La politique de concertation mise en œuvre pour améliorer la continuité de service à la RATP

L'étude de cas proposée ici est la synthèse d'une étude réalisée par Christophe Cauchy,académie de Rennes, etPhilippe Moncourrier,responsable de l'observatoire social de la RATP, et présentée dans le cadre des Entretiens Louis le Grand 2006 consacrés au thème "Dialogue social et progrès social dans l'entreprise". Le texte complet et le PowerPoint associés sont disponibles sur le site de l'Institut de l'entreprise.

La continuité et le service public

La mission de service public confiée à la RATP repose notamment sur la continuité de son activité. Cela implique de concilier deux droits de même valeur constitutionnelle: la continuité de service et le respect du droit de grève.

En effet, toute perturbation dans le déplacement des 10 millions de franciliens transportés chaque jour a des répercussions économiques et sociales qui dépassent le simple cadre de l'entreprise.

Tout blocage du réseau produit rapidement des externalités négatives liées au supplément de coût social ou économique supporté par les usagers (ne pas pouvoir se rendre à son travail implique une perte de revenu immédiat et d'autres coûts induits). Ces conséquences plus larges ont une répercussion, difficile à quantifier, sur l'image de l'entreprise auprès de ses voyageurs.

Sur cette base, le dialogue social doit s'appuyer sur des pratiques non conflictuelles pour contribuer à la mission de service public confiée à l'entreprise.

Indépendamment des motifs de conflits, la RATP a cherché à concilier continuité du service et respect du droit du travail en mettant en place un certain nombre "d'innovations sociales" visant à améliorer la concertation entre partenaires sociaux et faciliter la prévention des conflits collectifs.

Le contexte

À la fin des années 80, avec en moyenne chaque année 1 000 préavis et 1 jour de grève par agent, les relations sociales de la RATP étaient basées sur une culture d'opposition renforcée par une structure centralisée, une organisation pyramidale, hiérarchisée et un management sans réelle autonomie.

A partir de 1990 et partant de ce constat, une décentralisation conjuguée à une responsabilisation du management ont crée les conditions nécessaires à l'évolution du dialogue social.

Parallèlement, certains changements sociétaux ont participé à la nécessité et à la volonté d'améliorer le dialogue social en interne. II s'agissait entre autre du développement du degré d'exigence de l'opinion publique et des voyageurs, ainsi que des évolutions de la réglementation du droit du travail.

De plus en plus, la demande des voyageurs obéit à une logique marchande et individuelle, et s'appuie sur une demande nouvelle de qualité, notamment en terme de régularité de service ou de confort. A titre d'exemples, la moitié des voyages n'est plus liée aujourd'hui à un déplacement professionnel, deux tiers des trajets en transports en commun sont des parcours de banlieue à banlieue et le trafic en heures creuses s'est intensifié.

La RATP transporte dorénavant des voyageurs-clients et a pour ambition de prendre en considération leurs attentes, dont l'exigence d'un service de qualité et continu. L'enjeu de la continuité de service répond donc directement aux nouvelles attentes socio-économiques. Pour la RATP, il s'agit aussi d'un enjeu de fidélisation : le voyageur doit être un client régulier.

Dès la fin des années 80, l'entreprise a pu anticiper ce mouvement en conciliant l'amélioration de son niveau de performance et la qualité de l'offre et se rapprocher des attentes des consommateurs.

Décentralisation de la structure et responsabilisation managériale

En 1990, une réforme d'importance est menée aboutissant à la mise en place d'une nouvelle organisation de l'entreprise. La décentralisation de ses structures et une réduction du nombre de niveaux hiérarchiques jetaient les bases de la responsabilisation du management. Depuis cette réforme, la RATP compte trois niveaux de responsabilité (au lieu de quatorze auparavant) : la direction générale, les départements (Bus, Métro, ... ), et les unités opérationnelles (centres bus, ligne 1, ligne 2, etc.).

Le modèle entrepreneurial adopté permet de renforcer la décentralisation des décisions et la logique de négociation, par exemple en donnant aux directeurs des unités opérationnelles le pouvoir de négocier et la capacité de prendre des décisions.

