Eiffage et la construction du Centre Hospitalier Sud Francilien

L'étude de cas proposée ici est la synthèse d'une étude réalisée par Jérôme Fleury, directeur-adjoint en charge des partenariats publics-privés et Jean-Pierre Lifante1, académie de Toulouse, et présentée dans le cadre des Entretiens Louis le Grand 2007 consacrés au thème "Le financement de l'entreprise : intermédiaires et marchés financiers". Le texte complet et le PowerPoint associés sont disponibles sur le site de l'Institut de l'entreprise.

Les partenariats public-privé représentent une forme de financement ouverte par l'ordonnance du 16 juin 2004 qui élargit une longue tradition de délégation de service public. Si le montage est complexe, le principe en est simple : une collectivité publique peut déléguer à un partenaire privé la réalisation d'infrastructures publiques. Si la puissance publique définit précisément le projet, le partenaire privé engage trouve les fonds, construit l'ouvrage, voire le gère en concession. Si ce dernier point n'est pas rempli, l'administration publique paie un loyer pour avoir la jouissance du bien. Le Centre Hospitalier Sud Francilien est réalisé sous cette forme et c'est Eiffage qui a obtenu le marché. Il est intéressant de s'attarder sur le détail du projet avant de s'interroger sur les avantages et les inconvénients d'une telle formule.

Le projet

En 1999, l'hôpital d'Évry et l'hôpital de Corbeil décident de fusionner pour devenir le Centre Hospitalier Sud Francilien. Les différentes activités de ces deux hôpitaux sont réparties sur 27 sites. Afin d'optimiser le fonctionnement du CHSF, en 2001 le conseil d'administration décide de construire un hôpital unique regroupant les deux principaux hôpitaux. Deux options sont étudiées quant au mode de construction à choisir : la maîtrise d'ouvrage classique et le recours aux Baux Emphytéotique Hospitalier. 

La décision prise est de recourir à la procédure de BEH. Il s'agit d'une procédure permettant de réduire la durée globale d'un projet (7 ans du programme fonctionnel à la mise à disposition du nouvel hôpital, contre 11 ans en procédure classique, sans aléa). Le BEH assure également au CHSF la maintenance et l'exploitation technique de l'hôpital, tout au long de la durée des contrats.
Ce nouvel hôpital sera situé sur les communes d'Evry et de Corbeil sur 230 000 m² (surface totale à construire). Composé de 10 niveaux, l'accès général  à l'hôpital pourra se faire depuis le 4ème niveau. Le CHSF sera organisé en quatre "pôles", suivant les types de pathologie et en "activités de support". Il aura une capacité d'accueil de 1 017 lits.

La procédure d'attribution du marché consiste en un dialogue compétitif. Il s'agit d'un dialogue permettant d'échanger entre le CHSF et chacun des candidats, individuellement et sur une base confidentielle, avant la remise des offres finales. Cela permet au CHSF d'exprimer ses besoins plus clairement et aux entreprises concurrentes de tenter d'y répondre au mieux. Pour les consortia, cela permet de valider les solutions mises en œuvre pour répondre au programme fonctionnel proposé. 

Trois groupements ont été mis en compétition sur ce projet : Bouygues et ses filiales appuyé par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) et ses filiales, Vinci, appuyé par la Société Générale, Dexia, Dalkia et Eiffage. Chaque groupement comprend une équipe de maîtrise d'œuvre intégrée comprenant des architectes et des bureaux d'études. Pour donner une indication sur la différence des projets, on observe qu'Eiffage a présenté le seul projet complètement intégré. Au contraire, Bouygues confie le financement à la CDC. Vinci quant à lui a éclaté les responsabilités : à Vinci, le rôle du concepteur-constructeur, à Dalkia (Veolia Environnement) le rôle de l'exploitation ; à la Société Générale et Dexia le rôle d'investisseurs financiers.

Cinq critères d'attribution ont été retenus :

1. La qualité du service fourni (30 %), y compris les caractéristiques techniques, la qualité architecturale, les fonctionnalités, la conformité aux besoins du CHSF tels qu'exprimés dans le programme fonctionnel ("performantiel")

2. Le partage de risques (25 %)

3. Le montant du loyer (20 %), dont le loyer, la valeur actuelle nette des loyers, la sensibilité aux performances

4. L'équilibre économique des contrats (15 %), dont la durée des contrats, la robustesse du montage financier, la coût global

5. La date de mise à disposition (10 %)

A la suite de cette procédure, Eiffage a obtenu le marché. Comme indiqué, il a proposé aux personnes publiques d'intervenir en tant qu'investisseur, concepteur, constructeur et "opérateur". Il s'agit du seul investisseur durant la construction et les premières années d'exploitation, au travers de ses différentes sociétés. Eiffage cible ses actions sur les infrastructures de transport, d'hôpital, de justice, de sécurité intérieure, de loisirs ainsi que d'équipement de la ville.

Le partenariat public-privé comme mode de financement des infrastructures collectives

Le contrat de partenariat est une innovation juridique qui se situe entre le marché public traditionnel (contrat à objet simple et de courte durée) et la délégation de service public (contrat à objet complexe et de longue durée). Les contrats de PPP ont pour caractéristiques essentielles de confier au cocontractant de l'administration une mission globale de conception, de construction, d'exploitation, d'aménagement, d'entretien, et/ou de maintenance de l'ouvrage ou des équipements réalisés. Techniquement, les PPP rassemblent les contrats de partenariats (CP), les délégations de service public (DSP), les baux emphytéotiques administratifs (BEA) ou hospitaliers (BEH) et les locations avec option d'achat (LOA).

