La Guerre mondiale des banques

Pastré Olivier (dir.)

L'ouvrage :

L'industrie bancaire, fer de lance de la mondialisation financière, s'est considérablement transformée ces vingt dernières années. Alors que le paysage bancaire était fortement marqué par des spécificités nationales (système mutualiste en France, public régional en Allemagne, de conglomérats au Japon, de petits réseaux aux Etats-Unis), il a connu depuis 1998 un mouvement de concentration sans précédent, porté aux Etats-Unis par l'abolition des lois anti-concentration propres à ce secteur et au Japon par l'assainissement suite à la crise de 1989 qui conduisit à des rapprochements stratégiques. L'Europe a été moins concernée que les autres économies, les particularités nationales et l'attachement de chaque peuple à son système ayant constitué un frein à la création de grands réseaux transeuropéens.

Ce mouvement de concentration doit s'expliquer, selon Michel Aglietta, par la recherche de pouvoir des banques à la fois sur les marchés économiques et financiers et vis-à-vis des pouvoirs politiques. Acteurs centraux de l'économie, les banques sont aussi sous perpétuelle surveillance, en particulier depuis le début de la vague de mondialisation et la série de crises que le secteur a connues. «Les banques sont spéciales parce qu'elles créent de manière privée un bien public qui est la monnaie. Il s'ensuit que le risque pris individuellement par les banques dans leur course aux parts de marché du crédit peut se transformer en risque systémique au lieu de rester disséminé. (…) La contrepartie de l'augmentation des opportunités des banques à prendre des risques est donc une supervision renforcée» (p.16).

Le scénario de la concentration constitue-t-il pour autant la pierre angulaire de la consolidation du secteur bancaire dans les prochaines années ? La contribution de Jean-Paul Pollin démonte cette hypothèse, avec une contre-proposition à l'appui. Pour cet économiste, le fleuron du secteur bancaire reste l'activité de détail, dans la mesure où elle constitue «l'aboutissement du processus de production» (p. 25). Or, Pollin démontre que la concentration n'est pas nécessairement la meilleure solution pour la consolidation de ce secteur. La recherche de la proximité rend nécessaire le maintien d'un vaste réseau d'agences. De plus, il ressort d'études économiques que les banques de petite taille comprennent mieux les attentes des petites entreprises. Par ailleurs, la persistance de fortes disparités d'ordre culturel, juridique et économique dans les différents pays européens ne justifie pas un mouvement transnational. Pollin dessine plutôt un paysage bancaire où peu à peu les activités se séparent. Les banques de détail deviennent des distributeurs de service aux particuliers, non seulement dans la banque mais aussi dans l'assurance ou la vie quotidienne. Ces acteurs n'auraient pas intérêt, selon cette analyse, à assumer eux-mêmes la production des services en amont, dans la mesure où la cohabitation de plusieurs branches d'activité dans une même structure peut entraîner des difficultés de gestion voire des surcoûts. «Autant il existe de bons arguments pour justifier une offre aussi large que possible au stade de la distribution, autant il semble difficile de justifier une gamme intégrée au niveau de la production. De sorte qu'à l'avenir, l'industrie bancaire devrait continuer à connaître une désintégration de sa chaîne de valeur. Les différentes activités devraient poursuivre leur éclatement entre des institutions spécialisées produisant pour des établissements distributeurs» (p. 31). Rien ne permet, pour l'auteur, de conclure que la taille de ces banques de service constitue un quelconque avantage concurrentiel. Ce scénario, rationnel pour les banques, pourrait bien également répondre aux attentes des consommateurs, dans la mesure où une trop forte concentration conduirait à des biais d'information et que le rapprochement de banques au niveau transfrontalier sera de toute façon insuffisant pour créer un espace financier européen, dans la mesure où il ne lèvera pas les obstacles hérités d'histoires économiques divergentes.

