Question 3. Comment les évolutions de la structure sociale peuvent-elles expliquer la mobilité ?

Sommaire

Quand les sociologues étudient la mobilité sociale intergénérationnelle, ils comparent les positions sociales des individus avec celles de leurs parents. Cependant, d’une génération à une autre, la société change. Les emplois ne sont plus les mêmes, certains secteurs d’activité se développent, d’autres voient leur poids diminuer dans la société, certains métiers apparaissent, d’autres disparaissent. Ainsi, en France, sur la seconde moitié du 20e siècle, on a pu observer une réduction régulière du poids de l’emploi agricole. L’emploi industriel a connu la même dynamique à partir des années 1970. Dans le même temps, les emplois salariés ont vu leur poids augmenter aux dépends des emplois d’indépendants et il y a eu une montée de la qualification des emplois. Depuis les années 1960, l’emploi se féminise également : la part des femmes en emploi augmente. Ces changements de structure de l’emploi créent automatiquement de la mobilité sociale : les individus ne peuvent pas, mécaniquement, occuper les mêmes emplois que leurs parents. On parle alors de mobilité structurelle pour désigner cette mobilité due aux changements de structure de l’emploi. Elle se mesure en comparant la structure des emplois des individus avec celle de leurs parentsLa mobilité nette est alors la mobilité sociale qui n’est pas structurelle. Cette mobilité nette peut être assimilée à une mobilité davantage liée à l’égalité des chances.

 

Cependant, pour mesurer plus précisément cette égalité des chances, il est plus pertinent de calculer la « fluidité sociale ». Cette dernière se mesure à l’aide d’odds ratio ou rapport des chances relatives d’accès à une position sociale donnée. Celui qui est calculé le plus couramment est celui qui compare les chances de mobilité des cadres et celles des ouvriers. Dans ce cas, l’odds ratio se calcule en comparant la probabilité des cadres de devenir cadre plutôt qu’ouvrier avec la probabilité des ouvriers de devenir cadre plutôt qu’ouvrier. Pour les cadres, par exemple, cette probabilité se calcule en faisant le rapport entre le nombre (ou le pourcentage) de fils de cadres devenus cadres et le nombre (ou la proportion de fils de cadres devenus ouvriers. Moins la société est fluide et plus cet odds ratio est élevé. À l’inverse, dans une société totalement fluide, ce ratio devrait être de 1 : les enfants d’ouvriers auraient les mêmes chances de devenir cadre plutôt qu’ouvrier que les enfants de cadres. Ces odds ratio peuvent être calculés pour toutes les catégories sociales prises deux à deux et ils permettent de mesurer la mobilité de manière indépendante des évolutions de la structure sociale.

L’intérêt de cette mesure la fluidité est de montrer qu’une société plus mobile ne signifie pas forcément une plus grande égalité des chances. En effet, on peut observer des flux de mobilité qui sont dus à une mobilité structurelle et qui ne signifient donc pas une plus forte égalité des chances. De plus, quand on observe que davantage de personnes issues des catégories populaires accèdent aux positions les plus favorisées, il faut se demander si cet accès plus facile n’est pas aussi présent pour ceux dont les parents appartiennent déjà aux catégories les plus favorisées. On pourrait en effet observer une situation dans laquelle plus d’enfants d’ouvriers deviennent cadres, par exemple, mais où, en parallèle, tous les enfants de cadres deviennent cadres. Dans ce cas, il serait difficile de parler d’égalité des chances… Pour approcher l’égalité des chances, il faut donc non seulement mesurer la mobilité structurelle, mais aussi, par les odds ratio, comparer les chances d’accès aux différentes positions sociales pour les individus des différentes origines sociales. Pour la France, on observe, par exemple depuis la fin des années 1970, une baisse de l’odds ratio calculé pour les cadres et les ouvriers, ce qui montre une plus grande fluidité sociale et donc un accès plus ouvert aux emplois de cadres. Cette montée de la fluidité s’observe également quand on compare les cadres aux autres professions salariées (professions intermédiaires et ouvriers).

Document 1. Une mobilité forcée pour les enfants d’agriculteurs ?

Facile

En trente ans, de 1980 à 2010, l'agriculture et le milieu rural ont été profondément transformés. Ce sont 8 000 exploitations qui ont disparu en Savoie, soit les trois quarts de l'effectif initial et 7 000 en Haute-Savoie, soit une baisse de 69%. Ce mouvement a frappé prioritairement les plus petites exploitations ayant de faibles résultats économiques. Cette diminution s'est traduite par une forte augmentation de la SAU1 moyenne de 11 à 42,4 ha en Savoie et de 15 à 40 ha en Haute-Savoie. [...]

Le nombre de chefs d'exploitation et de coexploitants actifs sur l'exploitation a diminué de 70 % en Savoie et 59 % en Haute-Savoie, cette baisse est plus importante que la moyenne nationale, de 52 %. Ce mouvement a, bien sûr, touché en priorité les personnes de 60 ans et plus dont la part dans les deux départements est passée de 30 à 19 %. Le nombre d'actifs agricoles, repéré par le nombre d'unités de travail annuel, UTA, a diminué de près des deux tiers et de près des trois quarts pour les UTA familiales, en particulier en Savoie.

