Covid-19 : le discours de preuve, meilleur moyen pour réunifier la perception de l’entreprise

Politologue, consultant, Chargé d'enseignement
Sciences Po Aix et Audencia Business School

La pandémie de coronavirus et le confinement semblent avoir renforcé l’image ambivalente des entreprises aux yeux de l’opinion publique. Celles-ci sont perçues comme les seuls acteurs qui ont la capacité de produire des biens et des services pour satisfaire les besoins essentiels de la population dans une période de pénurie – masques, gel hydroalcoolique – ou de risque de pénurie – alimentation, produits d’hygiène, médicaments, etc. Elles sont également vues comme les seules à pouvoir produire industriellement des tests sérologiques, des traitements et des vaccins ou à pouvoir développer des applications de « tracking ». En définitive, elles font partie des acteurs jugés essentiels pour lutter contre l’épidémie et la pénurie en période de confinement et pour sortir de la crise actuelle.

C’est sans aucun doute la raison pour laquelle l’Edelman Trust Barometer 2020, enquête d’opinion réalisée dans dix pays (Afrique du Sud, Allemagne, Brésil, Canada, Corée du Sud, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) du 6 au 10 mars 2020 (à lire ici) montre qu’en moyenne, les personnes interrogées font davantage confiance à leur employeur pour leur capacité à répondre à l'épidémie de coronavirus (62%) qu’aux gouvernements (55%), aux ONG (53 %), aux médias (46 %) ou aux gouvernements d’autres pays (42%)

Cette vision positive a été bien évidemment confortée par le fait que les gouvernements, et les populations, jugent certaines activités comme « essentielles » : agriculture-alimentation, compagnies pharmaceutiques, grande distribution, fourniture d’électricité, télécommunications, e-commerce, livraison, etc.

En même temps, qu’on le veuille ou pas, les grandes entreprises sont devenues l’incarnation d’un monde d’avant qu’une partie du public ne semble plus vouloir en donnant, semble-t-il, la priorité à un retour de l’interventionnisme étatique, au détriment du tout-marché, à l’économie réelle, aux dépens de la financiarisation de l’économie, ou à une relocalisation de certaines activités, plutôt qu’à une globalisation de la chaîne de valeur. Elles sont ainsi souvent vues comme les principaux responsables de deux fléaux majeurs que sont la dégradation de l’environnement (et de l’état de la planète) et la montée des inégalités. Or, de ce point de vue, la crise actuelle semble avoir contribué à renforcer cette critique.

En premier lieu, la baisse de différentes formes de pollutions (air, eau) et des émissions de gaz à effet de serre suite au confinement a démontré a contrario le lien évident entre activités économiques et dégradation de l’environnement.

On peut même estimer que le confinement tend à populariser les idées décroissantes alors qu’un grand nombre de Français a pu « ralentir » et vivre selon les principes de la « slow life » et que la forte réduction des activités économiques et de la mobilité ont conduit à améliorer de façon significative la situation de l’environnement. On voit bien que ces idées progressent dans le débat public et dans les têtes autour du constat selon lequel le seul moyen efficace de réduire durablement la pollution et les émissions de CO2 serait de réduire production et consommation.

Le confinement a aussi sans aucun doute mis en lumière de façon crue les inégalités qui pouvaient exister entre catégories qualifiées, et non exposées au virus, et catégories peu ou pas qualifiées qui sont, elles, exposées au virus. D’un côté, les cadres de grandes entreprises confinés chez eux peuvent continuer à travailler en télétravail. De l’autre, des personnes peu ou pas qualifiées sont soit dans l’obligation de travailler au contact du public en étant exposées au virus, soit confinées mais sans pouvoir travailler à distance et percevoir de revenus (artisans, certains petits commerçants). Jérôme Fourquet et Chloé Morin en tirent la conclusion suivante dans une tribune publiée dans Le Figaro : « Bien qu’il soit trop tôt pour tirer des enseignements de la pandémie du coronavirus, on peut déjà affirmer qu’elle aura permis de mettre en lumière un contraste frappant que nous avions tous intégré, sans forcément le questionner, entre l’utilité sociale de certains métiers et leur degré de reconnaissance salariale et symbolique. Chauffeurs routiers, livreurs, caissières, magasiniers et caristes, aides-soignantes et infirmières, éboueurs… sont brusquement devenus des héros, alors qu’ils étaient hier encore des rouages invisibles et souvent méprisés de notre économie ».

Cette crise risque donc d’aggraver le sentiment anti-élite d’une partie de la population qui se cristallise aujourd’hui sur la gestion de la pandémie par le pouvoir, l’exode des Parisiens et la question de la chloroquine et du positionnement face au Professeur Raoult.

Les entreprises doivent par conséquent se montrer extrêmement prudentes dans leur communication et ne pas donner de prise à la critique. Il ne s’agit pas d’une communication de crise au sens strict pour elles, mais leurs actes et leur discours peuvent faire l’objet de vives critiques dans un contexte de grande sensibilité du public. Il est évident qu’une mauvaise communication correspond à ce qu’une grande partie du public ne veut plus voir du monde d’avant. L’exemple récent le plus significatif est le tollé suscité par différentes entreprises qui ont communiqué sur le fait de vouloir verser des dividendes à leurs actionnaires.

En revanche, une bonne communication dans un tel contexte semble résider dans des actions tangibles, plus que dans des prises de paroles, qui prennent acte de l’évolution de la situation – notamment autour de l’idée d’urgence sanitaire et d’« économie de guerre » – et qui s’y adaptent en y prenant leur part. Parmi les exemples salués dans la période récente, on peut mentionner le groupe espagnol Inditex (Zara), le leader mondial du prêt-à-porter, qui s’est distingué par des dons aux hôpitaux, la fabrication de matériel sanitaire ou bien la réduction des salaires de ses dirigeants. Il en a été de même de LVMH, qui a produit du gel hydroalcoolique et qui l’a livré aux hôpitaux, ou encore d’autres entreprises qui se sont reconverties dans la fabrication de masques ou de ventilateurs.

Dans une situation de crise, les entreprises ne doivent en aucun cas donner l’impression qu’elles sont dans le business as usual et qu’elles sont indifférentes à ce qui se passe dans le reste de la société. Elles doivent démontrer qu’elles font partie de la solution pour ne pas avoir à prouver qu’elles sont la cause des problèmes.

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