Pour être cohérent, ce scénario est loin de faire l'unanimité au sein même des contributeurs de ce cahier. Jean-Paul Betbèze et Olivier Pastré privilégient quant à eux la concentration du secteur, tout en insistant sur le nécessaire maintien du caractère national de quelques grandes banques, afin de répondre au mieux aux besoins de financement de l'économie. «Il convient, chaque fois que cela est possible, de renforcer la capacité compétitive de notre industrie bancaire nationale», affirme ainsi Olivier Pastré (p. 84). «Il est en contrepartie essentiel que celle-ci joue pleinement son rôle de poumon financier de la croissance, sans exclure personne de cette très souhaitable croissance. Il convient de donner ainsi aux banques françaises les moyens de leur indispensable citoyenneté». Il rappelle d'ailleurs que, si des particularités nationales subsistent dans les pratiques bancaires, la plupart des règles (en particulier prudentielles) qui encadrent cette activité sont désormais d'origine européenne, de sorte que les différents groupes évoluent dans un environnement commun favorable à des mouvements de concentration. Jean-Paul Betbèze souligne d'ailleurs que les banques d'Europe de l'Ouest ont su trouver des relais de croissance à l'Est, à défaut de perspectives majeures sur leurs marchés domestiques. En effet, comme il l'explique fort justement, la croissance des banques est dépendante de la croissance générale de l'économie et des réformes structurelles que les différents pays européens doivent entreprendre pour dépasser l'horizon des 2 % de croissance annuelle.

Bertrand Jacquillat, pour sa part, livre une analyse intéressante du secteur de la banque d'affaires. Ces établissements sont désormais au cœur du système financier contemporain, caractérisé par une complexification des produits dérivés et l'apparition de nouveaux acteurs. Moteurs de la finance au cours du 20ème siècle, les banques d'affaires ont pu sembler en recul ces dernières années, au profit des hedge funds et du private equity. Pourtant, même si leur rôle dans les opérations de fusion-acquisition est en net rétrécissement du fait de la large diffusion des connaissances autour de cette fonction et de leur intégration au sein même des entreprises, les banques d'affaires continuent d'assurer leur fonction d'intermédiaire, notamment pour les hedge funds qui ne disposent pas d'une surface financière comparable, de même qu'elles concurrencent directement ces fonds en faisant de la gestion de leurs propres actifs une activité stratégique. La banque d'affaires est donc loin d'être en repli, et intègre de plus en plus de fonctions qui conduisent à la création d'entreprises colossales.

Entrer dans la logique interne du secteur bancaire, comme le propose ce numéro des Cahiers du Cercle des économistes, permet de mieux saisir les rouages de la finance, à l'heure où celle-ci risque d'entraîner toute l'économie dans une période de perturbations. Contemporain de la crise des subprime, cet ouvrage en décèle déjà la principale cause, à savoir le transfert du risque des banques vers des acteurs moins armés pour les évaluer, à savoir les ménages. Comme l'écrit Michel Aglietta, «on avait cru apprendre que l'intermédiation financière avait pour principale justification l'efficacité supérieure de l'allocation des ressources dans le temps, parce qu'elle permettait à l'économie de fonctionner à des niveaux de risque plus élevés que les épargnants individuels n'étaient pas prêts à prendre. Cela est économiquement efficace parce que les banquiers sont les spécialistes du risque crédit. (…) Or les banques de plus en plus initient les crédits sans prendre les risques inhérents qu'elles rejettent à leur insu sur les ménages au terme de mécanismes tortueux et opaques» (p. 17-18). Sans doute la crise actuelle conduira-t-elle à la remise en cause de ce scénario, notamment par la fin prévisible du cycle haussier de l'immobilier et le nécessaire recentrage des banques sur d'autres activités que le crédit immobilier.

L'auteur 

Le Cercle des économistes réunit trente économistes qui ont le souci d'associer réflexion théorique et pratique de l'action. Ce groupe s'est donné pour objectif, en tirant profit de l'indépendance et de la diversité des positions de ses membres, de favoriser le débat économique sans réduire la complexité des faits et des analyses.

Quatrième de couverture (extrait) 

Santander-Abbey, Unicredito-HVB, BNP Paribas-BNL. Demain, ABN Amro. La recomposition du paysage bancaire européen s'accélère. Dans quelques années, il ne restera plus qu'une dizaine de banques véritablement européennes.

Mais n'est-il pas déjà trop tard pour l'Europe ? Les banques américaines disposent aujourd'hui d'une force de frappe financière qui leur permet, avec quelques trimestres de profit, de faire main basse sur la banque européenne. Les banques japonaises sortent de leur crise. Les banques chinoises accumulent des réserves qui feront d'elles, demain, des prédateurs à l'échelle mondiale.
L'industrie bancaire mondiale va se recomposer dans les cinq ans qui viennent. Quelle sera la place des banques françaises dans ce jeu de go ? Ce livre essaie d'apporter plusieurs éléments de réponse à une question dont dépend le financement même de l'économie de notre pays.
 

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