La ruée vers la voiture électrique Entre miracle et désastre

Laurent Castagnède

Résumé

Dans le contexte actuel de l’urgence écologique, la voiture électrique semble la solution pour résoudre les problèmes causés par la voiture thermique. Mais en réalité la voiture électrique pose de nombreux problèmes tant que l’on ne remet pas en cause les habitudes de mobilité caractéristiques des sociétés modernes. Elle n’est une solution que si l’on propose une autre électrification de la mobilité individuelle, plus respectueuse de l’environnement.

L’ouvrage

En moins d’un siècle, l’automobile thermique (à essence ou diesel) s’est affirmée sur la planète comme le premier vecteur de la mobilité motorisée. Même si l’alternative électrifiée existait déjà, les moteurs à combustion interne se sont imposés sur nos routes, ne laissant au moteur électrique que des marchés secondaires en guise de lot de consolation (véhicules de collecte et de livraison, voiturettes, autobus, deux-roues…). Cependant, aujourd’hui, la réalité du changement climatique a fait évoluer la donne, et les appels à l’abandon de la voiture thermique se multiplient. L’heure de la voiture électrique a-t-elle sonné ? Son installation sera-t-elle durable ? 

Il est indéniable que ces dernières années la voiture électrique a grignoté des parts de marché à son historique devancière. Mieux, elle propose à terme (d’ici 2050) de complètement la remplacer dans de nombreux territoires, plusieurs juridictions ayant annoncé leur intention d’interdire la vente de véhicules thermiques d’ici 2035. Et il est vrai que les progrès récents des composants spécifiques du véhicule électrique (et notamment de ses batteries) relativement à ceux des moteurs thermiques peuvent lui permettre d’étendre ses parts de marché et d’en conquérir de nouvelles, comme celle de la collecte ou de la livraison urbaine, ou encore celle de véhicules de transport collectifs urbains.

En dépit de ces succès, de nombreuses interrogations demeurent. La généralisation de la voiture électrique s’appuie en effet sur beaucoup de conditions fragiles : des contraintes de fabrication puisqu’elle monopolise des ressources en métaux variés qui sont sous tension d’approvisionnement, des contraintes de production d’électricité supplémentaire qui ne provient pas nécessairement d’installations « propres » et peu carbonées, des contraintes de systèmes industriels à mettre en place et de multiples bornes de recharge rapide à installer et à connecter. A cela s’ajoute qu’en priorisant l’électrification des modèles les plus imposants, la voiture électrique légitime la poursuite de la fabrication de gros véhicules, pourvoyeuse de marges financières pour les constructeurs mais aux conséquences environnementales et sociales multiples et désastreuses. En outre, sur le plan psychologique, l’électrification de la mobilité automobile permet à de nombreux acteurs et consommateurs d’éviter de se poser les bonnes questions sur l’impact de la généralisation et de l’extension perpétuelle de ce mode de transport particulièrement encombrant. D’ailleurs, dès maintenant, certains patrons de l’industrie automobile sont méfiants et préparent déjà l’opinion à des excuses au cas où les énormes investissements consentis par leurs actionnaires et la collectivité tourneraient au fiasco. En 2022, Akio Toyoda, encore PDG du groupe Toyota, évoquait une « majorité silencieuse de constructeurs » particulièrement critiques sur la pertinence industrielle et environnementale de l’exclusivité promise aux motorisations purement électriques.

A quelles conditions l’électrification de la voiture peut-elle éviter l’apparition d’un nouveau scandale, l’electricgate, qui déboucherait sur quantités d’usages inappropriés et de pollutions délétères ? Comment l’électrification de la mobilité individuelle peut-elle s’inscrire dans une nouvelle forme de mobilité, plus simple, plus apaisée, plus mesurée, et plus respectueuse de l’environnement ? Si on n’y prend pas garde, la complexification technologique de la voiture électrique, malgré son plus faible nombre de composants et la possibilité de pouvoir la recharger à domicile, peut aller dans le sens d’une désappropriation technique et d’une dépendance structurelle croissante. Au-delà du simple déplacement en voiture électrique, il faut s’interroger sur la pertinence de ces déplacements et sur la mise en place d’organisations spatiales des activités quotidiennes permettant de réduire les trajets domicile-travail ou domicile-loisir. Le déploiement à venir de la voiture électrique en dira long sur la capacité de l’espèce humaine à utiliser la technologie tout en maîtrisant les conséquences globales que celle-ci implique.

