Le chantier de la libéralisation postale européenne

Dans un contexte de globalisation de l'économie et dans le cadre de la construction européenne, les institutions communautaires ont souhaité mettre en place un service postal harmonisé. A travers cette démarche, les Etats membres de l'Union européenne ont voulu créer un véritable marché européen de services postaux, ce qui les a conduits à ouvrir progressivement à la concurrence leur marché national. 

Cette volonté commune recouvre toutefois de réelles différences de positionnement par rapport à la logique de libéralisation. Certains pays membres de l'Union sont favorables à une accélération du processus d'ouverture du marché postal à la concurrence, tandis que d'autres adoptent une attitude plus prudente face à la libéralisation de ce marché, qui a depuis ses origines fonctionné en monopole pour des raisons économiques, sociales et politiques. Pour tous, l'enjeu est aujourd'hui de mettre au point les règles qui permettront de faire fonctionner l'économie postale selon les règles du marché tout en préservant un service universel performant. Du point de vue industriel, ce changement des règles du jeu constitue un véritable défi pour les opérateurs historiques du marché postal, contraints de s'adapter à une concurrence qui s'organise à l'échelle européenne et mondiale. 

La libéralisation postale : un processus récent


L'organisation initiale : la poste comme monopole naturel

    Une entreprise monopolistique spécifique

L'activité postale est une infrastructure économique essentielle qui fonctionne sous le régime du monopole naturel, puisqu'il est économiquement plus rationnel de confier à une seule entreprise les services de collecte, de tri et de distribution de lettres et paquets n'excédant pas un certain poids. Historiquement, les monopoles postaux ont été assurés en Europe par les Etats, qui leur ont assigné la mission d'assurer sur l'ensemble de leur territoire un service caractérisé par les mêmes critères de continuité, d'égalité et d'adaptabilité. Ainsi, grâce à la péréquation tarifaire, l'acheminement d'une lettre se fait au même prix en tout point d'un pays. En France par exemple, le tarif unique a été imposé dès 1848 pour les services postaux afin de marquer l'indivisibilité territoriale. Cela s'est concrétisé par la création du timbre unique applicable à tous les envois postaux en France. Au-delà de son rôle économique et social, le monopole postal est donc également investi d'une mission de service public d'aménagement du territoire.
 

  Un service d'intérêt général

Les infrastructures postales privilégient ainsi la proximité avec les clients. En France, on compte plus de 17 000 points de contacts postaux répartis dans 11 000 communes. Le réseau postal joue par conséquent un rôle déterminant dans l'aménagement du territoire, en particulier dans les zones rurales (59% des bureaux se situent dans des zones rurales qui regroupent 26% de la population). Pour pallier le déséquilibre entre le coût d'un bureau de poste et sa rentabilité, le réseau postal s'enrichit d'autres points de contacts comme les bureaux de tabacs, d'autres commerces de proximité et des grandes surfaces pour distribuer les services de La Poste (vente de timbres et d'autres produits postaux). 

 

 

L'évolution du marché postal

 

Un marché de plus en plus concurrentiel

Le marché de l'activité postale a été profondément affecté par le développement rapide des nouveaux moyens de communication. L'une des conséquences du développement des NTIC (Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication) a été la baisse des échanges de lettres, tandis que la croissance de produits à valeur ajoutée comme la messagerie rapide, la logistique, le transport express ont profondément modifié la structure du marché. Sur tous ces segments en développement rapide, les entreprises postales ont été confrontées à la nécessité de s'organiser à l'échelle européenne, au travers d'abord d'accords commerciaux, puis d'acquisitions transfrontalières. 
 

Vers une harmonisation des services postaux dans l'Union européenne

Les institutions de l'Union européenne ne se sont intéressées au secteur postal que tardivement, c'est-à-dire à partir de 1989. Les Etats membres étaient soucieux à la fois de garantir l'avenir du service public postal tout en libéralisant l'économie du secteur. Ce souci d'équilibre a conduit à la mise en place d'une réglementation visant à définir un service universel, dû à tous les citoyens de l'Union, et simultanément à empêcher les discriminations préjudiciables aux nouveaux entrants sur le marché des services postaux. 
 

Principes et étapes de la libéralisation postale européenne

Les grands principes de la libéralisation

  L'ouverture progressive des marchés à la concurrence


Le processus de libéralisation permet aux entreprises postales non seulement d'étendre leur champ d'action en terme d'offre de services mais aussi de privatiser leur structure en s'affranchissant peu à peu de la tutelle historique des Etats. 
L'ouverture à la concurrence s'opère toutefois de façon progressive ; ce rythme graduel permet aux opérateurs historiques de s'approprier les nouvelles règles de concurrence établies au niveau européen, sans bouleverser l'équilibre économique du secteur.
 

