Eddy Fougier : Les entreprises face à de nouveaux risques exogènes majeurs

Politologue, consultant, Chargé d'enseignement
Sciences Po Aix et Audencia Business School

La crise actuelle de coronavirus montre bien que les entreprises sont vulnérables à des risques exogènes majeurs qui sont susceptibles d’avoir un impact très négatif sur leurs activités. Ces risques peuvent être de nature sécuritaire et géopolitique : conflit intra- ou interétatique dans certaines zones, multiplication d’attaques terroristes visant des États ou des lieux bien spécifiques (ex. hôtels internationaux), déstabilisation ou même effondrement de certains États et extension corrélative de « zones grises ». Ils peuvent être aussi de nature politique : changement de régimes politiques dans des économies-clefs, arrivée au pouvoir dans certaines États de dirigeants prônant une politique isolationniste et protectionniste ou bien une transition écologique stricte. On a vu aussi émerger depuis quelques années un risque de nature sociétale que l’on peut définir comme les différents risques auxquels les acteurs économiques peuvent avoir à faire face dans leurs interactions avec leur écosystème sociétal, c’est-à-dire les sociétés dans lesquelles ils sont implantés et/ou dans lesquelles ils ont des activités, et notamment avec les nouvelles parties prenantes à leurs activités que sont les médias généralistes, le monde associatif, les citoyens, les riverains de sites ou encore des groupes radicaux [https://www.fondationconcorde.com/etudes/les-risques-sociaux-en-entreprise/] : émergence de courants d’opinion (ex. anti-élitisme, véganisme ou technophobes), irruption de mouvements sociaux ou de mouvements populaires (ex. « gilets jaunes » ou divers mouvements contestataires apparus dans différents pays en 2019). Enfin, comme on le voit en ce moment, ce risque peut être de nature sanitaire, environnementale ou alimentaire : impact de catastrophes naturelles ou d’origine humaine (ex. Bhopal, Tchernobyl, crise de la « vache folle »), du changement climatique, de pandémies ou bien de « chocs » liés à une pénurie de ressources vitales ou stratégiques.

Ces risques présentent généralement trois caractéristiques spécifiques. En premier lieu, ils sont liés à des événements, à des évolutions ou à des décisions qui peuvent être mineurs au départ, mais dont l’éventualité n’était pas totalement exclue et surtout dont l’effet est à la fois soudain et très important. Ils prennent d’ailleurs le plus souvent la forme de « crises » ou de « chocs » majeurs. Une pandémie mondiale faisait partie des risques envisagés, mais personne ne s’attendait vraiment à ce qu’une épidémie de coronavirus se déclenche à ce moment-là en Chine, et surtout qu’elle se répande dans la plupart des pays du monde à une vitesse aussi grande et que les gouvernements décident de mettre en place un confinement d’une ampleur inédite pour une partie ou même pour la totalité des populations résidentes. Ce risque est également exogène au monde économique. Cela signifie que les entreprises et les secteurs économiques n’ont pas vraiment de prise sur lui. Enfin, il peut également avoir un impact majeur, voire vital sur des activités économiques. L’exemple par excellence est bien évidemment celui de l’impact de la pandémie actuelle sur le transport aérien, le tourisme, l’hôtellerie et la restauration. L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) prévoit ainsi que les arrivées de touristes internationaux pourraient baisser de 60 à 80 % en 2020 [https://www.unwto.org/fr/news/covid-19-le-nombre-de-touristes-internationaux-pourrait-chuter-de-60-a-80-en-2020]. Le cabinet de conseil Archery Strategy Consulting (ASC) estime, de son côté, que le transport aérien pourrait mettre trois ans à sortir de la crise [https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/10/le-transport-aerien-mettra-au-moins-trois-ans-pour-sortir-de-la-crise-liee-au-coronavirus_6036202_3234.html]

Il paraît donc indispensable d’identifier quelles sont les vulnérabilités des entreprises et des secteurs d’activité, notamment dans un contexte marqué par ce que le philosophe Jean-Paul Jouary a appelé l’« effet Pangolin » : « Un petit acte d’un individu, dans une ville moyenne de Chine au nom jusque-là confidentiel, a de proche en proche provoqué des conséquences incalculables à l’échelle de la planète et de l’histoire de l’humanité » [https://www.liberation.fr/debats/2020/03/20/de-l-effet-papillon-a-l-effet-pangolin_1782378]. Les acteurs ou des secteurs économiques, lorsqu’ils présentent des éléments de vulnérabilité ou de fragilité, peuvent être, en effet, à la merci d’un événement mineur, d’un petit grain de sable qui finit par faire dérailler toute la machine.

C’est semble-t-il le cas pour le tourisme international. Malgré une croissance ininterrompue depuis une dizaine d’années et des prévisions particulièrement optimistes sur les années à venir de la part des acteurs du secteur, à commencer par l’OMT, celui-ci apparaît néanmoins très vulnérable à l’évolution du prix du pétrole, à l’impact de décisions de certains gouvernements (ex. Brexit, Muslim ban de l’Administration Trump ou éventuelles taxes carbone impactant le transport aérien), de conflits, d’attentats terroristes et de déstabilisation de certains pays (Tunisie, Turquie, Egypte…), à l’impact de catastrophes naturelles ou du changement climatique sur des régions touristiques, à l’émergence de courants d’opinion (« flygskam » ou la honte de prendre l’avion, mouvements locaux de contestation du « surtourisme », ZAD bloquant des projets touristiques, comme le Center Parcs de Roybon en Isère) et bien évidemment à des pandémies.

A trop vite l’oublier, le monde économique peut le payer très cher, le « pronostic vital » de certaines entreprises, voire de certains secteurs, pouvant même être prononcé, notamment lorsqu’ils doivent affronter plusieurs risques exogènes majeurs à la fois.

 

 

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