 

Note : SAU : surface agricole utile, elle correspond à la surface utilisée pour une exploitation agricole.

Source : Denis Varaschin, Yves Bouvier et Hubert Bonin (dir.), Histoire économique et sociale de la Savoie de 1860 à nos jours. Librairie Droz, 2014

 

Questions :

1/ Comment ont évolué le nombre d’emplois d’agriculteurs exploitants en Savoie et Haute-Savoie entre 1980 et 2010 ?

2/ Quelles conséquences cela a-t-il sur les individus dont les parents sont agriculteurs exploitants ?

3/ Pourquoi leur mobilité peut-elle être qualifiée de « structurelle » ?

Document 2. Quelle évolution pour la mobilité structurelle ?

Facile

Une partie de la mobilité sociale masculine observée en 2015 résulte directement de l’évolution de la structure des emplois entre les générations d'hommes nés entre 1955 et 1980 et celles de leur père. Cette mobilité dite « structurelle » reflète les profonds changements de la société française depuis la fin des Trente Glorieuses : poursuite du déclin de l’emploi agricole, baisse de l'emploi industriel, salarisation et tertiarisation croissantes de l’économie se sont traduites par une baisse du nombre de travailleurs indépendants et d’ouvriers, au profit des emplois de cadres et professions intermédiaires. En 2015, 24 % de la mobilité sociale masculine observée correspond à de la mobilité « structurelle ».

Depuis la fin des années 1970, la structure des emplois des hommes est de plus en plus proche de celle de leurs pères. La part de la mobilité « structurelle » s’est ainsi nettement réduite (elle était de 40 % en 1977) et les mouvements qui n’y sont pas liés ont donc fortement augmenté au cours des quatre dernières décennies.

Source : Marc Collet et Émilie Pénicaud, « En 40 ans, la mobilité sociale des femmes a progressé, celle des hommes est restée quasi stable », Insee Première, n°1739, 2019

 

Questions :

1/ Quels sont les changements structurels relevés dans le texte ?

2/ Pourquoi conduisent-ils à une diminution du nombre de postes de travailleurs indépendants et d’ouvriers ?

3/ Pourquoi la mobilité sociale des enfants de travailleurs indépendants et d’ouvriers peut-elle être vue comme étant en partie structurelle ?

4/ Que signifie le fait que la mobilité structurelle a diminué ?

Document 3. Mesurer la part de la mobilité structurelle.

Facile

Questions :

1/ Comment évolue la proportion de professions intermédiaires entre les deux générations retenues en 1977 ?

2/ Sur l’ensemble de la période comment évolue la proportion de cadres et professions intellectuelles supérieures ?

3/ Comment évolue la mobilité sociale sur la période ?

4/ Faites une phrase présentant les données soulignées.

5/ Comment a évolué la mobilité structurelle sur la période ?

Document 4. De la mobilité à la fluidité sociale

Facile

65% des hommes actifs occupés de 35 ans à 59 ans occupent une position professionnelle différente de celle de leur père. Cette mobilité est encore plus forte pour les femmes : le même pourcentage les concernant (en comparaison de leur mère) est de 71%. Nous sommes donc très loin d’une société immobile.

Cette mobilité peut s’expliquer en partie par les transformations de l’économie : recul de l’agriculture, déclin de l’industrie, montée d’une société de services, toutes ces transformations structurelles, indépendantes de la volonté des actifs présents sur le marché du travail, se traduisent par des destructions d’emplois dans certains secteurs et des créations dans d’autres, et donc par de la mobilité. Mais cette mobilité structurelle, quel que soit son niveau, n’est pas le signe qu’une société soit socialement « fluide », une société qui permette à ses membres d’échapper à un destin social imposé par la naissance ou simplement par le fait que leur milieu social d’origine, comme ce fut le cas pour les agriculteurs, est numériquement en déclin. C’est ce qui différencie la mobilité structurelle de la mobilité nette, celle qui est indépendante de ces transformations de l’économie.

Source : Olivier Galland, « Non, l’ascenseur social n’est pas en panne (2) », Telos.fr, 2019

 

Questions :

1/ Pourquoi les changements de structure conduisent-ils forcément à de la mobilité ?

2/ Quelle différence entre mobilité structurelle et mobilité nette ?

3/ Que signifie qu’une société est fluide ?

Document 5. Mesurer la fluidité sociale.

Facile

Soit par exemple une société fictive où n'existeraient que deux positions sociales - celle de cadre et celle d'ouvrier - et où la mobilité entre générations a été observée à deux dates entre lesquelles un processus de tertiarisation est intervenu - la part des positions sociales disponibles au niveau cadre a crû de 25 % à 35 %.

