Thales et la construction du ciel unique européen

Thales et la construction du ciel unique européen

Introduction

Thales (anciennement Thomson-CSF) est une société d'électronique spécialisée dans l'aérospatial, la défense et les techniques de l'information. Le groupe Thales comprend six divisions : Aéronautique, Naval, Sécurité et Services, Systèmes aériens, Spatial, Systèmes Terre et Interarmées. En 2007, il a réalisé un chiffre d'affaires de  12,6 milliards d'euros pour un bénéfice net de  887 millions d'euros. Le groupe emploie par ailleurs  77 028 salariés, dont la moitié se trouve en France. La présence de Thales dès l'origine du projet SESAR s'explique par sa position de leader mondial dans la fourniture de systèmes aéronautiques aux ANSP (Air Navigation Service Providers, ou fournisseurs de services de navigation aérienne). Pour Thales, un projet de cette envergure est une occasion unique de demeurer en avance dans la définition et le développement de futures générations de systèmes.

Le fonctionnement du transport aérien en Europe

Principe

Le transport aérien implique deux grandes catégories d'acteurs : d'une part les compagnies aériennes et industrielles du secteur aéronautique qui sont en concurrence sur leurs marchés respectifs, d'autre part les aéroports et fournisseurs de services de navigation aérienne (qui sont en situation de monopole géographique). Les compagnies aériennes transportent les voyageurs et le fret ; elles empruntent pour ce faire les routes gérées par les  ANSP et se font facturer les prestations fournies par celles-ci. L'harmonisation de la gestion de la navigation aérienne en Europe est assurée par  Eurocontrol  (organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne, dont le siège est à Bruxelles et qui compte aujourd'hui  38 Etats membres), qui a été créée en 1963, à l'origine pour unifier sous son égide la gestion du trafic aérien dans l'espace supérieur. Aujourd'hui, Eurocontrol centralise les informations sur les vols effectués, facture aux utilisateurs de l'espace aérien les prestations de service par le biais de redevances décidées au niveau national, et reverse ensuite le montant à chaque ANSP. Quant aux ANSP, elles gèrent le trafic aérien en flux et en capacité dans leur secteur. Les aéroports, généralement gérés par les Chambres de commerce au niveau local, se font rémunérer pour accueillir les différents vols et hébergent les services des ANSP.

Les transports aériens sont désormais vitaux pour l'économie mondiale, et ce pour quelques raisons majeures :

  • ils sont un facteur important du développement économique car ils permettent une circulation rapide et efficace des personnes et des biens en assurant également une liaison essentielle avec les régions rurales ;
  • bien qu'il soit difficile d'établir en toute certitude si le transport aérien est mieux placé que les autres modes de transport du point de vue des externalités négatives engendrées (bruit, accident, pollution…), il est tout de même évident  qu'il nécessite moins de surface au sol pour son exploitation et que les accidents sont moins fréquents que pour la plupart des autres modes de déplacement ;
  • les transports aériens sont un élément important dans la création des richesses puisqu'on estime qu'en Europe ils contribuent à hauteur de  220 milliards d'euros au PIB européen, tout en employant  3,1 millions de personnes ; cette tendance devrait d'ailleurs s'amplifier dans un proche avenir car les différentes projections disponibles prévoient un doublement, voire un triplement du trafic aérien au cours des vingt prochaines années.
  • Faiblesses

    La faiblesse majeure du système européen tient au fait que les coûts des services de navigation (coûts de l'ATM : Air Traffic Management) sont 85 % supérieurs à ceux appliqués aux Etats-Unis. Actuellement, le coût du système européen de contrôle aérien est évalué à 7 milliards d'euros par an et, puisqu'on peut penser que l'évolution des coûts est proportionnelle à l'accroissement du trafic, l'absence de réforme du modèle actuel déboucherait sur une gestion de ce  trafic qui coûterait entre  14 et 18 milliards par an en 2020, ce qui représente à l'évidence une évolution inacceptable.

