Que signifie réellement le changement de statut de La Poste ?

Les faits

Constituée en septembre 2008, la commission Ailleret pour le développement de La Poste s'est prononcée en décembre dernier en faveur d'un changement de statut. Le projet de loi qui en a découlé a été soumis au conseil des ministres fin juillet 2009 puis au Parlement au début du mois de novembre. Le Sénat l'ayant adopté, l'Assemblée devrait se prononcer avant la fin de l'année.

Le lundi 21 septembre dernier, les syndicats de l'établissement ont lancé un mot d’ordre de grève. La 1ère semaine d’octobre, un collectif de syndicats et élus de gauche a également organisé une « votation citoyenne sur l’avenir de La Poste » à laquelle ont participé 2 millions de personnes.

Quelle est la procédure suivie ?

Une directive européenne de 1997 contraint les Etats-membres de l’Union à la libéralisation totale du marché des services postaux en janvier 2011 . D’autres pays membres comme la Suède, ou les Pays-Bas ont déjà abouti dans cette démarche sur leur sol.

En France banque, messagerie, colis et courrier express sont déjà en concurrence. Il s'agit désormais de mettre fin au monopole que La Poste exerce sur le courrier de moins de 50 grammes. C'est dans ce cadre que s'inscrit son changement de statut.

Composée d'élus de tous bords, de syndicalistes et représentants de La Poste, la commission Ailleret s’est prononcée en faveur d'une transformation de l'établissement public à caractère industriel et commercial en  société anonyme . Ce changement de statut permettra une levée de fonds importante : une ouverture du capital est prévue un an plus tard , avec apports de l’Etat et de la Caisse des Dépôts et Consignations, investisseurs publics . Le projet de loi transmis au Parlement a été établi à partir de ces travaux.

Quels objectifs sont poursuivis ?

Il faut distinguer d’une part les exigences de la directive européenne , d’autre part les nécessités liées à la situation particulière de La Poste .

La directive européenne ne contraint pas à ce changement de statut. La libéralisation ou mise en concurrence pour ce marché n’exclut pas que le service en question soit assuré en partie par un opérateur public. En revanche, elle contraint à prendre des mesures propres à l’entrée de nouveaux concurrents .

La Poste va se trouver en janvier 2011 face, par exemple, aux anciens opérateurs publics des pays voisins. Elle va donc devoir gagner en compétitivité, dans un marché qui reste peu porteur . On considère que le marché postal devrait chuter de 30 % d’ici à 2015, de 6 à 7 % en 2009, alors que le service courrier représente 54,3 % de ses revenus.

Lors de son conseil d’administration du 23 avril 2009, La Poste a d’ailleurs adopté pour cette année, un plan de réduction des coûts de 200 millions d’euros (dont 100 millions d’euros pour la branche courrier, 56 millions d’euros dans l’activité colis express, 25 millions d’euros dans le réseau de bureaux de poste.. Or l’établissement est déjà endetté à hauteur 6 milliards d’euros, soit environ 175 % de ses fonds propres.

Jean-Paul Bailly, le président du groupe, compte donc sur l’ augmentation de capital rendue possible par le changement de statut de 2,7 milliards d’euros (1,2 milliard d’euros apportés par l’Etat, 1,5 milliard par la Caisse des Dépôts et Consignations) pour financer un vaste plan de modernisation et de diversification de ces services.

Quelles sont les craintes exprimées ?

Les craintes les plus souvent exprimées ne portent pas sur le changement de statut lui-même, plutôt sur l’avenir de la société ainsi constituée ou du service postal .

Les principaux détracteurs du projet sont les syndicats en général, ceux des postiers en particulier, les partis de gauche et une partie de la population dite « attachée au service public postal ».

