POINT D' ACTUALITE : Faut-il s’inquiéter de la dette américaine ?

Le marché des titres de dette américaine est aujourd’hui 5 fois plus élevé qu’en 2008. Et comme le montre le graphique ci-dessous, cette tendance n’est pas prête de s’arrêter, vu la poursuite des déficits américains. En 2023, ce déficit pourrait dépasser 8% du PIB.

 

Etats-Unis : Dette publique entre 2001 et 2028  (en milliards de dollars américains)

                                                                                                 

  Source : Statista 2023

Cet endettement est un moteur de la croissance américaine. Depuis 2007, le taux de croissance par habitant du PIB a atteint 19,2% aux Etats-Unis, contre seulement 7,6% en zone euro. Dans ces conditions, l’écart de niveau de vie entre Américains et Européens se creuse, et on peut considérer non sans raison que la politique budgétaire américaine explique une partie de cet écart de croissance avec l’Europe.

Cependant, la propension américaine à s’endetter inquiète aussi, dans un contexte de hausse des taux d’intérêt. Les taux d’intérêt à 10 ans sont aujourd’hui à 4,5%, et on estime que la charge d’intérêt de la dette fédérale pourrait représenter la moitié du déficit en 2026. Elle pourrait même passer de 10% des recettes fiscales en 2022 à 27% en 2033 selon l’agence de notation Moody’s. La crainte majeure est que le taux de croissance de l’économie devienne inférieur au taux d’intérêt réel, ce qui conduirait à un effet « boule de neige ».

L’effet boule de neige

L’effet boule de neige de la dette désigne le processus autonome d’accroissement du déficit public résultant d’un écart entre le taux de croissance économique et le coût de la dette publique dépendant du taux d’intérêt. Lorsque le taux de croissance nominal du PIB  est inférieur au taux d’intérêt de la dette, la dette des administrations publiques tend à s’accroître spontanément sous l’effet d’un processus autoentretenu (la charge d’intérêt augmente le déficit, ce qui augmente à nouveau la charge de la dette).

 

A terme, le danger est que l’Etat américain rencontre des difficultés de financement, soit que les prêteurs se détournent des titres qu’il émet, soit qu’ils lui imposent des taux d’intérêt supérieurs. Dans cette dernière hypothèse, l’écart entre le coût de la dette et le taux de croissance aggrave l’effet boule de neige et élève la contrainte d’assainissement budgétaire. Le risque est alors d’entrer dans la déflation, mécanisme bien décrit par Irving Fisher en 1933. La recherche du désendettement conduit à une chute brutale de la consommation et de l’investissement, et donc à une baisse des prix. Mais quand les prix baissent, le poids réel de la dette s’élève, conduisant les acteurs économiques à redoubler d’efforts pour se désendetter. Cela peut aller jusqu’à la liquidation des patrimoines, qui aggrave encore la déflation ( d’où l’expression de « déflation par la dette »).

Mais le risque d’une telle éventualité est jusqu’à présent limité. En effet, la dette américaine est détenue pour une petite partie (voir graphique ci-dessous) par des pays étrangers qui considèrent le dollar comme une valeur refuge et veulent de ce fait détenir la monnaie américaine, soit directement en devises dans leurs réserves, soit indirectement en achetant des titres de la dette.

 

Principaux détenteurs étrangers de la dette américaine, en milliards de dollars américains

                                        

  Source : Statista 2023.

Et la plus grosse partie de la dette (plus de 80%)  est détenue par des investisseurs américains, qu’il s’agisse de particuliers, de caisses de retraite, d’institutions financières, ou encore de la FED. Les titres de la dette sont populaires parce qu’ils offrent un rendement intéressant ou qu’ils présentent une sécurité élevée. 

En ce qui concerne l’aspect sécurité, le gouvernement américain peut s’endetter tant qu’il trouve des acheteurs pour les obligations qu’il émet sur le marché. Et il en trouve d’autant plus facilement qu’un pays honore ses dettes et ne peut faire faillite, sauf exception (la banqueroute est en effet la situation dans laquelle un débiteur est en état de cessation de paiements, et une telle situation s’est présentée pour la dernière fois pour le cas français en 1797, où les deux-tiers de la dette publique ont été rayés d’un trait de plume). Cela explique que le pays n’a aucun problème à se financer, bien que la dette américaine augmente année après année.

