La liste est longue: discriminations à l’emploi, au logement, à l’éducation, aux formations, aux loisirs. Les sources sont nombreuses: enquête TéO de l’Institut national d’études démographiques, étude sur l’accès aux droits du Défenseur des droits, rapports annuels de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur le racisme, multiples opérations de testing (test de discrimination)… Toutes racontent la même chose, année après année:«Les discriminations fondées sur l’origine restent massives en France et affectent la vie quotidienne et les parcours de millions d’individus, mettant en cause leurs trajectoires de vie et leurs droits les plus fondamentaux.»C’est ce que rappelle le Défenseur des droits, dans un rapport, publié lundi 22juin, intitulé «Discriminations et origines: l’urgence d’agir». Jacques Toubon met l’accent sur«l’insuffisance des politiques publiques dans ce domaine», le manque d’ambition et d’envergure des mesures prises par le politique et dénonce«l’affaiblissement du discours public sur l’égalité au profit du discours sur l’identité». La publication de ce document de quatre-vingts pages intervient alors que la crise sanitaire actuelle a aggravé les stéréotypes à l’égard des habitants des quartiers populaires, présentés comme«vecteurs du virus»et«indisciplinés»,face au respect des consignes de distanciation physique et des règles du confinement.«La lutte contre les discriminations fondées sur l’origine doit devenir une priorité politique, au même titre que ce qui a été entrepris ces dernières années en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes», plaide le rapport.A un mois de son départ de cette autorité administrative indépendante après un mandat de six ans, l’ancien garde des sceaux de Jacques Chirac, nommé Défenseur des droits par François Hollande, souligne la«nature systémique» de ces discriminations. L’expression fait bondir certains, elle est pourtant«juste», selon Jacques Toubon, mais«mal comprise»:«Les discriminations ne sont pas le résultat de logiques individuelles, de quelques DRH qui refusent d’embaucher des personnes noires ou arabes,explique-t-il.C’est tout le système qui est en cause, un système qui reproduit les inégalités.»Consciemment ou pas.Entre-soi, déni, préjugés, racisme… Le rapport souligne que«l’expérience répétée des discriminations et leur nature systémique ont des conséquences délétères et durables sur les parcours individuels, les groupes sociaux concernés, et plus largement sur la cohésion de la société française(Ces discriminations entament le rapport de confiance des individus à la société française et aux institutions(…),et alimentent ainsi une recherche d’identité douloureuse et un sentiment de désaffiliation nationale qui, du reste, ne se trouvent pas contrebalancés par des discours politiques forts». La part de la société française concernée est importante et ne se réduit pas à une question de nationalité ou de parcours migratoire. Les discriminations touchent à la fois la population étrangère ou d’origine étrangère (près de 21% de la population française), mais aussi l’ensemble des générations nées de parents français, assignées à une origine différente.
SOURCE: Louise Couvelaire,«Discriminations: le signal d’alarme du Défenseur des droits», Le Monde du 22 juin 2020
QUESTIONS :
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Que dénonce le défenseur des droits?
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En quoi la crise sanitaire ici évoquée fournit-elle une illustration des mécanismes de stigmatisation définis par E.Goffman?
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REPONSE :
1) Que dénonce le défenseur des droits?
Le défenseur des droits fait un bilan des réclamations enregistrées chaque année et déplore des faits de discriminations et leurs conséquences: Les personnes d’origine étrangère ou perçues comme telles sont dès lors surexposées au chômage, à la précarité sociale, à de mauvaises conditions de logement, aux contrôles policiers, à des relations dégradées avec les forces de l’ordre, et leur état de santé est moins bon.«Pour eux, la République ne tient pas ses promesses», déplore M. Toubon.Parmi les 5 500 réclamations enregistrées chaque année par le Défenseur des droits en matière de discriminations, un tiers sont relatives à l’origine – au sens large, origine, nom, religion, lieu de résidence – de la personne (un deuxième tiers concerne les discriminations liées au genre, le dernier tiers celles liées au handicap). On est bien ici dans un processus de stigmatisation tel que le décrit Goffman.
2) En quoi la crise sanitaire ici évoquée fournit-elle une illustration des mécanismes de stigmatisation définis par E.Goffman?
Dans cet article l'auteur rappelle que les populations déjà victimes de difficultés sociales comme le chômage ou le mal logement bien souvent concentrées dans les cités sont aussi celles qui sont montrées comme étant les populations «mauvais élèves» des gestes barrière ou du confinement , voire encore celles qui seraient responsables de la circulation du virus. Les sociologues rappellent que ce sont aussi celles qui ont vécu le confinement de façon la plus sévère (promiscuité des lieux de vie, perte des revenus ou de l 'emploi, etc). On voit comment à partir d'une désignation de leur origine ou de leur milieu de vie ces populations sont «étiquetées et stigmatisées».