Fusion Vinci-GTM : Une nouvelle structure pour de nouveaux marchés

Le 1er juillet 2000 les groupes Suez et Vinci ont signé le protocole d'accord concernant la fusion de Vinci avec GTM, filiale de Suez. Cet accord achève des négociations de trois mois rondement menées dont le but avoué était de créer un groupe cohérent et homogène fondé sur quatre pôles principaux : le BTP, les travaux routiers, les concessions et les équipements. Cette fusion illustre parfaitement bien les rapprochements qui ont été mis en œuvre dans ce secteur, dans un cadre qui tend à se mondialiser de plus en plus. Ainsi les entreprises hexagonales se voient aujourd'hui dans l'obligation d'atteindre une taille critique afin de sauvegarder leur indépendance d'autant plus qu'à l'heure de l'intégration européenne les marchés ont tendance à "s'européaniser".

Les acteurs doivent donc être à même de répondre à cette évolution au risque sinon de disparaître de la carte de l'activité économique européenne. La fusion Vinci-GTM illustre ainsi doublement bien cette tendance de fond, puisque ce processus de croissance externe s'inscrit dans la droite ligne du développement des deux entreprises. En effet GTM et Vinci disposaient d'un avantage conséquent à savoir leur connaissance approfondie du milieu des fusions et rachats d'entreprises puisque l'une comme l'autre ont eu souvent recours à la croissance externe afin de développer leur activité.

GTM

En 1891 la société des Grands Travaux de Marseille est créée par les milieux d'affaires marseillais afin de réaliser la construction d'un réseau moderne d'égouts dans la cité phocéenne. Jusqu'en 1914, la société connaît une croissance continue, fondée sur une importante diversification technique dans les travaux électriques, portuaires et souterrains, ainsi que sur la conquête des marchés étrangers.

La guerre ébranle les positions des GTM et contraints de recentrer l'activité de la société sur le bâtiment industriel et les travaux électriques. Mais cette période ne dure qu'un temps, les premiers chantiers de la reconstruction permettent aux GTM de se redresser rapidement et, très vite, la société doit affronter le défi de la décolonisation. A partir de 1957 la société dirigée par René Gonon, trouve de nouveaux marchés en Afrique, en Amérique du Nord et du Sud et au Moyen-Orient. Enfin, le groupe cherche à diversifier ses activités dans les travaux pétroliers maritimes, nucléaires et  dans le domaine des concessions (parkings, Cofiroute).

En 1982, le groupe GTM fusionne avec la firme Entrepose qui apporte des métiers et des marchés complémentaires : canalisations souterraines, travaux de forage, sondage. GTM-Entrepose est donc contraint de se replier vers l'Europe pour fuir la baisse des commandes émanant des pays émergents. En 1987, Dumez prend des participations dans GTM-Entrepose, ce qui permet d'envisager dès 1994, un regroupement des activités BTP des deux groupes. La fusion est effective deux ans plus tard : la nouvelle entité, est baptisée Groupe GTM. De 1997 à 1999, le BTP s'engage dans une stratégie de décroissance relative, qui se traduit par de fortes restructurations ainsi que par un renforcement de la présence du groupe GTM dans les métiers à chiffre d'affaires récurrent: concessions (parkings, autoroutes, aéroports…) et électricité (Entreprise Industrielle). Le Groupe GTM se forge ainsi une nouvelle identité allant jusqu'à gommer publiquement l'existence de son métier historique le BTP pour se présenter désormais comme un "groupe de services et de constructions associées" comme le montre son organigramme.