Outre les bénéfices sociaux et effets de structure, la politique de responsabilisation managériale se traduit par des objectifs individuels, l'introduction d'une part variable de la rémunération en fonction des résultats obtenus, la mise en place de parcours professionnels et d'une politique de formation/promotion qui vise à renforcer les possibilités de mobilité interne transversale et verticale, faisant de la RATP une entreprise de promotion sociale à compétences variées. Cette politique volontariste a des effets induits importants et vise à rendre les salariés acteurs du changement, à modifier les façons de travailler et développer chez tous les partenaires une culture de résultats.

Des valeurs communes aux différents acteurs

Le pendant de cette réforme était la mise en place de nouvelles institutions représentatives du personnel plus proches des agents en accompagnement de la décentralisation. Des comités d'établissement ont ainsi été mis en place au niveau des grands départements de l'entreprise et des délégués du personnel au niveau des unités opérationnelles. Avec le temps, l'ensemble de ces nouveaux acteurs va apprendre à travailler ensemble, à développer les moyens de rendre les relations plus constructives.

La délégation de pouvoir aux responsables d'Unité Opérationnelle déplace la régulation sociale au niveau du terrain et vise à faciliter les accords d'unité. Une décision est d'autant mieux acceptée qu'elle est partagée et se prend au niveau du terrain. Modifier la relation salariale suppose une reconnaissance mutuelle. L'un des enjeux du dialogue social concerne la légitimité du management et l'amélioration des outils de gestion des relations avec les agents de terrain, par exemple en offrant plus de souplesse pour construire et organiser le dialogue.

Le pari fait à la RATP avec les partenaires sociaux est de mettre en place des procédures de dialogue social donnant aux salariés et à leurs représentants les garanties d'être entendus sans pour autant aller au conflit et arrêter le travail.

Le challenge était de passer à une conception du droit de grève comme ultime recours et à une logique positive et constructive où le client, l'entreprise et ses salariés sortent gagnants grâce à des relations internes basées sur le respect mutuel et le dialogue.

La politique de concertation

La concertation à la RATP est envisagée avec l'ensemble des parties prenantes externes et internes. Les attentes des clients sont directement prises en compte notamment grâce à des sondages et des relations régulières sont par ailleurs entretenues avec les associations représentatives. Les rapports avec les collectivités locales sont organisés par des structures spécifiques territorialisées. En interne, le dialogue social est entretenu avec les agents et les organisations syndicales.

Avec les clients et leurs représentants

Un Protocole de concertation entre 19 organisations nationales de consommateurs et d'usagers des transports et la RATP signé en 1996 prévoit un engagement annuel de réunion avec des thèmes arrêtés d'un commun accord, des visites, l'explication des politiques... Ce protocole a été prolongé avec la signature d'un avenant en 2005 portant sur le thème de l'information voyageurs. Dans cet avenant, la RATP s'engage sur le respect d'un référentiel d'information des voyageurs en cas de situation perturbée prévisible liée à des grèves. La présentation d'un bilan annuel est organisée chaque année, les associations suggérant à cette occasion des améliorations sur les dispositifs d'information mis en place.

Par ailleurs, un dispositif de médiation interne permet aux clients ou aux associations de régler certains différends commerciaux.

Des actions commerciales sont réalisées pour permettre d'adapter l'offre de service en fonction d'une bonne connaissance des attentes via notamment des enquêtes auprès des clients.

Avec les collectivités locales

Pour accompagner son développement en Région Ile de France, la RATP met en place des agences territoriales qui permettent d'adapter les propositions commerciales aux attentes des élus.

Avec les agents

L'activité managériale se traduit par l'organisation de réunions événementielles réunissant direction, agents concernés, voire spécialistes. Ces rencontres visent à partager les enjeux des modernisations et à s'assurer de leurs appropriations par l'ensemble des acteurs.

Des enquêtes biannuelles auprès du personnel sont réalisées pour s'assurer du niveau de satisfaction professionnelle et d'appropriation des enjeux stratégiques.