L’essai de Laurent Castaignède tente d’apporter une réponse à cette question. La première partie dresse un panorama de l’histoire de la voiture électrique, pour bien comprendre la succession de ses principales avancées techniques comme de ses déboires commerciaux. La deuxième partie présente les limites du tout électrique, c’est-à-dire de la transformation complète du parc automobile en modèles entièrement électriques. La troisième partie, indépendamment du volume de voitures électriques qui pourraient être produites, analyse les questions suscitées par l’électrification d’une partie du parc automobile. La quatrième partie se penche sur les modèles alternatifs à la voiture électrique. Au-delà du modèle standard, qui consiste à remplacer les organes thermiques du châssis par un moteur électrique muni d’un convertisseur, d’une batterie et d’une prise de contact permettant de la recharger, d’autres réponses techniques existent qui méritent d’être examinées. Enfin, l’ouvrage s’interroge sur les modalités d’une « électrification raisonnée ».

 

I-  Brève histoire de la voiture électrique

A partir du milieu du XIXème siècle, les progrès de la science de l’électricité laissent entrevoir un avenir radieux pour la « fée électricité », censée décliner toutes sortes d’applications. Et il est vrai qu’encore au début du XXème siècle, la voiture électrique ne manque pas d’atouts et tient encore la corde aux Etats-Unis face aux modèles alternatifs à vapeur et à essence de pétrole. Douce, silencieuse, propre, simple à construire et à mettre en route, disposant en outre de la possibilité de récupérer un peu de charge dans les descentes, la voiture électrique présente de multiples avantages. Mais les accumulateurs sont très vite perçus comme le talon d’Achille de la voiture électrique. Ceux-ci sont fragiles, lourds, demandent un entretien exigeant, ont une durée de charge élevée. Comme le dit Henry Ford en 1899, « Aucun accumulateur, assez léger pour être utilisable, ne s’annonçait. Une voiture électrique se trouvait donc réduite à un rayon limité, et tout en étant surchargée d’un moteur lourd et volumineux eu égard à la force déployée ». A l’époque, le désintérêt pour la voiture électrique tient donc essentiellement à la « traîtrise » de sa batterie. Et, de fait, il ne se vend que quelques milliers de voitures électriques dans le monde chaque année, très majoritairement aux Etats-Unis.

En léthargie pendant l’entre-deux-guerres et malgré une apparition éclair sous l’Occupation du fait des pénuries d’essence, il faudra attendre l’après-1950 pour voir renaître l’intérêt pour la voiture électrique, sous l’effet de plusieurs facteurs. Le premier d’entre eux est la pollution de l’air, déjà bien présente dans les années 1960. En 1965, un rapport d’étude commandé par la Maison-Blanche fait état d’une pollution de l’air si sérieuse qu’il conseille au président Lyndon Johnson de lancer une substitution massive des moteurs à combustion interne par des moteurs électriques. Le deuxième facteur est l’enjeu énergétique des chocs pétroliers. Dans les années 1970, face à l’augmentation du prix du baril, la relative frugalité des petits véhicules électriques par rapport à leurs alternatives thermiques remotive la filière, ses dirigeants et ses ingénieurs. Mais il faut reconnaître qu’à l’époque la capacité des batteries de série est trop modeste : 100 kilos d’accumulateurs correspondent à environ 1,5 litre d’essence… Dans les années 1990, la pollution de l’air est à nouveau ciblée et quelques territoires commencent à imposer des quotas minimums de véhicules « zéro émission ». Mais il faudra surtout attendre le XXIème siècle pour voir apparaître un cumul des contraintes précédentes. Les émissions de l’ensemble des transports motorisés affectent alors en moyenne un tiers de la pollution de l’air urbain, ce qui en fait un enjeu sanitaire majeur. Dans le même temps, l’approche d’un pic de production pétrolière alimente la crainte d’un prochain manque et d’un fort renchérissement du prix à la pompe. Et une nouvelle menace se confirme : le dérèglement climatique, dont il ne fait presque aucun doute qu’il est essentiellement d’origine humaine en raison des émissions de gaz à effet de serre (GES) qui s’accumulent dans l’atmosphère.

