Carrefour et le dialogue social européen

Le dialogue social européen

Pionnier du concept, c'est en 1963 que Carrefour inaugure l'hypermarché à Ste Geneviève des Bois. Près d'un demi-siècle plus tard, il est le deuxième groupe mondial du secteur de la distribution, derrière l'américain Wal-Mart. En 2008, le groupe a publié un chiffre d'affaires hors taxe de 87 milliards d'euros. Propriétaire de 8006 enseignes en propre et 15 430 enseignes si on tient compte des franchises et des partenariats, Carrefour emploie par ailleurs un peu moins de 500 000 salariés au niveau mondial (7ème employeur privé mondial), dont 140 000 en France (1er employeur de l'hexagone).

Le groupe jouit d'un rôle important au sein de l'Union européenne - présent dans 10 pays, il y réalise 83 % de son chiffre d'affaire - et affiche sa conviction que des règles et des principes communs permettant de dépasser les législations nationales doivent désormais assurer aux consommateurs, aux entreprises et à leurs salariés une protection identique en matière de sécurité des produits, de pratiques commerciales, de liberté d'établissement, de libre prestation de service et de libre circulation des marchandises. Particulièrement impliqué dans le dialogue social européen qui permet notamment d'encadrer les conditions de flexibilité des marchés du travail et de délocalisation des emplois, Carrefour a ainsi à cœur d'être une référence en matière de gestion des ressources humaines et de responsabilité sociale dans tous les pays où il est implanté.

Aux origines du dialogue social européen

Les discussions, les négociations et les actions communes entamées par les partenaires sociaux à l'échelle de l'Europe sont une caractéristique fondamentale de son modèle social. Inscrit dans le Traité instituant la Communauté économique européenne (TCE), le dialogue social européen organise les relations entre syndicats des travailleurs d'un côté - Confédération européenne des syndicats(CES) - et des employeurs - Centre européen des entreprises à participation publique et des entreprises d'intérêt économique général (CEEP), créé en 1961, Business Europe (connu également sous le nom d'Union des confédérations de l'industrie et des employeurs d'Europe - UNICE - fondée en 1958), et Union européenne de l'artisanat et des petites et moyennes entreprises (UEAPME) qui participe aussi au dialogue social en tant que membre de la délégation de Business Europe à la suite d'un accord européen signé en 1998.

Les concertations entre les partenaires sociaux à l'échelle européenne ont débuté dans les années 1960. C'est cependant à partir des rencontres de Val Duchesse, initiées par Jacques Delors (alors président de la Commission) en janvier et novembre 1985 entre l'UNICE, le CEEP et la CES, qu'est véritablement né ce dialogue social bipartite qui a progressivement évolué vers un espace européen de négociation :

  • de 1985 à 1991, les activités bipartites ont abouti à l'adoption de résolutions, déclarations et avis communs sans que ceux-ci ne présentent pourtant aucune force contraignante ;
  • à partir de 1992 et le Traité de Maastricht, les conventions négociées par les partenaires sociaux européens peuvent, s'ils en expriment le souhait, avoir un effet juridique contraignant par le biais d'une décision du Conseil européen. C'est ainsi qu'en 1997 l'accord initial de 1991, signé par les partenaires sociaux et annexé dans le traité sur l'Union européenne, a été intégré dans le traité d'Amsterdam (articles 138 et 139 TCE). Dans ce contexte, trois accords-cadres ont été mis en oeuvre : sur le congé parental en 1996 (révisé en 2009), sur le travail à temps partiel en 1997, et sur les contrats à durée déterminée en 1999 ;
  • en décembre 2001, les partenaires sociaux européens ont présenté une contribution commune au Conseil européen de Laesken, dans laquelle ils revendiquaient l'accroissement du degré d'indépendance et d'autonomie du dialogue social. En vertu de ce principe, les partenaires sociaux ont adopté leur premier programme de travail pluriannuel pour la période 2003/2005, qui a permis la réalisation d'une nouvelle génération d'accords résultant d'initiatives « autonomes », comme les accords-cadres sur le télétravail (2002), sur le stress au travail (2004), ainsi que d'un cadre d'actions pour le développement des compétences et des qualifications tout au long de la vie (2002) et sur l'égalité hommes/femmes(2005). En mars 2006, les partenaires sociaux ont adopté un second programme pluriannuel pour la période 2006/2008, qui s'est notamment soldé par la négociation d'un accord-cadre autonome sur le harcèlement et la violence au travail (avril 2007). Un troisième programme est actuellement en cours (2009/2011).

En outre, les partenaires sociaux sont impliqués dans une concertation tripartite avec les autorités publiques européennes. En effet, l'article 139 du TCE prévoit leur consultation sur toutes les questions relatives à l'emploi et aux affaires sociales, au cours d'une procédure organisée en deux phases. Dans un premier temps, la Commission consulte les partenaires sociaux sur l'orientation possible d'actions communautaires ; dans un deuxième temps, elle les sollicite sur le contenu des activités. Depuis le sommet de Nice (2000), ces rencontres se déroulent annuellement, avant le Conseil européen de printemps. La concertation tripartite est une étape importante dans la construction de l'Union parce qu'elle signifie que syndicats et organisations patronales sont associés à toutes les discussions relevant du dialogue macroéconomique, de la protection sociale, de l'éducation et de la formation.