Avec les organisations syndicales

Dans la dynamique de la décentralisation, s'appuyant sur le renouvellement managérial, l'évolution des relations sociales a fait l'objet d'une concertation renforcée à partir de 1990 qui permet d'aboutir à une structuration du dialogue social dès 1996.

Le dialogue social passe par la reconnaissance des corps intermédiaires de l'entreprise et leur responsabilisation. L'investissement dans le dialogue vise à partager les enjeux, à traiter le problème posé et à délimiter le terrain éventuel ouvert à la négociation.

Concernant la question d'un service continu (service garanti), les organisations syndicales se sont positionnées contre le recours à une loi sur le service minimum. La démarche a donc consisté à promouvoir une logique de consensus et de responsabiliser les acteurs. La culture de dialogue et la logique contractuelle installées depuis plusieurs années ont permis aux organisations syndicales d'intégrer le principe d'un engagement de service.

Le dialogue social avec les organisations syndicales

Le dialogue social inclut l'information, la concertation et la négociation avec les partenaires sociaux. Dans un contexte d'une structure décentralisée, avec un management responsabilisé, une démarche participative avec les partenaires sociaux a permis d'aboutir en 1996 à la signature par six des sept organisations syndicales du "Protocole d'accord relatif au droit syndical et à l'amélioration du dialogue social". Ce protocole était composé de deux parties distinctes, l'une sur le droit syndical et l'autre instituant "un code de déontologie pour améliorer le dialogue social et assurer un service public de qualité" visant à définir des règles de fonctionnement de la négociation et à prévoir un mode de prévention des conflits collectifs. II a été complété en 2001 et signé par l'ensemble des organisations syndicales avec la possibilité de désigner des délégués syndicaux en unité pour renforcer la négociation. L'ensemble de ces dispositions a été reconduit en 2005.

Principes de concertation et de négociation du protocole

"La concertation est une démarche par laquelle la Direction procède à une consultation des groupes de syndicats représentatifs avant de prendre une décision.

Les parties conviennent qu'une partie des difficultés disparaîtrait si la concertation sur les projets intervenait suffisamment tôt et portait sur leur finalité. Ils décident donc désormais de procéder en trois étapes
 

1.   Consulter les groupes de syndicats représentatifs sur la mise à plat du problème et la définition de l'objectif, sous la forme la mieux appropriée,

2.   Faire connaître la décision et le plan d'action retenus après intégration des éléments résultant de la concertation

·    Les étapes seront formalisées par écrit

·    Selon le champ d'application de l'action de changement, la concertation s'effectuera au niveau de l'entreprise, des départements ou des établissements

3.    Ouvrir la négociation, si nécessaire, sur la base d'un dossier rappelant l'ensemble des données précédentes."


"La négociation est une démarche par laquelle la direction et les organisations syndicales se rencontrent pour exprimer leurs positions en vue d'aboutir à un accord.

L'amélioration du dialogue social est possible si les partenaires conviennent des règles à respecter et des moyens de veiller à une bonne application des accords collectifs, notamment dans le respect des engagements pris. L'application des accords relève d'une responsabilité partagée.

·    Avant de négocier, direction et groupes de syndicats représentatifs doivent être à un niveau semblable d'information. La direction doit remettre aux groupes de syndicats représentatifs un dossier complet de la question à négocier pour chaque négociateur invité et ce, dans un délai de 10 jours avant la négociation. Si la négociation est à l'initiative de la partie syndicale, celle-ci doit remettre un dossier à la Direction sur le thème à négocier.

·    Pendant la négociation, les parties conviennent de tout mettre en couvre pour favoriser la réussite du processus de négociation en vue d'aboutir à un accord.

·    Au terme de la négociation, entre les représentants de la direction et des organisations syndicales, le texte faisant état des dernières propositions est soumis par la Direction à la signature des organisations syndicales. Ces dernières disposent d'un délai fixé d'un commun accord pour apposer leur signature.