Cependant, en dépit de ces menaces objectives, les ventes de voitures électriques ne décollent toujours pas. Ce n’est que depuis les années 2010 que le marché croît régulièrement. En 2015, au moment du dieselgate qui met à jour les pratiques frauduleuses du groupe Volkswagen autour de la conception et de la commercialisation aux Etats-Unis des voitures diesel, une cinquantaine de modèles électriques sont proposés à travers le monde, totalisant environ 350000 ventes (pour une autonomie affichée de 200 kilomètres en moyenne). A partir de là, les appétits industriels s’aiguisent et les capitaux affluent. Dès 2017, Tesla devient le constructeur automobile le plus valorisé en bourse, et en 2020, la jeune entreprise californienne est autant valorisée que la somme de l’ensemble des grands constructeurs mondiaux. En 2021, 300 modèles de voitures électriques sont proposés par les constructeurs qui en commercialisent 4,5 millions d’unités, le parc mondial en comprenant 11 millions en circulation. La forte croissance des ventes se poursuit : 7 millions d’unités sont commercialisées en 2022, 350 modèles sont proposés en 2023 et le parc s’élève à 18 millions de véhicules. La Chine accueille plus de la moitié de l’ensemble, suivie de l’Europe avec un quart, et les Etats-Unis avec 11%. Et en mi-2023, la voiture électrique continue de marquer des points : la Tesla modèle Y (SUV de deux tonnes commercialisé depuis 2021, 300 à 500 cv, 450 à 500 kms d’autonomie) est devenue le modèle le plus vendu en Europe, en Chine et dans le monde.

Mais si l’électrification de la mobilité fait consensus en termes d’amélioration de la qualité de l’air dans les métropoles, l’intérêt de remplacer le parc de voitures thermiques par de nouveaux modèles électriques est loin d’être évident du point de vue du changement climatique. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) souligne dans son rapport de 2022 (Climate change 2022, mitigation of climate change) qu’il y a des préoccupations grandissantes sur l’approvisionnement en minéraux critiques des batteries, que la voiture électrique nécessite des investissements d’infrastructures permettant son déploiement, et que la réduction de GES dépend largement de la décarbonation du secteur énergétique. Bref, le GIEC insiste sur le fait que le véhicule électrique n’est pas en lui-même vertueux. Et pourtant les gouvernements multiplient maintenant les annonces de bannissement prochain de la commercialisation des voitures essence et diesel : dès 2025 en Norvège, dès 2030 en Suède, au Danemark, aux Pays-Bas, en Israël et à Singapour, dès 2035 en Californie, au Canada, au Royaume-Uni et dans l’ensemble de l’Union européenne, ainsi qu’avant 2040 par plusieurs dizaines d’autres régions à travers le monde. Ces engagements semblent pourtant fragiles. C’est ainsi que l’ACEA (Association des constructeurs automobiles européens) fait dès maintenant état de sa perplexité sur la faisabilité d’un tel basculement, et prévient que selon elle il faudra revoir l’ambition des objectifs 2030 à la baisse si la disponibilité des ressources en matériaux ne suit pas la demande de batteries, ou si l’installation de bornes de recharge n’avance pas au bon rythme.

Voir la synthèse « Carmageddon ou les mutations vitales de l’industrie européenne »

II- Les limites du tout électrique

Si personne ne conteste le fait que l’électrification de la mobilité routière est une solution d’avenir, il convient toutefois de prendre la mesure de la difficulté du pari qui consiste à vouloir substituer rapidement (à l’échelle d’une génération de voitures ou d’humains) la totalité des voitures particulières sur de vastes territoires. Les difficultés sont en effet nombreuses.

