Les entreprises et le développement durable : histoire d'une prise de conscience

Le développement durable peut être défini comme une "forme de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins" (Rapport Bruntland, Nations Unies, 1987).

Ce concept est né de la prise de conscience des risques induits, au niveau mondial, par lesdéséquilibres de la croissance. Ses promoteurs insistent à la fois sur la nécessité d'une croissance soutenue qui permette, partout à travers le monde, la satisfaction des besoins essentiels, et sur la nécessité de contrôler les conséquences de cette croissance : à leurs yeux, l'augmentation de la production ne peut être pérenne que si elle ne s'exerce ni au détriment de l'environnement, ni au sdétriment des conditions de vie des hommes à l'origine de cette création de richesse.

Le principe de développement durable repose ainsi sur trois piliers indissociables : l'environnement, le social, et l'économie. Chacun de ces piliers est déjà pris en compte au quotidien par l'entreprise : l'efficacité économique est mesurée par le marché et par différents outils comptables, le bilan social est établi en relation avec les représentants du personnel, et les considérations environnementales sont souvent intégrées dans le système de management. Mettre en œuvre une démarche de développement durable dans une entreprise implique d'intégrer ces trois éléments dans un projet cohérent.

Ce mode de développement est encore nouveau pour de nombreuses entreprises et la prise de conscience est lente, notamment en Europe. Cependant les enjeux qu'il recouvre sont chaque jour plus cruciaux, si bien que les entreprises se voient de plus en plus contraintes, quand elles ne le font pas délibérément, de s'adapter aux enjeux du développement durable.

L'avènement du développement durable dans l'entreprise : une lente prise de conscience

De l'engagement militant de quelques pionniers au phénomène global

Dans les années soixante-dix, une poignée d'entrepreneurs décident de lancer un nouveau management de l'entreprise basé sur une série de "bonnes conduites". Anita Roddick de "The Body Shop" ou Ben Cohen et Jerry Greenfield, fondateurs de la marque américaine de crème glacées "Ben & Jerry's", sont les premiers à avoir placé le respect de l'environnement et des droits sociaux au même niveau que la rentabilité économique. Si ces initiatives restent marginales et peu nombreuses jusqu'au début des années 90, elles n'en posent pas moins les bases du développement durable dans les entreprises. Leur succès économique et surtout médiatique est en effet rapidement compris et intégré par les grandes firmes multinationales : le commerce équitable gagne les linéaires des supermarchés, les investisseurs considèrent de plus en plus le respect du développement durable comme un critère de choix, et les grands groupes industriels mondiaux publient de manière volontaire des rapports annuels portant sur leur stratégie de développement durable. La montée en puissance, au cours des années 90, de normes de type ISO 14 000 (certification environnementale) incite également beaucoup d'entreprises à modifier leurs pratiques. En France, la loi sur les nouvelles régulations économiques votée par le Parlement début 2001 oblige les entreprises cotées à intégrer, dans leur rapport annuel, une section entière détaillant la façon dont elles "prennent en compte les conséquences sociales et environnementales de leur activité". Ainsi, aujourd'hui, l'ensemble des entreprises se voient contraintes d'évoluer vers le développement durable sous la pression conjointe du marché, des investisseurs, et de l'environnement réglementaire.

Pourquoi et dans quelles mesures les entreprises s'engagent-elles dans le développement durable ?

On imagine sans peine que la philanthropie n'est pas le seul ressort des entreprises qui s'engagent dans une démarche de développement durable. Beaucoup ont aujourd'hui compris qu'il est devenu très "tendance" de publier chaque année, en plus du traditionnel rapport d'activité, un "rapport développement durable" plaisamment illustré et fourmillant d'indicateurs chiffrés. Il est vrai que les consommateurs sont de plus en plus sensibles à ce type d'engagement : 89% des particuliers souhaitent que la protection de l'environnement soit inscrite dans la Constitution, selon un sondage Ipsos réalisé pour WWF à l'occasion de son 40ème anniversaire. Mais dans bien des cas, les entreprises amendent leurs pratiques dans le domaine social et environnemental parce que leur activité même en dépend : les industries agro-alimentaires, par exemple, doivent gérer avec rigueur le stock de ressources agricoles ou halieutiques dont elles tirent leurs richesses. Quel que soit le secteur considéré, les contraintes environnementales ou sociales qui s'imposent aux entreprises (ou que les entreprises s'imposent à elles-mêmes) poussent celles-ci à innover et à moderniser leurs techniques de production. On notera toutefois que les entreprises ne réagissent pas toutes de la même façon face aux enjeux du développement durable. Les entreprises cotées en bourse se trouvent souvent obligées de les intégrer à leur stratégie, tandis que les entreprises non cotées ont beaucoup moins de contraintes de communication et de comptes à rendre à des tierces parties. Au-delà de cette distinction, les entreprises les plus en pointe dans le développement durable peuvent être réparties en trois catégories :