Le surcoût du trafic aérien en Europe est avant tout imputable à la fragmentation du ciel européen, organisé pour l'essentiel sur une base nationale malgré, comme on l'a vu plus haut, la tentative d'intégration que représente la création d'Eurocontrol en 1963 . Cette fragmentation conduit à un nombre trop élevé de centres de contrôle aérien et de secteurs : par exemple, un avion traversant l'Europe du Nord au Sud en deux ou trois heures sera pris en charge par jusqu'à 15 contrôleurs aériens différents, pour une durée n'excédant parfois pas une dizaine de minutes ; de plus, les différents systèmes de navigation ne sont pas inter opérables, ce qui se traduit par une coordination et une optimisation plus difficile entre secteurs.

La gestion de la file d'attente des  avions avant l'atterrissage ou le décollage n'est pas optimale, ce qui accroît le délai entre chaque avion et donc le maintien en vol de l'appareil autour de l'aéroport. D'une manière plus générale, la gestion du trafic aérien en Europe  (procédures, programmes de formation, questions organisationnelles) n'est pas assez souple pour permettre une organisation du trafic en temps réel. Une autre faiblesse du trafic  aérien cloisonné tient aux problèmes de sécurité : si l'avion est devenu progressivement un moyen de transport assez sûr, trois accidents graves ont eu lieu au cours de ces cinq dernières années en Europe, accidents liés à des problèmes de contrôle aérien ; en effet, plus le trafic augmente, et plus les systèmes existants atteignent leurs limites de capacité, accroissant par là-même le risque d'accident. Enfin, une autre insuffisance de la non coordination des systèmes nationaux de navigation aérienne est d'empêcher le développement technologique de se dérouler de manière efficace, avec des doubles emplois, des retards injustifiés dans la mise en service des équipements, etc.

D'ailleurs, de grands projets industriels comme Galiléo, le programme de navigation par satellite, ont déjà montré l'importance de la politique industrielle européenne dans la croissance et le développement de l'ensemble de l'Union. C'est dans ce même esprit que le programme SESAR se propose de mettre au point la technologie, les méthodes d'organisation et les composants industriels pour garantir la sécurité et la fluidité des transports en Europe.

Le ciel unique européen

Objectifs et cadre juridique

Le ciel unique européen est un ensemble de mesures qui visent à répondre aux besoins futurs en termes de capacité et de sécurité aérienne, mesures portant sur la réglementation, l'économie, la sécurité, l'environnement, la technologie et les institutions. L'objectif est de mettre fin à l'organisation du trafic aérien qui n'a pas évolué depuis bon nombre d'années. En effet, la technologie utilisée pour la gestion du trafic aérien date des années 1970, voire pour certains aspects, des années 1950. Dans le cadre de cette technologie, le contrôleur aérien au sol donne des instructions aux pilotes par liaison radio en ondes métriques (VHF), un système mis au point dans les années 1960. Le processus décisionnel en matière de gestion du trafic aérien est pour l'essentiel non automatisé, ce qui impose une lourde charge aux contrôleurs aériens qui doivent anticiper tous les schémas de trafic. Pour remédier à cette situation, l'Union européenne a établi un nouveau cadre institutionnel et organisationnel via la mise en œuvre depuis le 30 décembre 2004 d'un paquet législatif sur la gestion du trafic aérien. Ce "paquet" comprend un règlement-cadre et trois règlements techniques relatifs à la fourniture de services de navigation aérienne, à l'organisation et à l'utilisation de l'espace aérien ainsi qu'à l'inter opérabilité du réseau européen ; il concerne principalement la séparation entre les activités réglementaires et la fourniture de services, la réorganisation de l'espace aérien européen en "blocs d'espace aérien fonctionnels" (BEAF) définis en conformité en fonction des flux de trafic opérationnels  (sans tenir compte des frontières nationales), et l'affirmation d'un rôle essentiel pour la Commission européenne dans la fixation de règles et de normes communes couvrant un large éventail d'aspects, tels que les échanges de données relatives aux vols et les télécommunications.