Service universel et services réservés

Avec le Livre vert postal de 1992 s'ouvre le débat sur "le développement du marché unique des services postaux". Le texte de la Commission européenne évoque pour la première fois la notion de service universel pour la poste. Apparaissant à certains égards comme une déclinaison du concept français de service public, le service universel sera défini par la directive de 1997. Pour financer le service universel, la directive prévoit la mise en place, soit d'un fonds de compensation, affecté à la sauvegarde du service universel, soit de services réservés, gérés de manière monopolistique. L'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la Finlande, la Grèce, l'Italie optent pour le fonds de compensation, tandis que la France choisit de privilégier les services réservés.

La directive de 1997 impose également aux opérateurs postaux la tenue d'une comptabilité analytique rigoureuse qui distingue les différents types de services (réservés, non réservés, universel, non universel), la vérification des comptes devant être réalisée par une autorité de régulation indépendante. 

 

Les étapes de la libéralisation postale en Europe

 

Une libéralisation contrôlée

Depuis 1992, la préoccupation des institutions communautaires est de mettre en place à l'échelle européenne une réglementation qui concilie le maintien d'un service universel fort et la libéralisation progressive du marché postal. Les travaux de la Commission européenne ont abouti à l'adoption par le Conseil et le Parlement européen de deux directives, en décembre 1997 et juin 2002, destinées à réglementer et à accompagner l'ouverture à la concurrence du marché postal. 

La mise en place du service universel vise à garantir à tous les usagers des services "répondant à des normes de qualité déterminées et à des prix abordables de manière permanente et sur l'ensemble du territoire". Le service universel couvre le périmètre suivant : "envois postaux d'un poids inférieur ou égal à 2 kg, colis postaux jusqu'à 20 kg, envois recommandés et envois en valeur déclarée". 

La directive de 1997 définit également le périmètre des services réservés, destinés à financer le service universel. Ces services comportent la levée, le tri, le transport et la distribution des envois, dans la limite de 350 grammes et à un prix inférieur à 5 fois le tarif public applicable à un envoi de correspondance de premier échelon. 

Le calendrier d'application imposait que les mesures de la directive soient transposées dans le droit national avant décembre 2000 et qu'elles soient en vigueur dans tous les pays de l'Union avant le 1er janvier 2003. 
 

  Vers une accélération du processus?

La première directive postale est révisée en codécision par le Conseil des ministres de l'Union européenne et le Parlement européen le 10 juin 2002. Le texte de la seconde directive communautaire fait l'objet d'âpres débats : son objectif principal, qui est d'accélérer la libéralisation du marché postal de manière à en parachever l'ouverture pour la fin 2008, se heurte aux fortes réticences exprimées par des pays comme la France, partisans d'une ouverture plus progressive.

La directive de 2002 définit les nouveaux contours des services réservés pour la correspondance intérieure et transfrontalière entrante : la limite de poids est fixée à 100 grammes à partir du 1er janvier 2003 et à 50 grammes à partir du 1er janvier 2006. Quant aux prix, ils ne doivent pas excéder 3 fois le tarif public applicable à un envoi de correspondance de premier échelon en 2003 ; ce niveau doit être abaissé à 2,5 à partir de 2006.

Dans ce cadre législatif européen favorable au marché ouvert, le principal enjeu, sur le plan industriel, réside dans la manière dont les opérateurs historiques vont s'adapter à la nouvelle donne, et réagir à l'entrée sur plusieurs segments de leur marché d'entreprises de transport privées. 
 

Les nouvelles stratégies des opérateurs postaux

L'adaptation des opérateurs historiques

 

Les Postes les plus en pointe dans le processus de libéralisation

Dix postes européennes sur quinze étaient placées en 2001 sous un statut de droit privé. Par ailleurs, la majorité des pays de l'Union européenne ont adopté une législation qui va plus loin que ce que demande la directive européenne en termes d'ouverture à la concurrence des différents services postaux ; cela concerne essentiellement les services destinés aux entreprises comme le publipostage. On constate que le processus de libéralisation postale en Europe a généré des situations nationales relativement hétérogènes, dans la mesure où les pays du nord de l'Europe sont généralement assez avancés dans le processus d'ouverture au marché postal, tandis que dans les pays du sud de l'Europe, l'ouverture du marché à la concurrence est considérée avec prudence. Cet état de fait est dû aux structures historiques des institutions postales de chaque pays, qui se positionnent différemment par rapport au secteur privé et à la notion de service public. 
 