Dans une telle société, la mobilité observée a augmenté au cours du temps. À la date t2, en effet, un quart des hommes interrogés ne sont pas classés dans la même catégorie sociale que leur père ; ils n'étaient que 20 % en t1 . De même, parmi les fils d'ouvrier, les chances d'accès à la position de cadre se sont accrues; de 15,6% en t1, elles passent à 25% en t2. Parmi les fils de cadre, la même destinée sociale est aussi devenue plus fréquente : 75% en t2 contre 62,5 % précédemment. […] . Pour autant, l'inégalité relative entre fils de cadre et fils d'ouvrier dans l'accès à la première position plutôt qu'à la seconde a-t-elle varié au cours du temps? Le odds ratio ou rapport des chances relatives […] traduit [...] le résultat de la concurrence entre les individus des deux origines sociales pour atteindre la première plutôt que la seconde des deux positions. Plus sa valeur est proche de 1, plus cette compétition apparaît égale ou parfaite. Or, il est aisé de calculer pour notre société fictive que cette quantité n'a pas varié de t1 à t2 :

Ainsi, en t2 comme en t1, les chances de devenir cadre plutôt qu'ouvrier sont toujours 9 fois plus fortes pour les fils de cadre que pour les fils d'ouvrier. [...]

Dans la société considérée, la mobilité observée a donc augmenté, mais la fluidité sociale est restée constante.

Source : Louis-André Vallet, « Quarante ans de mobilité sociale en France », Revue française de sociologie, 1999

 

Questions :

1/ Pourquoi dans la société « fictive » du document, peut-on dire que la mobilité sociale a augmenté ?

2/ Que veut dire que le odds ratio est de 9 ?

3/ Comment est-il calculé ?

4/ Quel est l’intérêt de ce calcul ?

Document 6. Rapport de chances entre les enfants de cadres et les enfants d’ouvriers d’atteindre la position de cadre en France

Facile

 

Questions :

1/ Faites une phrase présentant la donnée soulignée.

2/ En 2003, la fluidité sociale est-elle plus forte pour les femmes ou pour les hommes ?

3/ L’égalité des chances a-t-elle augmenté ou diminué en France entre 1977 et 2003 ?

Document 7. Montée de la fluidité et égalité des chances

Facile

Lorsqu’il y a brusquement, pour une génération donnée, une croissance de la proportion des cadres (changement structurel), une proportion croissante d’enfants des professions intermédiaires, voire de ceux d’employés et d’ouvriers, vont bénéficier de cette aspiration vers le haut ; mais au même moment, les enfants de cadres, qui ont plus de places disponibles de cadres, auront moins de risques de déclassement. Les chances de devenir cadre s’accroissent alors pour tous : pour les enfants de cadres, le destin de cadre peut devenir alors une quasi-certitude et pour ceux d’ouvriers il est moins improbable. La fluidité est la partie de la mobilité qui est indépendante de ces changements structurels. Elle permet alors de mesurer l’intensité du brassage social, autrement dit du degré auquel les enfants de cadres et les enfants d’ouvriers, par exemple, ont ou n’ont pas d’avantages et de handicaps relatifs à la naissance pour parvenir en position de cadre. [...] Une société très fluide produit alors beaucoup de promotions et, en même temps, beaucoup de déclassements sociaux. Ce n’est donc pas forcément, pour tous, une société idyllique, surtout pas pour les enfants de cadres, qui perdent alors les avantages d’être « bien nés ». La différence est essentiellement que, dans une société plus fluide, les chances à la naissance des enfants de cadres et d’ouvriers sont plus égales et les cloisonnements relatifs de classes, qui se lisent aux handicaps et avantages relatifs à la naissance, sont moindres.

Source : Louis Chauvel, Le destin des générations, Presses Universitaires de France, 2010

 

Questions :

1/ Pourquoi une augmentation du nombre de postes de cadres d’une génération à une autre ne signifie-t-il pas forcément une plus grande égalité des chances ?

2/ Pourquoi une société fluide risque-t-elle de connaître beaucoup de déclassements ?

Exercice 1. Reliez chacun des termes à sa définition

Facile

Exercice 2. Rapport de chance

Difficile

Document. Rapport de chances entre les enfants d’artisans, commerçants et chefs d’entreprise et les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures d’atteindre la position d’artisans, commerçants et chefs d’entreprise en France

Questions :

1/ Faites une phrase présentant la donnée soulignée.

2/ Comment évolue le rapport de chances entre les enfants d’artisans, commerçants et chefs d’entreprise et les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures d’atteindre la position d’artisans, commerçants et chefs d’entreprise en France ?

3/ Que nous apprend cette évolution ?

Exercice 3. Chacune des propositions suivantes est fausse, expliquez pourquoi

Modéré

Chacune des propositions suivantes est fausse, expliquez pourquoi

 

1/ La mobilité nette est la somme de la mobilité totale et de la mobilité structurelle.

2/ Entre deux générations, la structure sociale ne change pas.

3/ Mobilité nette et fluidité sociale sont des synonymes.

4/ Une forte mobilité sociale est forcément le signe d’une forte égalité des chances.

5/ La fluidité sociale mesure la mobilité structurelle.

6/ Il est possible de dire si un individu connaît une mobilité nette ou structurelle.

Newsletter

Suivre toute l'actualité de Melchior et être invité aux événements