  • Comme tout produit industriel, la voiture électrique exerce des pressions sur l’environnement. Certains métaux sont cruciaux dans la composition de ses organes que sont la batterie, le convertisseur électrique, les câblages et le moteur (cuivre, manganèse, cobalt, nickel, graphite, et aussi terres rares), et la disponibilité de ces ressources métalliques est un vrai sujet. L’AIE (Agence internationale de l’énergie) indique à cet égard que les projections de déploiement de la voiture électrique pour 2030 sont plausibles jusqu’en 2025, mais alerte sur un risque d’incompatibilité au-delà.

  • L’accès à ces ressources rares est une source de tensions géopolitiques. La Chine produit actuellement les trois-quarts des batteries des véhicules électriques en disposant de la majorité des capacités de raffinage des métaux les plus convoités. C’est ainsi que l’AIE observe que « la majorité des fournisseurs de la chaîne de valeur des métaux critiques de batterie demeurera chinoise en 2030. Par exemple, 70% de la capacité mondiale annoncée de fabrication de batteries jusqu’en 2030 concerne la Chine ».

  • L’enjeu de reconversion des ressources humaines est aussi important. La suppression de la chaîne de valeur thermique menacerait 500000 emplois à l’échelle de l’Europe, sans qu’on puisse évidemment  délocaliser ces salariés sur d’autres continents.

  • La question de l’autonomie des véhicules est cruciale. Certes, en quelques décennies, la puissance de ceux-ci a progressé (grâce notamment à la technologie lithium-ion), avec une autonomie affichée de 350 kilomètres en moyenne. Mais le risque de panne sèche d’une voiture électrique fait encore l’objet de beaucoup d’attention.

  • En lien avec le point précédent se pose la question des infrastructures dédiées. Si la voiture électrique peut aujourd’hui se brancher sur une prise de courant standard, elle nécessite une durée de charge d’une dizaine d’heures tous les 200 kilomètres. Il est donc nécessaire de disposer en abondance de bornes de recharge rapides. Or, alors qu’en 2023 il y a en France 700000 postes de charge privés et 82000 publics pour un parc de 1,1 million de véhicules, afin d’assumer un parc estimé en 2030 à 8,5 millions de véhicules, il faudrait disposer de 7 millions de postes de charge. Comment assurer le financement public d’un tel déploiement ? Et le financement public est-il légitime ? Après tout, les contribuables pourraient refuser de participer à la subvention massive de telles infrastructures, surtout s’ils n’en bénéficient pas.

  • Il n’est pas sûr que la voiture électrique se substitue totalement à la voiture thermique. En effet, elle peut s’adresser à de multiples nouveaux utilisateurs. Au quotidien, elle décomplexe le recours à la voiture individuelle pour effectuer certains déplacements urbains, étant entendu qu’elle est présentée comme « non polluante ». En même temps, en réduisant la demande de pétrole, elle contribue aussi à un usage accru des véhicules thermiques en circulation, par l’effet-prix exercé.

Indépendamment des points soulevés ci-dessus liés au volume des véhicules électriques en circulation, l’électrification suscite beaucoup d’autres questions économiques et sociales.

  • La spécificité de la structure de ses coûts affecte son utilisation. Plus onéreuse à l’achat (malgré un soutien financier public de 5000 euros par véhicule en moyenne), elle bénéficie d’un moindre coût d’usage (entretien réduit, facturation des recharges moins chères car elles sont peu taxées) qui peut entraîner un regain d’usage au quotidien, accentué par la perception de ne pas polluer.

