Un entretien réalisé par Béatrice Couairon, Directrice du Programme Enseignants-Entreprises
1) Quel est le défi le plus difficile à relever pour expliquer l'économie en BD ?
Le plus difficile, c’est d’arriver à faire simple ! Mais la BD est un formidable support pour cela. Elle permet de faire vivre des personnages en prise avec des problèmes ou des questions, ici économiques, très concrets. Dans L’économie en BD, tout part de la situation de chômage de Juliette, la maman de Zoé et de son rendez-vous à pôle emploi, pour ensuite aborder beaucoup d’autres thèmes : la robotisation, les inégalités, la richesse, le cycle économique, la mondialisation, la monnaie, les banques, la finance, l’Europe. Il y a toute une alchimie entre le texte et les images. L’illustration par l’image permet d’incarner les explications et de les rendre accessible au plus grand nombre. Et cela s’inscrit dans un combat que je mène depuis longtemps : parler d’économie au plus grand nombre, et ici donc dès le plus jeune âge.
Cela me semble fondamentalement utile parce que l’économie est partout dans nos vies. Dire « je n’aime pas l’économie » n’a donc pas de sens. Dire « je ne la comprends pas » est, en revanche, un vrai problème. Comprendre et faire comprendre l’économie est essentiel pour faire vivre la démocratie. Les économistes ont de ce point de vue une mission dont ils n’ont pas assez conscience à mon avis, celle de faire comprendre leur matière et de la tourner davantage vers l’humain et la société. Il y a danger à ne pas le faire, car on laisse alors les explications à des professionnels qui vont avoir une vision sectorielle, ou à des experts auto-proclamés, … Et c’est là où la démocratie s’abîme, car les citoyens sont alors de plus en plus mal armés pour comprendre le monde et pour élire des représentants le conduisant dans l’intérêt général.
2) Ces explications s’appuient sur certaine une vision du monde. Faut-il y voir une dimension politique ?
Je parle d’économie de manière incarnée et j’assume ma vision du monde. C’est peut-être loin de ce que considère habituellement l’économiste qui se prétend neutre, objectif et qui s’imagine « faire parler les données » … L’économie n’est pas une science apolitique. C’est toujours d’une certaine manière de l’économie politique. C’est donc, en effet, une certaine vision de monde qui sous-tend mon récit et mes explications. Ma vision est la suivante : nous vivons dans une société violente économiquement, le chômage de Juliette la maman de Zoé est emblématique de cette violence ; inégale et injuste socialement - c’est l’objet d’une dispute entre Eliot et Anouar quand Anouar se rend compte que la paire de baskets que porte Eliot c’est la moitié du salaire mensuel de sa mère – et de discussions entre Zoé et sa voisine Mme Robinson qui est une prof d’éco à la retraite ; instable financièrement - Madame Robinson explique à Zoé et à Gunther son meilleur copain, comment des bulles se forment sur les marchés boursiers, à quoi sert la monnaie en lui expliquant toute l’ambivalence de la monnaie, des sujets trop peu vulgarisés d’habitude ; suicidaire écologiquement, à vouloir produire et consommer toujours plus, alors que nous sommes embarqués dans un vaisseau dont les stocks de ressources sont limités - Zoé après brossage de dent sans trop faire couler l’eau ;-) va se coucher et rêve à la planète terre qui lui explique qu’elle a trop chaud et que les humains épuisent ses ressources, lui en prennent en un an bien plus qu’elle ne peut en renouveler… J’essaie d’évoquer tous ces aspects sans manichéisme, mais oui j’assume ma vision du monde. Et ce qui m’intéresse dans la transmission, dans cette explication du monde, c’est qu’il s’ensuive une volonté de transformation. Je rêve d’un monde moins violent économiquement, plus juste socialement, plus stable financièrement, respectueux de la planète.
3) Zoé est aujourd'hui collégienne, la retrouvera-t-on dans un tome 2 en lycéenne pour l'aider à aborder son programme de SES avec Madame Robinson ?
Je crois qu’il y a déjà pas mal à faire avec ce tome 1 car le personnage principal est, en effet, une collégienne à laquelle d’autres collégien.ne.s pourront s’identifier mais j’ai fait en sorte, même si c’est dans une collection jeunesse avec une illustration jeunesse, que cela puisse parler aussi aux lycéen.ne.s, aux étudiant.e.s et de manière plus vaste à tous les citoyen.ne.s qui veulent comprendre l’économie. Donc pourquoi pas un tome 2, mais avec de nouvelles aventures, de nouveaux questionnements, dans le même esprit et pour le même public, le plus large qui soit.
4) Vous aviez écrit en 2014 L'économie pour toutes: Un livre pour les femmes, que les hommes feraient bien de lire aussi avec Marianne Rubinstein pensez-vous que les choses aient changé en 6 ans ?
Oui je pense que les choses sont en train de changer, beaucoup même ! La preuve, plus personne ne s’étonnerait aujourd’hui de la sortie d’un tel ouvrage, alors que nous nous étions heurtées à pas mal de réactions étonnées disons de notre démarche, même si les lycéen.ne.s nous avaient fait bon accueil. Les femmes sont en train de devenir des hommes comme les autres …
Jézabel Couppey-Soubeyran (Auteur) Auriane Bui (Illustration) - Paru le 19 août 2020 - 48 pages