La SGE

En 1908 la Société Générale d'Electricité est créée au sein de Giroulou. Après la seconde guerre mondiale, la nationalisation de l'électricité conduit la SGE à se redéployer dans les métiers du BTP. Pendant les Trente Glorieuses, elle devient la première entreprise française de génie civil et met à son actif l'usine marémotrice de la Rance. En 1984 Saint-Gobain devient le nouvel actionnaire majoritaire de l'entreprise,  engage une profonde restructuration de la SGE, qui devient une holding dans laquelle Sogea regroupe les activités BTP. Avec les entreprises Bourdin-Chaussé et Cochery, les travaux routiers deviennent le deuxième métier du Groupe. Le troisième pôle d'activité se développe dans l'équipement électrique et climatique, avec Saunier Duval Electricité, Tunzini et Wanner Isofi. Après sa privatisation en 1988, Saint Gobain cède la SGE à la Compagnie Générale des Eaux (future Vivendi). En 1997, la CGE apporte à la SGE ses entreprises de travaux électriques GTIE et Santerne en contrepartie, la  SGE cède à la générale des Eaux ses activités de traitement des ordures ménagères, de distribution d'eau et de promotion immobilière. En 1998 la participation de la Générale des Eaux au capital de la SGE est ramenée de 85% à 51%. Une fois ce recentrage de l'actionnariat effectué, la SGE met en place une nouvelle organisation par métiers (concessions, équipement, routes, construction) et livre le Stade de France, dont elle est concessionnaire en consortium. En 2000 la SGE est rebaptisé Vinci alors que, trois mois avant, la participation de la Générale des Eaux, devenue Vivendi, avait été ramenée de 51% à 17%.

La logique de la fusion

Entre 1996 et 1999 Vinci (ex SGE) et GTM poursuivent une stratégie comparable pour rétablir leurs marges : réduction de leur exposition à l'activité construction-BTP et développement des activités récurrentes et à fortes marges. Début 2000, Vinci devient indépendant grâce au désengagement de Vivendi mais Vinci doit croître rapidement pour faire face à des enjeux de taille critique, Vinci est alors un acteur de taille moyenne comparé à ses concurrents Shanska, Hochtief ou Ferrovialun. Vinci doit alors faire face à une double menace : Vinci risque de faire l'objet d'une OPA de la part d'un de ses concurrents alors même que sa capitalisation boursière est trop faible pour intéresser les investisseurs institutionnels qui s'intéressent au secteur de la construction mais dans le même temps  trop importante pour les investisseurs Mid Cap. C'est pourquoi seule une acquisition peut permettre à Vinci d'atteindre rapidement une taille critique qui lui permettra de sauvegarder son indépendance. 

Une fusion de raison et un projet d'avenir

Tout commence par une première tentative en 1997. Cette année là, Jean-Marie Messier, président de la Générale des Eaux et Gerard Mestrallet son Homologue chez Suez Lyonnaise, avaient évoqué un rapprochement entre leurs deux filiales, lesquelles ne figuraient déjà plus au cœur de leur stratégie respective comme le souligne Alain Minc : Pour Suez le BTP n'était qu'un métier d'accompagnement depuis sa fusion avec la Lyonnaise des Eaux". C'était une proposition de holding à holding. Malheureusement, les deux filiales plongées dans la crise du BTP et victimes de leurs errements passés dans l'immobilier n'étaient pas prêtes. En 1996, le Groupe GTM avait affiché 45 millions de francs de pertes. Quant à la SGE, sa situation était encore plus mauvaise avec 933 millions de francs de pertes en 1995 et encore 372 millions de déficit en 1996. Au début 2000, les deux concurrents présentent peu ou prou le même profil: taille équivalente, BTP enfin restructuré, et profitabilité retrouvée. Si l'on ajoute à cela une grande complémentarité géographique, et des intérêts communs dans certaines concessions comme le Stade de France (détenu à parts égales par Bouygues, GTM et la SGE) ou la très rentable société d'autoroutes Cofiroute (possédée à 34% par GTM et à 31% par la SGE), le dialogue amorcé en 1997 pouvait reprendre. D'autant qu'en 1999 une idée d'échanges d'actifs entre GTM et son concurrent Eiffage avait échoué. La fusion est alors devenue logique comme le confirme François Jaclot vice-président de Suez : "Nous avions plusieurs options : soit nous vendions GTM, soit nous recherchions un mariage. La piste des acheteurs a été explorée, le mariage proposé par la SGE s'est naturellement imposé".