- Si le véhicule électrique ne pollue pas en roulant, la recharge est polluante. Le cas de la Chine permet d’illustrer cette problématique. Malgré son investissement ces dernières années dans de nouveaux moyens de production d’électricité bas carbone (nucléaire, éolien, hydraulique, solaire), le pays continue chaque année de s’équiper de nouvelles centrales électriques à charbon, du fait de l’augmentation globale de la consommation d’électricité. A cet égard, la performance relative de la voiture électrique est améliorée grâce au branchement direct. Il s’agit pour les clients d’investir dans de nouveaux moyens de production d’électricité (installations photovoltaïques) à la hauteur de la consommation attendue de leur véhicule.

  • L’effet cumulé de la taille des batteries et des performances dynamiques des véhicules conduit la voiture électrique à franchir une nouvelle étape dans la prise de poids, phénomène caractérisé par la multiplication des modèles pesant deux tonnes ou plus. Cette escalade n’est pas nouvelle dans l’histoire de l’automobile, mais a des conséquences redoutables sur les risques d’accident et de dégradation de la qualité de l’air.

  • Le véhicule électrique présente un risque d’obsolescence accru. La batterie est en effet un levier important d’obsolescence. De ce fait, certains constructeurs peuvent proposer le changement de voiture après quelques années d’utilisation seulement.

  • Et enfin, de manière générale, on peut se demander si la voiture électrique n’aboutit pas finalement à protéger le système automobile. Sous couvert d’une nouvelle virginité, elle s’inscrit dans une prolifération historique des moyens de transport motorisés qui ont largement bénéficié de financements collectifs et d’incitations récurrentes à leur utilisation massive par tout un chacun, alors que les indicateurs planétaires nous invitent plutôt à changer de paradigme.

Voir l’étude de cas « L’avenir de la voiture électrique se joue-t-il en Chine ?

III- Pour une électrification raisonnée

Depuis son apparition, l’automobile a été un formidable monopolisateur de ressources minérales et énergétiques. Elle a progressivement étendu son emprise sur l’aménagement du territoire à la faveur de la construction par la puissance publique de réseaux routiers pléthoriques et d’une escalade de ses performances dynamiques et de son gabarit, aussi rarement qu’inefficacement utilisés (l’automobile présente un faible taux d’occupation moyen -1,6 personne par voiture en Europe-, un surdimensionnement notoire-la tendance à la prise de poids des véhicules, soit l’obésité -, et un usage faible -stationnée 95% du temps en moyenne-). Inscrire la voiture électrique dans la poursuite de cette hégémonie est inapproprié, d’autant plus que l’ordre occidental mondial du secteur est au défi de se faire déborder.

En effet, depuis 2015, la Chine, avec son programme stratégique « Made in China 2025 » s’est donnée comme priorité de transformer « l’usine du monde » en véritable puissance manufacturière mondiale, capable d’être leader sur les marchés mondialisés les plus technologiques, telle la mobilité automobile basée sur de nouvelles sources d’énergie, avec en premier lieu l’électricité. Depuis, les investissements se sont multipliés et la Chine est devenue en un peu moins d’une décennie productrice de la moitié des véhicules électriques dans le monde. Ses constructeurs rêvent maintenant de détrôner Tesla pour devenir le principal pôle du marché prolifique des véhicules électriques. Si l’Europe et les Etats-Unis misent leur perspective de réduction de l’impact environnemental de la mobilité individuelle motorisée sur une généralisation de la voiture électrique, jusqu’à délaisser les investissements et la maîtrise technologique des moteurs à combustion interne, le risque est de voir se mettre en place une dorme de vassalisation, cette fois inversée. Le capitalisme d’Etat de l’empire chinois pourrait profiter de son relatif accaparement des ressources en amont, depuis les mines d’extraction de métaux et de graphite qu’il contrôle à travers le monde, jusqu’à la production de batteries en passant par tous les processus industriels intermédiaires, pour faire passer ces ressources du statut de critique à celui de stratégique. Le risque est réel que la batterie chinoise joue à terme pour l’Occident le rôle du gaz russe pour l’Allemagne.