Le programme SESAR

Le programme SESAR est le volet technique de la réalisation du ciel unique européen qui, outre l'objectif politique d'approfondissement de la construction de l'Union, poursuit un objectif technique et économique qui est de faire face à l'augmentation du trafic, de réduire les coûts du contrôle aérien, de diminuer les atteintes à l'environnement, d'améliorer la souplesse et la sécurité, et aussi un objectif de politique industrielle consistant à soutenir et à renforcer la compétitivité de l'industrie européenne de l'aéronautique et de l'ATM sur le plan mondial. Ce programme comporte deux phases qui sont les phases de définition et de mise en œuvre. La phase de définition (coût : 60 millions d'euros) a été conçue et co-financée par la Commission européenne et Eurocontrol, et  menée à bien par une cinquantaine de partenaires  (compagnies aériennes, aéroports, services de navigation aérienne, militaires, associations représentant les contrôleurs aériens et les pilotes) ; cette phase avait pour but de définir les grandes lignes du trafic aérien à l'horizon de 2020, avec des objectifs chiffrés de performance, de concepts opérationnels, ainsi que les grands principes d'architecture-système, de technologies-clés, et le programme pour y parvenir.

Au sein du consortium, une équipe projet menée par  Air Traffic Alliance (EADS, Airbus, Thales) était chargée du management de la phase de définition ; l'étape de définition, démarrée en 2006, s'est achevée en 2008 ; son succès est d'avoir tenu les délais, rassemblé tous les acteurs de l'ATM européen, établi une vision homogène et partagée de l'ATM européen à l'horizon 2020 et défini une feuille de route des développements techniques et opérationnels. La phase de mise en œuvre se déroulera en deux étapes : une étape de développement  (2008 / 2013)  et une étape de déploiement (2014 / 2020). La phase de développement (coût : 2,1 milliards d'euros) est marquée par la création d'une nouvelle structure, l'entreprise commune SESAR qui est une entité juridique mixte (public et privé) combinant l'horizon d'investissement à long terme des autorités publiques avec l'innovation technologique de l'industrie ; cette entreprise commune a deux membres fondateurs qui sont la Commission européenne et Eurocontrol, et elle a été officiellement créée par le Conseil européen des ministres des Transports en date du 27 février 2007. Son rôle sera de mettre en oeuvre le programme SESAR sur la base des résultats obtenus par la phase de définition.

Quant à son financement, il provient de la Commission européenne pour 700 millions d'euros, d'Eurocontrol pour 700 millions, et de l'industrie privée (industrie manufacturière, services de navigation, aéroports)  pour  700 millions également. La phase de déploiement (coût estimé à plus de  20 milliards d'euros)  est destinée à mettre au point les technologies qui formeront la base de la nouvelle génération de systèmes ; cette phase visera également des améliorations fonctionnelles dans des domaines comme l'évolution des outils d'aide automatisés ou le partage des tâches entre le sol et l'aéronef.

Conclusion

SESAR  est une opération illustrant de manière concrète la façon dont peuvent se construire et se mettre en œuvre les politiques communes dans l'Union européenne, en l'occurrence la politique de la concurrence. Progressivement, on voit se mettre en place un modèle économique et politique où chaque Etat est renvoyé à son rôle de régulateur et d'autorité de contrôle, où la coordination de l'ensemble des activités est confiée à un niveau supranational, tandis que des pans entiers de l'économie, jusqu'alors administrés, sont transférés à la logique du marché. A ce stade, on peut se poser la question du financement d'un  service public comme la régulation de la navigation aérienne. N'est-il pas avant tout du ressort de la puissance publique de prendre en charge les infrastructures de communication, comme le souligne  Adam Smith dans La richesse des nations ? En fait, l'implication d'entreprises comme Thales, qui évoluent sur un marché très concurrentiel  (marché des fournisseurs de systèmes ATM) se justifie par le fait que ces entreprises espèrent bénéficier du décloisonnement du secteur aérien auquel elles contribuent. L'adoption des standards technologiques formalisés dans le cadre de  SESAR  conduit à de nombreux investissements dans le cadre d'un  marché potentiel. Et, conformément à la théorie de Krugman, on peut penser que l'extension du marché est un atout de développement pour les entreprises, grâce aux économies d'échelle réalisées qui permettent l'application de la loi des rendements croissants. Le projet de ciel unique européen est donc à la fois une opportunité de développement pour les entreprises de services de navigation aérienne et pour les consommateurs, puisque la diminution des coûts attendue devrait être répercutée sur le prix des billets.

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