En effet, GTM et Vinci ont des profils similaires dans leur positionnement et dans leurs stratégies de développement (activités à cash flow récurrents et importants). De plus les deux entreprises ont une taille et une culture similaire :  ils sont concurrents depuis les années 1900, ils disposent d'une culture d'ingénieurs bâtisseurs et appartiennent tous deux à de grands groupes. Enfin GTM représente une cible de choix pour Vinci puisque GTM est présent dans le secteur très rentable des concessions. La fusion avec GTM permet ainsi à Vinci de porter sa participation dans Cofiroute de 31% à 65% et d'augmenter la main mise du nouveau groupe sur le stade de France qui est détenu grâce à l'apport de GTM à 66 % par Vinci contre 33% pour Bouygues.

Le processus d'intégration

Les protagonistes s'entendent d'abord pour préserver le plus grand secret. Seuls Antoine Zacharias et Bernard Huvelin chez Vinci et Gérard Mestrallet et François Jaclot chez Suez participent aux négociations, puis, mais dans un deuxième temps, la banque d'affaires Clinvest, conseil de Suez. C'est cette même banque qui présentera l'OPE lancée par Vinci, quand les négociations auront abouti. Chez GTM, en revanche, personne n'est au courant… Assez vite, le principe d'une offre publique d'échange est retenu. Mais concernant les périmètres, Suez demande à conserver le pôle électrique et industriel de GTM, soit 2,1 milliards d'euros de CA, afin de l'apporter à son propre pôle énergie. Suez accepte de racheter cash ce pôle électrique pour 280 millions d'euros. Il faut alors encore s'entendre sur les parités d'échange. Finalement, un accord est trouvé au cours de 12 actions Vinci contre 5 GTM.Sur le terrain, les nouvelles structures se mettent en place rapidement, même si les opérations se font dans la plus grande discrétion, dans l'attente des consultations sociales et de l'appréciation des autorités de contrôle des concentrations. La première action a été de nommer les cent managers de tête et 700 à 800 chantiers de travail ont été mis en place.

Les quatre pôles de Vinci ne subissent pas la même effervescence. La fusion ne touche guère Vinci Energies-Information puisque les quatre sociétés industrielles détenues par le Groupe GTM ont rejoint la filiale belge de Suez-Lyonnaise des Eaux, Tractebel. GTIE se retrouve donc seul dans ce pôle. Dans le domaine des concessions, Sogeparc et les Parcs GTM sont réunis au sein d'une même entité, Vinci Park. Dans le pôle Route, on assiste à une réorganisation territoriale dans laquelle certaines filiales subsisteraient et d'autres fusionneraient, une nouvelle délimitation des territoires est opérée. Le gros chantier concerne Vinci Construction qui représente 60% des synergies.

Pour mener à bien l'intégration Vinci a décidé de combiner de manière sélective ses organisations et ses pratiques avec celles de GTM et en a profité pour procéder à des rationalisations source de synergies de coûts. Les synergies de coûts sont principalement obtenues par la rationalisation des pôles Routes et Construction : le levier de synergie du pôle Construction (60% du total des synergies) avec les grands projets ( fusion des activités de Vinci et GTM ) et le BTP France ( fusion des deux entités de Vinci : Sogéa et Campenon Bernard) ainsi que le levier de synergies du pôle Routes (25% du total des synergies) avec la Fusion des pôles routes de Vinci et GTM ( suppression d'implantations et réduction des frais de structure). La première phase du processus d'intégration a permis à la Direction de clarifier rapidement les enjeux de la fusion pour les personnels comme pour les actionnaires de Vinci-GTM. Les grands principes du rapprochement sont définis avec le souci de trouver l'équilibre dans le management et la nomination des patrons de pôle. Ainsi le concept d'uneorganisation de l'activité en quatre pôles à commandement unique : Concessions, Energies Information, Routes, Construction est retenue alors que parallèlement le pôle industriel de GTM est rétrocédé à Suez.

