Quelques années après la fin de la Première Guerre mondiale, l'Allemagne connut une flambée des prix exceptionnelle par son ampleur et unique dans l'histoire des pays industrialisés : en novembre 1923, un dollar valait 4 200 milliards de marks, contre 60 marks en 1921 et 4,2 en 1914. Un reichsmark de 1922 équivalait à 20 milliards de marks fin 1923 et un kilogramme de pain coûtait 600 milliards de marks ! Durant cette période la masse monétaire passa de 81 milliards de marks fin 1920 à 116000 milliards au milieu de 1923, masse dérisoire à la fin de l'année par rapport à la valeur exorbitante des transactions exprimées en marks.
Les causes de ce phénomène sont diverses : héritage des années de guerre, durant lesquelles l'effort militaire fut financé par l'émission monétaire et par l'endettement de l'État, moyens de financement qui continuèrent à être utilisés ensuite ; poids élevé des réparations de guerre exigées par les Alliés, absorbant 80 % des revenus de l'État, et expliquant que les autorités économiques aient « laissé filer » l'inflation pour montrer que ces réparations étaient insupportables par l'économie allemande. L'inflation était aussi (tout au moins au début) jugée efficace pour stimuler la croissance en favorisant les « actifs » au détriment des "rentiers". Enfin, la spéculation contre le mark accentua le phénomène ; elle était liée au fait que les socialistes au pouvoir inquiétaient les possédants, prompts à placer leurs fonds à l'étranger et observant avec satisfaction la faillite du gouvernement.
D'ailleurs, le rétablissement rapide de la situation en 1924 accrédite la thèse d'une hyperinflation largement spéculative, l'économie réelle allemande étant en relative bonne santé, le potentiel industriel du pays n'ayant pas été affecté par la guerre. Ainsi, dès l'annonce d'un rééchelonnement des réparations (plan Dawes) et d'une aide financière internationale, et après le retrait des socialistes du gouvernement et la création d'une nouvelle monnaie (le rentenmark), gagée fictivement sur la terre et les actifs industriels, les prix cessèrent d'augmenter, et baissèrent même début 1924. En août, le reichsmark gagé sur l'or remplaça le rentenmark, la confiance fut définitivement rétablie et l'inflation disparut. Les années 1924-1929 seront des années de prospérité en Allemagne.
Source : Pierre Bezbakh, Inflation et désinflation, repères, La Découverte, 2019
Questions :
1) Par combien a été divisée la valeur du Mark exprimée en dollars entre 1921 et novembre 1923 ?
2) Par quel mécanisme le poids élevé des réparations de guerre peut-il engendrer de l’inflation ?
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1) Par combien a été divisée la valeur du Mark exprimée en dollars entre 1921 et novembre 1923 ?
4 200 / 60 = 70
Entre 1921 et novembre 1923, la valeur du mark exprimée en dollars a été divisée par 70.
2) Par quel mécanisme le poids élevé des réparations de guerre peut-il engendrer de l’inflation ?
Les réparations de guerre ont été fixées par les Alliés en mai 1921 à Londres à 132 milliards de mark-or. Les transferts induits participent au déficit de la balance des paiements de l’Allemagne. Le mark se déprécie alors sur le marché des changes. Le prix des importations augmente (on parle d’« inflation importée »), entraînant avec lui le niveau des salaires et de l’ensemble des prix. C’est alors que les autorités monétaires créent de la monnaie pour permettre les échanges dont la valeur a augmenté. L’inflation précède ainsi la création monétaire. Ce mécanisme est connu sous le nom de « théorie de la balance des paiements » pour Karl Hellferich (Das Geld, 1923) ou « hégémonie du change » pour Albert Aftalion (Monnaie, prix et change, 1927).