Alexis a cinq ans et un mois quand il rentre en grande section de maternelle dans une école publique d’un quartier central est plutôt favorisé de Mulhouse. Il vit avec ses parents, Damien et Sandra, et ses deux grands frères : Simon, âgé de huit ans et demi, scolarisé en CE2 dans le même groupe scolaire, et Mikael, âgé de 17 ans, issu d’une première union de sa mère et scolarisé en 1ère ES. Sa famille habite un lotissement (…), aussi central est favorisé, dans une maison mitoyenne d’une surface de 120 m², dotée d’un petit jardin et d’un garage. Damien et Sandra en sont propriétaires depuis 10 ans. (…) [Ils] gagnent à eux deux entre 4 000 et 5 000 euros de salaires nets par mois.
La famille part en vacances plusieurs fois par an, y compris un voyage par an à l’étranger, et le plus souvent en hôtel-club. (…) La famille se caractérise ainsi par une relative aisance économique est une stabilité résidentielle, couplées à une grande stabilité professionnelle. En effet, Sandra travaille depuis 16 ans dans la même entreprise de centre d’appels, où elle est en CDI. Quant à Damien, il travaille depuis 18 ans dans la même société du secteur automobile, en CDI également. Il n’a jamais été au chômage.
Damien, le père, ne lit jamais de livre. (…) Sandra, au contraire, « adore lire » et « li(t) tout le temps ». (…) C’est la première activité à laquelle pense que la question de ses loisirs est abordée. Elle possède de très nombreux livres et lit aussi beaucoup sur sa tablette grâce à une application qui lui permet d’en télécharger. Elle apprécie essentiellement les romans de littérature contemporaine grand public. Au moment des entretiens, elle est en train de lire la trilogie Cinquante nuances de Grey. (…) Les livres pour enfants sont très présents dans l’environnement d’Alexis. Sandra achète souvent des livres à ses fils à l’occasion des courses en grande surface. (…) Les livres sont des cadeaux fréquemment offerts aux enfants à Noël ou pour les anniversaires. Les enfants sont aussi habitués aux abonnements. (…)
Dans la famille d’Alexis, la lecture de livres à voix haute est avant tout une pratique partagée qui suscite le plaisir d’être ensemble. (…) Sandra raconte avec enthousiasme le rituel des histoires du soir. Bien que Damien n’aime pas lire des histoires, il assiste souvent à la lecture faite par Sandra et lui prend manifestement du plaisir. Comme on le voit la lecture est avant tout vécu comme un divertissement. (…)
A côté de ces manières de lire, où le livre est utilisé pour s’amuser et pour faire passer des messages, Sandra sensibilise ses enfants à des aspects propres au texte, en sollicitant l’imagination et l’expression des sentiments : « Des fois, je leur dis ‘fermez les yeux et imaginez le personnage’ » ; « C’est triste, hein, ouais, pourquoi ? », alors je leur pose la question ». Comme on le voit ici, la lecture peut s’accompagner d’un jeu de questions-réponses proches de ce qui se pratique à l’école. C’est encore plus net lorsque les questions portent sur la compréhension : « Je vais lire deux pages et je leur demande ce qu’ils ont retenu ».
Géraldine Bois, « Alexis : un petit dominant pas très scolaire » in Bernard Lahire (sous la dir. de), Enfances de classe. De l’inégalité parmi les enfants, Seuil, 2019.
Questions :
1. Quels sont les avantages dont dispose Alexis lors de son entrée en grande section de maternelle ?
2. Peut-on parler d’un réel investissement familial dans la réussite scolaire ici ?
Voir la correction
Quels sont les avantages dont dispose Alexis lors de son entrée en grande section de maternelle ?
Dans cet extrait, nous pouvons relever différents capitaux, issus de sa famille, dont dispose Alexis, scolarisé en GS de maternelle : il est issu de la classe moyenne et obtient ainsi un capital économique correct qui lui permet d’avoir accès aisément à des livres, à des vacances. Il est à l’abri de toute forme de précarité en raison de la sécurité professionnelle et patrimoniale de ses parents, ce qui libère un temps disponible, en particulier à sa mère, pour s’occuper de l’enfant. Enfin, il a accès à un certain capital culturel à l’état objectivé (livres, abonnements, …) et à l’état incorporé (habitude de la lecture collective, de l’analyse de cette lecture, …).
Peut-on parler d’un réel investissement familial dans la réussite scolaire ici ?
On constate, à la fin de ce texte essentiellement, que la famille développe des dispositions proprement scolaires tout en maintenant la lecture dans un contexte de divertissement, de loisir, ce qui apparaît comme l’une des meilleures stratégies familiales, en congruence avec le travail scolaire.