Orientation sectorielle

Dans sa communication intitulée « Adopter et promouvoir le dialogue social au niveau communautaire », la Commission européenne a jeté en 1998 les bases de l'organisation du dialogue social par secteurs d'activité en créant notamment des Comités de dialogue social sectoriel (CDSS). Ces derniers doivent appartenir à des secteurs ou catégories spécifiques et être organisés au niveau européen, être composés d'organisations elles-mêmes reconnues comme faisant partie intégrante des structures des partenaires sociaux des Etats membres, avoir la capacité de négocier des accords et être dans la mesure du possible représentatifs dans tous les Etats membres, et disposer de structures adéquates leur permettant de participer de manière efficace au processus de consultation.

Neuf comités ont été créés en 1998 et il y en a 37 aujourd'hui. Ils ont donné naissance à un nombre considérable d'engagements et d'accords portant sur les domaines les plus divers, comme les codes de conduite, la modernisation du travail, la formation professionnelle, l'égalité des chances, les conditions de travail, etc. Certaines de ces initiatives, comme les accords conclus dans le domaine des transports, ont débouché sur des directives communautaires. D'autres textes, notamment des déclarations ou avis communs, ont été adoptés afin de préciser la position des partenaires sociaux sur des thèmes liés à l'avenir de leur secteur. Un certain nombre d'actions concernent en effet des préoccupations partagées par plusieurs secteurs, comme la libéralisation des services (postes, électricité, transports, télécommunications), la consolidation du marché intérieur (banques, assurances, construction, télécommunications), les politiques communautaires (agriculture, pêche, transports), le renforcement de la compétitivité dans une économie mondialisée (textile, habillement, chaussure et cuir), la professionnalisation et la qualité de travail dans les services (sécurité privée, nettoyage industriel et services aux personnes), l'effet des nouvelles technologies sur l'organisation du travail (télécommunications, commerce).

Parallèlement à ces comités, le dialogue social s'approfondit aussi au sein de chaque entreprise, avec les comités d'entreprise européens (plus de 800 en 2008) qui sont autant d'espaces d'information, de consultation, de concertation et aussi d'anticipation.

Construire un environnement de travail et d'achat sûr

Le dialogue social dans le secteur du commerce s'établit entre Eurocommerce et Euro-Fiet (UNI-Europe), branche commerce de l'UNI (Union Network International, rebaptisé UNI Global Union en mars 2009).

Eurocommerce est une organisation qui représente le commerce de détail, de gros et international en Europe, et qui regroupe des fédérations de commerce de 31 pays européens, des associations européennes et nationales représentant des marchés spécifiques, ainsi que des entreprises à titre individuel. Créé en 1993, Eurocommerce a des objectifs corporatistes qui sont de renforcer la visibilité et de défendre les intérêts du secteur du commerce vis-à-vis des institutions européennes, de sensibiliser les instances décisionnelles de l'Union à l'importance du commerce dans l'économie européenne, d'améliorer la qualité de la législation en faveur du secteur, et d'informer ses membres des développements sur le plan communautaire qui peuvent avoir un impact sur leur activité. Mais les objectifs d'Eurocommerce sont aussi plus transversaux et plus politiques, puisqu'il s'agit de rehausser l'image du commerce, de parvenir à une réglementation allégée et de meilleure qualité (les entreprises pâtissent bien souvent de la complexité de la législation européenne), de promouvoir la compétitivité de l'économie européenne, et surtout d'être au service des consommateurs en intensifiant par exemple le dialogue avec les organisations de défense des consommateurs et en prenant des initiatives pour assurer une meilleure sécurité juridique de ceux-ci.

Fondée en janvier 2000, l'UNI est une organisation syndicale internationale qui regroupe maintenant 900 syndicats à travers le monde et environ 20 millions d'adhérents. Divisée en secteurs professionnels (dont le secteur du commerce), l'UNI suit les mutations à l'œuvre dans l'économie mondiale. Puisque les travailleurs relèvent maintenant d'une économie mondialisée et que les décisions qui les concernent dépendant de l'évolution des marchés internationaux, il est désormais urgent de préparer les conditions d'un dialogue fructueux avec les entreprises multinationales, en accordant une attention particulière au renforcement du rôle et de l'efficacité des syndicats dans les pays en développement. Selon UNI, une attention particulière doit être accordée aux questions d'inégalité et d'équité, pour faire en sorte que la « course planétaire aux tarifs minimum de main d'œuvre » puisse se muer en une « course vers l'élévation du niveau de vie et la diffusion d'une économie planétaire du savoir, où la réussite dépend des compétences acquises. »

Le dialogue social établi entre Eurocommerce et Uni-Europe fonctionne depuis le début des années 1990. Cependant, la décision de créer un comité de dialogue intersectoriel en 1998 a indiscutablement donné une impulsion nouvelle à celui-ci. De nos jours, ce dialogue est un des plus actifs de l'Union européenne et aussi un des plus importants du point de vue de la représentativité, le commerce employant près de 25 millions de personnes dans l'Union. Jusqu'à présent, ses objectifs ont été de se baser sur la défense des intérêts communs du commerce en permettant aux partenaires sociaux de travailler ensemble sur les différents sujets pour apporter des solutions communes, de promouvoir l'emploi, d'améliorer l'employabilité des travailleurs et l'adaptabilité des entreprises, de mettre en œuvre des politiques et des principes visant à réconcilier la vie professionnelle et la vie familiale.