  • Les engagées : il s'agit souvent de grands groupes, comme Axa, ST Microelectronics ou Lafarge, qui font du développement durable et de la responsabilité sociale un des fondements de leur culture d'entreprise ;
  • Les pragmatiques : on peut notamment classer, dans cette catégorie, la RATP, qui s'est engagée dans plusieurs initiatives liées à la ville et aux populations exclues ou défavorisées. Ce type d'engagement permet à l'entreprise de se donner une image citoyenne tout en améliorant la qualité de ses relations avec ses clients ;
  • Les mécènes : il s'agit d'entreprises qui, comme PSA, préfèrent jouer un rôle indirect de mécène pour encourager des actions inspirées des principes du développement durable.

L'application du développement durable dans l'entreprise : une "révolution culturelle" en marche

L'engagement des entreprises en faveur du développement durable peut se traduire, au quotidien, par plusieurs types d'initiatives :

  • mise en œuvre d'une politique de réduction des émissions polluantes, et notamment des gaz à effet de serre ;
  • Intégration des considérations environnementales dans le processus de prise de décision à tous les niveaux de direction, ce qui implique, notamment, une formation adaptée du personnel ;
  • Adhésion à des codes de conduite volontaire en matière d'investissement et de production, de type Global Compact ;
  • Intensification de la recherche sur les techniques de production plus sobres et moins polluantes.

Ces éléments ne sont que des exemples de la forme que peut prendre le respect du développement durable dans une entreprise. L'une des applications les plus concrètes dans les entreprises fut l'instauration, en avril 2002, au Royaume-Uni, du premier marché des droits à polluer , principe de lutte contre la pollution au niveau mondial. Les droits à polluer peuvent être définis comme des droits de rejeter des gaz à effet de serre, en particulier du CO2 . Si ce marché peut apparaître comme une provocation aux yeux des écologistes, il n'en est rien, comme l'explique le directeur des transactions pour les produits environnementaux de Shell dans une interview du 26 août 2002 à Libération : "Par le passé, tout le monde pouvait polluer, gratuitement et sans limitation. Or par principe, tout ce qui est gratuit et illimité est une denrée sans valeur. La création de ce marché a permis de poser une limite à la quantité globale de rejets de CO2 et donc de fixer un coût à ces pollutions". Le premier marché européen des droits à polluer est né à l'initiative du gouvernement britannique. Celui-ci a fixé une quantité maximale globale de rejets de CO2 et autres gaz à effet de serre, et il a ensuite distribué une part égale de cette quantité aux 34 entreprises participant au marché (Shell, Rolls-Royce, British Airways…). L'efficacité de ce marché semble reconnue par tous ses participants, le seul bémol étant le nombre encore limité d'entreprises y prenant part.

Les enjeux du développement durable dans les entreprises

De nombreux obstacles à sa mise en place, particulièrement dans les PME

 

Les obstacles à la mise en œuvre d'une démarche de développement durable dans une entreprise peuvent être totalement indépendants de la volonté propre de ses dirigeants. Ils peuvent ainsi apparaître sous la forme de lacunes en matière d'information, ou encore d'une indisponibilité des capacités scientifiques, technologiques, professionnelles ou institutionnelles requises pour appuyer le processus. En outre la mise en œuvre des démarches de développement durable se heurte souvent à des conflits résultant du différentiel entre le coût financier à court terme de la protection de l'environnement ou du relèvement des standards sociaux et ses avantages économiques à long terme. Les petites et moyennes entreprises (PME) sont les plus démunies face à ce problème en raison d'une difficulté d'accès aux informations adéquates et d'un manque de capitaux nécessaires à l'utilisation de procédés de fabrication moins polluants. Or les dirigeants des petites et moyennes entreprises jouent un rôle très important dans le développement économique et social d'un pays. C'est pourquoi le Groupe de Travail pour l'Emploi de la Commission Française du Développement Durable  a avancé en 1998 quelques propositions pour les PME :

  • Création d'un réseau d'informations sur les normes ;
  • Mise en place d'un dispositif d'aide à la mise en conformité aux normes ;
  • Installation de médiateurs de la normalisation ;
  • Appui à la coopération entre les PME intervenant dans le champ du développement durable pour l'élaboration des normes ;
  • Soutien et financement de protocoles de coopération entre grandes et petites entreprises intervenant dans le champ du développement durable.

