POINT D' ACTUALITE : Prix plancher, prix plafond : le cas de l'agriculture

A l’occasion du salon de l’agriculture 2024, le Président de la République, « venu pour prendre des engagements », a annoncé la mise en place de prix planchers « qui permettront de protéger le revenu agricole ». Ces prix planchers devraient être intégrés dans une nouvelle loi, sur le modèle de la loi Egalim, prévue d’ici l’été. L’objectif du gouvernement est de permettre aux agriculteurs de pouvoir vivre décemment de la vente de leurs produits.

 

Un prix plancher est un prix minimum en-dessous duquel il n’est pas possible de payer un produit ou un service. Le prix n’est plus fixé par le marché, mais par les pouvoirs publics. Dans la mesure où ces prix planchers sont supérieurs aux prix de marché, ils augmentent la rémunération du producteur, puisque les quantités produites ne diminuent pas ( on voit ainsi apparaître un « surplus du producteur » augmenté, c’est-à-dire sur le graphique ci-dessous le passage de la surface jaune à la surface hachurée).

L’avantage majeur des prix planchers est donc de procurer aux agriculteurs un revenu garanti. Ils permettent également d’éviter, si le protectionnisme est possible, une « concurrence déloyale » de la part de concurrents étrangers qui, par exemple, en ne respectant pas les mêmes normes de production que les producteurs nationaux ou en bénéficiant d’un coût du travail plus faible, peuvent pratiquer des « prix d’éviction », en faisant baisser les prix à des niveaux insoutenables, et donc en précipitant bon nombre d’agriculteurs nationaux dans la faillite.

 

Voir la question 1 « Qu’est-ce qu’un marché imparfaitement concurrentiel ? » du chapitre du programme de première « Comment les marchés imparfaitement concurrentiels fonctionnent-ils ? »

Mais quels sont les inconvénients des prix planchers ?

Le premier inconvénient est l’offre excédentaire. C’est ce qui s’est passé du début des années 1960 au début des années 1990 quand la PAC reposait sur des prix garantis aux agriculteurs. Au bout du compte, cette offre excédentaire est payée par les contribuables (puisqu’il faut bien en faire quelque chose, et même parfois la détruire, comme à l’époque des stocks de beurre et de lait invendus en Europe dans les années 1980).

Un autre problème est la réduction de la demande (la baisse du « surplus du consommateur »), puisque la hausse des prix des produits agricoles est répercutée par les industriels de l’agroalimentaire et par la grande distribution sur le prix de vente final des produits. Cette baisse de la demande est cependant incertaine, puisqu’elle dépend de l’élasticité-prix de la demande, et de la possibilité d’avoir accès à des fournisseurs étrangers. Lorsque le prix plancher est supérieur au prix payé par le consommateur, celui-ci peut dans certains cas se tourner vers des produits de substitution, ou dans un contexte de libre-échange acheter des produits étrangers moins chers, ce qui contribue bien sûr à dégrader la balance commerciale.

Un dernier problème, et non des moindres, est lié à l’hétérogénéité des coûts de production dans un secteur d’activité donné. Comme ces coûts sont différents selon les exploitations (en fonction de la taille de celles-ci, qui permet des économies d’échelle, mais aussi des conditions de production, comme les sols plus ou moins fertiles…), le prix plancher constitue une « rente » pour les exploitations qui bénéficient des  coûts de production plus faibles. Au bout du compte, le prix plancher accentue les disparités de revenus dans la profession agricole. L’hétérogénéité des coûts de production peut aussi avoir une autre conséquence : comme cela a été souligné par bon nombre d’observateurs au moment de la crise agricole, dans un certain nombre de cas, le prix plancher se transforme en prix plafond, qui certes peut dans un premier temps augmenter le surplus du consommateur (voir graphique ci-dessous), mais qui à terme a des conséquences négatives sur l’offre de biens (comme on le voit de manière récurrente sur la pénurie d’offre de logements quand le prix des loyers est encadré). En effet, si le prix plancher devient un point de repère, c’est-à-dire que tous les industriels achètent à ce prix parce-que la réglementation l’exige, cela devient vite assez problématique quand les coûts de production ne sont pas identiques. Par exemple, sur le marché du lait, étant donné que le lait de montagne a des coûts de production supplémentaires, tous les producteurs de lait ne vendent pas leur production au même prix, et il est compliqué de faire admettre à un producteur qui a l’habitude de vendre ses produits à un prix plus élevé qu’il va devoir revenir à un prix plus bas.

Au bout du compte, il est clair que la fixation d’un prix plancher, séduisante au premier abord, amène plus de problèmes que de solutions. Dans ces conditions, comment remédier à la question épineuse du revenu des agriculteurs ? Il semble bien que la solution optimale réside dans l’organisation des marchés agricoles, même s’il est vrai que cette organisation demande du temps et ne permette pas immédiatement d’apporter une réponse à la détresse de nombreux agriculteurs.

 

Voir la question 4 « Pourquoi en comment rendre les marchés plus concurrentiels ? du chapitre de Première « Comment les marchés imparfaitement concurrentiels fonctionnent-ils ? »

Comme le fait observer Emmanuel Combe (Article paru dans L’opinion le 28 février 2024), «  parmi les causes structurelles du faible prix des produits agricoles, il y a l’asymétrie de pouvoir de négociation entre agriculteurs et industriels ». Si on poursuit sur l’exemple du lait, la configuration du marché est celle d’un seul acheteur (le collecteur) face à de nombreux offreurs (les producteurs). Cette configuration, qualifiée par la science économique de « monopsone » (ou d’ «oligopsone »sur bon nombre de marchés agricoles avec quelques acheteurs sur le marché que sont les industries agro-alimentaires) permet à l’acheteur d’imposer des prix bas. Pour remédier à cette situation, il faut renforcer le pouvoir de marché des offreurs que sont les agriculteurs par le développement de coopératives agricoles, pour arriver à une situation d’ « oligopole bilatéral », voire de « monopsone contrarié ».

Evidemment, la mise en place de telles organisations de marché demande du temps et une volonté collective des producteurs. Si elle constitue à terme une réponse plus pertinente que les prix planchers, il est vrai qu’elle ne s’inscrit pas dans l’immédiateté qui est bien souvent le temps dans lequel s’inscrit l’action politique.

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