En ce qui concerne le rendement, on observe que le rendement des obligations américaines (que l’on appréhende dans la version la plus simple par le rapport entre le versement d’intérêts et le cours de l’obligation) est assez élevé.

 

 

Source : Réserve Fédérale de Saint-Louis. BNP-Paribas

La mesure du rendement

Pour comprendre la mesure du rendement d’une obligation, il faut intégrer d’une part le fait que le cours d’une obligation évolue sur le marché boursier, et d’autre part que les intérêts versés ne varient pas. Par exemple, si on prend le cas d’une obligation achetée 1000 dollars au moment de son émission avec un taux d’intérêt de 10%, celle-ci rapporte 100 dollars chaque année qui sont versés par l’émetteur, qui en outre remboursera les 1000 dollars à l’échéance prévue.

Mais le cours d’une obligation peut être inférieur (on dit alors qu’elle est négociée en-dessous du pair) ou supérieur (elle est au-dessus du pair). Son rendement est donc affecté. A titre d’illustration, si l’obligation est vendue 800 euros, son rendement est de 12,5% (100/800). Si elle est vendue 1200 dollars, son rendement est de 8,33% (100/1200). On peut donc dire que le cours et le rendement d’une obligation évoluent en sens inverse.

Le cours des obligations est particulièrement affecté par le taux d’intérêt. Lorsque les taux d’intérêt montent, les cours des obligations chutent sur le marché parce que les agents se séparent des obligations achetées antérieurement, et rémunérées à un taux plus faible.  Du coup, le rendement des obligations anciennes monte et s’aligne sur celui des nouvelles émissions dont le taux d’intérêt nominal est plus élevé. Inversement, lorsque le taux d’intérêt baisse, les cours obligataires montent (demande plus forte pour les obligations mieux rémunérées), et le rendement des anciennes obligations baisse pour s’aligner sur celui des nouvelles émissions dont le taux d’intérêt nominal est plus faible.

 

Par ailleurs, la dette américaine est plafonnée, ce qui là aussi peut rassurer les investisseurs. Il s’agit d’une spécificité américaine : depuis 1917, un plafond de la dette est fixé (c’est la limite de fonds que le Gouvernement fédéral peut emprunter), qui ne peut être relevé que par un vote du Congrès américain. Le plafond de la dette était début 2023 de 31400 milliards de dollars, soit 123% du PIB des Etats-Unis. Ce plafond a été atteint aux alentours du 01 juin, et seul un vote du Congrès a permis de le relever, à l’issue d’âpres négociations politiques : les Républicains, majoritaires à la Chambre des représentants, cherchaient alors à profiter des discussions sur le relèvement du plafond de la dette publique pour pouvoir influer sur la politique budgétaire du gouvernement. Ces manœuvres politiques ont d’ailleurs mis le pays au bord de la faillite plusieurs fois, l’épisode le plus marquant s’étant produit en 2011, année où les négociations se sont prolongées jusqu’au dernier moment et se sont finalement conclues par l’adoption de la loi sur le contrôle budgétaire (Budget Control Act de 2011).

L’absence d’un accord sur le plafond de la dette aurait des conséquences très importantes. Il signifierait que l’Etat américain ne pourrait plus lever des fonds supplémentaires sur les marchés, et ne disposerait pas des ressources fiscales pour assurer son fonctionnement ; Dans ces conditions, il faudrait faire des coupes dans les budgets destinés à la santé, à la sécurité sociale, à la justice, à la défense, ou encore à l’éducation. Concrètement, de nombreux ménages américains seraient dès lors privés de revenus, d’où un risque de récession.

A ce risque de récession s’ajoute la perspective du défaut de paiement, situation dans laquelle les Etats-Unis seraient incapables de rembourser la charge de la dette (montant payé par un Etat pour rembourser les intérêts de la dette publique). On pourrait craindre alors une grave déstabilisation des marchés et des répercussions importantes à l’échelle internationale. C’est un fait que la charge de la dette pèse dès maintenant d’un poids très lourd sur les économies. 

Mais il est vrai que l’économie américaine est généralement soutenue par une consommation supérieure aux attentes, qui éloigne le spectre de la récession. Ainsi, pour s’en tenir à l’histoire récente, en octobre 2023, les ventes au détail ont encore augmenté de 0,7% alors que les économistes tablaient sur une croissance d’à peine 0,2%. 

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