Document 2 : Des règles budgétaires aux standards ?

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Le problème de tout système de règles budgétaires construit sur le principe de plafonds de dette et de déficit uniques pour tous les pays est que ceux-ci constituent un très mauvais indicateur de la soutenabilité de la dette, et ce pour quatre raisons. Premièrement, la soutenabilité ne dépend pas seulement des niveaux de dette – ni même des niveaux de dette et de déficit – mais aussi des futurs soldes budgétaires primaires, des futurs taux d’intérêts et de la croissance. Deuxièmement, la relation entre les futurs taux d’intérêts et la croissance est incertaine. Alors qu’aujourd’hui l’on s’attend à ce que la différence entre les deux soit négative à long terme – ce qui impliquerait que même une dette élevée soit compatible avec un déficit primaire -, cela pourrait changer. Troisièmement, le solde primaire qu’un État peut atteindre dépend de nombreux autres facteurs. Parmi eux : le niveau de départ du solde, le niveau des impôts, le type de gouvernement en place et la volonté de la population de soutenir les mesures budgétaires. Quatrièmement, la confiance des investisseurs est importante à prendre en compte. Si la Banque centrale européenne (BCE) peut être capable de prévenir les situations extrêmes de « mauvais équilibres » dans lesquels le manque de confiance des investisseurs devient auto-réalisateur – à mesure que des taux d’intérêts très élevés entraînent une dette très élevée — elle ne peut pas éliminer les différences entre pays en matière de crédibilité de la politique budgétaire. Ces différences rendent l’ajustement budgétaire plus difficile pour certains pays, même s’ils le souhaitent, et par conséquent, elles réduisent encore le niveau d’endettement qui pourrait être considéré comme soutenable. 

S’il reste possible de parvenir à une analyse bien fondée du caractère soutenable ou non de la dette, une telle analyse nécessite la prise en compte de nombreux facteurs : les prévisions de croissance, les taux d’intérêt anticipés, le comportement budgétaire passé du pays, la politique et les institutions. Les règles budgétaires qui traitent tous les pays de la même façon sont dans l’impossibilité de parvenir à cette évaluation bien fondée. Mais de telles règles peuvent sérieusement faire obstacle à la politique budgétaire en tant qu’outil de stabilisation. C’est un problème essentiel. La politique de la « taille unique » de la BCE permet en moyenne de viser juste, mais pas pour tous les membres de la zone euro. De plus, la BCE étant actuellement contrainte par une limite inférieure (lower bound) effective sur les taux d’intérêt, elle pourrait avoir des difficultés à jouer son rôle de stabilisation même pour la zone euro dans son ensemble

Modifier les règles pour les rapprocher du compromis optimal entre permettre une politique de stabilisation et limiter le risque d’une dette insoutenable demanderait la mise en place de règles bien plus complexes – l’inverse de ce que la plupart des propositions récentes tentent de réaliser. Et même des règles très complexes ont peu de chance d’être un succès, car de nombreuses éventualités pertinentes, les probabilités qui y sont associées et la bonne manière de les intégrer dans une règle sont impossibles à identifier en amont.

Pour sortir de ce dilemme, l’Union doit rompre avec les règles budgétaires. Au lieu de tenter de codifier l’arbitrage entre le risque lié à la dette et la capacité des États à stabiliser leur économie, cet arbitrage devrait être évalué au cas par cas. La littérature juridique qualifie cette approche de l’application de standards plutôt que de règles. Les standards énoncent un objectif, mais sans préciser pleinement comment il doit être atteint. La prescription de “ne pas rouler à plus de 90 km/h” est une pure règle ; celle de “ne pas rouler à une vitesse excessive” est un pur standard. L’appréciation d’une vitesse considérée comme “excessive” dépend de la situation et sera fondée sur le jugement, les normes sociales et les précédents juridiques.

 

Source : Que faire des règles budgétaires européennes ? O. Blanchard, A. Léandro, J. Zettelmeyer, Le grand continent, février 2021 

Questions

1) Quelles sont aujourd’hui les deux grands principes sur lesquels se fondent les traités européens pour assurer une bonne gouvernance des finances publiques de la zone euro ? 

2) Quelles sont les critiques formulées par le texte sur ces principes ? 

3) Par quoi devrait-on les remplacer selon le texte ? 

Voir la correction

1) Le pacte de stabilité et de croissance (1997) puis le pacte budgétaire (2011) mettent en avant diverses obligations pour les politiques budgétaires des pays de la zone euro. Les 2 principales sont que la dette publique au sens de Maastricht ne doit pas dépasser 60% du PIB et que le déficit public lui ne doit pas dépasser 3% du PIB et doit tendre à l'équilibre. 

2 Le texte émet 4 critiques:

  •  la soutenabilité ne dépend pas uniquement des niveaux de dettes et de déficit mais de leur évolution

  •  on ne peut connaître à l'avance les taux d'intérêt et la croissance ainsi que leur relation

  •  Le solde primaire que chaque état peut atteindre et variable en fonction de multiples conditions et ne peut être uniforme à l'échelle de la zone

  • l'élément clé de la soutenabilité est la crédibilité et la confiance que les investisseurs ont dans l'état et ses politiques. Or, les règles budgétaires ne garantissent pas la confiance des marchés

3. le texte préconise de remplacer les règles par des standards. Ceci correspondrait à des objectifs (stabiliser sa dette par exemple) sans préciser la manière d'atteindre l'objectif. Ceci laisserait une marge d'appréciation et d'adaptation de chaque état à sa situation.

 

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