Afin de faciliter l'application du développement durable dans les entreprises et surtout dans les collectivités locales, la Conférence de Rio a encouragé à la mise en place de plans d'action appelés "Agenda 21" (pour "21ème siècle"). L'Agenda 21 local, tel qu'il est appliqué en France, est un programme d'actions définissant les objectifs et les moyens de mise en oeuvre du développement durable sur un territoire donné. Il est élaboré selon les objectifs de la collectivité et en concertation avec l'ensemble de ses acteurs socio-économiques. C'est un processus basé sur un diagnostic, qui va permettre d'établir un programme, lui-même périodiquement évalué selon une grille d'indicateurs.

 

Une nécessaire coopération entre producteur et consommateur

 

Les modes de production et de consommation sont liés : il ne peut y avoir de production responsable sans consommateurs responsables. Le respect du développement durable dans les entreprises doit être stimulé par la demande des consommateurs. Ceux-ci, grâce à la labellisation (écoproduits, label et agriculture biologique…), peuvent avoir des garanties sur l'impact de leur consommation et encourager les entreprises les plus vertueuses. Cependant on aurait probablement tort de trop attendre du "commerce équitable" : les modes de consommation eux-mêmes doivent être capables de s'adapter, et ce phénomène ne pourra être encouragé que par l'émergence d'une "éco-citoyenneté", elle-même favorisée par une éducation des consommateurs dès l'école.

 

L'apparition de nouveaux modes d'évaluation de l'entreprise : les fonds "éthiques" et le casse tête des indicateurs

 

Pour les investisseurs, la performance financière des entreprises a longtemps constitué le seul critère de choix dans leurs stratégies de placements. Si ce critère demeure primordial, il n'est désormais plus le seul, et le respect du développement durable prend une place de plus en plus importante. Les investisseurs portent ainsi de plus en plus leur attention sur la politique sociale et environnementale des entreprises. Les placements "éthiques" répondent à ce nouveau besoin. Ainsi, un placement "éthique" mobilise l'argent des investisseurs dans des entreprises répondant à des critères de rentabilité économique, mais aussi de cohésion sociale et de respect de l'environnement. L'objectif à long terme de ce type d'investissement est principalement de convaincre les entreprises d'attacher plus d'importance à leur environnement. Si le phénomène est encore émergent en Europe, il est largement répandu aux Etats-Unis où plus de 2000 milliards de dollars, soit 13% des actifs gérés professionnellement, sont gérés selon des critères extra-financiers Dans ce contexte, une difficulté majeure apparaît : comment mesurer la performance sociale et environnementale des entreprises ? Alors que la performance financière s'évalue facilement grâce à une multitude de chiffres et d'instruments comptables, l'impact des entreprises sur leur environnement est plus difficile à mesurer. Il existe tout de même deux sources d'informations disponibles pour les investisseurs "éthiques" :

  • Les cabinets de notation scialisés dans l'investissement socialement responsable (Vigeo, Core ratings et Innovest en France) ;
  • Les indices boursiers relatifs aux entreprises engagées dans des processus de développement durable (DJSI, FTSE4Good, …).

Malgré la volonté des entreprises, des gouvernements et des ONG de définir des indicateurs valables pour tous, la question n'est toujours pas réglée à ce jour, et elle fait encore l'objet de débats houleux.

Conclusion

 Le développement durable est un mode de développement qui concerne tous les acteurs économiques et sociaux présents sur la scène internationale. Parmi tous ces acteurs, les entreprises occupent une place prépondérante, car la dégradation de l'écosystème est pour une large part imputable à des modes de production trop polluants. La sauvegarde des ressources de la planète pour les générations futures, objectif principal du développement durable, doit donc passer par un changement des techniques de production et des modes de management au sein de l'entreprise, aiguillonnée par les autres parties prenantes (actionnaires, investisseurs et société civile). Si le sujet est devenu omniprésent dans le débat public, son application concrète n'en est qu'à ses débuts et de nombreux efforts sont encore à fournir, de la part des entreprises comme des consommateurs. Beaucoup d'observateurs regrettent l'effet de mode médiatique et marketing dont profite le développement durable, qui est devenu un argument de vente pour certaines entreprises. Toutefois, une fois cet engouement passé, il est probable que les principaux enjeux sous-jacents à ces débats, et qui sont ceux de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, conserveront encore longtemps leur pertinence.

 

 

Liste des documents

La prise de conscience collective

1. Les chiffres clés du développement durable

2. Introduction de la circulaire sur le développement durable, Mme Voynet

3. Interview de Mr Pierre Coppey et Mr Thomas Busuttil, groupe Vinci

4. . Extraits du discours de Mr Yves Cochet, Ministre de l'Aménagement du 
Territoire et de l'Environnement
Entreprises et développement durable : la fin de l'antagonisme

5. Vivendi Environnement : une entreprise avancée en matière de développement durable

6. Les droits à polluer, explication économique

7. Evolution des émissions de CO2

8. Galloo Plastics : l'exception qui confirme la règle

9. La responsabilité sociale d'entreprise

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