Les droits de douane : aubaine ou menace pour les producteurs automobiles aux États-Unis ?

Introduction

Depuis son élection, Donald Trump multiplie les mesures protectionnistes, notamment en augmentant fortement les droits de douane, c’est-à-dire les taxes sur les importations. Ces mesures sont justifiées par le président des États-Unis comme devant favoriser la production locale, réduire le déficit commercial et créer de l’emploi. Pourtant, les constructeurs automobiles locaux se plaignent des tarifs douaniers, qui finiraient par les pénaliser. Comment le comprendre ?

Voir le fait actualité : le protectionnisme américain

Les faits :

1)

Le mercredi 12 mars, des droits de douane supplémentaires de 25 % sur les importations d’acier et d’aluminium ont été décidées aux États-Unis. En clair, une entreprise qui importe pour 1 million de dollars d’acier en provenance, par exemple, d’Europe, paiera cet acier 1,25 million si le prix européen est inchangé.

Le 2 avril, l’administration des États-Unis a dévoilé, lors du Liberation Day, les tarifs douaniers « réciproques » imposés à l’ensemble des pays du monde et calculés en fonction du déficit commercial avec ces pays. Des droits de douane spécifiques sur l’automobile ont aussi été instaurés :

  • à partir du 3 avril 2025, des droits de douane supplémentaires de 25 % sur les importations de véhicules. Ces tarifs portent par exemple à 27,5 % les droits de douane sur les importations en provenance de l’UE, et à 125 % ceux sur les importations depuis la Chine

  • à partir du 3 mai 2025, des droits de douane supplémentaires de 25 % sont prévus sur les pièces détachées de l’industrie automobile

Les mesures ont été allégées, à la fin du mois d’avril, pour les constructeurs automobiles produisant aux États-Unis : les droits de douane sur l’automobile ne se cumulent pas avec ceux sur l’aluminium et l’acier, et des mécanismes de déduction sont prévus pour les importations de matières premières pour les entreprises qui produisent localement. 

2) Les droits de douane doivent favoriser la production locale...

L’avantage industriel qu’offre le protectionnisme est évident quand on raisonne dans un monde simple où les consommateurs ont le choix entre un produit entièrement réalisé à l’étranger et un autre, équivalent, entièrement produit sur place. Si le produit étranger bénéficie d’un avantage en termes de prix, les importations remplacent les achats locaux, ce qui menace l’emploi. Mettre en place des droits de douane restaure alors l’avantage compétitif du produit local. On peut l’illustrer avec le cas fictif suivant où on suppose que les automobiles allemandes sont vendues aux États-Unis avec un prix plus faible que leurs concurrentes locales avant les droits de douane puis sont frappées d’un droit de douane de 25 %, entièrement reporté sur le prix pour les consommateurs :

 

Une première difficulté se présente alors en termes d’efficacité du tarif douanier : il risque d’être supporté par les consommateurs (dans notre exemple, les voitures étatsuniennes coûtent 5 de plus que les voitures allemandes avant les droits de douane). Des analystes de Wedbush, cités notamment par Le Monde estiment ainsi que les tarifs douaniers risqueraient d’augmenter le prix des voitures de 5000 à 10000 dollars pour les consommateurs.

Voir la notion Compétitivité

3) … et inciter à l’investissement sur place...

Les droits de douane réduisent l’accès au marché pour les producteurs étrangers. Pour les constructeurs automobiles, le marché des États-Unis est un débouché essentiel. Avec 16 millions de véhicules vendus en 2024 selon l’OICA, les États-Unis sont ainsi le 2e marché mondial derrière la Chine (32 millions environ), mais devant l’UE (15 millions).

L’enjeu, et l’objectif recherché par les États-Unis est de déclencher des IDE « tarriff-jumping » ou de contournement de droits de douane. C’est le sens de l’investissement annoncé dès le mois de mars par le sud-coréen Hyundai qui prévoit un investissement de 21 milliards de dollars pour implanter une fonderie en Louisiane.

4) … mais ils se diffusent sur la chaîne de valeur

Les constructeurs automobiles, comme de nombreuses autres entreprises ont mondialisé leurs chaînes de valeur : ils importent des produits (comme de l’acier et de l’aluminium) depuis d’autres pays et ont décomposé leur production en différentes étapes faites dans différents pays. La production a pu aussi être délocalisée. L’entreprise Ford par exemple, importe 20 % des véhicules qu’elle vend aux États-Unis. Ces constructeurs ont notamment investi dans les pays voisins des États-Unis pour profiter des conditions avantageuses de l’accord USMCA et pour contourner les droits de douane imposés depuis le premier mandat de Donald Trump sur les importations depuis la Chine. Le Mexique, en particulier, joue un rôle important de « connecteur ».

 

Ce tarif douanier concerne fortement les constructeurs automobiles puisqu’il s’agit d’une taxe sur les importations de produits qui sont pour eux d’importantes consommations intermédiaires. Ainsi, selon Associated Press, l’économiste Arthur Laffer  a ainsi estimé que les droits de douane sur l’automobile pourraient renchérir le coût de production des voitures de 4 711 dollars en moyenne, ce qui finirait par réduire leur capacité à exporter. Ces difficultés commerciales peuvent bien-sûr être renforcées par les représailles décidées dans les pays partenaires : le Canada a, par exemple, annoncé la mise en place de droits de douane sur les importations des véhicules provenant des États-Unis qui ne comprennent pas au moins 75 % de pièces réalisées en Amérique du nord ou au Mexique (selon l’accord USMCA).

Pour les constructeurs, produire des véhicules sur place suppose de relocaliser l’entièreté de la chaîne de valeur, ce qui peut représenter des coûts très élevés. Cela permet aussi de comprendre une autre limite de la politique tarifaire des États-Unis : son instabilité rend l’environnement très incertains pour les décideurs économiques. Les constructeurs automobiles ne sont pas incités à investir dans la relocalisation alors qu’il semble qu’à tout moment, des mesures tarifaires décidées pourraient être abrogées.

Voir le cours de Terminale : Question 4. Comprendre l'internationalisation de la chaîne de valeur et savoir l'illustrer

A suivre

* l’entrée en vigueur des droits de douane sur les pièces détachées est prévue pour le 3 mai

* l’UE cherche à la fois à riposter aux droits de douane et à négocier avec les États-Unis, notamment en s’engageant à acheter plus de produits américains

* fortement frappée par les droits de douane, la Chine cherche à conquérir de nouveaux marchés, forte de son avantage comparatif dans la production de véhicules électriques

Voir le lien : Les politiques de lutte contre les inégalités - Les grands auteurs

Newsletter

Suivre toute l'actualité de Melchior et être invité aux événements