Les partenaires sociaux s'efforceront de parvenir prioritairement à la conclusion de plates-formes d'accord recueillant 50% des suffrages exprimés. A défaut, ils ne mettront en couvre, passé le délai d'exercice du droit d'opposition de 8 jours prévu à l'article L 132-2-2 III 2ème du code du travail qui court à compter de la notification de l'accord, que celles qui ont recueilli les signatures correspondant à un niveau de représentativité de 35% des suffrages exprimés lors des dernières élections (... ).

Dans le souci de prendre en compte le plus possible l'attente des agents, des consultations pourront être organisées au niveau pertinent, à l'initiative des négociateurs."

La prévention des conflits collectifs

"La grève est un droit constitutionnel. Dans cet esprit, les organisations syndicales conviennent de privilégier les formes d'appel à la grève capables de concilier la volonté des agents de manifester leur désaccord avec le souci de respecter les voyageurs et les valeurs fondamentales du service public.

La grève constitue un échec du dialogue social. Les partenaires sociaux doivent rechercher les moyens de rendre les conflits moins nombreux en répondant à l'aspiration des salariés et en observant une procédure d'anticipation des conflits.

Lorsqu'un groupe de syndicats (ou plusieurs) ou lorsqu'une direction identifie un problème susceptible de générer un conflit, ils peuvent avoir recours à une procédure de prévenance dite "d'alarme sociale".

Pour activer cette procédure, le ou les groupes de syndicats adressent un courrier à la direction concernée (selon le niveau de négociation) dans lequel ils indiquent le motif (un par alarme sociale) susceptible de devenir conflictuel. Cette dernière doit alors tenir une réunion avec les auteurs de la lettre dans un délai de 5 jours ouvrables suivant la date de réception de ce courrier. Une direction qui repère une situation pré-conflictuelle (pétitions, motions... ) peut proposer une date de réunion dans les cinq jours de sa notification aux groupes de syndicats représentatifs. La réunion ainsi prévue devra se conclure par la rédaction d'un constat d'accord ou de désaccord établi dans le délai imparti de 5 jours ; toutes les organisations syndicales en seront informées."
 

Bilan

En considérant la situation à l'aube des années 90, compte tenu des règles partagées par les partenaires sociaux, l'effet de la structuration du dialogue social à partir de 1996 se mesure par une amélioration de la continuité du service liée à la baisse de l'utilisation des préavis de grève. Cette évolution des pratiques s'appuie notamment sur une large utilisation du dispositif de prévention des conflits. La qualité du dialogue social s'illustre également par la dynamique de négociation collective.

Accompagnant une tendance nationale, la baisse du nombre de préavis de grève est toutefois renforcée à la RATP par la mise en place du dispositif de prévention des conflits. Cette baisse tendancielle se trouve renforcée par une diminution de la mobilisation du personnel.

L'utilisation croissante du dispositif d'alarme sociale depuis sa mise en place correspond dans un premier temps à l'appropriation du dispositif par les six signataires de 1996, puis à partir de 2002 à l'arrivée d'un nouveau signataire du protocole. L'augmentation observée en 2005 est à replacer dans le contexte de valorisation des relations sociales internes à l'entreprise au moment du débat sur la continuité de service qui a généré un volume supplémentaire d'alarmes sociales communes à plusieurs organisations syndicales. Par ailleurs, la même année, une nouvelle organisation syndicale représentative et non signataire a utilisé ce dispositif.

Dans ce contexte, les pratiques de concertation générées par l'utilisation du dispositif d'alarme sociale se sont élargies à la négociation et on observe sur la même période une augmentation du nombre d'accords collectifs.

Grâce à ses résultats en termes de continuité du service, résultant de l'implication de tous les acteurs de l'entreprise, au service de la qualité de vie des voyageurs franciliens, la RATP s'est engagée vis à vis des voyageurs et du STIF à respecter un niveau de service. Un avenant au contrat STIFIRATP ayant pour objet d'intégrer un dispositif contractuel pour la mise en place d'un engagement de service et d'information en cas de grèves est effectif depuis le 18 juin 2005.

La politique de concertation menée depuis plus de 10 ans trouve son prolongement par ce contrat qui constitue la troisième étape de la réponse à la continuité de service de la RATP.
 

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