Il ne s’agit pas ici de refaire l’histoire de l’affaire Dreyfus mais de comprendre pourquoi le recours à la mobilisation de l’opinion publique a été la seule issue à l’impasse dans laquelle se trouvaient les premiers partisans de Dreyfus […]. Les révisionnistes1 ont pris conscience que, pour faire sauter le couvercle sur lequel appuient conjointement le gouvernement, la presse, l’Église et l’Armée, il faut un moyen révolutionnaire, le scandale de J’accuse, le passage d’une logique de petit groupe à une logique collective, la transformation de l’affaire en Cause […]. Le procès qui résulte de J’accuse a plusieurs vertus. Celle d’envahir l’actualité journalistique […] avec comme conséquence le passage d’une vérité officielle indiscutée à un débat contradictoire au grand jour […]. Parallèlement […] le cercle des partisans de Dreyfus passe d’un fonctionnement « clubiste »2 à une logique démocratique avec la fondation de la Ligue des droits de l’homme en février 1898, structure d’accueil ouverte pour rassembler de nouveaux partisans de la cause […]. Au-delà de la presse, d’autres méthodes de lutte démocratique sont donc nécessaires. Mais là encore l’agitation de rue est largement le fait majoritaire des antidreyfusards […]. En revanche, plus confiants dans la raison raisonnante, les dreyfusards tiennent à défaut du haut du pavé, le sommet de l’estrade avec leurs multiples meetings, lieux de discussion et de conversion […]. Le changement d’échelle de l’action publique se manifeste, en dehors des moyens évoqués plus haut, par l’utilisation, jamais pratiquée à cette échelle […] des pétitions publiées dans les journaux […]. Le côté rituel qu’a pris depuis […] ce procédé de prise à témoin de l’opinion ne doit pas masquer le caractère inédit et partiellement révolutionnaire de ce retour précisément à la tradition révolutionnaire.
Source : Christophe Charle, « Naissance d’une cause. Mobilisation de l’opinion publique pendant l’affaire Dreyfus », Politix, revue des sciences sociales du politique, 1991.
1Révisionnistes : ici, partisans d’une révision du procès de Dreyfus. Les révisionnistes sont donc dans le cas présent les partisans d’une réhabilitation du capitaine Dreyfus.
2 « Clubiste » : « de club ». Ici, cela signifie que les partisans de Dreyfus fonctionnaient au début comme une petite société fermée et élitiste.
1-À partir de l’extrait de l’émission Karambolage d’Arte en date du 3 mai 2017 (https://www.youtube.com/watch?v=OMvo2PX4_l0), retracez la chronologie de l’affaire Dreyfus
2-Selon le reportage et le texte, que voulaient obtenir les dreyfusards ? Pourquoi leur était-il nécessaire de mobiliser l’opinion publique afin d’y parvenir ? S’agissait-il de l’opinion publique entendue comme opinion des individus les plus éclairés, ou de l’opinion publique entendue comme opinion du plus grand nombre ?
3-Relevez dans le texte comment l’opinion publique a été mobilisée durant l’affaire Dreyfus.
4-Selon vous, pourquoi, en démocratie, est-il devenu légitime d’en appeler à l’opinion publique (au sens d’ « opinion du Peuple ») ?
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1-À partir de l’extrait de l’émission Karambolage d’Arte en date du 3 mai 2017 (https://www.youtube.com/watch?v=OMvo2PX4_l0), retracez la chronologie de l’affaire Dreyfus
Frise chronologique à faire faire par les graphistes ? Inclure les dates suivantes :
27/09/1894 : Découverte à l’ambassade d’Allemagne du « bordereau » faisant état de fuites au ministère des Armées au profit d’une puissance étrangère
15/10/1894 : Arrestation du capitaine Dreyfus, stagiaire à l’état-major des Armées
29/10/1894 : La Libre Parole, journal antisémite, diffuse l’information de l’arrestation d’un officier français
19-21/12/1894 : Procès du capitaine Dreyfus devant le Conseil de guerre
22/12/1894 : Condamnation du capitaine Dreyfus à la dégradation et à la déportation à perpétuité au bagne de Cayenne
05/01/1895 : Dégradation du capitaine Dreyfus dans la cour de l’École militaire
1895 : Enquête du lieutenant-colonel Picquart qui conclut à la culpabilité du commandant Esterhazy
13/01/1898 : Publication par Émile Zola de J’accuse dans le journal L’Aurore
07/08/1899 : Ouverture du procès en révision à Rennes. Nouvelle condamnation de Dreyfus
21/09/1899 : Grâcié, Dreyfus sort de prison
1906 : Réhabilitation d’Alfred Dreyfus
2-Selon le reportage et le texte, que voulaient obtenir les dreyfusards ? Pourquoi leur était-il nécessaire de mobiliser l’opinion publique afin d’y parvenir ? S’agissait-il de l’opinion publique entendue comme opinion des individus les plus éclairés, ou de l’opinion publique entendue comme opinion du plus grand nombre ?
Les dreyfusards cherchaient à obtenir la révision du procès initial et la réhabilitation du capitaine Dreyfus. Il leur était nécessaire d’en appeler à l’opinion publique car les pouvoirs politique et militaire étaient hostiles à leurs revendications et faisaient donc obstacle à leurs demandes. Les dreyfusards tentent de mobiliser l’opinion publique entendue au sens large, comme « opinion du public » et non pas comme l’opinion d’une élite.
3-Relevez dans le texte comment l’opinion publique a été mobilisée durant l’affaire Dreyfus.
L’opinion publique a été avant tout mobilisée par le biais de la presse, que ce soit celle hostile à Dreyfus ou celle qui lui était favorable. Elle prend aussi la forme de manifestations de rue ou de pétitions. Par ailleurs, les dreyfusards se structurent aussi en mouvement grâce à la fondation de la Ligue des droits de l’homme.
4-Selon vous, pourquoi, en démocratie, est-il devenu légitime d’en appeler à l’opinion publique (au sens d’ « opinion du Peuple ») ?
Les démocraties représentatives sont basées sur le principe d’une participation des citoyens à la prise de décision, notamment par le biais d’élections au suffrage universel. Obtenir la majorité des suffrages populaires devient le seul moyen d’accès légitime aux positions de pouvoir en démocratie. De ce fait, recueillir l’assentiment du public devient une nécessité pour mener à bien l’action politique.