Puis la phase opérationnelle de la fusion a été mise en œuvre. L'enjeux financier des synergies est clairement affiché. En première approche, l'objectif de synergies est fixé à 70 Mio € d'ici 2003. Les synergies de coûts représentent près de 70% du total des synergies et seront réalisées grâce à la rationalisation des structures. Ainsi la rationalisation des Pôles route et Construction est le principal chantier de la phase opérationnelle.

Au moment de la fusion, chaque groupe possède ses propres outils et systèmes Vinci et GTM avaient chacun une ou plusieurs applications informatiques par domaine. Le nouveau groupe a profité de la fusion pour rationaliser le nombre d'applications : le nombre de logiciel a été réduit par trois en comptabilité et par quatre dans les logiciels de gestion commerciale. GTM avaient développé certaines bonnes pratiques comme le "Prix de l'innovation" ou une Communication interne largement informatisée ; très logiquement ces outils ont été retenus et appliqués au nouveau groupe. Pour obtenir un modèle dynamique la sélection des outils et des systèmes a ainsi été réalisée sur des principes très pragmatiques. Le choix des applications informatiques et des systèmes diffusés dans le nouveau groupe se fait en comparant les systèmes existants et en gardant la meilleure solution c'est pourquoi l'Outil de reporting sélectionné provient de Vinci alors que les Outils de communication interne proviennent de GTM. De 2000 à 2002 les régimes sociaux des deux entreprises sont fusionnés grâce à la signature de 30 accords d'entreprises, un nouveau système d'évaluation global est validé par les partenaires sociaux  et les salaires fixes et variables sont mis au même niveau. Cette réorganisation interne en plus de la fusion fait ainsi émerger un nouveau groupe solide cohérent et basé sur quatre métiers. Cette fusion devrait ainsi permettre de générer en définitive quelques 100 millions d'euro de synergies grâce à la rationalisation des coûts et à la taille du nouveau Vinci, taille qui lui permet d'espérer en l'avenir grâce aux bases solides sur lesquelles elle a construit son développement futur.

Conclusion

Cette fusion est à plus d'un titre exemplaire. Elle met en exergue la nécessité pour les entreprises d'atteindre la taille critique, taille sans laquelle aucun développement ni aucune politique autonome ne peut être envisageable. Cependant cette OPE si elle est symbolique de la concentration de son milieu d'activité est aussi la manifestation d'un savoir-faire : les deux entreprises ont, toute leur existence durant, passé leur temps à racheter leurs concurrents et à réorganiser leur entreprise pour optimiser leurs compétences. Les économies d'expériences ainsi réalisées dans ces domaines conjuguées à celles réalisées dans leurs métiers de base ont ainsi permis à Vinci de réaliser la fusion la plus profitable possible tant en terme de synergies qu'en terme de compétences.

Avec cette fusion Vinci s'est donné les moyens d'assurer les besoins financiers de son développement en limitant les risques. Cette fusion permet de donner une cohérence, une profondeur et un avenir aux quatre métiers de base du groupe que sont le BTP, les travaux routiers, les concessions et les équipements. Ainsi, non content de se doter d'une assise financière plus importante via ce regroupement, Vinci, grâce à ses concessions (Cofiroute, le Stade de France …), s'approprie aussi une ressource stable de bénéfice pour les années à venir. Les concessions permettent donc de financer et de faire travailler les trois autres secteurs d'activités donnant ainsi une solution "clé en main" au client. Avec ce nouveau départ Vinci devient un nouveau groupe européen à part entière qui peut dorénavant envisager sereinement un redéploiement hors de l'union européenne pour son avenir.
 

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