  Les Postes les plus prudentes

Davantage en retrait vis-à-vis de l'accélération de la libéralisation du marché postal, les postes du sud de l'Europe sont aussi souvent chargées de missions de service public plus lourdes. La poste française a ainsi financé jusqu'à présent sur ses fonds propres des missions de service public d'aménagement du territoire, qui dépasse le périmètre de son cœur de métier. En tant que structures publiques, la libéralisation impose aux postes des changements à plusieurs niveaux, à la fois sur le plan culturel (attachement à la notion de service public) et sur le plan de leur organisation. Néanmoins l'ensemble des postes européennes s'adaptent au processus de libéralisation de leur marché, en diversifiant leurs activités (express, messagerie, logistique, les services liés aux nouvelles technologies) et en développant leur présence internationale. 
 

 

Les opportunités pour le secteur privé

 

  Une nouvelle palette de services

Par le passé, le secteur privé du transport ne s'est développé qu'en dehors des domaines réservés aux opérateurs monopolistiques, c'est-à-dire dans le développement de services à valeur ajoutée en termes de volume, de délais de livraison, de services aux clients. En France, par exemple, avant 1999, la loi circonscrivait le monopole postal au transport de lettre, paquets et papiers n'excédant pas 1kg. 

Avec l'ouverture à la concurrence de certains services auparavant réservés au monopole postal, et notamment du courrier (au-dessus d'un certain poids), les entreprises de transport privées sont en mesure de pénétrer des marchés historiquement protégés. Elles ont développé une offre structurée autour de plusieurs axes : poids (léger, lourd, fret), temps (rapidité, livraison à heure définie), services (tri, transport, stockage, distribution), services à valeur ajoutée (assurance, suivi de colis), distance (secteurs géographiques, national, international). L'activité du transport de lettres ne représente plus que 5% du marché postal lato sensu et tend d'ailleurs à décroître à mesure qu'Internet se développe. Cependant l'activité courrier représente encore une part importante du chiffre d'affaires des entreprises postales, même si les contours du marché postal dépassent désormais l'activité de transport de courrier et s'étendent au transport de colis, à l'express et à la logistique. Dans ce nouveau contexte, des entreprises privées d'envergure internationale comme UPS rivalisent en termes de parts de marché pour le transport de colis et les services express avec des groupes postaux européens (DPWN, TPG ou La Poste). Les opérateurs historiques ne sont toutefois pas sans atouts, à condition d'avoir mené à bien les réformes de structure indispensables pour s'adapter à un univers de plus en plus concurrentiel (stratégie marketing, approche commerciale agressive, etc.). En effet, ils disposent d'une puissance économique et d'un maillage territorial qui leur assurent un réel avantage compétitif. 

  Les stratégies de développement

Pour faire face à la concurrence internationale sur le marché du transport et de la logistique, différentes stratégies d'alliances sont mises en œuvre par les postes européennes. Elles se traduisent, soit par des accords commerciaux transfrontaliers, soit par des opérations de croissance externe (rachat de différentes sociétés de transport : express, messagerie, fret, logistique) en Europe et dans le monde. 
C'est parce qu'elle voulait se doter des moyens nécessaires pour le financement de telles opérations en Europe et dans le monde que la Poste allemande a procédé, en 2000, à l'ouverture de son capital. Réalisant 22% de son chiffre d'affaires à l'international en 1999, elle est aujourd'hui le premier groupe postal européen. La même stratégie de croissance avait été menée par la poste hollandaise, qui avait été la première entreprise postale à être cotée en bourse. Quant à la poste britannique, elle a privilégié les alliances sous forme de joint-ventures avec les postes néerlandaise et singapourienne. 

L'objectif des postes européennes est donc de devenir des acteurs globaux pour agir sur un marché élargi et international qui va du transport de courrier à la logistique en passant par l'express et les services bancaires (qui sont déjà ouverts à la concurrence). Ainsi, au-delà du service universel dont la prestation est une obligation légale, la stratégie des postes européennes est bien de se positionner sur un marché dépassant la simple activité postale (collecte, tri et distribution de courrier), que la libéralisation postale rendra de plus en plus concurrentiel. L'ambition de la Poste allemande est ainsi de devenir le leader mondial de la logistique, tandis que la Poste française se positionne sur une stratégie de proximité et de conquête internationale.

Conclusion

L'objectif des entreprises postales européennes intervenant sur un marché globalisé et concurrentiel est d'être en mesure d'offrir une palette de services complète à tous les niveaux pour satisfaire des clients nationaux et internationaux. Cet objectif industriel va se faire plus contraignant à mesure que de nouveaux segments du marché postal s'ouvriront à la concurrence ; il devra être concilié avec le maintien d'un service universel de qualité, qui représente à la fois un enjeu économique, social et politique.



Les comptes et la gestion de La Poste (1991-2002) : rapport au Président
de la République suivi des réponses des administrations intéressées
Cour des comptes
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/brp/notices/034000622.shtml 

 

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