achètent du produit liquide pour en assurer le conditionnement. Ces distributeurs sont de petites sociétés locales, durement touchées par la crise.
 

 

Une réorganisation interne

 

La crise est l'occasion pour AL Indonésie de réorganiser son activité afin de réduire ses coûts et son exposition au risque. L'automatisation de la chaîne de facturation et un suivi renouvelé des comptes clients permettent de contenir et même de diminuer le crédit clients en nombre de jours de CA.

Un système de suivi du risque client est mis en place pour palier l'insuffisance des informations données par les banques. Le système est basé sur divers critères tels que : type d'actionnariat (local ou compagnie adossée à un grand groupe international); l'orientation export / marché local des ventes et diverses informations générales rassemblées par le département marketing De même, un suivi précis des actifs en clientèle (stockages, bouteilles...) permet de limiter les risques de pertes d'actifs en cas de cessation d'activité d'un client.

 

Conclusion

 


Dans un pays où beaucoup reste à construire, les opportunités de développement d'Air Liquide sont bien réelles. Après la période troublée de la fin des années 1990, l'économie semble se reprendre : le cours de la roupie indonésienne s'est stabilisé par rapport au dollar, les investisseurs internationaux reviennent en Indonésie et la consommation intérieure est à la hausse. De surcroît, la levée des barrières douanières au sein de l'ASEAN et l'ouverture par le gouvernement de certains secteurs de l'économie indonésienne aux investissements étrangers devraient favoriser le commerce et le rapprochement des acteurs industriels de la région. Fort de la réputation internationale du groupe et de son expérience en Indonésie, le groupe Air Liquide cherche aujourd'hui à renforcer sa position en fournissant les entreprises nouvellement arrivées.

Le bilan des 10 ans passés en Indonésie est déjà largement positif : la création des pôles de production de gaz industriels à Cilegon et Cibitung a apporté aux entités d'ingénierie et de construction implantées au Japon et en France de nombreuses heures de développement et de montage des unités de séparation des gaz de l'air. Le développement de l'activité des sites de production a participé à la croissance des entreprises locales de construction. L'exploitation des unités depuis 1994 a conduit à embaucher et former plus de 200 salariés, en assurant un transfert progressif des compétences en terme de production des gaz industriels, de conditionnement de mélanges spéciaux et d'utilisation des gaz pour les applications industrielles. La mise en œuvre d'une stratégie de suivi personnalisé des clients au plus fort de la crise asiatique a enfin permis de renforcer le partenariat liant sur le long terme les entreprises utilisatrices de gaz et Air Liquide Indonésie.
 

 

 

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