Ces derniers sont d’ailleurs ceux qui se sont prononcés lors de la votation d’octobre dernier, organisée par le « Comité national contre la privatisation de La Poste, pour un débat public et un référendum sur le service public », collectif constitué de 80 associations. Celui-ci a rassemblé environ 2 millions de votants. A la question posée « Le gouvernement veut changer le statut de La Poste pour la privatiser, êtes-vous d’accord avec ce projet ? », le non a été massif, avec toutes les réserves que l’on peut émettre sur la question posée et ce type d’action . Les membres de ce collectif évoquent les cas d’Air France, France Télécom, GDF ou EDF, ou encore les exemples de l’étranger (licenciements de la poste hollandaise ou privatisation partielle de la Royal Mail). Le plan de réduction des coûts de La Poste pour 2009 prévoit déjà le remplacement d’un postier sur 5 partant à la retraite.

De même, les craintes liées à la répartition du service sur le territoire trouvent leur fondement dans le remplacement progressif de certains agences postales par des « points de contacts » postaux en mairie ou chez des commerçants. Les Agences Postales Communales, ou APC, (environ 3 800) sont hébergées en mairie, les Relais de Poste Commerçants ou RPC (environ 1500) sont implantées dans bars, tabacs, épiceries… moyennant indemnisation par La Poste, mais ne proposent pas tous les services, notamment financiers.

Aujourd’hui, sur 17 082 points de contacts sur le territoire, 35 % environ  ne sont plus des bureaux de poste ; 6 500 bureaux sont ouverts 4h par jour, 2 500 moins de 2h.

En réponse à ces différentes craintes, le gouvernement a inscrit dans la loi les quatre missions de service public de La Poste , figurant dans le schéma ci-dessous. Quoi qu’il en soit, il est difficile de se projeter dans le temps. Par exemple, la mission de « service universel » confiée à La Poste, l’est pour 15 ans. Ce débat s’inscrit donc dans celui, plus large, de la définition des « services universels » , successeurs des « services publics » : jusqu’où ce service doit-il être assuré ? quelles sont les « prestations essentielles » ? à quel « prix raisonnable »? avec quel financement ? et surtout assurées par qui ?

Définitions clefs

Libéraliser un marché, c’est permettre aux agents économiques intervenant sur ce marché (offreurs, demandeurs) d’avoir une plus grande liberté d’action, ou encore enlever les contraintes d’accès à ce marché. Par exemple, dans le cas d’un monopole public, une contrainte légale empêche d’autres opérateurs d’entrer et de sortir sur le marché. La mise en concurrence signifie dans ce cas lever cette barrière, permettre à d’autres agents de fournir ou acheter ce produit. Cette libéralisation n’implique donc pas une privatisation , à savoir une cession à des propriétaires privés d’une entreprise public ou d’un établissement public.

Un EPIC, établissement public à caractère industriel et commercial est une personne publique ayant pour but la gestion d'une activité de service public. L’activité d’un EPIC est limitée au service qu’il a pour mission de gérer (principe de spécialisation ). Il est destiné à faire face à un besoin qui pourrait être assuré par une entreprise, mais qui, par exemple par difficulté de rentabiliser l’activité ou présence d’externalités positives, ne serait pas correctement effectué par une entreprise privée soumise à la concurrence. Un EPIC se différencie donc d’une entreprise publique, qui reste à but lucratif, même si elle est propriété de l’Etat. Les EPIC sont rattachés à l’Etat et sont soumis à son contrôle strict.

En France, le mot « service public » est utilisé le plus souvent : il s’agit d’une activité économique considérée comme d’intérêt général, organisée par les pouvoirs publics mais que le marché ne peut susciter. L’appellation désigne aussi l’organisme qui accomplit ce service. Le secteur public peut être plus étendu que ces seuls services. Ceux-ci doivent répondre notamment aux principes d’universalité ou d’égalité d’accès, de continuité du service, de neutralité… Les institutions de l’Union européenne dans le cadre de la politique de la concurrence, dès 1992, ont introduit l’appellation de « service universel » , qui désigne « un service de base »,  certaines « prestations essentielles », lié à des « exigences d'intérêt général », offert à tous dans la communauté, de qualité standard et « à un prix abordable ». Cependant, elles ont aussi reconnu en 1996 la liberté des états membres pour définir les missions d’intérêt général du service public au delà du « service universel ».

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