Document 4. L'indépendance contestée des banques centrales

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Depuis plusieurs semaines, les banques centrales sont sous pression. Les dirigeants étatiques veulent reprendre plus ou moins subtilement la main sur la politique monétaire. Au risque de faire flamber l'inflation.

Dessin Boll pour Les Echos

Le métier de banquier central n'est jamais une sinécure. Mais, depuis quelques mois, les patrons d'instituts d'émission ont intérêt à avoir la peau dure. A la tête de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, est sous le feu constant de tweets exterminateurs de Donald Trump. Le président des Etats-Unis, qui l'a pourtant nommé à ce poste, ne manque pas une occasion de critiquer la politique de resserrement monétaire de la banque centrale américaine, qu'il estime nuisible à l'économie.

Face à ces menaces et tentatives de faire de la Fed un bouc émissaire, Powell fait pour l'instant front. D'autres n'ont pas eu cette possibilité, dans des pays où ces institutions sont plus fragiles. Erkan Kilimci, vice-gouverneur de la banque centrale turque (CBRT), a démissionné fin août. Il était en butte à l'opposition violente du président Erdoğan à toute hausse de taux, malgré une inflation galopante dans le pays. Plus récemment, c'est Urjit Patel, le gouverneur de la Reserve Bank of India, qui a jeté l'éponge. Officiellement, il s'agit d'une démission « pour motifs personnels », mais le conflit entre le banquier central et le Premier ministre, Narendra Modi, couvait depuis plusieurs semaines. Il a été remplacé par un proche de ce dernier.

Ces attaques témoignent d'une tendance préoccupante, celle d'une volonté de plus en plus forte des dirigeants politiques de reprendre la main sur les banques centrales. A un niveau moindre, le degré de violence dont font preuve certains titres de journaux allemands vis-à-vis de la Banque centrale européenne, accusée de mener à la ruine les épargnants, participe également de cette contestation de l'autonomie des politiques monétaires.

De l'avis d'une large majorité d'économistes, cette indépendance est pourtant indispensable aux banques centrales pour atteindre l'un de leur principal objectif : garantir la stabilité des prix en luttant contre l'inflation. D'abord parce qu'elles peuvent opposer au court-termisme des mandats politiques une vision de long terme sur les grands enjeux de l'économie et les mesures à mettre en œuvre. Les gouverneurs sont d'ailleurs nommés pour de longs mandats : huit ans, non renouvelables, pour la BCE, par exemple. De quoi contrebalancer le fait que les dirigeants des instituts d'émission sont choisis par les politiques.

C'est aussi une question de crédibilité. En théorie, une institution se concentrant uniquement sur les enjeux monétaires ne se laissera pas détourner de sa mission, contrairement à un gouvernement qui doit concilier des objectifs contradictoires en termes de croissance, d'équilibre budgétaire et d'emploi. Or, il est plus facile de faire tourner la planche à billets que de taper dans les dépenses publiques ou augmenter la pression fiscale.

A l'inverse, une banque centrale indépendante est en mesure de prendre des décisions douloureuses pour contrer un emballement de l'économie. Les instituts d'émission indépendants seraient donc plus à même d'ancrer les anticipations d'inflation chez les agents économiques et donc de maîtriser l'évolution des prix.

Guillaume Benoit, L’indépendance contestée des banques centrales, Les échos, Publié le 17 déc. 2018 à 8h31

https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/lindependance-contestee-des-banques-centrales-239417

Pourquoi les banques centrales sont-elles le plus souvent « indépendantes » du pouvoir politique ?

 

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