Ce contrat "clé en main" porte sur la réalisation de projets d'investissements des collectivités publiques, dont le coût est étalé sur une longue période (entre 20 et 30 ans). Il inclut le financement de l'investissement par le secteur privé ainsi que la rémunération, sous forme de loyer ou redevance versé par l'acheteur public à compter de la mise à disposition de l'équipement. 

Le recours à ce nouvel outil juridique doit être justifié par une évaluation économique et financière préalable afin d'assurer que le projet est viable et qu'il répond à des critères généraux tels que l'urgence ou encore la complexité.

Cela suppose un certain changement culturel dans la manière de concevoir l'action publique puisque la collectivité renonce à être maître d'œuvre. En même temps, l'entreprise privée s'engage sur des délais souvent très inférieurs à ceux que l'Etat peut tenir. D'une manière générale, le dialogue constructif qui permet de définir le cahier des charges est un moment intense et décisif où les autorités publiques peuvent définir précisément leurs attentes et les partenaires privés négocier la faisabilité et le coût de ces attentes. Au total, la confrontation des points de vue permet d'avancer plus rapidement sur le fond du dossier, d'éviter les erreurs et donc de favoriser la croissance. 

Le financement de Centre Hospitalier Sud-Francilien

Le financement est porté par le partenaire privé ce qui, au passage, limite l'impact de l'investissement sur la dette publique. Celui-ci a le choix entre un financement par obligations ou par dette bancaire. Or, il existe un mécanisme de pénalités de retard qui impose, en cas de financement obligataire, le recours à l'assurance-crédit. Cela entraîne donc un rehaussement du coût global. Pour l'éviter, le financement par dette bancaire est choisi. Comme le CHSF a proposé que la majeure partie du loyer immobilier fasse l'objet d'une cession de créance, le coût moyen pondéré de la dette bancaire est relativement faible.

Finalement, 330 millions d'euros de dette principale ont été souscrits dans trois banques (CIC, Dexia et HSBC) sous deux formes différentes : le capital et la dette subordonnée à hauteur de 7 % des besoins de financement sont préfinancés par un crédit relais en phase de construction (4,5 ans) tandis que la dette long terme à hauteur de 93 % des besoins de financement est découpée en deux tranches (A et B). Enfin, un crédit revolving de 4,5 ans est obtenu pour le préfinancement de la TVA.


Le CHSF s'est engagé de façon irrévocable à payer une part significative du loyer immobilier dès la mise à disposition de l'ouvrage. Le loyer est payable trimestriellement et il est la somme de :

1. Li, couvrant les coûts d'investissement et de financement, progressif à 1 % l'an

2. Lm, couvrant les coûts de maintenance

3. Re, couvrant les coûts d'exploitation et la fourniture des énergies

4. Lm et Re, indexés sur des paniers d'indices représentatifs des activités concernées

Le loyer dû est potentiellement minoré par des pénalités en cas de mauvaises performances d'exploitation et de maintenance.
 

Les partenariats public-privé sont-ils une procédure avantageuse ?

Le partenariat avec une personne privée permet d'optimiser les capacités de conception, de construction et d'exploitation d'un ouvrage de grande ampleur et complexité. La mise en œuvre du projet est accélérée, du fait qu'il n'y ait pas d'aléas budgétaires, étant donnée la bonne connaissance du coût global de l'ouvrage. Le partenaire privé assure une meilleure tenue des délais d'achèvement et une optimisation de la qualité du service rendu. Dans notre exemple, la procédure a permis de réduire de 11 à 7 ans la durée globale du projet entre sa conception et sa mise à disposition aux autorités concernées. 
Le dialogue constructif permet parallèlement d'affiner les besoins et la réponse aux besoins exprimés, ce qui entraîne une meilleure adéquation du projet à son usage futur. Le bail emphytéotique hospitalier (BEH) assure au CHSF que la maintenance et l'exploitation technique de l'hôpital seront bien assurés, tout au long de la durée des contrats.

De plus, une bonne partie des risques sont transférés vers le partenaire privé.


Conclusion

Le partenariat publi-privé est une procédure performante et prometteuse, mais qu'il faut encore améliorer. Pour qu'un PPP soit une réussite, il faut que le projet soit correctement défini. La définition des fonctionnalités d'un projet peut varier durant le processus de consultation, mais la démarche doit être encadrée avec précaution. Deux améliorations sont nécessaires. 

En premier lieu, il est essentiel que la personne publique définisse les objectifs et les raisons réelles pour lesquelles elle recourt à cette procédure ; elle doit être encadrée par une véritable équipe de pilotage du projet. Bien qu'elle ne soit plus le "maître d'ouvrage" mais l'utilisateur, le partage des risques reste une réalité car un projet en PPP n'est pas du mécénat ! 

La seconde amélioration concerne le dialogue compétitif : les propositions des différentes entreprises doivent être rendues comparables tout en conservant la confidentialité des échanges pendant les réunions de dialogue. Il s'agit également de faire comprendre à l'entreprise lauréate qu'il s'agit du point de départ d'un partenariat étroit et quotidien de 30 ans. Ce partenariat requiert des deux côtés de la transparence, de l'objectivité et une bonne capacité à décider.

[1] Cette étude a été synthétisée par Céline Linck

 
 

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