L'objectif des années 2008 et 2009 est de promouvoir un environnement de travail et d'achat plus sûr, de favoriser l'emploi des jeunes dans le secteur du commerce, d'appréhender les conséquences du changement démographique sur l'emploi dans ce secteur. A plus long terme, il s'agira de contribuer à développer les activités avec les nouveaux pays membres et les candidats à l'adhésion à l'Union, et d'approfondir encore la collaboration entre les partenaires sociaux en privilégiant l'approche concrète et le travail pratique sur un certain nombre de thèmes d'intérêt commun : la santé et la sécurité au travail, l'employabilité, l'éducation et la formation, les changements démographiques, l'intégration des groupes défavorisés sur le marché de l'emploi.

Une relation gagnant-gagnant

En mai 2001, un accord international a été signé entre Carrefour et l'UNI dont le principe s'appuie sur l'idée que toute entreprise a besoin, pour se développer, de paix et de consensus social. Le groupe s'est ainsi engagé à la bonne application des conventions 87-98 et 135 de l'OIT qui énoncent le droit des salariés à s'affilier à une organisation syndicale de leur choix, le droit de négocier collectivement, et leur protection ainsi que celle de leurs représentants contre tout acte de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale. Carrefour s'est également engagé à respecter les droits syndicaux, à reconnaître les droits fondamentaux des travailleurs et à condamner le travail des enfants pour prévenir l'esclavage et le travail forcé (condamnation étendue aux fournisseurs de l'entreprise).

Un comité d'entreprise européen a par ailleurs été créé. Les 15 syndicats affiliés dans les 10 pays européens où l'entreprise est implantée peuvent y siéger. Il garantit ainsi une information et une consultation des représentants des travailleurs en Europe, mettant les différents acteurs de l'entreprise à égalité en matière d'accès à l'information économique et sociale. Par son rôle d'instance de dialogue, ce comité a aussi facilité le déroulement et l'aboutissement de la négociation sur le respect des droits fondamentaux mentionnée plus haut.

Réciproquement, un dialogue social élargi à l'échelle de l'Europe présente pour un groupe comme Carrefour de nombreux avantages :

  • l'accès à un interlocuteur syndical au niveau international, ce qui est, à l'évidence, capital pour une entreprise multinationale ;
  • la possibilité d'exposer largement les problématiques auxquelles il est confronté, pour mieux faire comprendre le sens de son action, ainsi que les axes politiques retenus ;
  • le bénéfice d'une veille et d'une alerte sur les risques sociaux, afin de les résoudre par le dialogue ;
  • l'existence d'un partenariat réel qui rend possible les échanges sur les évolutions de l'entreprise avec les syndicats ; grâce à ce dialogue constant et constructif, l'entreprise maintient l'équilibre entre les réalités économiques et les revendications sociales.

Conclusion

Le dialogue social européen , et notamment le dialogue sectoriel, est certainement un cadre pertinent pour préserver ce que l'on appelle le modèle social européen qui, à la différence des systèmes de régulation du marché du travail adoptés aux Etats-Unis, en Chine ou au Japon, se caractérise par le respect de la liberté syndicale et l'existence de mécanismes de représentation des salariés dans la régulation de la vie économique et sociale, le poids du droit au travail dans le fonctionnement des relations collectives contractuelles, l'affirmation des principes d'égalité et de non-discrimination en matière d'emploi et de travail, la volonté d'améliorer l'organisation du travail dans la perspective de son « humanisation », l'existence d'un Etat providence, donc d'un système national de protection et de Sécurité sociale. De nos jours, la progression du dialogue social en Europe est limitée par deux problèmes majeurs qui sont, d'une part la division des forces syndicales au sein de la Confédération européenne des syndicats (CES) qui s'explique par le fait que bon nombre de ces syndicats tiennent à conserver leur autonomie d'action, d'autre part à l'attitude de bon nombre d'organisations patronales, bien souvent peu enclines à négocier à l'échelle européenne pour différentes raisons qui sont la prééminence des intérêts de marché, l'application du principe de subsidiarité (en vertu duquel la Commission ne doit pas intervenir dans le domaine social dès lors que les questions peuvent être traitées au niveau national) et l'argument selon lequel le dialogue social ne doit pas interférer avec les procédures classiques de nature législative. Si ces arguments méritent l'attention, l'engagement de CARREFOUR apporte cependant la démonstration que les entreprises et les salariés peuvent tirer un réel profit d'un débat social élaboré au niveau supranational.

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