C’est la raison pour laquelle il est important de mettre en place une électrification raisonnée qui passe par une série de mesures : le rétrofit électrique qui consiste, plutôt que de mettre à la casse les véhicules thermiques, à homologuer des « kits rétrofit » permettant à des garages formés et agréés de procéder à l’électrification de modèles thermiques courants ; l’extension externe d’autonomie qui, plutôt que d’utiliser des batteries qui augmentent l’autonomie au prix d’un alourdissement important de la masse du châssis, donc du gabarit du véhicule, consiste à installer un groupe électrogène dans une petite remorque dédiée ; la hiérarchisation des véhicules avec une priorité accordée aux voitures « légères » pourvues de batteries plus petites, qui bénéficieraient de faveurs fiscales et de circulation, particulièrement en environnement urbain (on aurait par exemple un étagement des catégories de masse de véhicules, avec l’idée que les plus légères bénéficieraient de « privilèges » alors que les plus lourdes seraient soumises à de nombreuses contraintes techniques et fiscales ).

Toutes ces préconisations ne vont pas de soi. La tendance lourde demeure actuellement celle d’une augmentation du territoire automobile, du nombre de véhicules, et de l’accumulation de leurs prestations embarquées. Cette tendance ne fait d’ailleurs que prolonger le déploiement tous azimuts de l’automobile depuis un siècle, présentée comme un symbole de la modernité, de la liberté, de l’efficacité et du gain de temps. 

Selon Laurent Castaignède, c’est ce paradigme qu’il faut remettre en cause. Il s’agit de réorienter la politique en basculant du « tout voiture » au « moins de voitures ». La prise de conscience salutaire va au-delà du simple déplacement en voiture, fût-elle électrifiée ; elle recouvre plutôt les interrogations sur le nombre et la nécessité de ces déplacements, de plus en plus lourdement motorisés, qu’une organisation spatiale plus locale des activités quotidiennes et de loisirs tempérerait. L’avenir de la voiture électrique réside donc autant dans sa réorientation technique que dans la démobilité motorisée à laquelle on pourrait l’associer dans un contexte où une priorité serait accordée, plutôt qu’à l’extension perpétuelle de la surface et des usages routiers, à une gestion globale du recul de l’emprise de la voiture individuelle dans les mentalités et les déplacements, laquelle serait inscrite dans une véritable démarche de réduction de l’empreinte environnementale globale des transports motorisés.

 

Voir l’étude de cas : Mobilité et décarbonation : quelles solutions ?

L’auteur

Ingénieur diplômé de l’Ecole Centrale de Paris et conseiller en impact environnemental, Laurent Castagnède a fondé à Bordeaux le bureau d’études BCO2 Ingénierie, spécialisé dans l’empreinte carbone des projets de bâtiments, de transports et d’événements. Il est l’auteur, chez Ecosociété, de La bougeotte, nouveau mal du siècle (2021) et d’Airvore ou le mythe des transports propres (2022).

Quatrième de couverture

LA VOITURE ELECTRIQUE, a le vent en poupe. Dans un contexte d’urgence écologique, elle semble être la solution pour résoudre les principaux problèmes sanitaires et climatiques causés par la voiture à essence. Pour l’expert e transports Laurent Castaignède, il est urgent de prendre la mesure de la révolution en cours. En Occident comme en Chine, un remplacement aussi rapide et massif du parc automobile est-il possible ? Les promesses écologiques de la voiture électrique seront-elles au rendez-vous ou risquent-elles de s’évanouir dans un nouveau scandale environnemental ?

Pour Laurent Castaignède, nous sommes sur le point d’accepter une nouvelle dépendance énergétique, verdie, sur fond de croissance économique jusqu’au-boutiste. Remontant aux origines de la mobilité routière électrique, l’ancien ingénieur automobile fait le point sur la situation actuelle, dont le dynamisme de déploiement est inédit. Si la voiture électrique n’émet pas de gaz polluants à l’utilisation, elle pose de nombreux problèmes. Elle mobilise des ressources critiques pour sa fabrication et ses recharges, pour des gabarits de véhicules toujours plus démesurés. Elle maintient aussi le modèle de l’auto-solo, sans rien changer aux problèmes d’embouteillage et au poids financier des infrastructures routières sur les collectivités.

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